Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières et Alexis Lévrier, historien des médias et maître de conférences à l’université de Reims, sont les invités de la matinale de France Inter. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-du-samedi-01-juillet-2023-8652377
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00:00 Pas de JDD prévu demain, les salariés sont toujours vent debout contre la nomination
00:06 de Geoffroy Lejeune, ex-Valeurs Actuelles.
00:08 Alors quel contour faut-il donner à ce qu'on a appelé ces derniers jours la « droitisation
00:12 de la presse » en France ? Question aussi sur la liberté de la presse, on en parle
00:17 avec nos deux invités.
00:18 Alexis Lévrier, bonjour.
00:19 Bonjour.
00:20 Vous êtes historien des médias, maître de conférences à l'université de Reims
00:23 et en duplex Christophe Deloire.
00:25 Bonjour.
00:26 Bonjour.
00:27 Vous êtes le secrétaire général de Reporter sans frontières.
00:30 Je m'adresse peut-être d'abord à l'historien.
00:32 Alexis Lévrier, cette crainte d'une influence des investisseurs sur le contenu éditorial,
00:38 est-ce si nouveau que ça ?
00:39 Non, mais disons que ça n'a jamais été à ce point visible et assumé.
00:45 C'est-à-dire que là, il y a 99% de la rédaction qui est hostile à cette nomination
00:49 et ça ne pèse rien.
00:50 Alors on a l'habitude avec Bolloré, il a fait la même chose à ITV, puis il a fait
00:53 la même chose à Europe 1.
00:54 A chaque fois, c'est un rapport de force qui tourne toujours en défaveur des journalistes
00:59 et avec un projet idéologique qui est assumé et qui est quand même assez rare dans la
01:04 presse française.
01:05 Il faut revenir aux années 20-30 pour voir des patrons de presse qui ont été sur une
01:09 ligne aussi radicale et aussi ostensiblement raciste et xénophobe, puisque c'est quand
01:15 même de ça qu'il s'agit.
01:16 "Valeur actuelle" dont vient Geoffroy Lejeune, c'était un journal qui a été
01:19 multi-condamné pour des provocations, des injures raciales, des injures d'ordre religieux
01:25 également.
01:26 Donc, ce n'est pas totalement nouveau qu'il y ait des ingérences.
01:29 Il ne faut pas être naïf.
01:30 À partir du moment où il y a des actionnaires privés, même ou des actionnaires publics,
01:33 ça peut changer.
01:34 Ce qui change peut-être, c'est qu'avant, les actionnaires étaient patrons de presse.
01:37 Aujourd'hui, les actionnaires ont fait fortune ailleurs et ils viennent racheter des titres.
01:40 Oui, c'est ce qui s'était passé déjà avec Bouygues, puis avec Drahi, puis avec
01:44 Niel, avec Kretinsky, qui est un nouvel acteur.
01:47 Mais Bolloré, précisément, c'est un peu nouveau de ce point de vue-là aussi.
01:50 C'est-à-dire qu'il a vendu ses activités africaines et il se recentre sur les médias.
01:54 Son modèle, c'est plutôt "Murdoch", c'est-à-dire un groupe de médias très puissant, avec
01:57 des concentrations horizontales et verticales et un projet idéologique assumé.
02:00 Christophe Deloire, donc Geoffroy Lejeune, perçu comme proche d'Éric Zemmour ou de
02:04 Marion Maréchal, la Société des journalistes estime que ces valeurs ne sont pas celles
02:09 du JDD.
02:10 Que vous a inspiré cette nomination ?
02:12 En fait, il y a plusieurs questions qui se superposent et qui ne doivent pas être confondues.
02:18 Il y a la question de la ligne éditoriale du JDD, la question du pluralisme en France
02:23 et la question de la liberté de la presse, comme vous l'évoquiez, et de l'indépendance
02:26 éditoriale.
02:27 Sur la ligne du JDD, 99% de la rédaction du JDD est hostile à l'arrivée de Geoffroy
02:35 Lejeune parce qu'elle ne se reconnaît pas dans sa ligne, aussi parce qu'il y a une
02:40 forme de trahison de l'histoire du journal et de rupture historique, de rupture du contrat
02:46 de lecture avec les lecteurs du JDD, et d'ailleurs un risque pour la pérennité du JDD.
