Dans cette entrevue poignante, Paola Locatelli s'entretient avec Najah Albukaï, un artiste dont l'histoire est aussi puissante que ses œuvres.
Najah nous emmène dans un voyage émouvant à travers son expérience dans les prisons en Syrie, où le dessin est devenu plus qu'un simple passe-temps : C'est devenu son moyen de survie, son exutoire, sa voix dans un monde où il était autrement réduit au silence.
Dans cette conversation intime, Paola Locatelli explore avec sensibilité la manière dont Najah a utilisé l'art pour faire face à l'inimaginable, transformant la souffrance et la douleur en œuvres d'art puissantes. Ses dessins, qui illustrent les réalités brutales de la vie en détention, sont une fenêtre sur un monde que beaucoup ne connaissent que de loin.
Cette interview n'est pas seulement une exploration de l'art en tant que forme d'expression personnelle ; c'est une leçon de résilience, d'espoir et de la capacité de l'esprit humain à trouver la beauté et le sens même dans les moments les plus sombres.
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N'hésitez pas à suivre Paola Locatelli et Najah Albukaï sur Instagram
Paola : https://www.instagram.com/paolalct/
Najah : https://www.instagram.com/albukainajah/
Le livre de Najah Albukaï " Graver la mémoire" est disponible.
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AmusantTranscription
00:00 je serais pas capable de me taire à nouveau.
00:02 Je voyais souvent des gens qui se font électrifier
00:05 pendant les interrogatoires.
00:07 On m'a mis sur la chaise.
00:08 Les bourreaux, ils mettaient une file d'électricité,
00:10 après ils touchaient le prisonnier.
00:12 C'était truqué, bricolage.
00:14 Ils savent bien que même n'importe quelle réponse que je vais donner,
00:17 leur but c'est de me redresser, tout simplement.
00:20 Salut Najah.
00:21 Bonjour Pamela.
00:23 Je suis très contente de te rencontrer aujourd'hui.
00:26 Je sais que t'es né, t'as grandi, t'as vécu toute ta vie en Syrie
00:32 sous une grosse dictature.
00:34 Comment ton histoire a commencé ?
00:36 Je viens de la Syrie, si je veux préciser sur la carte,
00:39 elle est au Moyen-Orient.
00:40 Dans l'histoire, c'est un pays qui est créé il y a même pas 110 ans.
00:44 L'Empire Ottoman pendant 400 ans.
00:47 Et après la fin de la Première Guerre mondiale,
00:50 la Syrie et le Liban sont restés sous le monde français
00:53 jusqu'à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
00:56 Et en 1961, il est d'état du régime du Parti Basse.
01:00 Ce parti politique, jusqu'à maintenant, il est au pouvoir.
01:03 C'était le 8 mars 1962.
01:07 État d'urgence.
01:08 60 ans ?
01:09 Oui, ça veut dire 9 ans avant ma naissance.
01:12 Moi je suis né en 1970.
01:14 C'était quoi le régime à ce moment-là ?
01:15 Quand t'es né, qu'est-ce qui se passait en fait en Syrie ?
01:18 Le général Assad, Havaz al-Assad, a pris le pouvoir après un coup d'État.
01:22 Donc il a fait rentrer sa famille,
01:24 tous les proches de son clan.
01:26 Il a interdisé les journaux qui critiquaient le gouvernement.
01:30 D'accord.
01:30 Donc on avait juste trois journaux, une chaîne de télé.
01:33 Il fallait toujours honorer le président.
01:36 J'ai vu une fois mon père, il était absent.
01:38 Ma mère, elle s'inquiétait.
01:40 Mon père rentrait deux jours, trois jours après,
01:42 la tête rasée, avec les pieds gonflés,
01:45 juste parce qu'il était dans le souk.
01:47 Il faisait ses courses, les courses pour la maison.
01:50 Et il y avait une manifestation ce jour-là.
01:52 Ils ont arrêté mon père, la tête rasée, ils étaient tabassés.
01:56 J'ai compris que mon père, il était tabassé par les polices.
01:59 Mais quand tu dis qu'il y avait des manifestations,
02:01 ça veut dire que le peuple manifestait contre le président.
02:05 Comment ils visaient pour manifester,
02:07 alors que c'était totalement interdit d'être contre le gouvernement ?
02:11 Avant, le peuple, il avait cette tradition de manifester, de critiquer.
02:16 C'était un peuple libre.
02:17 Petit à petit, Assad, il a retréci les limites, la liberté.
02:22 Sa manière, c'était la liquidation.
02:25 Et puis ça a duré jusqu'à la fin des années 70,
02:28 où il y a eu vraiment la première révolution en Syrie.
02:31 Et il y a eu une confrontation avec l'armée syrienne
02:35 qui n'a pas manqué de commettre des massacres.
02:38 Il y a des chiffres des gens qui sont morts dans cette massacre,
02:41 entre 30 000 et 40 000.
02:43 Les disparus, on peut compter 150 000.
02:47 Cette révolte a été complètement écrasée.
02:50 Les Syriens, suite à ça, ils ne pouvaient plus réfléchir à révolter.
02:55 Même, on a développé en tant que peuple syrien, autocensure.
02:59 Mais le problème en Syrie, c'est que le président,
03:01 on lui a donné une image d'un dieu, le Père.
03:05 Donc, écrasement d'autres idées que l'idée du Parti Basse
03:09 et la parole de Hafez al-Assad.
03:11 Ce n'est pas un dictateur illuminé, comme on veut le dire,
03:14 parce qu'il a joué avec l'histoire de la laïcité.
03:17 Mais il a vraiment manipulé toute cette image pour influencer l'Occident.
03:22 Malheureusement, il y a pas mal de pays en Occident qui l'ont soutenu,
03:25 juste pour écraser le danger qui est supposé pour eux,
03:30 c'est les musulmans sunnites.
03:31 Le régime syrien commet des massacres,
03:34 juste parce que c'est des frères musulmans.
03:36 Ça a eu des impacts très dangereux sur la région.
03:39 Mais pourquoi ?
03:40 Quand on manipule un peu de violence et de torture,
03:46 là on prépare des gens qui vont se venger.
03:49 Surtout si on a une éducation de fierté.
03:51 Ça a développé une mentalité de victime.
03:55 C'est là où on fabrique les terrorismes.
03:57 Et comment tes parents, ils géraient tout ça ?
04:01 Mon père, il était laïc.
04:03 Il avait une culture française, anglophone.
04:07 Ma mère, mes oncles, chez mes grands-parents,
04:11 il y avait souvent des livres, des larousses,
04:14 ou des magazines anglais.
04:15 Je me rappelle que mon frère, il avait toujours la radio sur RMC,
04:19 Radio Monte Carlo.
04:20 Moi j'ai décidé d'aller à l'école des beaux-arts de Damas à six jeunes.
04:24 J'étais en troisième.
04:26 Qu'est-ce que tu faisais ?
04:27 C'était quoi tes premiers dessins dans cette école ?
04:29 À l'époque, j'étais complètement concentré sur la peinture à l'huile,
04:35 à faire des natures mortes.
04:37 D'accord.
04:37 Jusqu'en troisième année, où il y a eu ma première arrestation
04:42 à l'école des beaux-arts, parce que j'avais posé une question.
04:47 C'est quoi la position de notre gouvernement
04:50 par rapport à l'invahissement des forces irakiennes au Koweït ?
04:55 Même pas trente secondes, j'ai compris que j'ai commis une bêtise.
05:00 Donc ils m'amènent au sous-sol de l'école des beaux-arts
05:04 et je vois un officier avec des tenues civiles.
05:08 Et là, il commence à m'insulter, à me menacer.
