Patrick de Saint-Exupéry : "Pour Poutine, le pouvoir, c'est du pur rapport de force"

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Ce matin dans le 6-9, nous inaugurons la série de rendez-vous autour de “Un an de guerre en Ukraine" avec Patrick de Saint-Exupéry, ancien grand reporter au Figaro et cofondateur de la revue XXI, auteur d’un article à paraître dans Le Un, numéro spécial Ukraine. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-du-dimanche-19-fevrier-2023-4884625

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00:00 Bonjour Patrick de Saint-Exupéry, journaliste Priel Berlonde en 1991, cofondateur des revues
00:07 21 et 6 mois, vous avez longtemps sillonné l'Ukraine, la Russie et vous signez dans
00:13 la revue 21 apparaître une longue tribune.
00:16 Le journal Le1.
00:18 Le1, bien sûr, vous signez dans Le1, apparaître une longue tribune un an après le début de
00:26 la guerre, ce sera vendredi prochain, les un an du début de la guerre.
00:30 Alors l'heure n'est plus au dialogue, je veux, la défaite de la Russie, a dit Emmanuel
00:36 Macron il y a quelques heures sur France Inter, à France Inter, y a-t-il un nouveau
00:40 positionnement de la France, au moins dans la syntaxe du chef de l'Etat français ?
00:45 Pas vraiment à vrai dire, dans le sens où Macron reste toujours aussi ambigu sur la
00:51 question, puisqu'il parle d'une défaite et après quand il précise le propos, c'est
00:55 une petite défaite, c'est-à-dire, c'est genre un revers militaire, mais c'est une
00:59 défaite qui permettrait de trouver un chemin vers la négociation, ce qui ne correspond
01:05 absolument pas, à mon sens en tout cas, à la réalité de l'exercice du pouvoir en
01:10 Russie.
01:11 Pour Poutine, le pouvoir c'est du pur rapport de force.
01:14 C'est là-dessus que se joue le pouvoir en Russie.
01:17 Et tant que le rapport de force n'est pas institué, il ne veut pas y avoir de négociation.
01:22 Et ce rapport de force, il doit être véritablement institué.
01:25 Et bien on a justement l'impression que depuis quelques mois, quelques semaines en
01:28 tout cas, Emmanuel Macron change de ton, prend moins de précautions avec Vladimir Poutine
01:33 pour justement être plus fort dans ce rapport de force.
01:36 Depuis la rentrée de janvier, on avait le sentiment qu'il était sorti de cette ambiguïté.
01:39 Puis là, hier, enfin en tout cas ce matin, il nous donne l'impression d'y revenir.
01:42 Oui, je pense qu'il est en train de, après d'avoir donné le sentiment de sortir de
01:48 l'ambiguïté, effectivement il est en train d'y revenir aujourd'hui.
01:50 Alors on peut trouver des explications, mais ce sera des explications un peu gratuites.
01:55 Mais je pense que le passage des ministres des Affaires étrangères chinois en France
01:59 n'est pas étranger à cet éraillement.
02:02 Parce que nous sommes, et c'est bien le drame aujourd'hui avec l'Ukraine, nous sommes
02:06 dans un conflit qui touche le monde entier, qui ne touche pas uniquement l'Europe, mais
02:09 qui a des prolongements en Chine, en Afrique du Sud, dans un certain nombre de continents.
02:15 Et on sent que la maîtrise de ce dossier est extrêmement compliquée.
02:20 Et on voit la différence entre le positionnement d'Emmanuel Macron et le positionnement des
02:25 Etats-Unis, qui sont beaucoup plus fermes.
02:27 Les Etats-Unis sont beaucoup plus fermes.
02:29 Les Etats-Unis à Munich disent officiellement qu'il y a eu des crimes contre l'humanité
02:34 en Ukraine et cela ne sera pas oublié.
02:37 C'est des mots qu'on n'entend pas de la part de l'Elysée.
02:40 La vice-présidente américaine Kamala Harris.
02:41 La France veut intensifier son aide militaire pour l'Ukraine, les alliés aussi, à partir
02:48 de quand on passe du statut de soutien à celui de belligérant ?
02:51 Le pas est très simple.