02:50 Il y a une deuxième question qui est celle du pluralisme en France, avec un combat à
02:55 mener dans l'audiovisuel, là je sors un instant du sujet de la presse écrite, où
02:59 on a une logique de pluralisme interne, c'est-à-dire qu'à l'intérieur de chacune des antennes
03:03 il doit y avoir un pluralisme et le modèle Bolloré le récuse.
03:07 L'empresse écrite c'est le pluralisme externe qui règne, c'est-à-dire la diversité
03:11 de lignes éditoriales, et de ce point de vue-là il n'est pas illégitime évidemment
03:16 qu'il y ait une presse de droite plus développée, chacun jugera de l'extrême droite.
03:23 Et puis il y a la troisième question, qui est le combat pour reporter à 100 frontières,
03:28 qui est la question de l'indépendance éditoriale et du traitement du journalisme dans les médias
03:33 qui sont la propriété de ces hommes d'affaires dans le cadre de concentrations verticales.
03:37 Et ce qu'on peut dire de Bolloré, parce qu'on l'a expérimenté à chacun de ces
03:40 rachats, c'est que là où Bolloré passe, le journalisme trépasse.
03:44 C'est un ogre qui digère les médias et qui les transforme en organes d'opinion.
03:50 Ça veut dire qu'avec Vincent Bolloré, ce sera forcément une presse aux ordres, c'est
03:55 son concept.
03:56 Forcément, on peut toujours nourrir quelques espoirs, mais enfin quand on est fort de l'expérience,
04:03 de ce qui s'est passé dans les autres médias, regardons à Canal+, il a éradiqué le journalisme
04:10 d'investigation, alors que c'était l'une des qualités de Canal+.
04:15 À ITélé, il a réduit les tranches d'information.
04:18 On peut considérer maintenant, on a fait une étude dans le cadre d'un recours contre
04:22 l'ARCOM au Conseil d'État, il y a à peu près 13% des contenus qui sont réellement
04:27 informatifs.
04:28 C'est de l'opinion tranchée, c'est de l'opinion à j'ai continue dans le même sens ou quasiment.
04:36 À Paris Match, il a instauré un régime de terreur.
04:40 C'est fascinant de voir la peur des journalistes et évidemment, ce qu'on peut dire avec cette
04:45 nomination au JDD, c'est que la même chose devrait se passer.
04:50 On doit l'éviter quand je dis "devrait", c'était évidemment une disposition.
04:55 - Alexis Lévrier, on ne découvre pas ce matin la presse d'opinion, mais ce qui inquiète
05:00 avec Vincent Volloret, c'est la fin d'une certaine pondération journalistique qui a
05:04 longtemps existé et qui existe toujours, fort heureusement, dans la presse.
05:08 - Oui, alors une presse d'opinion, elle existe, elle doit exister.
05:11 Il y en a depuis le 17e siècle et ce n'est pas du tout un problème.
05:13 Vis-à-vis de l'histoire de la presse d'extrême droite, il y avait une espèce de cordon de
05:16 sécurité parce que cette presse a été extrêmement forte de la Belle Époque jusqu'à
05:20 la Collaboration.
05:21 Et puis avec la mort de Dario Larochelle ou de Braziac, il y a depuis l'idée quand même
05:27 que cette presse-là n'est pas une presse comme les autres et qu'elle a conduit de l'affaire
05:30 Dreyfus jusqu'au soutien à l'Allemagne nazie, un certain nombre d'excès, de dérives qui
05:35 sont difficilement pardonnables.
05:36 Alors la presse d'extrême droite n'a jamais disparu.
05:38 Minute attira 250 000 exemplaires dans les années 60 et 70.
05:42 - Aujourd'hui, elle a disparu.
05:43 Minute, Rivarol, ça n'a pas trouvé son public aujourd'hui en tout cas.
05:46 - Oui, mais précisément, elle était tenue à l'écart des médias mainstream et depuis
05:49 2012, Valeurs Actuelles, c'était un journal assez classique, conservateur, mais pas du
05:54 tout un journal d'extrême droite.