05:12 « Tu viens d'où toi ? Pourquoi tu poses cette question ?
05:15 Tu viens de quelle partie ? Qui t'a donné l'autorisation ? »
05:19 J'avais tellement peur.
05:20 « Non, monsieur, j'ai juste posé une question.
05:24 Je ne savais pas à quoi répondre. »
05:27 Après cette scène de terreur, il m'a dit
05:31 « Tu passes après-demain dans mon bureau,
05:34 c'est en plein quartier à Damas.
05:36 Je suis allé dans le centre 227, qui va être très connu après,
05:40 suite à des histoires incroyables.
05:42 Je donne mon prénom, je rentre. »
05:44 Le mec, il était très sympa.
05:46 « Oui, ça va, Najat, tout va bien. »
05:48 Et puis, il me passe un dossier.
05:51 « Tu peux le remplir avec ton prénom.
05:53 Je te demande juste, il m'explique, de m'écrire
05:56 tout ce que tu entends par tes amis à l'école des beaux-arts
06:00 dans ton quartier, autour de ta famille.
06:03 J'ai besoin juste d'un rapport chaque mois.
06:05 Tu auras 750 livres. »
06:07 À l'époque, c'était à peu près 20 dollars.
06:09 « Et peut-être tu auras la possibilité de continuer tes études à l'étranger. »
06:13 Mon cousin, il m'a dit « Tu lui dis que tu es prêt à te sacrifier
06:16 pour le président Assad.
06:18 Tu n'as pas besoin de signer.
06:19 Sans signature, tu as un élan de défendre le pays, la Syrie. »
06:25 J'ai répété ce qu'il m'a raconté, mon cousin.
06:28 Alors là, il s'énerve, il me dit
06:31 « Mais pourquoi tu ne veux pas signer ce papier ?
06:33 Ce qu'on te demande, c'est de servir le pays,
06:35 servir le président. »
06:37 Donc il m'a dit « Tu reviens dans quelques jours. »
06:39 Pour la réponse.
06:41 Et quand il a dit « Reviens me voir dans quelques jours
06:44 pour me donner ta réponse », tu n'es pas allé ?
06:47 Je ne suis pas allé.
06:48 J'ai demandé à notre cousin.
06:51 Il m'a dit qu'il le connaisse bien.
06:53 Il m'a dit « Je ne vais pas.
06:54 Je vais discuter avec ce monsieur. »
06:56 La dernière soulagement était venue par une amie
06:59 qui était avec nous à l'école de Beaux-Arts.
07:01 Son père, il était chef de centre de renseignement général.
07:05 Et cette amie, elle m'a dit
07:07 « Tu as un fichier, mais ce n'est pas grave.
07:08 Ne t'inquiète pas. Tu peux continuer ta vie. »
07:11 Il m'a dit non.
07:11 Il t'avait appelé six mois après en te demandant un rapport.
07:15 Qu'est-ce que tu aurais fait ?
07:16 Alors là, ça c'est le dilemme.
07:18 C'est la catastrophe.
07:19 Je serais peut-être disparu.
07:21 Ça c'est le trauma absolu chez un Syrien, d'être disparu.
07:26 Sans que personne ne sache, ne sait,
07:28 il est où, dans quelle prison.
07:30 Parce que tu as des centres d'incarcération partout.
07:33 Dans des stades de foot, dans des théâtres militaires,
07:37 dans des écoles.
07:38 On peut arrêter les gens partout.
07:40 Et donc, on ne sait pas, avec cet état d'urgence qu'ils ont instauré,
07:44 on n'a pas le droit de demander « telle personne, il est où ? »
07:47 Il y a des disparus depuis 1978.
07:52 Mais on pense plutôt qu'ils sont morts
07:53 ou est-ce qu'on pense qu'ils sont en prison ?
07:55 Ou est-ce qu'on pense qu'ils sont torturés ?
07:57 On sait bien qu'ils sont arrêtés, mais on ne sait pas.
07:59 Ils sont morts dans quelles conditions ?
08:01 Pendant cette période, la peur prédominait.
08:05 Est-ce que tu es rentré dans une phase d'autocensure
08:07 ou est-ce qu'il s'est passé quelque chose ?
08:09 J'ai réussi d'éviter au maximum le contact avec le régime.
08:14 Jusqu'à un moment, en quatrième année,
08:16 où dans un bus, il y a des jeunes, tu comprends tout de suite,
08:19 c'est des gens du régime, des militiains,
08:22 qui sont en costume civil.
08:24 Ils ont remarqué que j'avais un peu des cheveux
08:27 avec une valise de dessin.
08:29 Ils commencent à me taquiner,
08:31 ils demandaient mon billet de bus.
08:33 Je réponds gentiment.
08:35 Et là, je vois que les dix personnes commencent à me taper.
08:38 Et là, je me fais tabasser dans un bus,
08:41 devant les gens, pendant des minutes.
08:44 Après, ils me ramènent dans un centre d'incarcération de 227.
08:48 Après, ils me remettent dans le bus.
08:50 J'ai passé une heure très difficile.
08:52 Ils m'ont relâché au centre-ville de Damas.
08:56 J'avais l'oreille, le tambal déchiré.
09:00 J'ai du sang partout.
09:02 Comme il est d'une confession minorité les alawites,
09:05 le général Assad, malheureusement,
09:06 il a entraîné cette confession dans l'armée
09:10 et dans les services de renseignement.
09:11 Donc souvent, il fait appel à ces jeunes du Code de la Syrie
09:16 pour travailler dans les services de renseignement.
09:19 Et ces jeunes, ils sont gonflés avec la haine contre les citadins.
09:24 Et là, devant la population,
09:26 ils ont ce plaisir de jeter à quelqu'un, de dire
09:31 "voilà, c'est un traître, un sioniste, un frère musulman",
09:36 pour n'importe qui.
09:38 Et après, j'ai passé à peu près deux mois pour me guérir.
09:44 Ça, c'était un mauvais souvenir.
09:48 Si j'ai bien compris, t'es resté trois ans en France.
09:52 T'as beaucoup appris sur ton métier, t'as rencontré plein de gens, j'imagine.
09:56 Au bout de trois ans, ton visa s'est terminée, tes études aussi.
09:59 Il fallait que tu rentres en Syrie.
10:01 Franchement, j'ai pas pu continuer mes études
10:03 parce que le projet de vivre avec ma femme ici n'a pas abouti.
10:08 Elle est venue me rejoindre,
10:09 mais on a trouvé que la vie était assez difficile.
10:12 On n'avait pas des ressources financières,
10:16 donc on a préféré retourner.
10:19 Avec ce que j'ai appris en Europe,
10:21 j'ai pas pu vraiment rentrer dans le marché de l'art en Syrie.
10:25 J'ai terminé mon service militaire,
10:26 j'avais dessiné pendant cette période
10:29 une série de travail sur les masques, sur les militaires et les insectes,
10:35 mais je n'ai jamais exposé en Syrie.
10:37 Et c'est quoi le lien entre des insectes et des officiers ?
10:41 La première période où les insectes sont apparus de mes dessins,
10:45 c'était à Rouen.
10:47 J'ai compris que ma manière de dessiner
10:50 était plutôt vers les beaux dessins qui représentaient les mythes
10:55 dans l'histoire du Moyen-Orient,
10:57 ou les choses qui ont une influence avec l'art pharaonique,
11:00 ou l'iconographie, ou l'art de l'Antiquité.
11:03 Personnellement, je ne pouvais pas m'exprimer qu'avec mes dessins.
11:06 Je n'ai pas réussi à le faire.
11:08 Donc je me suis dirigé vers l'atelier de gravure et de la lithographie,
11:12 où j'ai eu mon plaisir à dessiner avec l'encre de Chine.
