Maryvonne de Saint Pulgent est l'invitée du Grand Entretien. L'ex-directrice du Patrimoine publie "La Gloire de Notre-Dame. La foi et le pouvoir" chez Gallimard.
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00:00 * Extrait de France Inter *
00:07 Dans un an, elle accueillera à nouveau une messe de Noël.
00:10 Enfin, si le calendrier du chantier est vraiment tenu jusqu'au bout.
00:13 Ce matin, Notre-Dame de Paris va nous livrer tous ses secrets grâce au livre érudit,
00:19 fouillé, documenté de Marie Vonne de Saint-Pulgent.
00:22 Bonjour.
00:23 - Bonjour.
00:24 - Grande spécialiste du patrimoine, vous en avez été la directrice au ministère de
00:26 la culture dans les années 90, essayiste, professeur de musicologie aussi.
00:30 Vous publiez donc « La gloire de Notre-Dame, la foi et le pouvoir » aux éditions Gallimard,
00:36 collection bibliothèque illustrée des histoires, parce qu'il y a des illustrations dans ce
00:40 livre.
00:41 Un ouvrage sur la cathédrale, mais aussi à travers elle, on va y revenir, les relations
00:44 entre pouvoir politique et religion.
00:47 Chers auditrices et auditeurs, c'est le moment, si vous voulez tout savoir sur Notre-Dame
00:51 aujourd'hui et hier, on attend vos questions au 01 45 24 7000 et via l'application France
00:56 Inter.
00:57 Marie Vonne de Saint-Pulgent, une messe de Noël l'an prochain à Notre-Dame, vous y
01:00 croyez ?
01:01 - Oui, je pense que maintenant on peut y croire.
01:03 Le calendrier reste très tendu, donc il ne faut pas que quoi que ce soit arrive de grave.
01:07 Mais sous cette réserve, oui, on devrait pouvoir y arriver.
01:11 - Et dans quelles conditions alors ? Parce que peut-être qu'il faut prévenir le grand
01:14 public l'an prochain en décembre, si la cathédrale rouvre comme prévu, on ne va pas découvrir
01:20 une cathédrale toute neuve, sans échafaudage ?
01:23 - Non, il reste tout l'extérieur.
01:25 En fait, ce qui a été refait à l'extérieur, c'est ce qui a brûlé pendant l'incendie,
01:30 c'est-à-dire la charpente et la flèche.
01:32 Mais tout le reste reste à faire.
01:34 Les arcs boutants très fragilisés, ils sont tous sous étais, le chevet très abîmé,
01:40 même les gargouilles, enfin toute la statuaire en hauteur qui a beaucoup souffert pendant
01:43 l'incendie à cause du feu et aussi et surtout de l'eau.
01:47 Voilà.
01:48 Donc par contre, l'intérieur sera refait, il sera sans doute comme personne ne l'a
01:53 vu jusqu'ici.
01:54 - C'est ça, restauré comme jamais.
01:55 Mais on découvrira donc encore un édifice en travaux et qu'il le restera en travaux
01:59 bien après 2024.
02:00 - Oui, alors ça c'est sûr.
02:02 Il y en a jusqu'à au moins 2028, c'est ce qu'a dit le ministère de la Culture quand
02:06 le Parlement l'a interrogé là-dessus.
02:08 Mais j'ai entendu qu'on parlait maintenant de 2029 ou 2030.
02:12 Et tout dépend de la question de savoir si on trouvera l'argent qui manque.
02:16 Parce qu'il n'y a pas assez d'argent pour terminer les travaux nécessaires de première
02:20 urgence.
02:21 Parce qu'il y en a d'autres qui ne sont pas du tout financés.
02:23 - C'est ça, parce que peut-être qu'il faut le rappeler, ce chantier depuis 2019, il n'aura
02:28 servi, et c'est déjà colossal, qu'à réparer ce qui a été détruit en avril 2019.
02:32 Mais pas à restaurer le reste, ce qui devait l'être déjà avant l'incendie.
02:36 - Oui, ce qui devait l'être et ce qui a été aggravé encore une fois par les conséquences
02:41 du sinistre.