05:56 Et à partir de 2012, c'est Yves de Carderel qui a impulsé une ligne très radicale en
06:00 multipliant les "une" racistes et xénophobes, notamment hostile à l'islam, aux étrangers
06:05 présentés comme des nouveaux barbares.
06:07 Ça a été d'une violence inouïe.
06:08 - Et Valeurs Actuelles s'est fait condamner pour ces mêmes raisons.
06:10 - Oui, il y a eu plusieurs condamnations et c'est lui qui arrive aujourd'hui au JDD.
06:13 C'est pour ça que ça ne passe pas, parce que c'est complètement contraire à l'histoire
06:16 de ce journal.
06:17 - Christophe Deloire, il n'y a finalement que très peu de presse d'extrême droite
06:20 au regard des scores de cette même extrême droite dans les urnes.
06:24 Comment est-ce que vous expliquez cette dichotomie ? Pas de journaux, mais pourtant du monde
06:28 dans les urnes.
06:29 - Alors, je ne suis pas du tout un spécialiste de la question, je ne suis pas très légitime,
06:34 mais certains invoqueront le fait que les journalistes penchent de manière générale
06:42 plus à gauche, même s'il y a une presse de droite et des journalistes de droite.
06:45 Évidemment, il ne faut pas systématiser.
06:49 On pourra aussi s'interroger sur pourquoi, s'il y avait un tel déséquilibre et ce
06:55 décalage, pourquoi la presse de droite ou d'extrême droite, parce qu'elle existe,
07:00 même si parfois elle a été très très faible en termes de parution, mais précisément
07:06 pourquoi elle n'attire pas plus de public au regard des scores électoraux ? Et là,
07:11 il y a quelque chose de sociologiquement et politiquement intéressant.
07:15 Mais je dirais que dans tous les cas, la théorie du rééquilibrage, selon laquelle les médias
07:21 seraient plutôt orientés à gauche, on peut d'ailleurs s'interroger là-dessus au regard
07:27 de la détention capitalistique de la plupart des médias, et du fait que 80% des journaux
07:32 de presse quotidienne nationale vendus appartiennent à un groupe de milliardaires.
07:38 Alors il y a des effets à la fois sociologiques sur le journalisme et sur les propriétés,
07:46 mais en tout cas, cette théorie du rééquilibrage, moi je la récuse parce qu'on ne fait pas
07:51 du rééquilibrage dans tous les cas par l'accroissement de la capture oligarchique.
07:55 On ne fait pas du rééquilibrage par des logiques de conflits d'intérêts.
07:59 Et là, c'est ce que fait Bolloré.
08:02 Bolloré confond totalement la fonction de propriétaire et la fonction de rédacteur
08:05 en chef.
08:06 Il pense qu'il revient à businessman d'être le rédacteur en chef de ses journaux, évidemment
08:11 par délégation.
08:12 Et ça, c'est extrêmement dangereux qu'on soit de droite, de gauche ou du centre.
08:16 Ça veut dire chez Vincent Bolloré au final qu'il va, au JDD notamment, favoriser la
08:19 clause de conscience des journalistes en ouvrant le carnet de chèques pour laisser partir
08:24 ceux qui ne se sentiraient plus à leur place dans ce nouveau JDD, Christophe Deloire ?
08:29 En tout cas, il faut absolument qu'on évite cette logique censitaire selon laquelle il
08:34 suffirait d'avoir beaucoup d'argent.
08:36 Quand je dis il faudrait l'éviter, on est un peu en plein dedans.
08:41 Mais selon laquelle il suffit d'avoir beaucoup d'argent pour pouvoir capter un média et
08:46 modifier radicalement sa ligne éditoriale.
08:48 Et pour ça, il faut des gardes fous.
08:49 Je pense qu'il est temps maintenant, et à la faveur de cette affaire du JDD, il apparaît
08:55 plus clairement à beaucoup qu'il faut avancer sur les principes à mettre en place pour
09:01 sécuriser l'indépendance éditoriale du journalisme.