11:16 Et avec cette fragilité que je sentais,
11:19 les insectes, avec leur forme, leur morphologie,
11:22 leur faiblesse, leur moyen de défense,
11:25 ça me rappelait certainement quelque chose au fond de moi,
11:29 des peuples qui sont opprimés.
11:31 Je voyais dans les soldats peut-être leur manière de se défendre,
11:35 leur costume, des casques, des chaussures,
11:38 surtout après la guerre du Golfe.
11:40 Les images des soldats qui sont brûlés avec les bombardements,
11:45 ça me posait pas mal de questions.
11:49 Donc j'ai commencé à dessiner à nouveau les soldats et les insectes.
11:54 Mais je ne pouvais pas présenter ce travail au public,
11:58 parce que déjà ce n'est pas accepté,
12:00 de dessiner des choses qui ne sont pas considérées belles,
12:02 les insectes, et en même temps des soldats.
12:05 Donc peut-être qu'il y aura une explication mal interprétée par le régime.
12:10 Ces dessins sont restés chez moi sans qu'ils soient exposés.
12:13 Comment ça s'est passé ton retour ?
12:15 Est-ce que le régime était le même ?
12:16 Est-ce que c'était pire ? Est-ce que ça avait évolué ?
12:19 Le président Assad est décédé.
12:22 Et quand on a appris ça, c'était un choc silencieux.
12:25 Il y avait le fantôme du président qui régnait dans nos esprits.
12:29 Et d'un seul coup, c'était comme si c'était la disparition de Dieu.
12:33 Un peur, mais avec juste un peu d'espoir.
12:36 Mais ça n'a pris même pas cinq minutes
12:39 où ils ont annoncé la mort du président Assad,
12:42 que l'Assemblée, ils ont tout de suite voté un changement dans la constitution syrienne.
12:49 Et tout le monde était d'accord avec l'Assemblée.
12:51 Trois minutes après, on entend les militias, les pro-régimes
12:55 qui circulaient dans les voitures avec des portraits de Hafez Assad
12:58 et son fils Bachar al-Assad en réclamant que Bachar al-Assad est le président.
13:03 Là, on a compris qu'on va être encore sur les chaussures de Bachar al-Assad.
13:08 Mais un peu d'espoir que le gars, il a fait ses études en Europe.
13:12 Peut-être qu'il est un peu plus ouvert que son père.
13:15 Donc Bachar al-Assad arrive au pouvoir.
13:18 Est-ce que tu te sentais plus en confiance, moins opprimé ?
13:21 Comment était la Syrie ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
13:25 Bachar al-Assad, il était élu un mois après le décès de son père.
13:29 Et j'étais encore à l'armée.
13:32 On passait, le soldat, il prenait notre doigt, il piquait tout gentiment
13:38 et il mettait sur le bulletin de vote.
13:39 Et il mettait le bulletin, c'est pour dire oui avec le sang.
13:44 Ça veut dire qu'on est prêt à sacrifier notre vie pour le président,
13:48 le nouveau président Bachar al-Assad.
13:50 On a compris tout de suite que Bachar al-Assad,
13:52 il ne va pas être trop différent de son père.
13:54 Il y avait une période où les gens, les opposants, ils se sont apparus,
13:58 surtout les intellectuels.
14:00 Ça n'a même pas duré trois, quatre mois.
14:03 Et Bachar al-Assad, il a commencé à incarcérer les opposants.
14:07 Il a eu une position plus forte après les attentats du 11 septembre.
14:12 Ça l'a aidé à bien maintenir la main.
14:15 Il a réutilisé à nouveau la carte de terroriste islamiste.
14:19 Tout ce qui est opposant, de...
14:21 C'est un pro-zioniste.
14:22 Voilà, pré-zioniste, pré-israélien ou terroriste islamiste.
14:27 Donc les Syriens, ils se sont à nouveau revenus sur la soumission
14:32 jusqu'à après qu'il y a eu la rentrée des Américains en Irak.
14:36 Le régime syrien a eu une position ambiguë.
14:41 Il a fait rentrer des djihadistes du monde arabe et du monde musulman
14:45 pour aller combattre les Américains en Irak.
14:48 À leur retour, il les arrête pour les filer aux Américains.
14:53 Comme ça, Bachar al-Assad, il disait,
14:54 "Bah regardez-moi, je combats toujours les islamistes."
14:57 Peut-être que le régime syrien avait peur que les Américains,
15:01 après avoir fini avec les talibans en Afghanistan et avec Saddam Hussein,
15:05 qu'ils vont continuer leur route vers Damas pour instaurer la démocratie.
15:12 C'est ce qu'ils disaient M. George Bush à l'époque avec son gouvernement.
15:17 Et après ton service militaire, qu'est-ce qui s'est passé ?
15:20 Comment tu étais ?
15:21 Jusqu'en 2010, j'avais commencé à enseigner en Syrie à l'école des Beaux-Arts.
15:27 J'avais fait plusieurs voyages pour travailler dans les pays du Golfe,
15:30 pour gagner ma vie et pour acheter un atelier à moi
15:33 pour continuer mes recherches dans la peinture et le dessin.
15:36 Jusqu'en 2011, il y a eu les premières manifestations
15:40 qui sont apparues suite à l'histoire d'un jeune diplômé en Tunisie
15:46 qui s'est fait brûler, incendier.
15:49 Et les gens en Tunisie, ils sont sortis pour protester contre les forces du régime.
15:54 Et ça, au bout de 20 jours, le régime Ben Ali, ils ont tué jusqu'à 380 morts.
16:01 À un moment, Ben Ali, il a senti qu'il ne pouvait plus rester.
16:04 L'armée n'a pas intervenu auprès de Ben Ali, donc il est parti.
16:08 C'était la première fois dans l'histoire des pays arabes
16:11 où un président quitte le pouvoir parce qu'il est contesté par la population.
16:16 Deux jours après, les Égyptiens, ils ont sorti contre Moubarak.
16:21 18 jours après, Moubarak, il a quitté le pouvoir.
16:24 Je ne croyais pas à mes yeux de voir que les Arabes,
16:28 ils sortent dans les manifestations.
16:30 On les voyait sur la télé.
16:31 L'enchaînement, c'était contre Gaddafi.
16:33 Il y a eu une intervention des forces contre lui, l'OTAN, avec une coalition.
16:39 Moi, je me suis dit, dans ce cas-là, certainement, Bashar al-Assad,
16:43 il a compris que s'il réagit violemment contre des manifestants en Syrie,
16:49 il aura la même sort.
16:51 Et les Syriens, ils ont espéré la même protection
16:56 des forces de l'OTAN et de la coalition.
16:59 Donc, il y a eu les premières manifestations en Syrie.
17:01 Mais après, il y a eu une autre histoire,
17:03 qu'il y a des enfants à la ville de Daraa, dans le sud de la Syrie,
17:07 qu'ils ont fait une graffiti, comme quoi, c'est votre tour, monsieur le docteur.
17:12 Alors, les forces du renseignement,
17:15 ils ont arrêté vingtaines d'élèves, 12 ans, 13 ans.
17:21 Et là, la population n'a pas pu résister.
17:24 Les premières manifestations, premières victimes, l'armée syrienne,
17:29 les services du régime tiraient sur la population.
17:33 Ma première manifestation, c'est...
17:37 Je ne me rappelle pas le jour,
17:38 mais je sais qu'il y avait jusqu'à maintenant 55 morts par les forces du régime.
17:44 C'est la première fois que je ne suis même pas sorti.
17:48 J'ai pris juste mon téléphone pour filmer 30 jeunes Syriens
17:53 qui sortaient pour dire "liberté, liberté".