02:42 Mais ça c'était ce qui avait été dit dès le départ sur la souscription nationale.
02:46 L'emploi de la souscription nationale est exclusivement destiné à réparer les effets
02:50 de l'incendie.
02:51 - Les 850 millions de dons.
02:53 - Voilà, mais en fait il en reste là-dessus.
02:55 Comme la collecte a été phénoménale, il reste à peu près 130 millions.
02:59 Mais il en faut entre 30 et 50 pour terminer le chantier de première urgence.
03:05 Ce qui ne veut pas dire tout.
03:06 - Donc on va venir assez vite à bout des dons de 2019.
03:10 Ce mois de décembre qui s'achève a été ponctué de nombreuses étapes symboliques
03:13 pour Notre-Dame.
03:14 La toute nouvelle flèche a retrouvé sa croix, son coq, restauré.
03:17 Visite présidentielle aussi il y a quelques jours avec cet objectif réaffirmé d'une
03:22 réouverture au public le 8 décembre 2024.
03:24 Vous l'avez dit au début, vous racontez aussi dans Siv, les tensions autour de ce
03:28 calendrier qu'il faut absolument tenir depuis le début.
03:31 - Ah oui, oui, c'est même un suspense.
03:34 - Ça fait partie d'ailleurs.
03:36 - Ça fait partie de la saga de Notre-Dame de Paris avec d'autres sujets qui est la tension
03:42 entre le patrimoine et l'art contemporain.
03:44 Mais sur le délai c'est sûr, ça a été une saga incroyable.
03:48 Avec des moments d'arrêt du chantier.
03:53 Il ne faut pas oublier qu'au départ, tout de suite après l'incendie, il y a eu une
03:57 interruption longue du chantier pour des raisons de sécurité, d'exposition du personnel au
04:01 plomb et d'exposition des Parisiens au plomb.
04:04 Et puis il y a eu les tempêtes de l'hiver qui ont suivi, etc.
04:09 Et même par rapport au calendrier annoncé par le général Georges Lellin juste avant
04:12 sa mort, la flèche qu'on aperçoit à travers les échafaudages.
04:17 On devine qu'à travers les échafaudages, la flèche devait être montée à la fin
04:21 du premier semestre.
04:23 Et nous sommes à la fin du deuxième semestre.
04:25 Je fais confiance à l'équipe pour terminer.
04:29 - Vous rappelez dans les premières pages de votre livre consacré aux heures et aux
04:33 jours qui suivent l'incendie que la reconstruction de Notre-Dame très vite devient un enjeu
04:36 politique pour Emmanuel Macron qui veut à travers ce chantier, je cite, "retrouver le
04:40 fil de notre projet national après la crise des Gilets jaunes".
04:43 C'est le contexte de l'époque, bien au-delà des catholiques.
04:46 Restaurer la cathédrale, c'est un projet politique forcément ?
04:49 - Oui, en l'occurrence oui.
04:51 Parce que c'est après un incendie qui avait été vécu comme dramatique par les Français
04:57 et par le monde entier.
04:58 Donc c'est un peu prouver la résilience des Français.
05:02 C'est ça le projet politique.
05:04 On va s'en sortir.
05:06 C'est cet appel au consensus national, l'appel à l'argent de tous, mais aussi à l'énergie
05:11 de tous.
05:12 On va s'en sortir.
05:13 On va y arriver.
05:14 Ça va être mieux qu'avant.
05:15 C'est ce discours volontariste.
05:17 - Notre-Dame plus belle qu'avant.
05:18 - Oui, et en plus dans un délai court.
05:20 Donc il y a cette espèce de tension nationale et internationale qui est un sujet de passion.
05:28 On va se redresser.
05:29 C'est comme s'il y avait eu un malheur national massif.
05:34 Et évidemment, ça intervient à un moment, la crise des Gilets jaunes, où le pouvoir
05:39 politique est fragilisé.
05:40 Il n'y a plus de consensus.
05:41 Donc c'est le rassemblement autour d'un projet commun.
05:44 - Et en cela, Emmanuel Macron n'est pas le premier.
05:46 J'ai envie de dire qu'il s'inscrit même dans une longue tradition avant lui de dirigeant
05:50 français, quel que soit le régime.
