La fatigue informationnelle - Les mots de l'année

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Les mots de l'année: Fatigue informationelle
Pour ceux qui terminent l'année au bout du scotch, vous souffrez peut être de cette étrange maladie dont on a beaucop parlé cette année. Et vous allez découvrir que l'expression n'est pas nouvelle

Retrouvez la chronique de Julie Neveux, Avec la langue, chaque vendredi dans Grand Bien Vous Fasse
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Transcription
00:00 Les mots de l'année avec vous Julie Neveu, vous êtes linguiste, maîtresse de conférences
00:03 à Sorbonne Université et votre dernière expression 2023, elle n'est pas très gaie,
00:09 c'est "fatigue informationnelle".
00:10 Oui Amélie, désolée mais 2023 a été une année très fatigante.
00:14 Même si dans l'expression "informationnelle" ne qualifie pas la fatigue comme grosse,
00:18 énorme, insupportable le ferait, c'est un adjectif dit relationnel qui dérive du nom
00:23 "information".
00:24 La fatigue, la grosse fatigue face à l'information.
00:27 L'expression est nouvelle Julie ?
00:30 Elle avait été élue en 2012 mot de l'année par l'Oxford English Dictionary.
00:33 Mais son besoin s'est fait ressentir chez nous cette année avec plus d'un français
00:37 sur deux, d'après la fondation Jean Jaurès, qui dirait en souffrir.
00:40 Depuis 20 ans, les mots se multiplient pour décrire notre rapport, à la fois défiant
00:44 et excessif à l'information.
00:46 Sa quantité, indigeste, c'est le mot valise infobésité.
00:49 Sa qualité, plus ou moins merdique, fait ou vérité alternative, fake news ou bullshit
00:54 post-vérité et des nouvelles pratiques journalistiques comme le fact-checking.
00:58 Nous autres, civilisations digitales, savons à présent que l'information, parfois au
01:03 lieu de nous informer, c'est-à-dire au sens premier de donner forme et donc sens
01:07 au monde qui nous entoure, le déforme et donc nous désinforme.
01:10 Le mot fatigue, que la fatigue soit musculaire ou autre, décrit un processus en trois temps.
01:15 1.
01:16 Une activité excessive, pour un muscle d'être trop sollicité.
01:19 2.
01:20 Un état douloureux, le muscle fait mal, état qui résulte en 3.
01:23 Une inactivité, le muscle ne peut plus être utilisé.
01:26 Si le mot marche aussi avec information, c'est que comme le muscle, l'info a en fait d'abord
01:31 une finalité pratique.
01:33 Je m'informe pour savoir comment agir.
01:35 Je regarde s'il va pleuvoir, info, je prends mon parapluie.
01:38 J'écoute ce que dit un tel, je réagis, je participe au débat.
01:42 Si je me tiens au courant, normalement c'est pour m'élancer de par le vaste monde.
01:46 Sauf qu'aujourd'hui, l'info, parfois à la place, me terrasse d'anxiété.
01:50 Elle est devenue, autre mot hyper fréquent de l'année, trop anxiogène.
01:54 Tous ces mots montrent notre intérêt croissant pour les phénomènes dits de santé mentale.
01:58 Charge mentale, burn-out, fatigue informationnelle.
02:01 Souvent, il s'agit d'un déséquilibre entre ce qu'on perçoit comme devant être
02:05 accompli en vue d'un monde meilleur et les petits moyens dont on dispose pour y parvenir.
02:09 En fait, rien pour la plupart des infos de cette année tragique.
02:13 Guerre, assassinat, catastrophe climatique.
02:15 Et ce rien est si désolant, si minable, qu'on en évite l'info.
02:19 Le terme d'évitement est synonyme de fatigue, comme le rappelle Nicolas Demorand.
02:23 La question de la fatigue ou de l'évitement informationnel fait désormais partie des
02:29 menaces qui pèsent sur le journalisme.
02:31 Mais qui sont les fatigués de l'information ?
02:33 La Fondation Jean Jaurès a établi des profils types.
02:36 Les défiants oppressés sont les plus nombreux.
02:38 Ce sont les aquabonistes de l'info.
02:40 Aquabon, puisqu'on me ment et que j'y comprends rien.
02:42 Mais on a aussi les hyperconnectés épuisés.
02:45 Les compulsifs de l'info.
02:46 Les addicts qui cliquent et recliquent.
02:48 Même sur des titres qui leur semblent futiles.
02:50 Futile à l'origine veut dire qui fuit, au sens où fuit de l'eau.
02:54 Ainsi, notre attention fuit et se disperse par tous ces titres qui nous sollicitent.
02:57 Soit on rééduque notre attention, soit on se balade en forêt.
03:01 Une simple balade en forêt, par exemple, permet aux plus anxieux de surmonter cette
03:05 fatigue informationnelle.
03:07 En fait, l'expression rappelle à quel point on a besoin d'une information qui donne forme,
03:12 et si possible forme commune, au monde qui nous entoure, plutôt que de donner forme
03:17 à nos désaccords.
03:18 Mais comment faire ça Amélie ?
03:20 Je vous le demande.
03:21 Les mots de l'année.
03:22 Merci Julie Neveu.

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