09:05 Ça, c'est pour le droit à l'information de l'ensemble des citoyens, ce n'est pas
09:07 pour des avantages catégoriques.
09:09 Alexis Lévrier, l'un des principaux freins à l'OPA que souhaitent Vincent Bolloré
09:14 et donc Vivendi sur les médias de la Gardère, finalement, ce sont les lois antitrust de
09:19 Bruxelles ?
09:20 Oui, c'est quand même très marquant.
09:21 C'est pour ça que Christophe Deloire l'évoquait à l'instant.
09:24 Il va falloir réfléchir sur l'évolution de nos règles, de notre droit, peut-être
09:28 l'application de ce qui existe déjà, une meilleure application des règles dont nous
09:32 disposons.
09:33 Mais la loi anti-concentration en France, elle date de 1986, elle n'est pas du tout
09:36 adaptée au paysage médiatique tel que nous le connaissons aujourd'hui.
09:39 Et effectivement, les seules limites sont venues de l'Europe au nom de la lutte contre
09:44 les monopoles.
09:45 C'est vrai dans l'édition, c'est-à-dire que Bolloré va certainement, qui avait le
09:48 numéro 2, Editis, et qui a racheté le numéro 1 à la Gardère, va devoir se séparer d'Editis.
09:52 Et l'Europe a bien mis en évidence qu'il y avait un risque de monopole sur la presse
09:55 People.
09:56 Et ça renvoie une certaine ambiguïté, voire une hypocrisie, à des pouvoirs publics français
10:00 qui considèrent Paris Match, que vient donc de racheter Bolloré, comme un titre de la
10:04 presse d'information politique et générale, alors que tout le monde voit bien que c'est
10:06 un hebdomadaire en partie People.
10:08 Et il possède, parce qu'il a racheté le groupe Prisma à Bertelsmann, c'est un peu
10:11 compliqué, mais une vingtaine d'hebdomadaires.
10:12 Mais il avoici Gala et Paris Match, ça veut dire qu'il a les trois principaux journaux
10:17 People français et Bruxelles va l'obliger à en vendre un.
10:20 Ça sera sans doute Gala parce qu'il veut évidemment garder Paris Match.
10:23 C'est la règle des deux tiers, il faut que Bolloré se sépare de sa filiale éditiste
10:27 pour cause de doublons, par exemple, entre Paris Match, Gala et Voici.
10:32 Christophe Deloire, comment limiter l'influence des investisseurs sur le contenu éditorial ?
10:36 Est-ce qu'il faut, par exemple, généraliser ce qui se fait au journal Le Monde, ce qui
10:40 se fait à Libération, c'est-à-dire associer les salariés à la nomination d'un nouveau
10:45 directeur ou directrice de l'information ?
10:47 En fait, il y a plusieurs propositions sur la table.
10:51 Celle-là est une des propositions majeures et les plus séduisantes, c'est effectivement
10:54 d'associer les rédactions au changement de direction, garder évidemment une initiative
11:00 du directeur de publication, c'est-à-dire de celui qui dirige le journal, qui peut proposer,
11:09 mais avec un droit de veto, avec un pourcentage à définir, pour la rédaction, pour éviter
11:16 qu'on se retrouve dans cette situation où un directeur de la rédaction est nommé contre
11:20 l'avis de 99% des effectifs du journal.
11:22 Il y a d'autres pistes qui ont été évoquées, y compris dans un rapport sénatorial récemment
11:28 de la commissaire Assouline, nommé un "administrateur pour l'indépendance et contre les conflits
11:32 d'intérêts".
11:33 Il peut y avoir la généralisation des comités d'indépendance qui ont été imposés par
11:38 la loi Bloch en télévision, mais pas en presse écrite.
11:42 Il y a l'instauration que nous portons depuis longtemps, un reporter sans frontières, d'un
11:45 délit de trafic d'influence, mais dans le champ de l'information, pour lutter contre
11:48 les conflits d'intérêts.
11:49 Il y a matière à avancer.
11:50 Alexis Lévrier, faut-il conditionner par exemple les aides d'État à la presse au
11:55 respect des règles déontologiques, tout simplement ?