05:52 D'ailleurs, qui se sont servis de Notre-Dame, pour le dire gentiment, parfois instrumentalisés
05:57 aussi à des fins politiques.
05:59 - Ah oui, en permanence.
06:00 C'est consubstantiel, l'histoire de Notre-Dame de Paris.
06:04 Et même, je dirais, de la cathédrale gothique.
06:06 Parce que la cathédrale gothique, c'est la cinquième dans l'histoire.
06:09 Il y a une cathédrale dans l'île de la Cité, une cathédrale de Paris dans l'île de la
06:13 Cité depuis le IVe siècle.
06:15 Donc celle-là est déjà un projet politique.
06:17 Moi, je suis convaincue que l'érection de la cathédrale, le début des travaux, c'est
06:23 1160.
06:24 - Deuxième moitié du XIIe siècle.
06:26 - Deuxième moitié du XIIe siècle.
06:27 Donc c'est très vieux.
06:28 C'est une cathédrale de la première génération.
06:31 C'est une démonstration politique de la puissance de l'église de Paris, c'est-à-dire de la
06:38 puissance de l'église de France.
06:40 Et vers qui s'adresse ce message ? Au pape.
06:43 Celui qu'on appelle à l'époque l'évêque de Rome.
06:46 Et la question, c'est l'affirmation de l'autonomie d'un évêque local par rapport aux ambitions
06:52 impérialistes de la papauté.
06:53 - Ce qu'on appelait le gallicanisme à la française.
06:56 - Voilà.
06:57 Et ça coïncide aussi avec les débuts du royaume capétien.
07:00 Donc l'affirmation aussi du pouvoir du roi face à l'empereur germanique.
07:04 Donc tout ça c'est dans un contexte d'affirmation conjointe de puissance et de résistance à
07:12 des pressions extérieures et à des désirs impérialistes, soit de l'empereur germanique,
07:17 soit du pape.
07:18 - Et dès le début, on a ce dialogue permanent entre la foi et le pouvoir, entre le sacré
07:22 et le politique.
07:23 Alors dialogue parfois apaisé, parfois conflictuel, parfois rompu.
07:26 Dès la construction, vous le disiez, sur cette petite île de la cité à Paris, le
07:30 roi et l'évêque cohabitent.
07:32 On se méfie, on cherche mutuellement à s'affaiblir l'un l'autre.
07:36 - Oui, alors ça dépend des moments.
07:38 Quelquefois on s'allie contre des ennemis communs et quelquefois on est en rivalité.
07:41 Rome en l'occurrence.
07:43 Mais quelquefois aussi ce sont des rivalités.
07:46 Les évêques de l'époque sont des puissances temporelles.
07:48 Ce sont des grands propriétaires fonciers, ils ont une puissance fiscale.
07:52 Et donc concrètement au sein de l'île de la cité, ils ont leur propre police, leur
07:55 propre tribunaux.
07:56 Donc il y a cette espèce de partage de pouvoir contraint entre le roi qui habite dans l'île
08:03 de la cité à l'époque, le palais de la cité.
08:05 Il va falloir attendre longtemps avant qu'il s'établisse dans le coin du Louvre.
08:10 Donc ils se partagent concrètement les choses.
08:13 Il y a des conflits de frontières en permanence avec des procès.
08:17 Et quelquefois d'ailleurs, il faut en appeler au pape.
08:20 Alors c'est là où la question de l'autonomie s'inscrit dans la vie quotidienne.
08:25 Et ce pouvoir temporel va durer très très longtemps.
08:29 C'est seulement après la fin du Moyen-Âge que l'évêque cesse d'être vraiment un
08:33 seigneur.
08:34 Et vous racontez même, je crois que c'est sous Saint Louis qu'on construit la Sainte-Chapelle
08:38 à quelques encablures de Notre-Dame pour affaiblir Notre-Dame et à travers elle ce
08:42 qu'elle représente.
08:43 C'est un affront.
08:44 Alors Saint Louis a des relations très méfiantes avec l'évêque.
08:48 Et d'ailleurs en plus, c'est le premier des rois à oser se figurer en effigie sur
08:56 la cathédrale.
