"Je regarde par la fenêtre et je me dis : 'Tout ça pour ça, ça va s'arrêter là…'"
Clémentine a 30 ans et il y a 1 an, elle a appris qu'elle souffrait d'un cancer très rare, agressif et incurable. Son combat contre la maladie, elle a choisi de le raconter dans un podcast, "Ma vie face au cancer". Un témoignage pour aider les autres, et "pour laisser une trace".
Clémentine a 30 ans et il y a 1 an, elle a appris qu'elle souffrait d'un cancer très rare, agressif et incurable. Son combat contre la maladie, elle a choisi de le raconter dans un podcast, "Ma vie face au cancer". Un témoignage pour aider les autres, et "pour laisser une trace".
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00:00Quand on t'annonce le cancer, les deux premières choses que tu dis c'est
00:03« je veux pas mourir » et « je veux pas perdre mes cheveux ».
00:06Ouais, c'est très étonnant cette réaction parce que
00:11« je veux pas mourir », ça paraît assez évident
00:15parce que forcément un cancer, on se dit que ça peut être létal.
00:18« Je veux pas perdre mes cheveux », ça m'a moi-même assez surprise
00:22parce que j'étais pas forcément très attachée à mon image
00:26mais j'avais cette image du cancer ophéminin
00:31dont le stéréotype est plus de cils, plus de sourcils, plus de cheveux
00:36et je voulais pas perdre mes cheveux parce que j'avais l'impression
00:38que j'allais perdre mon identité au milieu de tout ça.
00:41Et ça a été une énorme crainte mais qui a tout de suite été
00:45écartée par les oncologues quand ils m'ont expliqué le traitement que j'allais suivre
00:49et m'ont dit que normalement je ne perdrais pas mes cheveux.
00:51Bon c'est pas de bol, j'en ai perdu à peu près 50%.
00:53Quand tu passes la main dans tes cheveux et que t'as une mèche,
00:57je me suis effondrée en sanglots, c'était horrible.
01:01T'as réussi à continuer à te regarder, à te reconnaître ?
01:05Non, je me regardais plus tellement dans la glace.
01:07Je me rendais compte parfois que je passais 2-3 jours
01:10sans vraiment regarder un miroir.
01:12J'ai un cholangiocarcinome, c'est un cancer des voies biliaires.
01:16Les voies biliaires, ce sont des voies qui passent à l'intérieur du foie,
01:20un peu comme des veines.
01:21Pendant longtemps, t'as regardé Internet ?
01:24Pendant très longtemps, je me suis privée d'Internet.
01:29Sauf qu'il y a un moment où, quand les médecins ne sont pas très clairs sur le pronostic,
01:34on finit, enfin je dis on, je pense que c'est assez humain et universel,
01:39on finit par y aller sur Internet,
01:41on finit par chercher la réponse qu'on n'a pas dans le cabinet de l'oncologue.
01:45Donc j'ai fini, oui, un soir de, je sais plus, janvier ou février,
01:50où j'y allais encore très mal, en fait je faisais une énième infection de la vésicule biliaire.
01:54J'ai fini n'arrivant pas à dormir par chercher sur Internet,
01:58par taper cholangiocarcinome pronostic.
02:02Quand vous lisez que le pronostic c'est 7% de survie à 5 ans,
02:10quand on est opérable, et moi je ne suis pas opérable,
02:13donc ça veut dire encore moins, voire zéro.
02:17Quand on lit qu'en fait on est en stade 4,
02:20parce que ça les médecins n'ont pas voulu le préciser ou l'évaluer, ça fait mal.
02:25Et quand on lit que le stade 4, il a à peu près une survie médiane de 12 à 15 mois,
02:31et qu'on en est déjà à 8 mois, on se dit bon ben voilà les gars, tout est posé.
02:35Il est 2 ou 3 heures du mat, je suis dans mon fauteuil près de ma fenêtre,
02:39et en fait je regarde par la fenêtre, et je me dis ok, c'est ça quoi.
02:44C'est extrêmement décevant en fait, on se dit tout ça pour ça, en fait ça va s'arrêter là.
02:51Et ça c'est vraiment, il y a une espèce de grand vide en moi, je suis sonnée en fait.
02:58C'est le vide.
02:59Je ne voulais pas envoyer un mail à mon oncologue pour dire coucou,
03:02au fait les 7% vous n'en aviez pas parlé, on pourrait en reparler ?
03:06C'était pas du tout ce que je voulais, donc j'ai attendu le prochain rendez-vous de scanner.
03:11Je lui ai expliqué pourquoi j'avais cherché sur internet, je lui ai dit,
03:14voilà moi j'avais pas de réponse, ça fait plusieurs mois que je n'ai pas de réponse,
03:18et au bout d'un moment je n'ai pas réussi à tenir.
03:21Et tout ce qu'elle a su me dire c'est, le pronostic il n'y en a pas, il n'y en a aucun.
03:26Je suis incapable de vous dire si vous serez en vide dans 1 an, dans 2 ans, dans 10 ans, dans 20 ans.
03:32Elle ne sait pas et personne ne peut savoir.