11:58 Les règles déontologiques, elles sont difficiles à maintenir.
12:01 Il y a des chartes éthiques dans tous les grands médias.
12:02 Il y en a aussi chez Vollorez.
12:03 Elles ne sont pas toujours respectées.
12:05 On peut regretter que les médias ne soient pas saisis de l'existence du CDJM, le Conseil
12:10 de déontologie journalistique et de médiation, qui est un moyen justement de faire appliquer
12:14 des normes éthiques.
12:16 Je veux juste chercher une parenthèse parce que l'Arkom ne tape pas suffisamment du
12:20 point sur la table.
12:21 C'est un point, et moi je rejoins, je trouve qu'on a une ministre qui, de ce point de
12:24 vue-là, a tout à fait raison, Yema Abdulmalak, qui renvoie aux insuffisances de l'Arkom.
12:28 L'Arkom, nouveau CSA, le régulateur des médias.
12:30 C'est ça.
12:31 Et il y a des chartes qui ont été signées par CNews, par exemple, avec le CSA, qui ne
12:36 sont pas appliquées.
12:37 On l'a bien vu dans la campagne présidentielle.
12:40 Il y a très peu de condamnations en réalité venues de l'Arkom au nom de la nécessité
12:44 de respecter la liberté d'expression, qui est un principe extrêmement important, mais
12:47 qui n'a jamais été...
12:48 Il n'y a que l'extrême droite qui croit que la liberté d'expression peut être absolue.
12:52 Dans toute démocratie, il y a aussi le respect d'un certain nombre de règles et elles ne
12:54 sont pas appliquées.
12:55 La liberté s'encadre par la loi, évidemment.
12:57 Oui, et on peut tout à fait imaginer que les aides publiques soient conditionnées
13:00 déjà aux condamnations.
13:01 Quand vous avez des condamnations, tous les médias en ont eu à un moment donné.
13:04 Mais quand ça devient systémique, c'est-à-dire que quand un média fait le choix de risquer
13:08 les condamnations pour des causes graves...
13:10 On parle de presse d'opinion, mais le racisme, la haine de l'autre, ce ne sont pas des opinions,
13:16 ce sont des délits.
13:17 Et quand ça se répète, on doit pouvoir revoir les aides publiques à la presse.
13:20 Christophe Deloyer, un mot aux Etats-Unis.
13:23 Les annonceurs ont fui Twitter depuis qu'Elon Musk a donné la parole sans retenue à une
13:29 droite américaine controversée.
13:32 En France aussi, est-ce que la presse de Vincent Bolleré pourrait connaître la même défiance
13:36 des investisseurs, des publicitaires ? Et donc là aussi, cette fuite des annonceurs,
13:40 comment ont-ils aidé ?
13:41 Difficile à dire.
13:44 En France, il y a un groupe anonyme qui s'appelle les "Sleeping Giants" qui a attaqué la presse
13:51 extrême droite en faisant en sorte de faire fuir les annonceurs.
13:55 Que des personnes anonymes, un groupe constitué sur les réseaux sociaux fassent pression
14:01 comme ça, moi je ne trouve pas ça très légitime parce que c'est une forme d'arbitraire.
14:04 Et qu'il revient aux institutions démocratiques et pas à des groupes sociaux de faire pression
14:10 pour assécher économiquement tel ou tel.
14:13 L'enjeu, c'est certainement pas de faire de la régulation de contenu, c'est-à-dire
14:17 d'interdire certaines lignes éditoriales ou certains contenus.
14:20 L'enjeu, c'est de favoriser l'honnêteté intellectuelle.
14:22 C'est ça l'éthique journalistique.
14:24 C'est ça la méthodologie journalistique.
14:26 Et ça, c'est légitime que des institutions démocratiques cherchent à l'assurer.
14:30 Et l'honnêteté intellectuelle, disons-le, ce n'est pas de droite, de gauche ou du
14:33 gauche, ça appartient à tous les camps.
14:35 Et c'est un enjeu qui devrait nous unir alors que monte malheureusement une polarisation
14:42 sur ces sujets, là où il devrait y avoir du commun, parce que c'est du commun démocratique.