08:57 C'est quand même un geste d'audace extraordinaire.
08:59 Sur le portail où il se représente bien sûr agenouillé devant la Vierge avec sa
09:04 femme.
09:05 Mais enfin c'est quand même un coup d'audace extraordinaire.
09:07 Ça ne s'est jamais fait jusque-là.
09:08 Donc il cherche à imposer… ses prédécesseurs et ses successeurs ont fait plutôt alliance
09:14 avec la cathédrale.
09:15 Lui s'en méfie.
09:16 Et bien sûr il y a cet affront extraordinaire quand il ramène les reliques de la Passion
09:20 acquises à grands frais en Terre Sainte.
09:25 Il les amène en procession pieds nus avec ses frères et tout ça très solennellement
09:32 à la cathédrale.
09:33 Donc évidemment les chanoines sont réjouies.
09:35 Les reliques sont des puissances attractives très fortes.
09:39 Ça rapporte beaucoup d'argent parce que les pèlerins viennent pèleriner justement.
09:43 Et puis après une oraison de 22 jours, il les retire.
09:49 Vous imaginez la déception des chanoines.
09:51 Il les entrepose à Saint-Denis.
09:52 L'abbaye de Saint-Denis est une grande rivale de la cathédrale.
09:55 Et ensuite il construit la Sainte-Chapelle pour les y mettre.
09:59 Donc il frustre l'évêque de Paris de ce trésor de reliques.
10:03 Quasi une provocation.
10:04 Alors on va continuer notre parcours chronologique.
10:07 Sous la monarchie puis sous l'Empire.
10:08 Alors là on n'hésite plus à s'emparer de Notre-Dame pour en faire le lieu de la
10:12 France éternelle.
10:13 Vous le dites, le souverain se marie à Notre-Dame, se baptise à Notre-Dame.
10:17 On célèbre la paix mais aussi la guerre à Notre-Dame.
10:19 Alors jusqu'au summum peut-être qui est le sacre de Napoléon 1804, immortalisé par
10:23 le peintre David.
10:24 L'Empire c'est vraiment le champion de l'instrumentalisation de Notre-Dame.
10:27 Est-ce qu'on peut le dire comme ça ?
10:28 Ouf, les Bourbons avaient sérieusement commencé avec l'installation au plein cœur de la
10:35 cathédrale de Louis XIV et Louis XIII, agenouillés devant la Reine du Ciel.
10:41 C'est quand même là pour le coup, ils prennent position.
10:45 Ils sont toujours là comme vous le savez.
10:46 Enfin bon, sous l'Empire ils ont été retirés quand même.
10:49 Mais oui, alors Napoléon utilise la cathédrale à plusieurs reprises pour la proclamation
10:57 du Concordat, pour l'installation des nouveaux évêques, des anciens et des nouveaux, acceptés
11:02 par le pape et pour le sacre, où il fait venir le pape.
11:06 Et le tableau de David me paraît un manifeste gallicant.
11:10 Quand on regarde, à la fois un manifeste gallicant et puis le symbole d'une continuité
11:17 entre l'ancienne monarchie et la nouvelle.
11:18 C'est un symbole gallicant par tout ce qui frappe beaucoup dans le tableau.
11:26 C'est le fait que l'Empereur se couronne lui-même.
11:30 En fait, ce que montre le sacre, ce n'est pas le couronnement de l'Empereur par lui-même,
11:34 c'est le couronnement de Joséphine.
11:35 Mais dans une première version, c'était ça qu'on voyait.
11:38 Et le pape, il est réduit à être un figurant.
11:41 Il est là pour donner son action sacrée au sacre, puisque le sacre, c'est quand même,
11:47 comme l'indique son nom, le souverain devient un souverain représentant Dieu sur terre.
11:54 Mais l'Empereur n'a pas besoin du pape pour ça.
11:58 C'est en cela que Napoléon comprend très bien l'histoire de Notre-Dame, puisque c'est
12:02 à Notre-Dame que naît le gallicanisme.
12:05 Sauf Philippe le Bel, beaucoup plus tôt.