17:55 Ça a duré même pas cinq minutes.
17:57 Mais la semaine d'après, j'ai participé à une vraie manifestation,
18:02 la deuxième et la troisième,
18:04 jusqu'à ma première arrestation qui a duré une journée,
18:08 dans le même centre où j'étais invité, convoqué en 1990,
18:13 centre 225.
18:15 À la fin, les enfants étaient libérés,
18:17 mais certains n'avaient pas des ongles.
18:20 Un des moyens de torture pour tirer des aveux,
18:25 c'était d'étirer les ongles avec les pinces.
18:28 Et ce qui a déclenché une manifestation...
18:31 La première manifestation, tu es juste sorti cinq minutes pour filmer,
18:35 et ensuite, tu es parti manifester.
18:38 Comment t'as sauté le bas ?
18:39 Je me rappelle bien, c'était sur Facebook.
18:42 Des gens qui écrivaient...
18:44 "Bon, à la fin, on a maintenant des paysans et des sauvages inéduqués
18:50 qui comprenaient c'est quoi la liberté.
18:52 Allez-vous rendre dans vos maisons,
18:54 votre odeur pourrie nous infecte la respiration."
19:00 Là, j'ai commencé à sentir un taux du racisme
19:05 dans la société syrienne,
19:07 surtout des gens qui sont pro-régime.
19:09 Ça m'a touché et ça m'a vraiment encouragé
19:12 et enthousiasmé de sortir avec les manifestants.
19:15 Tu t'es fait arrêter parce que tu manifestais.
19:18 Qu'est-ce qui s'est passé ce jour-là ?
19:19 Puisque nous étions des artistes,
19:22 des musiciens et des étudiants de la faculté de médecine,
19:26 ils parlaient avec nous en tant que des intellectuels.
19:29 Pourquoi vous vous mettez avec les racailles
19:31 et essayez de nous convaincre de se mettre avec le régime ?
19:35 Après, il nous a fait signer sur des papiers
19:39 comme quoi on ne sortira jamais dans les manifestations.
19:42 Ça veut dire que si vous vous faisiez arrêter une deuxième fois,
19:46 il y a un papier qui prouve que vous vous êtes déjà fait avertir la première fois.
19:51 Après, si on se fait arrêter, on sera jugé.
19:55 Vous vous êtes fait arrêter ?
19:56 Deux mois après, l'armée syrienne et le régime ont envahi ma maison.
20:01 Ils ont envoyé un officier pour m'interroger chez moi
20:05 pour m'expliquer qu'il fallait que je calme le jeu.
20:08 J'ai compris que le fait que je sois prof à l'université
20:12 a un impact sur le régime plus difficile que sur les ouvriers, les maçons, les paysans.
20:19 Ma femme aussi ne met pas de voile.
20:21 Quand elle est sortie avec moi dans la manifestation,
20:24 c'est dangereux pour le régime.
20:25 Le régime est habitué de dire que tous les opposants contre moi sont des islamistes.
20:29 Voir qu'il y a des femmes qui ne portent pas de voile,
20:32 ça démentit son histoire.
20:34 Jusqu'à un moment où j'étais arrêté la deuxième fois, le 1er juillet 2012.
20:39 J'étais parmi les gens qui sont recherchés.
20:42 Il fallait que je prenne la route à pied, le temps de passer un certain parage.
20:47 Je n'ai pas fait ça, j'étais trop fainéant, j'avais trop mangé le matin.
20:51 Je voulais me reposer.
20:52 Ça m'a coûté un mois de torture.
20:55 J'étais frappé pendant une journée, jusqu'à l'arrivée au centre 227.
21:00 Je suis rentré, il y avait des centaines de personnes.
21:04 Toute ma vie, j'ai entendu des gens qui parlaient de la torture,
21:09 des conditions de vie dans les centres des services de renseignement.
21:13 C'est la première fois que je les vois dans ma vie.
21:16 Mais là, tu es dans des cas d'apocalypse,
21:20 où tu rentres comme si tu étais dans cette pièce.
21:23 Tu as 300 personnes dans une pièce qui ressemble à ça.
21:27 La plupart, ils sont moitié nus.
21:30 L'odeur, la chaleur, les gens qui venaient d'être torturés, qui saignaient,
21:36 leurs blessures s'infectent.
21:39 C'est incroyable le bruit que tu entends.
21:42 Ils m'ont rasé sur les poubelles du reste du repas du midi.
21:46 Il y avait du riz.
21:48 Alors, humiliation incroyable.
21:51 Et la première fois, j'ai vu un jeune qui est attaché par la main,
21:56 pendu sur le mur.
21:57 C'est une sorte de torture qui est très connue là-bas.
21:59 Attaché les mains, de sorte que les pieds ne touchent pas la terre.
22:03 Ça m'a rappelé les tableaux de la crucifixion,
22:07 que je voyais souvent dans l'histoire de l'art.
22:10 Tu vois, dans les crucifixions, il y a un certain honneur,
22:15 il y a un certain sacrifice.
22:17 On voit le mal et la souffrance, mais en glorieux.
22:21 Mais là, tu vois, le jeune, il est frappé et il se vidait.
22:26 Donc, il y a l'excrément, c'est le fait de la fatigue.
22:30 Et là, tu comprends que tout ce qu'on a raconté sur la crucifixion,
22:34 tout ce qu'on a vu, c'est embelli, c'est esthétiqué, esthétisé.
22:38 Le centre, il est fait pour arrêter 300 personnes.
22:42 Mais la terre, il y avait au moins 3 200.
22:45 Donc, les gens, les uns sur les autres.
22:48 Le temps de rentrer dans une cellule qui fait 5 mètres sur 2,70 mètres,
22:54 il y avait 80 personnes.
22:56 Je croyais que je suis rentré dans un hôpital psychiatrique
23:00 où les gens se tapaient.
23:01 Au bout de trois jours, il n'y avait plus de vêtements.
23:05 Il y a la poule et la gale qui se propagent.
23:08 Et puis, les séances d'interrogatoire.
23:12 C'était quoi les séances d'interrogatoire ?
23:15 On t'appelle, mais il faut sortir en slip.
23:18 Et les gens, les yeux…
23:21 - Bandés. - Bandés.
23:22 Pourquoi ?
23:22 C'est juste pour humilier les gens.
23:25 Tout ça, c'est fait pour casser la morale et le respect de l'être humain,
23:31 pour ne plus penser à contester.
23:34 Je voyais souvent des gens qui se font électrifier pendant les interrogatoires.
23:39 C'était truqué, bricolage.
23:41 Les bourreaux, ils mettaient une file d'électricité,
23:43 après ils touchaient le prisonnier.
23:45 Et puis le courant, il sortait d'un bouton ou d'un point fragile.
23:49 Et le falca, c'est des frappes sur les pieds.
23:53 Et le doulab, c'est une sorte de torture aussi.
23:57 Ils font rentrer un prisonnier dans un pneu de voiture.
24:03 C'est très connu en Syrie, on dit qu'on lui a fait un doulab.
24:07 Moi, on m'a mis sur la chaise.
24:09 C'était un tabouret métal.
24:11 Ils ont balancé de l'eau, ils m'ont éclaboussé avec de l'eau.
24:15 J'ai compris qu'il y aura une électricité.
24:17 Je ne sais pas ce qui m'est arrivé, quelle chance que j'ai eue,
24:20 qu'ils m'ont oublié et ils sont rentrés dans une autre histoire avec quelqu'un d'autre.
24:25 Ou peut-être il y a eu une chaîne de prisonniers qui venait d'arriver.
24:29 Donc ils étaient occupés par les nouveaux arrivants en prison.