14:45 Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, il y aura en
14:49 septembre prochain les États généraux du droit à l'information.
14:52 C'est une promesse de campagne d'Emmanuel Macron.
14:55 Vous en attendez quoi ?
14:56 L'autre jour, lorsque nous avons organisé un meeting pour la rédaction du JDD, les
15:02 États généraux ont été cités à de multiples reprises.
15:04 Ce sera l'occasion et il y a matière, puisque les sujets ne manquent pas.
15:10 Il n'y a pas que le sujet des oligarques, il y en a tant d'autres, l'intelligence
15:13 artificielle, les réseaux sociaux.
15:16 L'ingérence étrangère aussi ?
15:17 Les ingérences étrangères, la qualité du journalisme, son développement économique,
15:23 parce qu'on a besoin aussi de logique industrielle.
15:25 Le journalisme, l'information en général doit être financée.
15:29 On est à un moment de basculement lié notamment aux nouvelles technologies, aux changements
15:34 de conditions de marché et où il faut reconstruire notre espace public, notre champ des médias
15:41 dans une logique très pluraliste, mais avec une exigence sur l'honnêteté de l'information
15:47 et son indépendance.
15:48 Christophe Deloire, quel rôle allez-vous jouer dans ces futurs États généraux du
15:52 droit à l'information ?
15:54 Est-ce que vous allez piloter ces États généraux ?
15:59 Ce que je peux dire pour l'instant simplement, c'est que j'ai travaillé au projet, j'ai
16:04 formulé des propositions, on verra.
16:06 Merci, c'est laconique on va dire.
16:08 Une dernière question Alexis Lévrier sur le système Bolloré.
16:11 Est-ce qu'on peut dire que c'est une exigence de presse avec un retour immédiat sur investissement,
16:17 donc une presse qui ne coûte pas cher, avec des polémistes qui remplacent les éditorialistes
16:21 par exemple ?
16:22 C'est le modèle CNews, mais attention parce que ça n'a pas fonctionné sur Europe 1,
16:26 dont les audiences se sont étiolées.
16:28 Et ce qu'on peut faire sur une chaîne comme ITL, qui n'avait pas une histoire très forte,
16:32 on ne peut pas le faire avec des marques médiatiques solidement enracinées.
16:34 Et Europe 1 avait une histoire forte, une identité forte.
16:38 Et donc le juge de paix, c'est le lecteur ou l'auditeur.
16:41 Et s'il veut imposer de manière extrêmement brutale aux JDD à Paris Match une ligne d'extrême
16:46 droite complètement contraire à leur histoire, le risque, c'est ce qui s'est passé au Figaro
16:50 dans les années 20, quand François Cotti a essayé d'en faire un journal fasciste,
16:53 c'est que le lectorat déserte.
16:54 Donc il faut faire attention et peut-être c'est un industriel avisé quand même, et
16:59 qui se ressente sur les médias, donc il a besoin que ça fasse de l'argent.
17:01 Une information d'extrême droite, dites-vous, est-ce qu'on peut parler aussi d'information
17:04 rentable ? Est-ce que l'information peut être rentable, immédiatement ?
17:07 C'est ce que je vous disais avec ces marques médiatiques, elles se sont construites sur
17:11 le long terme.
17:12 Le JDD et Paris Match, le JDD c'est 48, la naissance, le Paris Match c'est 1949.
17:16 La qualité, l'image de marque, ça se construit sur la durée et des choix à courte vue comme
17:21 celle-là peuvent se retourner contre un industriel qui a choisi d'en faire un outil au service
17:25 d'un combat idéologique.
17:27 Et bien merci d'être venu en parler ce matin, tous les deux.
17:30 Alexis Lévrier, historien des médias, maître de conférences à l'Université de Reims,
17:34 et Christophe Deloir, secrétaire général de Reporters sans frontières.
17:38 On saura peut-être bientôt si vous serez le futur patron des États généraux du droit
17:43 à l'information.
17:44 Ce sera en septembre prochain.
17:45 Merci et bonne journée à tous les deux.
17:47 Il est 8h39.