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"Elle s'est dit : qu'est-ce qu'il va rester de moi dans 20 ans ?"
Clémentine Lecalot-Vergnaud racontait son combat contre le cancer dans un podcast intitulé "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine". Décédée l'année dernière à 31 ans, c'est aujourd'hui son mari qui prend le relais pour raconter la fin et retranscrire son quotidien de malade dans un livre. Une façon d'aider les autres mais aussi de vivre pour toujours.

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Transcription
00:00Je ne voulais pas qu'elle meure, et ça, je l'ai refusé jusqu'au dernier moment,
00:05même après le dernier moment.
00:08Aujourd'hui sort ce livre, le livre de cette jeune femme qui est en couverture,
00:13qui s'appelle donc Clémentine Verniaux, qui était mon épouse.
00:16Clémentine, elle était atteinte d'un cancer des voies biliaires,
00:19qui porte un nom un peu long comme le bras, le cholangiocarcinome.
00:23Manque de chance, Clémentine avait la forme la plus agressive.
00:26Elle en a fait un podcast qui a eu beaucoup de succès,
00:30puisqu'il y a eu plus de 2 millions d'écoutes,
00:32et elle voulait absolument en faire un livre.
00:36On a réalisé ce souhait qu'elle avait, même si elle, elle n'est plus là pour le voir.
00:41Dans son livre, Clémentine écrit
00:43« Je m'endors avec l'angoisse d'être oubliée très rapidement après ma disparition,
00:47ne laissant aucun héritage derrière moi. »
00:49Est-ce que c'est pour cela aussi qu'elle a créé un podcast,
00:52puisque ce livre s'est mis en place ?
00:54Elle avait peur qu'on l'oublie, Clémentine ?
00:57Oui, oui, oui.
00:59Ce podcast, ce témoignage et ce livre, c'est vraiment un acte existentiel.
01:05Il faut imaginer, Clémentine a 29 ans quand elle apprend l'existence de ce cancer,
01:11et tout d'un coup, toute sa vie s'écroule.
01:13Elle venait de commencer à la bâtir,
01:16elle venait vraiment de récolter les premiers bénéfices,
01:20elle avait été embauchée quelques mois plus tôt.
01:23Clémentine, elle voulait des enfants, elle n'a pas eu le temps d'en avoir,
01:27et elle s'est dit « qu'est-ce qui va rester de moi dans 20 ans, dans 30 ans ? »
01:31Dès la diffusion du premier podcast, il y a d'abord eu les malades et leurs proches,
01:38ils se sont sentis représentés par ce que disait Clémentine.
01:42Ils ont eu le sentiment qu'elles mettaient des mots sur des choses
01:46qu'ils avaient du mal à dire, qu'ils avaient du mal à communiquer avec leurs proches
01:49parce qu'on a tous cette pudeur parfois, cette peur de blesser,
01:54d'aller trop loin dans ce qu'on raconte à nos proches.
01:57Et il y a eu, entre notamment les malades et leurs proches,
02:01le sentiment que ce podcast permettait de se comprendre.
02:04Et puis il y a une deuxième catégorie qui était les soignants,
02:08qui tout d'un coup ont eu une porte ouverte qu'ils n'avaient pas forcément devant eux,
02:12qui est l'esprit d'un malade.
02:14Grâce à ce témoignage qui se livrait,
02:17qui raconte ce qui se passe mécaniquement dans la tête d'un patient,
02:21certains soignants ont compris comment pensait un patient,
02:27qu'est-ce qu'ils voulaient qu'on lui dise, qu'est-ce qu'ils ne voulaient pas qu'on lui dise.
02:30Parce que Clémentine, elle savait ce qu'elle voulait,
02:33c'était quelqu'un qui était très déterminé.
02:35Elle savait en parler aussi, elle savait ce qu'elle voulait et elle savait le dire.
02:39Clémentine parle de cette phrase que beaucoup de gens lui ont répétée,
02:43tu es une battante, c'est une dénomination qu'elle refuse catégoriquement.
02:47Est-ce que sa volonté, c'était aussi ça, de faire changer la vision des malades,
02:50le fait de vouloir absolument les mettre dans une case,
02:52lutter contre le fait qu'il y ait des bons ou des mauvais malades ?
02:55Oui, parce qu'elle estimait qu'à travers cette phrase,
02:58on culpabilisait un peu les malades,
03:00parce qu'il y a une espèce d'injonction à être une battante.
03:05On dit, allez, il ne faut pas te laisser aller,
03:07il faut faire ce qu'il faut, etc.
03:09Mais quand on est dans un brouillard de chignots,
03:11qu'on ne peut pas bouger de son canapé,
03:13qu'on ne peut même plus s'habiller ou se déshabiller
03:15parce qu'on n'a pas la force, qu'on vomit toute la journée,
03:18qu'est-ce que vous voulez ? Être une battante.
03:20Il y a des moments, il faut aussi savoir écouter son corps
03:22et c'est ça que Clémentine voulait dire,
03:24c'était laisser les malades être malades à leur rythme.
03:27Dans une interview à Brut, il y a un an,
03:30Clémentine nous disait que le plus important,
03:32lorsqu'on atteint un cancer, c'est l'entourage.
03:34Pourtant, elle écrit aussi dans son livre
03:36que votre optimisme est aussi source de disputes.
03:39C'est écrit avec le cancer, le rapport aux autres devient très difficile.
03:43Comment vous, vous avez trouvé votre place
03:45dans ce combat contre la maladie ?