24:34 Et quelqu'un m'a fait retourner dans la cellule.
24:37 Ils essaient de soutirer des informations quand ils vous interrogeaient.
24:41 Oui, qui vous a poussé à manifester.
24:44 Qu'est-ce que vous voulez ?
24:45 Apparemment, j'étais pas mal dénoncé.
24:47 C'est vrai ?
24:48 Oui, il y avait un rapport.
24:50 Le seul peintre, donc il croyait que chez moi,
24:53 les banderoles sont faites dans mon atelier.
24:57 Et qui sont les filles qui venaient manifester avec vous ?
25:00 Parce qu'il y avait des étudiants de Beaux-Arts qui voulaient venir manifester.
25:07 Donc ils venaient avec moi.
25:09 Donc ils me demandaient "Vous les faites payer ces filles ?
25:12 C'est de la prostitution que tu fais avec les..."
25:14 Donc tu vois, tout simplement, ça c'est leur...
25:18 Terroriste, islamiste, sioniste, pro-israélien, prostitution.
25:24 Et toi, qu'est-ce que tu leur répondais ?
25:25 Parce qu'évidemment, on sait que c'est pas de la prostitution du tout.
25:28 Ils savent bien que même n'importe quelle réponse que je lui ai donnée,
25:32 leur but c'est de me redresser, tout simplement.
25:35 Mais les conditions de vie quotidiennes au niveau de la nourriture ?
25:40 Au niveau de...
25:40 Ah oui, c'est très intéressant. La nourriture.
25:43 La nourriture, le matin c'était... Quand même, il y avait du pain.
25:47 Chacun a droit de trois galettes.
25:49 Des olives, le matin, t'as des olives.
25:52 Ils étaient pas bien faites les olives, trop amères.
25:55 À midi, comme on était au moins de juillet,
25:57 donc t'avais souvent des courgettes, c'est pas trop cher en Syrie.
26:02 Et donc on mangeait du riz avec des courgettes.
26:05 Le soir, c'était pommes de terre et tomates.
26:08 Le problème, c'est qu'il n'y avait pas d'assiettes.
26:11 Donc, avec les sacs en plastique, parce qu'ils distribuaient le pain,
26:16 chaque sac en plastique, il y a neuf galettes.
26:19 On regroupait les prisonniers dans la cellule par neuf.
26:24 Neuf prisonniers, ils font une ronde et on distribue le pain.
26:27 Et le sac en plastique, on le met par terre
26:30 pour mettre le riz sur le sac en plastique.
26:34 Et donc on mangeait avec.
26:36 Au bout de trois jours, quatre jours, t'as plus envie de manger ça.
26:40 Il n'y a pas de sel aussi.
26:42 Donc j'ai perdu 17 kilos au bout d'un mois.
26:46 Mais après, j'ai senti que c'était très dangereux.
26:50 Donc j'ai commencé à faire une sandwich du riz.
26:53 Et l'eau, t'as le droit de boire de l'eau deux, trois fois par jour.
26:58 Et d'aller aux toilettes et faire les douches.
27:02 Ça, c'est un spectacle, comme les animaux.
27:04 Un des problèmes, après le mal qu'on reçoit, c'est les conditions hygiènes.
27:09 Des dizaines dans un lieu trop fermé, à peine on voit la lumière.
27:14 C'était une chambre dans un tunnel.
27:16 Et le fait que les corps se serraient,
27:19 et souvent on est avec des blessures, donc ça impacte des maladies très vite.
27:25 Après, t'as des gens qui perdent leur connaissance.
27:27 Ils deviennent fous, ils ne savent pas où ils sont.
27:31 T'as quelqu'un qui voulait rentrer chez eux, voir ses parents.
27:35 Mais moi, j'ai perdu la connaissance au bout du quatrième jour.
27:40 Je ne comprenais pas où je suis.
27:42 J'ai commencé à voir des canapés.
27:43 Je voyais un genou, une pied, une épaule.
27:46 Je croyais que c'était des canapés.
27:48 C'est très dangereux parce que là, tu vas marcher chez les gens qui sont déjà torturés.
27:53 Et leurs plaies sont encore ouvertes.
27:55 En passant dans les tunnels pour arriver dans les toilettes,
27:59 il y avait des jeunes souvent attachés par leurs mains.
28:01 Les interrogatoires et les scènes de torture.
28:05 Comme tu vois ici dans cette photo,
28:10 les agents, les bourreaux,
28:13 ils avaient des câbles électriques.
28:17 Ils frappaient avec.
28:18 C'était des câbles très durs.
28:19 Le tuyau de plomberie, tu sais comment ils les appelaient les bourreaux ?
28:22 C'était un tuyau en cuivre couvert par une sorte de plastique vert.
28:27 Les bourreaux l'appelaient l'akhdar l'Ibrahimi.
28:29 Parce que la couleur verte, ça veut dire akhdar en arabe.
28:32 Et à l'époque, le monsieur l'akhdar l'Ibrahimi,
28:35 il était envoyé par l'ONU pour discuter avec Bachar Al-Assad
28:40 pour calmer la répression contre les manifestants.
28:44 Alors les bourreaux, ça les faisait rire.
28:47 On va vous redresser avec l'akhdar l'Ibrahimi.
28:50 Ça veut dire avec le bâton de l'ONU.
28:52 Tapis volant, c'est une technique de torture
28:55 avec deux blanches de bois où on sert un prisonnier.
29:00 Ça dure quelques temps.
29:02 C'est très moyen âgeux et bricolé.
29:06 Parce qu'en 2012, ça durait un mois.
29:09 J'étais libéré.
29:11 Ma femme, elle a trouvé le moyen de payer de l'argent.
29:14 Il fallait payer pour sortir ?
29:15 Comme c'est un régime corrompu,
29:17 tu peux payer l'argent pour avoir des informations
29:20 sur la personne qui est incarcérée
29:23 ou pour le transférer ou le libérer.
29:26 L'armée et les services de sécurité,
29:29 leur manière de faire une fortune, c'était ça.
29:32 Les gens craignaient d'être arrêtés pour n'importe quoi,
29:36 juste parce que les policiers vont demander des rançons.
29:39 Il y en a qui ont fait des fortunes
29:42 et la population syrienne a été dévalisée.
29:45 En 2014, ça a coûté mes parents 15 millions de livres.
29:48 Le salaire de ma femme, prof de français,
29:52 c'était 17 000 livres.
29:54 Puisque mes frères sont expatriés,
29:56 il y en a qui travaillent au COET et en France,
29:59 ils ont envoyé de l'argent pour que je sois libéré.
30:01 Après, on est transféré dans une prison de droit commun.
30:06 C'est un peu cru ce que je vais dire
30:07 parce que je ne sais pas trop comment le formuler,
30:08 mais pourquoi ils n'ont pas mis fin à tes jours
30:12 alors qu'ils t'ont accusé de quelque chose
30:14 et que tu ne répondais pas comme ils voulaient ?
30:16 Nous étions des milliers à l'époque en prison.
30:20 Et s'il n'y a pas vraiment des choses
30:24 en relation avec la violence,
30:27 les gens sont libérés.
30:29 On passe devant un juge, il m'a demandé le juge,
30:33 "Est-ce que tu as fait des manifestations ?"
30:34 J'ai dit non, j'étais libéré.
30:36 Mais un mois après, le régime a annulé l'état d'urgence
30:42 suite à la demande de l'ONU.
30:44 Il a instauré quoi ?
30:45 La loi anti-terroriste.
30:47 Ça veut dire que tu es arrêté, tu ne sors pas.
30:49 Quand tu es arrêté, tu es considéré en tant que terroriste.
