• l’année dernière
C'est un des mots incontournables de 2023, du moins pour tous les heureux parents d'enfants entre cinq et quinze ans qui se sont mis, l'espace de trois mois, entre janvier et mars environ, à se passer le mot inventé par un tiktokeur.


Retrouvez la chronique de Julie Neveux, Avec la langue, chaque vendredi dans Grand Bien Vous Fasse
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/avec-la-langue

Transcription
00:00 Et avant le journal de 8h sur Inter, en cette dernière semaine de 2023, les mots de l'année
00:04 avec la linguiste Julie Neveu.
00:06 Quels mots avez-vous choisi ce matin Julie ?
00:09 « Coakoubé » Alexis !
00:10 Quoi ?
00:11 « Coakoubé » c'est un des mots incontournables de 2023, du moins pour tous les heureux parents
00:16 d'enfants entre 5 et 15 ans qui se sont mis l'espace de 3 mois, entre janvier et
00:20 mars environ, à se passer le mot inventé par un tiktoker, sans doute à partir de l'expression
00:25 « Coakou » en baoulé, une langue ivoirienne.
00:28 Tiktoker du nom, enfin surnom de « la vache » dont les vidéos sont devenues virales.
00:33 Vidéo, il piège des gens qu'il connaît plus ou moins.
00:35 « Madame, t'as l'écran de thé ? Quoi ? Coakoubé ? Coakoubé, Coakoubé, Coakoubé.
00:42 Ok, donc ça veut dire quoi en fait ?
00:43 C'est le problème Alexis, et c'est l'intérêt, ça ne veut rien dire.
00:47 Enfin, sur le plan de l'apport informationnel de l'énoncé, parce que du point de vue
00:51 de l'attitude, ça veut dire beaucoup.
00:53 L'idée de Coakoubé, c'est de créer le besoin de dialogue dans l'autre, qu'on
00:57 est en train à poser une question.
00:58 Question qui consiste typiquement à rechercher une information manquante.
01:02 Chaque type de phrase correspond en fait à un type d'interaction.
01:05 Les mots nous servent à agir, c'est ce que la linguistique dite « pragmatique » étudie
01:11 depuis le livre de John Austin « Qu'en dire c'est faire ». Donc, vous posez une
01:15 question, en utilisant quoi ? Ce pronom interrogatif qui exige clairement qu'on identifie un
01:19 contenu, et là on vous répond « Coakoubé », c'est-à-dire pas du tout une réponse
01:23 qui vous éclaire, mais une sorte d'interjection bizarre, comme une exclamation.
01:27 Donc vous éprouvez forcément, même s'il n'y a pas de quoi aller se pendre non plus,
01:31 une frustration.
01:32 En gros, vous vous êtes fait avoir.
01:34 D'autant que la première syllabe répète le quoi, et la simple répétition façon
01:37 perroquet est bien connue comme procédé énervant.
01:40 Pourquoi ? Et bien parce qu'elle sape un des principes fondamentaux de nos conversations
01:45 quotidiennes, décrits par les linguistes Sperber et Wilson, à savoir le principe de
01:49 pertinence.
01:50 Quand on parle, c'est parce qu'on veut être compris, et la façon dont on construit
01:54 une conversation, normalement, s'inscrit dans une logique à la fois d'économie
01:57 et de pertinence.
01:58 Je ne dis que ce dont l'autre a besoin, et qui nous permet à tous les deux d'avancer
02:02 dans un dialogue cohérent.
02:03 Donc là, « Coakoubé » fait précisément le contraire.
02:06 Il n'est pas pertinent, car il est hors-sujet, et il me fait perdre du temps à moi qui parle
02:10 pour dire quelque chose.
02:11 Donc il est doublement impertinent.
02:13 Voilà, parce qu'il l'est aussi d'un point de vue social.
02:15 On voit bien qu'il sert, toujours minimalement et ponctuellement, à mettre en défaut l'autorité
02:19 de la personne piégée.
02:20 Si la propagation de « Coakoubé » a été phénoménale, c'est d'abord en tant qu'elle
02:23 a manifesté la puissance de frappe d'un réseau social.
02:26 Et aussi le rôle que le langage peut jouer, comme marqueur générationnel, en tant qu'il
02:31 permet d'adopter une posture commune.
02:32 Pendant quelques mois de 2023, « Coakoubé » aura permis à un ensemble de jeunes humains
02:37 d'exprimer leur ironie, leur décalage, leur gentil « va te faire foutre » linguistique.
02:40 « Coakoubé » a fait couler pas mal d'encre, et quelques discours puristes habituels « où
02:44 va le monde, j'ai enfanté des monstres, j'ai mal à mon français », discours
02:48 qui stigmatisent les jeunes, et en font un groupe homogène parlant une autre langue.
02:52 Là où on peut aussi voir, dans ce micro-piège linguistique tendu, une invitation à prendre
02:56 le temps de parler pour ne rien dire, pour le plaisir du jeu, quoi !
02:59 Nicolas Demorand : « Coakoubé ! »
03:00 Alexie de Ville : Et voilà !
03:01 Nicolas Demorand : J'ai réussi ! Merci Julie Neveu !
03:02 Alexie de Ville : Merci Alexie !

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