12:07 Et vous l'avez dit, chacun, à chaque fois, marque l'édifice de son empreinte.
12:10 Jusqu'à aujourd'hui, on va y revenir avec les volontés contemporaines.
12:13 Juste si on poursuit notre parcours chronologique, survient la Révolution.
12:17 Notre-Dame s'en sort pas trop mal.
12:18 Peu de dégâts finalement, contrairement à d'autres édifices religieux.
12:22 Puis les soubresauts du XIXe.
12:25 Bonan-Malan, elle échappe à la Révolution de 1848, au Communard de 1871, même à l'anticléricalisme
12:30 républicain des débuts de la IIIe.
12:33 Notre-Dame, jusqu'en 2019, finalement, elle a échappé à peu près à tout.
12:37 Oui, ça c'est sûr.
12:39 Elle n'a pas brûlé, elle n'a pas subi de restauration vandaliste, vandale, contrairement
12:47 à Saint-Denis par exemple.
12:49 Elle a récupéré le meilleur restaurateur du siècle quand même.
12:52 Donc, elle a échappé, oui, au principe.
12:55 Et elle a été épargnée largement par la Révolution, parce que je pense qu'elle
12:58 était déjà intouchable pour les Parisiens.
13:01 En gros, on a retiré les rois de la Galerie des Rois, mais finalement, par rapport à
13:05 d'autres qui ont été quelques fois démolies de fontaine-combe ou très très abîmées,
13:09 elle sort de la Révolution appauvrie mais intacte, globalement.
13:13 Donc, c'est vrai qu'elle est épargnée largement par le temps, par la méchanceté
13:19 des hommes, par les affrontements.
13:21 Et elle échappe à tout, peut-être parce qu'elle est tellement symbolique de l'histoire
13:26 de France que finalement, personne n'ose y toucher.
13:30 Et d'ailleurs, la récupération que fait Robespierre, c'est d'y installer son propre
13:33 culte.
13:34 Ce n'est pas de la désaffecter ou de la transformer en prison, en usine, etc.
13:39 - Jusqu'en 2019, donc, et cet incendie.
13:41 Et donc, il faut attendre 2019 pour que Notre-Dame souffre un peu, si je puis dire, et qu'elle
13:47 connaisse à son tour le martyr.
13:48 Et ça, vous le dites dans le livre, ça donne encore une dimension supplémentaire à cet
13:51 édifice ?
13:52 - Ah oui, c'est ce que je pense.
13:53 Elle lui manquait ça, la couronne du martyr.
13:56 Vous savez, c'est une basilique, c'est même une des toutes premières basiliques françaises.
13:59 Elle représente les basiliques, c'est les tombeaux des saints, ce qui mérite des pèlerinages.
14:04 Mais en fait, il n'y avait pas de miracle, il n'y avait pas de martyr et il manquait
14:10 quelque chose.
14:11 C'était une cathédrale, si je puis dire, trop heureuse.
14:13 Or, le malheur vous attire la sympathie.
14:16 Donc, elle est devenue sympathique, alors que jusque-là, elle était surtout admirée
14:21 et respectée.
14:22 Et ça, c'est très important parce qu'elle est devenue sympathique au petit peuple.
14:27 Il faut bien voir que ceux qui ont contribué, il y a eu 340 000 contributeurs quand même
14:33 à la souscription nationale, même s'il y a 150 pays qui ont contribué, c'est pour
14:38 l'essentiel, 90% sont des Français.
14:40 Et ce sont des Français modestes.
14:42 Les deux tiers ne sont pas imposables.
14:46 Et donc, ça a été un véritable élan populaire prolongé par l'élan populaire pour fournir
14:53 les arbres pour la charpente.
14:55 Donc, il y a une appropriation populaire de la cathédrale.
14:58 On a eu très peur pour elle.
14:59 Tout le monde a observé l'incendie, a tremblé avec les pompiers, etc.
15:04 A sympathisé avec tous ses sauveteurs.
15:06 Puis avec tous ceux qui remontaient la cathédrale, avec les artisans, etc.
15:10 C'est un incendie, puis une restauration en direct devant la télévision.
15:15 - Alors justement, un témoignage ce matin au Standard de France Inter.