30:54 Quand j'étais en prison, il y avait des conflits militaires.
30:58 Et deux jours après, on m'a rendu chez mes parents.
31:01 L'armée syrienne du régime
31:03 est rentrée dans le quartier où je vivais.
31:06 Ils se sont vengés contre un accrochage
31:10 qu'il y a eu avec les opposants,
31:11 mais ils se sont vengés contre la population civile.
31:14 Donc le 1er août 2012, on a enterré 59 morts.
31:21 Le régime a pratiqué cette méthode pour vider la population.
31:27 Parce que le fait qu'il y ait eu des manifestations partout,
31:32 la solution pour lui c'était de faire des massacres
31:35 pour que les gens quittent le pays.
31:37 Jusqu'en 2014 ou 2013, le régime syrien a bombardé
31:41 les zones des opposants avec des armes chimiques.
31:45 M. Obama, Barack Obama, qui était président des États-Unis,
31:49 avait mis une ligne rouge à ne pas franchir.
31:52 Il a dit au régime syrien
31:53 "l'utilisation des armes chimiques, c'est une ligne rouge.
31:57 Si vous utilisez des armes chimiques contre les opposants,
32:00 on va intervenir."
32:01 Moi j'ai appris ça par M. Obama,
32:03 comme s'il avait donné l'autorisation à Bashar al-Assad
32:06 d'utiliser les missiles, les chars, les hélicoptères.
32:11 Avec l'aide du régime iranien et les Russes,
32:14 le régime avait souvent des armes,
32:16 il bombardait les quartiers, les quartiers.
32:18 Jusqu'à un jour, on s'est réveillé,
32:20 il bombarde avec des armes chimiques les quartiers.
32:24 Il y a eu un massacre de 1 400 civils
32:28 qui sont morts avec des armes chimiques.
32:30 À l'époque, la France voulait intervenir
32:33 et finir avec l'histoire du régime syrien.
32:36 Les Américains ont hésité.
32:38 Le président François Hollande, à l'époque,
32:40 avait préparé la marine française
32:43 pour intervenir avec les Américains.
32:46 Les Américains se sont dit "non, on ne va pas intervenir".
32:50 Le régime syrien va donner les 2 000 tonnes
32:54 de gaz sarin à l'ONU.
32:56 Et voilà, ils ont laissé le régime syrien
32:59 et il a continué ses massacres.
33:01 C'est le temps où il y a eu la création de Daesh.
33:04 Vous vous êtes senti un peu abandonné ?
33:06 Abandonné.
33:07 En plus, fermer les yeux de l'infiltration des islamistes.
33:13 Jusqu'à un moment où, en 2014,
33:16 les Syriens étaient encerclés entre le régime
33:19 de Bachar al-Assad, soutenu par les Iraniens et les Russes,
33:23 et Daesh.
33:24 Et donc là, vraiment, tu as les vagues de migration
33:28 qui traversaient vers l'Europe.
33:30 Après ce mois d'horreur terrible,
33:33 de torture, de massacres,
33:35 tu as voulu partir du pays, tu as voulu t'enfuir.
33:39 Comment tu te sentais ?
33:39 Je voulais me sauver et d'abord me guérir,
33:43 parce que j'étais très très malade.
33:45 Je voulais vraiment me reposer.
33:46 Et le fait de voir les massacres,
33:48 je suis arrivé dans un état de désespoir.
33:51 Et là, quand tu arrives dans cet état,
33:53 tu ne peux pas être mort et tu ne veux pas être quelqu'un qui tue.
33:58 Tu n'as qu'un seul choix, c'est de jouer.
34:00 Ou de faire le malin pour t'échapper.
34:03 D'être protégé, c'est ce qui m'intéressait le plus.
34:06 Et donc je suis parti vers chez ma grand-mère.
34:08 J'ai repris ma santé,
34:10 j'ai commencé à jouer de la musique à nouveau.
34:13 Je ne sentais plus mes mains,
34:15 j'ai encore des traces ici avec le plastique.
34:17 J'ai commencé à redessiner et d'aller encore à l'université.
34:22 Je n'ai pas voulu partir.
34:24 J'avais mon atelier et je tiens beaucoup à mon atelier.
34:28 Mon atelier, mon appartement,
34:29 c'est dans le banlieue de Damas, à 15 kilomètres.
34:32 Mais quand je suis parti chez ma grand-mère,
34:34 je suis en ville,
34:36 donc je ne suis pas retourné chez moi depuis août 2012.
34:40 C'est là où j'ai vraiment senti qu'on était complètement relâché
34:43 par la communauté internationale.
34:46 Cette période, j'étais encore recherché à nouveau.
34:49 J'ai commencé à me préparer pour traverser les frontières libanaises.
34:54 J'avais deux choix, soit aller vers la Turquie,
34:57 ce que je ne voulais pas parce que c'est très dangereux,
34:59 la route entre Damas et la Turquie.
35:02 Il y a beaucoup de fronts, des accrochages.
35:05 - De vous faire tuer.
35:06 - Oui, de me faire arrêter sur les barrages,
35:09 soit d'aller vers le Liban.
35:11 Vers le Liban, j'ai choisi la route la plus simple,
35:14 c'est de payer de l'argent pour traverser les frontières
35:17 avec quelqu'un du régime.
35:19 Et j'étais trahi en fait.
35:21 J'avais payé de l'argent,
35:22 je croyais que je vais traverser les frontières d'une manière réglo.
35:26 Non, en fait, j'avais mon prénom qui était dans les fichiers sur les frontières.
35:30 Ils m'ont retourné dans le centre 227.
35:33 - Oh non.
35:35 - J'étais avec ma femme et ma fille.
35:36 Ma fille m'a vu en train de me faire arrêter.
35:39 - Elle avait quel âge ?
35:40 - En 2014, elle avait 12 ans.
35:43 Au centre 227, cette fois-ci, on m'a mis dans le rez-de-chaussée.
35:47 Je n'étais pas dans les sous-sols,
35:49 mais je n'avais pas de bandes sur les yeux.
35:51 Donc je voyais, c'était une sorte d'une cellule fabriquée entre deux immeubles.
35:57 Ils ont mis un peu de ciment, un peu de plastique pour arrêter les gens
36:00 parce qu'il y avait énormément de gens.
36:03 Et là, je voyais les interrogatoires.
36:05 Le pire, c'était le moment de transférer les cadavres.
36:09 Là, tu es en septembre 2014.
36:12 Ça veut dire que la guerre et les contestations duraient depuis trois ans et quelques.
36:18 Et dans ce bâtiment, tu as des centaines de milliers de gens qui sont passés.
36:22 Je sentais que la maladie était incrustée dans les murs.
36:25 On n'était pas si nombreux dans la cellule qui fait 10 mètres sur trois et quelques.
36:30 À peu près 160 personnes.
36:33 160 personnes sur 10 mètres trois ?
36:37 Oui, 10 mètres trois.
36:38 Ça existe ?
36:40 Non, mais après, on est arrivé à 200 et quelques.
36:44 Et 10 mètres trois, c'est le petit établi ?
36:45 Non, oui, oui. Tu n'as même pas 30 centimètres pour t'asseoir.
36:49 Donc tu te mets par terre, tu mets tes pieds sur les autres,
36:53 ou on fait le train.
36:54 Le train, ça veut dire qu'on se met et les gens...
36:57 Je m'assois sur eux.
36:59 Et puis, j'ouvre mes jambes.
37:00 L'autre, il s'assoit sur moi.
37:02 Et puis, on fait un train.
37:03 On se met les uns à côté des autres.
37:05 Mais après, c'est la respiration.
37:08 C'est pour cela que les gens mouraient.