02:54 On est belligérant lorsque des soldats de votre pays sont engagés sur le conflit.
02:59 Tant qu'il s'agit de soutien, il n'y a pas de belligérance.
03:02 Il n'y a aucune belligérance.
03:03 On peut soutenir, et il faut soutenir, mais le soutien n'applique pas la belligérance.
03:09 En fait, on voit très bien dans les débats politiques, par moments, il y a des fausses
03:12 questions qui remuent un peu tout le monde, mais qui sont des fausses questions.
03:16 La question de la belligérance, elle est très simple.
03:18 Si des soldats français étaient déployés en Ukraine, nous serions belligérants.
03:21 Il ne faut qu'une présence physique.
03:22 Voilà.
03:23 Vladimir Poutine a créé le concept de co-belligérant.
03:25 Oui, mais les Russes sont formidables pour créer des concepts et essayer de les imposer
03:30 à tout le monde.
03:31 Mais c'est des concepts et c'est un jeu.
03:32 Les Russes n'arrêtent pas de réécrire les choses en permanence et ça fait partie
03:35 du conflit.
03:36 Lorsqu'on réécrit l'histoire, lorsqu'on réécrit un certain nombre de concepts, lorsqu'on
03:40 veut imposer l'idée que l'on a soi-même de ce qu'est la belligérance, ça fait partie
03:44 du jeu.
03:45 C'est pour ça qu'on est pourtant obligé de l'accepter.
03:47 Et encore une fois, la belligérance est quelque chose de très simple.
03:50 Si des soldats français étaient déployés en Ukraine, nous serions belligérants.
03:53 Tant que des soldats européens ne mettent pas les pieds en Ukraine, il n'est pas question
03:57 de belligérance.
03:58 On va envoyer des soldats, ne serait-ce que pour aller former des pilotes d'avions européens.
04:02 Oui, mais ce n'est pas de la belligérance.
04:04 Ça s'appelle du soutien, mais ce n'est pas de la belligérance.
04:06 On a le sentiment, quand on entend tout ce qui s'est passé ces deux derniers jours
04:10 à cette conférence de Munich sur la sécurité, on a le sentiment que les Européens viennent
04:15 seulement de comprendre que la guerre allait effectivement durer.
04:18 Vous êtes d'accord ou pas ?
04:19 Oui, je pense qu'à chaque fois, on observe un temps de retard sur la compréhension de
04:26 ce qui est en train de se jouer en Ukraine.
04:29 Là, à Munich, il était énormément question de soutien, de soutien en munitions, en armes,
04:36 de soutien en Ukraine.
04:37 Et on se rend compte au bout d'un an que nos chaînes de production ne sont pas adaptées,
04:42 qu'on n'a pas les moyens techniques de soutenir réellement l'Ukraine.
04:45 Parce que ça fait belle lurette que nous n'utilisons pas sur une longue durée comme
04:49 celle-là des munitions.
04:50 Donc les munitions que réclament l'Ukraine, nous ne les avons pas.
04:53 Oui, mais la question est comment se fait-il que nous nous en apercevions qu'après un
04:57 an ? C'est ça qui est incroyable.
04:59 C'est ces retards à l'allumage qui sont absolument stupéfiants.
05:04 Au moment de l'invasion, il y a un an, bientôt un an, le 24 février, officiellement, tout
05:12 le monde disait "mais non, ça n'est pas possible".
05:13 Ça va durer quelques semaines.
05:14 Alors que c'était une évidence.
05:16 Lorsqu'on déploie 150 000 hommes aux frontières d'un pays avec des soutiens, des réserves,
05:22 des échelons, etc. c'est pas pour jouer.
05:24 On a dit que les Américains disaient "ça va arriver".
05:26 C'est l'Europe et notamment la France qui étaient plus méfiantes sur l'imminence
05:29 d'une invasion.
05:30 Oui, l'Europe et la France étaient extrêmement méfiantes.
05:32 Et là, c'est ce qui a mal donné.
05:35 C'est que diplomatiquement et dans la compréhension de ce qui est en train de se jouer, c'est
05:39 qu'il y a véritablement une espèce de brouillard qui empêche la lecture des événements
05:43 tels qu'ils se produisent.