15:19 Bonjour Brigitte.
15:20 - Oui, bonjour.
15:21 - Vous vous appelez de Paris.
15:23 - C'est ça, où j'habite depuis l'âge de 2 ans et j'en ai 71.
15:28 - Donc, Notre-Dame dans votre paysage depuis votre enfance.
15:31 - Oh oui, avec plein de couleurs différentes.
15:35 Et je remercie cette dame, pardon j'ai oublié votre nom.
15:39 - Marie Vonne de Saint-Uljan.
15:40 - Voilà, Marie Vonne de Saint-Uljan.
15:42 Parce que vous venez de prononcer le mot "pompier et sauveteur".
15:46 Et dans les hommages qui sont rendus, là, quand le président de la République est
15:51 allé, etc. je n'ai pas entendu beaucoup parler des pompiers.
15:56 Et pour moi, ce sont eux les premiers sauveteurs.
15:58 J'étais sur place ce soir-là.
16:01 Ben oui, c'est des pompiers qui l'ont sauvée.
16:04 Ensuite, on l'a restaurée, on l'a également sauvée.
16:08 Mais sans les pompiers, elle serait un tas de cailloux par terre.
16:11 - Elle ne serait pas dans un même état aujourd'hui.
16:14 Merci beaucoup pour ce témoignage et cet hommage aux pompiers de Paris intervenus le 15 avril
16:18 2019.
16:19 Vous le disiez, Marie Vonne de Saint-Uljan, c'est une cathédrale devenue une cathédrale
16:23 du peuple.
16:24 Les Français y sont attachés.
16:25 Et donc, on n'y touche pas comme on veut.
16:27 Et cela, Emmanuel Macron l'a peut-être appris un peu à ses dépens récemment.
16:32 La dernière polémique en date, et c'est Jean-Pierre qui nous écrit sur l'appli France
16:35 Inter, concerne les vitraux.
16:37 Le président Macron a annoncé qu'il voulait changer certains vitraux par des vitraux contemporains
16:42 dans une chapelle, je crois.
16:43 Jean-Pierre nous dit "Le politique qui veut reprendre le pouvoir sur le pouvoir spirituel
16:48 comme au bon vieux temps".
16:49 Comment vous l'interprétez-vous ? Il y a eu la polémique sur la flèche et le remplacement
16:54 de la flèche de Viollet-le-Duc par une version contemporaine ou une version identique.
16:59 Et là, on retrouve cette polémique sur les vitraux.
17:01 Oui, c'est vrai que je crois que ça a toujours été plus ou moins le cas.
17:07 Mais c'est encore plus le cas après l'incendie.
17:09 L'appropriation de la cathédrale par tous veut dire que ce n'est pas légitime que
17:14 le pouvoir décide sans l'assentiment populaire.
17:19 C'est déjà ce qui s'est passé sur la flèche en réalité.
17:22 Dès qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe, son premier ministre de l'époque, ont annoncé
17:28 qu'ils allaient faire un concours pour faire une nouvelle flèche, immédiatement l'opinion
17:33 s'est rebellée.
17:34 Il y avait un consensus jusque-là.
17:35 Dès l'annonce de cette idée, qui n'a pas été vérifiée d'ailleurs auprès des
17:41 gens du patrimoine, des spécialistes, on n'a même pas vérifié comment c'était
17:46 possible juridiquement par exemple.
17:48 C'est une révolte populaire immédiate.
17:52 Les réseaux s'enflamment, surtout quand des architectes commencent à faire des propositions
17:57 plus ou moins recevables.
17:58 Audacieuse, vous montrez quelques images, quelques projets dans votre livre.
18:02 D'ailleurs, c'est une réaction internationale.
18:05 Le plus grand scandale a eu lieu en Grande-Bretagne, lorsqu'un architecte britannique, des architectes
18:10 britanniques, a commencé à faire des propositions qui ont suscité l'indignation du peuple
18:14 britannique.
18:15 Et on en a parlé partout.
18:17 Vous avez eu une deuxième révolte quand il y a eu l'affaire du mobilier liturgique,
18:24 où l'ancienne archevêque de Paris a fait une proposition qui a paru trop bizarre.