37:10 Alors, moi, ce que j'ai remarqué dès que je suis arrivé,
37:12 j'ai vu la quantité des gens qui ont des furoncles.
37:16 Il y a la poule qui sortait.
37:18 Je me suis dit, il faut que je me protège bien.
37:20 Là, j'ai l'expérience. J'étais incarcéré.
37:23 Il faut que je mange bien.
37:24 Il faut que je tienne le plus de temps possible.
37:27 Ma femme trouvera une solution.
37:29 Je croyais à ma femme qu'elle allait trouver une solution pour me sortir.
37:32 Donc, tu avais le WC, les gens qui agonisaient,
37:35 puis les plus malades qui ont des furoncles très graves.
37:39 On sent qu'au bout de quelques jours, ils vont mourir.
37:42 Après, tu as ceux qui sont en bonne santé,
37:44 mais ils sont plus loin.
37:45 Après le repas du soir,
37:48 il y a quelqu'un, un agent, un bourreau,
37:51 qui frappe, qui ouvre la porte.
37:52 Il appelle "quatre nus et un drap".
37:55 Il a appelé "quatre nus et un drap".
37:57 Tu veux dire quoi ?
37:59 Tout de suite, j'ai vu des prisonniers qui ont slip.
38:02 Ils sont sortis.
38:03 Ils ont ramené avec eux un drap, drap militaire.
38:07 Et ils sont partis avec l'agent.
38:09 Ils portaient un cadavre dans le drap.
38:12 Ils ont fait l'aller-retour plusieurs fois.
38:14 Et on était obligés de tourner la tête,
38:17 mais j'ai senti l'odeur des morts.
38:19 Il y avait une odeur.
38:20 Le matin, pareil, ils ont appelé "quatre nus et un drap".
38:24 Et ils ont sorti les cadavres de sous-sol.
38:27 Ils sont partis les déposer dans un camion.
38:30 Au bout de deux jours, j'étais réquisitionné à faire la même chose.
38:34 Il fallait qu'on descende des cadavres d'un camion militaire
38:37 et les entasser au sous-sol.
38:40 Il y avait un travail le matin et le soir.
38:42 Une fois, on a transporté 13 morts.
38:44 Le pire, les cadavres étaient notés, chiffrés.
38:47 La première, j'ai vu, c'était 5535.
38:52 La dernière, je me rappelle, c'était 5874.
38:57 C'est un des chiffres que je me rappelle.
38:59 Ça veut dire qu'il y avait au moins 6000 personnes ?
39:03 Pendant les 70 jours où j'étais,
39:05 il y en avait à peu près 300 et quelques.
39:08 Mais là, il faut comprendre que le rapport de César parle de 11 000.
39:12 Ça veut dire que les chiffres ont commencé à les renouveler.
39:16 Dans ces 70 jours-là, vous étiez dans une cellule avec énormément de détenus.
39:20 Comment ça se passe entre les détenus ?
39:22 Est-ce que dans la prison, avec les 160 détenus,
39:25 je n'ose même pas imaginer à quel point ça doit être irrespirable,
39:29 invivable, inconfortable ?
39:30 Enfin, c'est terrible.
39:32 Vous étiez solidaires entre vous ?
39:34 Est-ce que vous vous parliez ?
39:35 Est-ce que vous avez le droit même de parler ?
39:37 La prison, c'est un monde entier.
39:39 C'est un monde, tu vois, des hiérarchies.
39:42 Tu vois les anciens.
39:44 Tu vois des prisonniers qui sont pro-régime.
39:47 Et tu as des gens qui se regroupent entre eux,
39:50 des fois, ça vient de cette ville, ça vient d'ici.
39:54 Mais normalement, les plus malades, ils sont exclus.
39:59 Donc les gens, s'il y a des problèmes, c'est pour le place.
40:02 C'est avoir de la place.
40:04 Il faut éviter d'être à côté des gens les plus malades.
40:07 Souvent, tu ne peux pas avoir beaucoup de confiance.
40:09 Tu fais quelques amitiés, mais il faut savoir se protéger.
40:13 J'ai fait des amitiés dans cette cellule
40:16 où j'étais avec eux pendant 70 jours.
40:18 Ils étaient transférés dans un autre lieu.
40:21 Je n'ai plus de nouvelles de ces gens-là.
40:23 Je pensais à eux souvent.
40:25 Dans la prison commune, j'ai rencontré des anciens prisonniers
40:30 qui travaillaient dans un journal de gauche,
40:32 incarcérés depuis 20 ans.
40:35 Nous sommes devenus des amis et on garde jusqu'à maintenant nos amitiés
40:39 puisqu'ils étaient libérés un an après ma libération.
40:42 J'ai rencontré Rarid al-Tatari.
40:45 C'est un des plus anciens prisonniers en Syrie.
40:48 Maintenant, c'est sa 43e année.
40:50 Il est encore emprisonné actuellement ?
40:52 Il est encore en prison.
40:53 43 ans ?
40:54 Maintenant, c'est sa 43e année.
40:56 Et qu'est-ce qu'il avait ?
40:57 Rarid était contre le régime,
40:59 mais il était dans l'armée syrienne.
41:03 Il n'a pas suivi les ordres de bombarder une région au Liban.
41:08 Il y avait des émeutes dans cette période.
41:10 L'armée syrienne est intervenue au Liban pendant la guerre civile
41:15 pour bombarder des camps de réfugiés palestiniens.
41:19 Et le fait d'avoir refusé, il était incarcéré jusqu'à maintenant.
41:23 Qu'est-ce qui te manquenait quand tu étais emprisonné ?
41:26 Dans la prison des droits communs, c'est le fait qu'on était nombreux,
41:30 qu'on a passé la même histoire.
41:32 Chacun a sa souffrance.
41:34 Chacun a eu à peu près les mêmes techniques de torture.
41:38 Tous, on a besoin de nos familles.
41:40 Donc on se soutenait.
41:41 Tu trouveras des gens qui te ressemblent un peu.
41:45 Puis le fait de parler ensemble,
41:47 de trouver des petits moments d'échange entre prisonniers.
41:51 Et après, c'est l'espoir.
41:53 Le fait que ma femme, elle passait chaque semaine,
41:56 elle traversait des régions très dangereuses
41:59 où il y avait des combats,
42:00 où elle supportait des conditions difficiles
42:02 pour me juste donner l'espoir.
42:04 Donc après, j'ai commencé à faire des dessins pour les prisonniers
42:09 avec un stylo bille sur un petit carnet.
42:12 Je dessinais les prisonniers,
42:15 je leur faisais des portraits, des cadeaux,
42:17 ou je gardais certains.
42:18 Et puis petit à petit, Rarid, l'ancien prisonnier,
42:22 qu'il était dessinateur aussi,
42:25 il m'a dit "on va travailler pour gagner notre vie en prison".
42:28 Vendre les dessins, c'était pour passer le temps.
42:30 Après, j'ai eu quelques livres par d'autres prisonniers,
42:34 surtout Riyad Olar.
42:36 C'était sa 20e année en prison.
42:38 Il avait gardé certains livres sur la philosophie, sur l'histoire.
42:42 Certainement, il y avait des moments où on pleure.
42:46 On n'a que ça de pleurer entre nous ou tout seul.
42:51 Parce que tu crois que peut-être je serai comme eux.
42:55 Je resterai 20 ans en prison.
42:56 Ça, c'est l'un des pires sentiments.
42:59 De te dire "je reste peut-être 20 ans en prison,
43:02 je sortirai, il y aura ma fille qui aura 32 ans ou 34 ans".
43:08 Parce que j'ai rencontré des prisonniers,
43:10 ça faisait 36 ans qu'il était en prison.