03:47Je ne l'ai jamais vraiment trouvée,
03:49parce que c'est une recherche permanente,
03:52et cette place, de toute manière,
03:54elle bouge sans cesse avec l'évolution de la maladie.
04:00Ça a été effectivement parfois difficile
04:03parce que nos regards n'étaient pas toujours les mêmes au même moment.
04:06Elle n'acceptait pas de se voir comme ça,
04:09et ça, oui, ça crée des frontières
04:11qui sont difficiles à franchir.
04:14C'est la raison pour laquelle il y a eu des dissonances entre nous
04:19sur des moments où elle était fatiguée,
04:22où elle n'en pouvait plus,
04:24où j'étais inquiet parce que j'avais peur qu'elle lâche,
04:28ou donc peut-être que je l'ai trop la poussée,
04:31d'où ce reproche de « tu es trop mon coach sportif ».
04:36Donc oui, ces frontières-là,
04:38elles sont difficiles à percevoir,
04:40et surtout à percevoir avant de les franchir.
04:43Une fois que vous les avez franchies et que vous vous faites engueuler,
04:46là, vous les percevez.
04:48Mais avant, c'est compliqué.
04:50Une vie de couple avec quelqu'un qui est malade,
04:52c'est d'abord une vie de couple.
04:54Et donc, dans une vie de couple,
04:56il y a des désaccords, il y a des incompréhensions,
04:58et bien là aussi, il y en a.
05:00Et quelque part, c'est tant mieux,
05:02parce que la personne reste une personne.
05:04C'est une personne malade, qui sort de l'humanité,
05:06qui sort de la vie normale.
05:08C'est une vraie personne.
05:10Et donc oui, il y a des désaccords avec son entourage,
05:12parce que c'est la vie.
05:14Et même si il faut savoir les gérer, ces désaccords,
05:18il faut savoir les remettre à leur place,
05:20il ne faut pas les dramatiser,
05:22il faut parfois un peu prendre sur soi,
05:24il faut aussi qu'ils soient là.
05:26Parce que c'est nous, d'abord nous, nous deux.
05:30On a changé, les choses ont changé autour de nous.
05:33Mais nous deux, l'un pour l'autre,
05:35on n'a pas changé.
05:37On est toujours ce qu'on était avant.
05:39Et vous, est-ce que terminer ce qu'elle avait commencé
05:41avec ce podcast, avec ce livre,
05:43c'était aussi une manière
05:45que votre couple ne s'efface pas à sa mort
05:47et de lui rendre hommage ?
05:49Oui, bien sûr.
05:51Clémentine, elle voulait que les choses soient écrites.
05:53Et ça, ça ne date pas de son cancer.
05:55Ça a beau être une femme de radio,
05:57pour elle, l'écrit, c'est quelque chose de très important.
05:59C'est pour ça que ce livre qui sort aujourd'hui,
06:01elle en a rêvé.
06:03C'est souvent le cas pour les gens
06:05qui vivent comme ça, des deuils.
06:07On devient le corps, en fait,
06:09de ceux qu'on a aimés,
06:11de ceux qui sont partis.
06:13Donc, je suis un peu son corps.
06:15Et ce que je fais,
06:17c'est elle aussi
06:19qui le fait à travers
06:21cette continuité-là.
06:23Il y a un proverbe qui dit que quatre saisons
06:25doivent passer sur le deuil.
06:27Et je crois que c'est très vrai.
06:29On a besoin que chaque jour
06:31passe,
06:33chaque jour qui revient
06:35est un jour
06:37où la personne n'est pas là
06:39et où on reconstruit
06:41un petit bout de sa vie
06:43sans la présence physique de la personne.
06:45Et ce,
06:47ça paraît très artificiel,
06:49mais jusqu'à la date
06:51où on l'a quitté,
06:53où on s'est quitté.
06:55Et après, peut-être
06:57qu'une autre phase s'ouvrira.
06:59Mais là encore,
07:01c'est des choses qui sont vécues
07:03de manière très individuelle par les gens.
07:05Ça, c'est ma façon.
07:07Mais chaque personne qui vit ça vous le racontera
07:09certainement d'une autre manière.
07:11Dans la post-phase du livre,
07:13vous écrivez « La mort n'a pas réussi à figer
07:15l'avenir de Clémentine ».
07:17Comment se traduit cet avenir aujourd'hui ?
07:19Cet avenir,
07:21il se traduit par
07:23l'aide qu'elle va continuer
07:25à apporter à la recherche scientifique.
07:27On avait cette idée
07:29de monter une structure
07:31qui nous permettrait de financer la recherche médicale.
07:33J'en ai parlé à Clémentine
07:35quelques jours avant son décès.
07:37Elle a eu
07:39ce grand sourire en répétant
07:41les mots que je lui ai dit.
07:43« Il y aura un fond qui portera ton nom. »
07:45Elle a répété ces mots en souriant.
07:47Ça valait toutes les validations du monde.
07:49Dans les milieux médicaux,
07:51je sais qu'il y a certains médecins
07:53qui interviennent dans des universités
07:55et des facs de médecine
07:57qui font écouter ce podcast
07:59à leurs étudiants pour leur dire
08:01« Voilà un patient, comment il pense.
08:03Comment rentrer dans l'esprit d'un patient.
08:05Réfléchissez à vos propres pratiques médicales. »
08:07Quelque part,
08:09c'est la renaissance qu'elle s'est construite
08:11à travers son travail.
08:13Même si Clémentine n'est plus vivante aujourd'hui,
08:15elle continue à exister.
08:17Le monde,
08:19on n'est pas complètement dans un monde sans Clémentine.

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