18:32 On a parlé de Disney, les critiques parlaient de Disneyland liturgique.
18:35 C'est à nouveau la presse anglo-saxonne qui s'enflamme.
18:37 Ils n'aiment pas trop les français, donc ils se déchaînent un peu.
18:40 C'était quoi ? C'était les bancs notamment ?
18:41 C'était notamment les bancs avec des luminaires.
18:44 En fait, le problème des bancs, c'était plutôt comment on les ramasse quand il faut
18:50 libérer la cathédrale.
18:51 Donc en fait, ça ne fonctionnait pas non plus techniquement.
18:53 Et finalement, le nouvel archevêque, Mgr.
18:55 Ulrich, a opté tout de suite pour des chaises.
18:57 Et là, on pensait que c'était les polémiques terminées.
19:02 Enfin, j'avais indiqué que cette saga n'était peut-être pas totalement achevée.
19:06 Et hop, arrive l'histoire des vitraux contemporains.
19:08 Et pourquoi alors, dans le cas précis des vitraux, puisque ça a été réglé sur la
19:14 flèche, pourquoi on ne peut pas, selon vous, ajouter une touche contemporaine à Notre-Dame ?
19:20 Le problème, ce n'est pas d'ajouter une touche contemporaine.
19:22 D'ailleurs, il y a des touches contemporaines.
19:24 Comme le mobilier liturgique a complètement disparu dans l'incendie, l'archevêque a
19:31 fait une commande.
19:32 Donc ce sont des mobiliers contemporains qu'on va voir.
19:35 Et de même les chaises, d'ailleurs, il y a eu une commande plasticière.
19:39 Donc, ce n'est pas la question.
19:41 C'est la question de, pour faire de la place à des vitraux contemporains, déposer les
19:46 vitraux patrimoniaux de Viollet-Duc.
19:48 Alors là, c'est toute autre affaire.
19:50 D'ailleurs, je remarque que l'Académie des Beaux-Arts, qui comprend pour l'essentiel
19:54 des artistes vivants quelques architectes du patrimoine, il y en a deux sur l'ensemble
19:59 de l'effectif, vient de prendre position contre cette idée en disant d'accord pour
20:03 une commande de vitraux contemporains, mais pas à la place de ceux de Viollet-Duc.
20:07 Mettez-les là où il y a des verres blancs.
20:09 Et Viollet-Duc lui-même, ses vitraux, il ne les a pas mis à la place des verrières
20:12 médiévales.
20:13 Elles avaient déjà été déposées par les chanoines du XVIIIe siècle qui trouvaient
20:16 que la cathédrale était trop sombre.
20:18 Donc il a mis ces vitraux-là à la place du verre blanc mis par les chanoines du XVIIIe
20:23 siècle.
20:24 Donc voilà, c'est la question de "ô toi là que je m'y met".
20:26 Vous voyez, c'est un peu ça.
20:27 Et on s'attaque à un des grands génies de la modernité française qui est Viollet-Duc.
20:33 Alors justement, ce point commun entre la flèche d'origine, les vitraux d'origine,
20:37 c'est Viollet-Duc.
20:38 Et dans votre ouvrage, vous réhabilitez en quelque sorte cet architecte du XIXe, à
20:43 qui l'on doit notamment cette impressionnante flèche de 93 mètres de haut.
20:47 Et vous expliquez en partie les polémiques contemporaines par la mauvaise image de Viollet-Duc
20:53 en France.
20:54 Pourquoi ? Pourquoi cette mauvaise image ?
20:56 Pourquoi cette mauvaise image ?
20:57 C'est pas le seul grand créateur français qui est dénigré dans son pays d'origine.
21:02 Il n'est prophète en son pays, surtout pas Viollet-Duc.
21:04 Il a une légende noire.
21:06 Je tâche de m'expliquer là-dessus.
21:09 Mais disons deux choses.
21:10 Il est associé au second empire qui a très mauvaise réputation dans notre pays, parce
21:17 que ça a été l'architecte de Napoléon III, mais il a été aussi celui de Louis-Philippe.
21:21 Puis c'était un républicain, mais ça, personne n'y croit.