03:34Parce que le traitement que je prends actuellement, il est tellement récent, il a 2-3 ans maxi,
03:40que même les études, les fameuses études bien chartées, bien faites,
03:47le 3 quarts du temps c'est un recul à 5 ans, et même ça ils ne l'ont pas, même ça.
03:51Tu dis je veux pas qu'on me dise t'es une battante ?
03:55Je déteste cette phrase.
03:57Je ne suis pas une battante, je ne suis pas une combattante, je ne suis pas courageuse,
04:02ça m'est tombé dessus en fait, et c'est juste, je pense, humain et presque animal que de vouloir survivre.
04:10Et d'ailleurs, dire ça, ça voudrait dire que les gens qui n'acceptent plus les traitements,
04:16qui en ont marre des traitements pour qui c'est trop lourd,
04:19et qui se résignent à laisser la maladie suivre son cours, ne seraient pas forts, ne seraient pas courageux.
04:25Alors qu'affronter la mort en face et dire ok viens me chercher, moi je fais rien,
04:31est-ce que c'est pas au moins aussi courageux ?
04:34Finalement les gens quand ils vous disent t'es une battante, t'es courageuse,
04:38ils vous renvoient une image de vous-même que vous vous sentez obligé d'assumer, obligé de porter.
04:44Et je me disais mais les gars, qu'est-ce qui se passe si demain je vous raconte mon vrai quotidien,
04:49qui est de ne pas réussir à sortir du canapé et de vomir très régulièrement ?
04:54Qu'est-ce que vous allez dire ? Est-ce que je serai plus une combattante ?
04:57Est-ce que je serai plus courageuse ? Est-ce que ça va vous décevoir ?
05:01Il y a beaucoup de fois où on m'a dit aussi lâche rien, bats-toi,
05:06surtout n'abandonne jamais, ça c'est horrible,
05:10parce qu'il y a des jours où on a juste envie de baisser les bras,
05:14parce que ça fait du bien aussi de baisser les bras.
05:17On ne baisse pas toujours les bras de manière définitive,
05:20mais parfois on a besoin pendant une semaine de baisser les bras,
05:24de dire que c'est dégueulasse, d'en avoir marre, de pleurer sur son sort.
05:29Il y a des fois on a besoin de tout ça, donc les injonctions à toute cette force,
05:33je trouve ce qu'il y a de plus terrible dans la relation à l'autre.
05:36Là on est un an après le diagnostic, tu n'es plus la même femme ?
05:42Non, plus du tout. Non, j'ai beaucoup changé.
05:46Il y a cette perte de l'insouciance,
05:49évidemment cette espèce d'angoisse de la mort qui est toujours un peu tapie quelque part,
05:55et puis je suis peut-être aussi quelqu'un d'un peu plus libérée.
06:02À la fois j'ai beaucoup plus d'angoisse,
06:04mais à la fois je suis beaucoup plus libérée sur certains terrains.
06:07J'assume beaucoup plus aussi mon statut de malade du cancer.
06:11Oui, ça a libéré beaucoup de choses en moi,
06:14y compris ce côté profiter des moments de la vie,
06:17que je n'avais peut-être pas autant avant,
06:20et que maintenant je sais les apprécier ces petits moments.
06:23Donc oui, ça a changé pas mal de choses en moi.
06:26Ton parcours, tu as essayé de le raconter dans un podcast,
06:29tu l'as fait pour toi, tu l'as fait pour les autres ?
06:32Je l'ai fait pour moi et pour les autres à la fois.
06:35Je l'ai fait pour moi parce que j'avais aussi besoin de parler,
06:39besoin que les gens entendent ce que j'ai parfois dit
06:43et qui n'était pas entendu, ou ce que je n'ai pas osé dire.
06:46J'avais ce besoin-là, j'avais moi besoin de laisser une trace
06:50parce que j'ai quand même une survie un peu précaire.
06:54Je ne sais pas du tout de quoi demain sera fait,
06:57donc je me suis dit quitte à devoir quitter cette terre
07:00peut-être dans quelques mois, autant qu'il reste quelque chose de moi
07:03qui soit quelque chose de fort, ou en tout cas d'humain, de vrai.
07:09Et puis je l'ai fait aussi pour les autres à la fois,
07:12mes proches et ceux que je ne connais pas,
07:14parce que je pense que ça peut libérer la parole
07:17et j'aimerais vraiment que ça libère la parole.
07:19Et j'ai envie aussi que les autres se sentent compris
07:22et osent parler de ce qu'ils ressentent.
07:25Si demain, quelqu'un t'écrit en disant
07:28« Je suis larguée, on vient de me dire que j'avais un cancer »,
07:32qu'est-ce que tu dirais ?
07:39Entoure-toi bien.
07:42Je crois que c'est vraiment une des clés d'avoir un entourage
07:47à la fois très doux, très entourant, très cocooning
07:53et en même temps qui va à la bataille avec toi,
07:57qui parfois te relève quand tu ne vas pas bien.
08:01Je ne sais pas si j'en serais là si je n'avais pas eu cet entourage-là.
08:04Et vraiment, toutes les fois où j'avais envie de baisser les bras,
08:09finalement j'ai fini par penser à eux.
08:11Et je me suis dit que ce serait trop con de vraiment baisser les bras
08:15et de ne pas profiter de tout cet amour que tu as autour de toi.