05:45 Et là, on constate à nouveau, avec ces histoires de soutien en armement, ce décalage permanent
05:51 qui est extrêmement problématique.
05:53 Alors que Vladimir Poutine l'a préparée très en amont, cette guerre, c'est ce que
05:57 vous racontez effectivement dans ce texte, on va donner son titre, "Le poker du Kremlin",
06:01 qui sera effectivement publié la semaine prochaine dans le 1.
06:04 Vous vous racontez à quel point Poutine l'a préparée depuis des années, cette
06:09 guerre ?
06:10 Oui, ça fait des années et des années que Poutine ne se donne les moyens de mener cette
06:14 guerre.
06:15 On l'a vu à de nombreuses reprises.
06:17 C'est quoi les indices ?
06:18 Les indices d'abord, c'est la prise de contrôle complète du pays qu'est la Russie,
06:23 où on établit son pouvoir.
06:25 Ensuite, on va tester.
06:26 On teste le principe militaire.
06:29 On va le tester en Georgie avec l'annexion de l'Ossétie et de l'Afrasie.
06:34 On va le tester ensuite en Crimée.
06:37 Et à chaque fois, on va jauger aussi les réactions internationales.
06:39 Et qu'est-ce qu'on constate en termes de réactions internationales ?
06:42 Elles sont très faibles.
06:43 C'est-à-dire qu'il y a des sanctions, mais des sanctions qui suivent d'autres sanctions.
06:46 Parce que la Russie a quand même été l'objet de nombreuses sanctions pour l'assassinat
06:50 d'opposants, pour l'empoisonnement d'opposants en Angleterre.
06:56 Il y a déjà eu tellement de sanctions.
06:57 On va rajouter des sanctions, mais qui ne gênent absolument pas Moscou.
07:00 C'est juste en apparence.
07:02 Il va y avoir cette construction-là pendant des années et des années.
07:06 La constitution aussi de fonds de réserve financiers qui vont permettre de financer la guerre.
07:11 Et tout ça, Poutine l'a construit.
07:13 Mais la guerre ne date pas d'il y a un an en fait.
07:15 Elle a été préparée sur une dizaine d'années auparavant.
07:18 Et là, nous arrivons au climax.
07:20 - Vladimir Poutine a toujours voulu recréer l'Empire russe.
07:23 Et dans votre tribune, dans votre article, vous parlez même d'un dessin messianique
07:27 de Vladimir Poutine.
07:29 Vous le situez donc toujours hors de la raison.
07:31 Messianique.
07:32 - Non, je ne le situe pas hors de la raison.
07:35 On peut être messianique tout en ayant une logique et une raison.
07:37 Sa logique est assez simple.
07:40 C'est de reconstituer l'Empire russe impérial et la Russie soviétique en une espèce de
07:45 synthèse un petit peu improbable.
07:47 Pourquoi ? Parce que c'est la grandeur.
07:50 Et Poutine est à la recherche de grandeur.
07:52 D'où le mot messianique.
07:53 C'est un homme qui rêve de grandeur.
07:55 Et pourquoi rêve-t-il de grandeur ?
07:56 Parce qu'il vient en fait de...
07:59 C'est un voyou à la base.
08:01 Sa construction, c'est un voyou.
08:03 - Alors effectivement, c'est très surprenant dans votre article parce que vous le présentez
08:06 comme une petite frappe, comme un voyou, comme un caïd qui ne se sent pas légitime finalement
08:11 à la tête de son pays.
08:12 - Mais ce n'est pas moi qui le présente comme ça.
08:14 C'est ce qu'il est et c'est ce qu'il exprime aussi lorsqu'il intervient à l'Elysée
08:18 15 jours avant le déclenchement de la guerre.
08:19 Il parle, c'est une notion en russe, il parle le mat.
08:22 C'est-à-dire il parle en voyou.
08:23 Le langage des voyous russes.
08:25 - C'est de l'argot russe.
08:26 - C'est de l'argot russe.
08:27 C'est une manière de se dire, de se montrer caïd.
08:30 Voilà, je suis le caïd, j'en suis, moi j'en ai.
08:33 - Il faut aller au bout de l'exemple.