21:25 Et la deuxième chose, c'est qu'il était contre l'Académie des Beaux-Arts.
21:30 C'est un anti-académique.
21:31 Et le problème de l'Académie, qui aujourd'hui le défend, c'est qu'elle lui a survécu.
21:37 Donc elle a fabriqué sa légende noire.
21:39 Les élèves des Beaux-Arts en architecture devaient jurer une haine éternelle à Viollet-Duc
21:44 jusqu'à dans les années 30 du XXe siècle.
21:47 Parce qu'il avait critiqué les théories de l'Académie des Beaux-Arts.
21:51 Donc c'est les deux raisons.
21:52 Et puis la tendance de la France à ne pas aimer ses propres créations.
21:57 - Il était célébré de son vivant, quasiment pendant toute sa carrière.
22:01 - Il était célébré de son vivant, non, déjà très critiqué.
22:04 Il avait une opposition, mais disons qu'il s'est renforcé après sa mort.
22:07 Et puis surtout après la chute du Second Empire.
22:08 Il a perdu son appui politique.
22:10 Mais en fait, il est surtout admiré très vite pour sa théorie de l'architecture.
22:17 Et c'est un des plus grands décorateurs de son siècle.
22:21 Le problème, c'est qu'il a aussi une descendance extrêmement contrastée, où voisinent l'art
22:25 nouveau, les secessions viennoises, l'architecture fonctionnaliste américaine.
22:31 Et finalement, tous ces gens-là se détestent.
22:35 Les gens qui aiment le XIXe n'aiment pas le XXe.
22:39 À l'inverse, les modernes du XXe détestent l'art nouveau.
22:43 Et donc ils se querellent entre eux et on a la difficulté à trouver une opinion.
22:47 C'est un artiste très complexe et génial et précurseur de façon extraordinaire.
22:56 Il ne faut pas oublier que c'est la grande admiration de Corbusier, par exemple, ou d'Auguste
23:03 Perret, mais aussi de Gaudi, près de nous, de Wright, qui est un des très grands architectes
23:10 paysagistes, parce qu'il a pressenti les questions de l'environnement, mais aussi
23:14 l'architecture auto-porteuse.
23:15 Je pourrais citer aussi Victor Baudela.
23:17 Oui, notamment, vous le racontez, la force des vents sur la flèche, ça il l'avait
23:20 anticipé.
23:21 Une dernière question, Marie-Josée de Saint-Puljan.
23:23 Emmanuel Macron a invité le pape pour la réouverture en décembre prochain.
23:26 Et on découvre dans votre livre que s'il vient, le pape, il ne serait que le quatrième
23:31 à se rendre à Notre-Dame.
23:32 Il n'y en a eu que trois avant lui dans toute l'histoire de Notre-Dame.
23:35 Pourquoi cette indifférence des papes à Notre-Dame ?
23:39 Je ne pense pas qu'ils soient indifférents.
23:41 Je pense plutôt qu'ils s'en méfient parce que la papauté a une longue mémoire.
23:45 Déjà, au Moyen-Âge, on se méfiait de la capacité des théologiens à faire de la
23:51 théologie un peu sulfureuse.
23:53 Abélard est un des grands maîtres de Notre-Dame.
23:55 Il dérange beaucoup.
23:56 Il va être accusé d'hérésie.
23:57 Et donc, on fait très attention à ce qui se fabrique chez les théologiens de Notre-Dame.
24:03 Et puis ensuite, il y a cette longue lutte quand même de galcanisme contre la suprématie
24:08 romaine.
24:09 Et donc, je pense qu'il y a une certaine réticence.
24:13 Il y a eu Jean-Paul II qui est venu en tant que pape.
24:15 Il y a eu des papes qui sont venus en tant que nonces.
24:18 Mais les papes évitent.
24:19 On a l'impression qu'ils évitent Notre-Dame de Paris.
24:23 Merci beaucoup, Marivonne de Saint-Pulgent.
24:25 Je rappelle le titre de votre livre « La gloire de Notre-Dame, la foi et le pouvoir
24:29 » publié chez Gallimard.
24:30 Bonne journée.