08:35 Il est en conférence de presse à l'Elysée Vladimir Poutine et il s'adresse à Volodymyr
08:39 Zelensky en lui disant en quelques mots "Tiens-toi prête, j'arrive ma belle".
08:44 Je ne sais pas si c'est la bonne citation.
08:46 C'est d'une rare violence.
08:47 - "Tiens-toi prête, j'arrive ma belle".
08:50 Zelensky n'est pas à l'Elysée, il s'adresse à lui à distance.
08:53 C'est à lui qu'il parle à distance.
08:55 Et à ce moment-là, à l'Elysée, personne ne comprend vraiment la phrase.
08:58 On sent au travers de cette phrase une menace pesante mais on n'arrive pas à la décrypter.
09:02 Il faudra un petit peu de temps avant qu'on décode cette phrase et qu'on s'aperçoive
09:06 qu'elle est tirée d'une version mate, donc voyou, du conte de la Belle au bois dormant
09:11 où littéralement il est dit "Et ma belle, je vais te baiser".
09:15 Et Poutine reprend cette phrase-là en pleine Elysée et exprime avec une violence terrible
09:22 ce qu'il va faire.
09:23 Et à l'époque, personne ne va encore croire à la réalité de l'invasion qui se prépare.
09:29 Et en fait, qu'est-ce qu'il fait ? Il crucifie toutes les négociations.
09:32 - Ça veut dire quoi ?
09:33 - Il les tue.
09:34 Il n'y a pas de négociation possible.
09:36 "Je vais déclarer la guerre et je vais", dit-il à Zelensky, "te baiser".
09:40 Alors on peut interpréter ça comme un viol, si on veut, mais il va violer un pays.
09:45 De fait, il va violer un pays, il va agresser littéralement un pays.
09:49 Il l'a dit, il le fait.
09:50 Et ce langage mat, il faut bien comprendre aujourd'hui qu'il est d'usage au Kremlin,
09:56 que c'est le langage officiel maintenant.
09:58 C'est le langage officiel que l'on parle au Kremlin.
10:01 Lorsque Poutine engage les mercenaires de Wagner, pas lui directement, mais...
10:06 - Ces hommes de paille, on va dire.
10:08 - Les hommes de paille.
10:09 Qu'est-ce qui se passe ? On vidange les culs de Balfourse russe pour envoyer des hommes
10:15 au Hachoire.
10:16 Et lorsque ça suppose l'acceptation de l'Etat, c'est une fusion de l'Etat et du crime.
10:24 La Russie est aujourd'hui un Etat qui exerce la terreur, un Etat terroriste.
10:29 - Donc pas de diplomatie avec Vladimir Poutine ?
10:31 - Je ne crois pas qu'il y ait de diplomatie possible.
10:32 - Et Emmanuel Macron se trompe en fait ?
10:33 - Il n'y a qu'une possibilité, c'est le rapport de force.
10:36 Lorsqu'on connaît la Russie, on ne peut pas réduire la Russie au rapport de force.
10:41 En revanche, on peut réduire légitimement le Kremlin au rapport de force.
10:46 - Allons jusqu'au bout de cette logique.
10:48 Un rapport de force avec Poutine, avec quelles armes ?
10:50 - Alors, le rapport de force...
10:54 Les armes, nous avons les moyens d'en faire.
10:56 Nous avons les moyens d'en trouver.
10:57 C'est une question de volonté.
10:58 Vous savez, la guerre...
10:59 - Non mais je veux dire, quelles armes ? On va monter forcément dans l'arme tactique,
11:03 nucléaire.
11:04 - Mais alors, pour être sur cette question, je pense que la réponse est quelque part
11:08 assez simple.
11:09 C'est-à-dire que Poutine peut éventuellement utiliser l'arme nucléaire, s'il estime que
11:14 ça va lui servir dans son rapport de force.
11:16 - Mais nous ne répondrons pas.
11:17 - Il faudra que cette arme soit utile dans la construction d'un rapport de force.
11:21 Il n'aura aucun état d'âme pour l'utiliser éventuellement.
11:24 Mais il faudra que cette arme, cette utilisation, lui soit utile dans la construction d'un rapport
11:28 de force.
11:29 C'est la seule chose qui comptera dans son esprit.
11:32 Il va raisonner uniquement sur ce point.
11:34 Il n'y aura pas d'état d'âme, il n'y aura pas de morale, il n'y aura pas...
11:37 Non.
11:38 Et donc, cette arme me permet-il d'inscrire un rapport de force ?
11:41 - Alors, vous décrivez Vladimir Poutine dans votre article comme un homme isolé qui vit
11:46 les rideaux tirés dans sa résidence privée.
11:50 Un homme qui apparaît isolé.
11:51 Que sait-on précisément de cet isolement ? Il n'a pas de personnes autour de lui ? Il
11:57 est vraiment seul ?
11:58 - Il exerce le pouvoir en solitaire.
12:01 - Qu'il l'exerce en solitaire, mais y a-t-il encore des gens pour le conseiller sereinement ?
12:05 - Sereinement ? Je ne suis pas sûr que ce soit un qualificatif qui puisse s'adapter
12:11 à l'attention du Kremlin.
12:14 Non, mais sereinement, on n'est pas serein au Kremlin.
12:17 Le Kremlin, c'est un univers extrêmement pesant, rigide, lourd.
12:22 Lorsque je dis que Poutine vit seul derrière des rideaux fermés, ce n'est pas une image.
12:29 C'est au sens littéral du terme.
12:30 Il y avait eu un reportage dans les premières années de Poutine réalisé par les Russes
12:34 sur la vie privée de Vladimir Poutine.
12:36 C'était fascinant.
12:37 On voyait qu'il était dans son salon intime, chez lui, mais les rideaux fermés.
12:42 Nous étions en plein jour et toutes les pièces dans lesquelles il allait, les rideaux étaient
12:45 fermés.
12:46 - On sait maintenant qu'il circule en train et plus en avion.
12:47 - Voilà, c'est un homme qui vit enfermé dans son monde.
12:50 Il s'est enfermé dans son monde.
12:52 Et après, la question est, si on essaye de rentrer dans la logique de Macron, Macron
12:56 essaye de le sortir de ce monde.
12:58 Mais je ne crois pas que l'on puisse le sortir de ce monde.
13:00 - Alors Patrick de Saint-Exupéry, dans votre article dans le journal Le 1, vous résumez
13:04 les choses comme ça.
13:05 Vous dites à l'ouest, le clown.
13:07 On parle de l'Ukraine.
13:09 Et à l'est, le caïd.
13:11 On l'a bien compris.
13:12 On parle de Vladimir Poutine.
13:13 C'est assez glaçant quand même de résumer comme ça la situation.
13:16 Le clown toujours ?
13:18 - Alors pourquoi je dis le clown ?
13:20 Parce que dans un premier temps, Zelensky était connu pour avoir été un peu l'amuseur,
13:26 le comédien, l'humoriste.
13:28 Une sorte de coluche locale.
13:29 Et c'est vrai que, vu d'Europe, on a regardé Zelensky avec une certaine hauteur.
13:36 Comment ça ?
13:37 Un coluche qui dirige le pays des fémènes, de ces activistes femmes au sein nu.
13:42 Et on regardait un petit peu avec hauteur.
13:44 Et il était absolument surprenant.
13:47 Il a eu un courage.
13:48 C'est sa force en fait.
13:51 Zelensky a une force incroyable.
13:52 C'est qu'il incarne la société de son pays.
13:54 Son courage est en fait la traduction du fonctionnement de son pays.
13:59 - Et la transformation était immédiate ?
14:01 - Elle a tenu en une phrase.
14:05 "Je n'ai pas besoin d'un taxi, j'ai besoin de soutien", lance-t-il en réponse aux Américains
14:09 qui lui proposent de le reculer.
14:10 - Aux Américains qui lui disent "on va les filtrer".
14:11 - Et ça c'était incroyable.
14:13 Et quelque part tout était dit.
14:15 En même temps, moi j'étais en Ukraine à ce moment-là, lorsqu'on voyait comment les
14:19 choses se passaient sur le terrain, on constatait quoi ?
14:21 On constatait une société civile totalement engagée.
14:24 Mais à un degré rare.
14:26 Et ça encore, ça aussi c'est problématique.
14:29 On n'a pas voulu le voir.
14:30 On n'a pas fait attention.
14:31 On a cru que ce n'était qu'une affaire militaire, de front contre front, d'armée contre armée.
14:36 Or, il y a l'armée ukrainienne.
14:39 Mais l'armée ukrainienne ne tient que parce que derrière il y a toute une société civile.
14:43 - La société russe n'est pas derrière Vladimir Poutine ?
14:46 - Non, la société russe est indifférente.
14:48 La société russe vit dans un monde parallèle.
14:51 On ne lui donne pas les échos de cette guerre.
14:52 On ne lui raconte pas cette guerre.
14:54 Donc la société russe reste indifférente, lointaine.
14:57 Il y a des exceptions en Russie.
15:00 Il y a eu une journaliste en Sibérie qui vient d'être condamnée à 5 ou 6 ans de prison
15:05 et 5 ans d'exercice de sa profession parce qu'elle avait dit qu'il s'agissait d'une guerre.
15:11 Et cette femme que je ne connais pas...
15:13 - Mais il y a 300 000 hommes qui ont été réquisitionnés en Russie, donc on sait ce qui se passe quand même, non ?
15:17 - On ne sait pas vraiment ce qui se passe.
15:19 Et cette femme, au tribunal, disait "mais cette guerre va durer et je pense que Poutine ne sera plus..."
15:25 Elle le disait au tribunal en train de se défendre.
15:27 "Et je pense que Poutine ne sera plus au pouvoir avant que la guerre ne soit terminée."
15:30 Vous vous rendez compte ? Vous êtes une femme, vous êtes au fin fond de la Sibérie, vous êtes seule
15:33 et vous osez dire cela au tribunal et vous allez être condamnée.
15:36 Vous le savez et vous dites "ça n'est pas grave" parce que l'enjeu est bien plus important.
15:40 Et ça, c'est une journaliste russe en Sibérie qui ose le dire.
15:44 Et nous, en France, à l'Elysée ou en Europe, on n'ose pas admettre ce genre de fait.
15:49 On n'ose pas l'envisager.
15:50 C'est quand même extrêmement surprenant.
15:53 - Il n'y a pas de place à la contestation dans la Russie de Vladimir Poutine.
15:57 Est-ce que les maires des soldats morts, est-ce que ces maires ne vont pas devenir
16:03 les porte-parole de cette contestation et prendre de l'ampleur ?
16:07 - Je ne sais pas.
16:09 Je ne sais pas. Il y a plusieurs éléments.
16:11 D'abord, un certain nombre de corps ne sont pas rapatriés en Russie.
16:15 Ils sont annoncés comme disparus.
16:18 Donc, lorsqu'il n'y a pas l'objet, la contestation est difficile à émerger.
16:23 Ensuite, si la mort est acceptée officiellement,
16:30 il y a des indemnisations qui sont importantes
16:33 par rapport au niveau de virus qui viennent calmer un petit peu les éventuelles ardeurs.
16:40 Et je ne crois pas que...
16:41 Je n'ai pas le sentiment en tout cas qu'une contestation puisse naître de cela.
16:46 Le dernier élément, c'est qu'on a vu dans la dernière mobilisation qui a été faite en Russie,
16:52 qui a touché 300 000 hommes,
16:55 ça a commencé à toucher les villes urbaines.
16:57 C'est-à-dire que les urbains ont commencé à être touchés,
17:01 mais auparavant, c'était les fin fonds de la Russie qui étaient touchés.
17:05 - Une dernière question.
17:07 Ce texte qui sera publié la semaine prochaine, dans le 1,
17:10 vous l'avez appelé "Le poker du Kremlin".
17:12 Pourquoi ce titre ? Qui bluffe ?
17:14 - Tout simplement parce qu'au poker,
17:17 il arrive, lorsque la partie est bien avancée, bien entamée, bien amorcée,
17:21 lorsque la tension est à ses points extrêmes,
17:24 qu'un des joueurs fasse tapis.
17:27 - Merci Patrick de Saint-Exupéry.
17:29 Et on lira donc à partir de mercredi, dans le 1,
17:32 cette tribune, le 1 consacré au 1 an de guerre en Ukraine.
17:37 Merci d'être venu en parler ce matin sur France Inter.

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