43:12 Au moment de son arrestation, sa femme était enceinte
43:15 et son fils avait 36 ans.
43:17 Au bout de 70 jours, tu as été transféré dans une prison ?
43:22 Dans une prison militaire, ça a duré deux jours.
43:26 Il n'y avait pas de torture, même on avait des draps.
43:28 Donc on pouvait mettre nos os sur un truc un peu souple.
43:33 Il y avait un peu plus de pommes de terre et du sel,
43:36 plus d'eau à boire.
43:38 Et au bout de deux jours, on était transférés
43:41 dans un camion à la prison de droit commun.
43:44 Chacun a passé devant le juge antiterroriste.
43:47 Les questions qu'il m'a posées,
43:49 "Vous avez manifesté ?" J'ai répondu "non".
43:52 "Vous avez filmé des manifestations ?" J'ai dit "non".
43:55 "Est-ce que vous avez critiqué le régime ?" J'ai dit "non".
43:58 Là, il n'était pas content. Il m'a dit "non".
44:00 "Là, vous mentez.
44:01 Je sais que vous essayez de faire le philosophe."
44:04 Ça veut dire que je critique le régime.
44:06 "Mettez votre doigt ici, j'ai fait l'empreinte."
44:09 Et il m'a mis en garde à vue pendant 11 mois et demi.
44:13 - Quoi ? - 11 mois et demi.
44:15 Mais en garde à vue pendant 11 mois et demi ?
44:18 En fait, le régime, ça c'est sa manière.
44:21 Il arrête les gens, le temps de les juger.
44:24 Après, ce qu'il va profiter, c'est les familles.
44:27 Il payait de l'argent pour libérer les siens.
44:29 Comme mon cas, mes parents, ils ont payé 10 millions de livres.
44:33 190 livres syriens égalent un dollar.
44:37 15 millions, c'est 6-7 millions.
44:38 C'est juste pour me faire transférer.
44:40 Mais pour sortir de la Syrie, il fallait mettre la même somme
44:44 pour que je sois autorisé de traverser les frontières à nouveau.
44:47 Le jour où on était présents devant le juge et le ministère de la Justice
44:53 et la télé syrienne qui est venue,
44:56 ils voulaient qu'on salue le président Bashar al-Assad
44:59 parce qu'il était trop gentil avec nous
45:01 et il nous a libérés deux jours avant le Hid, le jour de la fête.
45:06 Donc imagine, on était obligés de saluer Bashar al-Assad.
45:10 Et après, à ma sortie, à la porte, il y avait beaucoup de familles.
45:13 - Vous avez dû le saluer, saluer.
45:17 - Il y a une phrase qui est très connue en Syrie.
45:20 C'est la famille Assad qu'ils ont introduisée.
45:24 C'est "avec le sang, avec notre âme, on sacrifie le président Assad".
45:30 Il faut dire cette phrase.
45:31 Il faut être un bon citoyen syrien.
45:33 - C'est tellement horrible de dire cette phrase.
45:36 C'est tellement à contre-cœur de dire ça.
45:39 - Ça rappelle les nazis.
45:42 Parce que j'ai appris après qu'il y a des officiers nazis.
45:46 Ces gens, ils ont exfiltré l'Allemagne vers les pays de l'Est.
45:50 Ils sont arrivés au Moyen-Orient dans les années 50-60.
45:54 Au l'ouest de Bremen, ils se cachaient entre les pays jusqu'à la Syrie.
45:59 En Syrie, ils étaient recrutés par le régime syrien
46:03 pour former les renseignements généraux.
46:05 Et ils ont appliqué les tortures allemandes.
46:09 Et al-Wesb remar est resté en Syrie jusqu'à sa mort vers 2000.
46:14 Jacques Chirac, pendant sa visite en Syrie chez Hafez Assad en 97,
46:20 il a réclamé que la Syrie file al-Wesb remar pour qu'il soit jugé en Europe.
46:27 Les Syriens, ils ont dit "on ne sait pas cette personne".
46:30 Pourtant, c'est très connu qu'il était en Syrie avec plusieurs officiers nazis.
46:35 - T'es sorti de prison, je pense que, comme tu me le dis,
46:38 cette libération a dû te changer et a dû changer ta perception de la Syrie.
46:43 Est-ce qu'à ce moment-là, tu t'es dit "ok, là, il faut que je m'en aille".
46:46 - J'ai eu peur de repartir.
46:47 Je crains que je sois à nouveau arrêté.
46:49 Mais à cette époque, les bombardements étaient intensifs dans la région.
46:54 Et les Russes préparaient leur entrée.
46:57 Ils intervenaient très fort en Syrie.
46:59 J'ai commencé à perdre l'espoir.
47:01 Et puis, à la fin, l'avocat qui m'a aidé pour sortir, il m'a dit "Naja, si tu es là,
47:09 tu seras à nouveau incarcéré, peut-être mort.
47:13 Et ils vont profiter pour dévaliser ta famille.
47:16 Tu as tes frères qui vivent à l'étranger.
47:18 Ça veut dire que tu es une vache de lait.
47:20 Ils vont t'arrêter à nouveau pour réclamer de l'argent".
47:23 Il a compris que je ne serais pas capable de me taire à nouveau.
47:27 L'avocat m'appelle et me dit "Naja, prépare-toi, demain, il y a une voiture qui va te déposer
47:33 dans l'autre côté des frontières syro-libanaises.
47:36 Ne parle pas dans la voiture parce que c'est un agent du service de renseignement".
47:39 Mais il a touché de l'argent.
47:41 Donc, je suis monté dans la voiture avec ma femme et notre fille.
47:45 J'ai tenu à ramener avec moi quelques dessins en gouache et deux instruments de musique
47:49 pour traverser les frontières parce que je me suis dit "C'est un voyage qui va durer
47:54 très longtemps".
47:55 Et quand j'ai traversé les frontières, c'était vraiment un soulagement.
47:58 Une fois arrivé à Beyrouth, j'ai déposé ma demande de visa auprès de l'ambassade
48:04 française.
48:05 J'ai repris mon stylo, stylo binoir, j'avais un carnet.
48:09 Le dessinateur a appuyé sur le bouton d'imprimer dans mon cerveau et les images sortaient sans
48:15 arrêt.
48:16 J'ai commencé à dessiner les silhouettes des prisonniers qui portaient les cadavres,
48:21 les visages avec le stylo binoir.
48:23 Le stylo binoir, c'est un outil formidable pour un exilé errant en attendant le temps
48:28 qui passe.
48:29 À Beyrouth, il fait très chaud, humide.
48:32 Le stylo, il coule comme le sang.
48:35 Tu n'as pas besoin de le chauffer.
48:37 Et moi, je passais le matin, l'après-midi à dessiner.
48:41 On passait à l'ambassade.
48:42 Le 12 novembre, j'ai présenté mes papiers, j'ai mis les empreintes avec ma femme et
48:47 ma fille.
48:48 Le 13 novembre, j'étais à la télé avec un ami français à Beyrouth.
48:51 Et puis, on lisait « attentats dans les quartiers de Tell à Paris ». C'était les attentats
48:58 du 13 novembre 2015.
49:01 Déjà, quand j'étais en prison, j'ai entendu le Charlie Hebdo.
49:05 Et c'est après que j'ai compris qu'il y a 15 dessinateurs qui sont morts, qui ont
49:10 bu les autres.
49:11 Mais celle du 15 novembre, c'est triste que j'ai pensé à moi avant de penser aux
49:16 autres, aux morts qui sont… C'était un carnage.
49:19 J'ai passé la nuit à écouter les infos.
49:21 Et quand j'ai entendu que les frontières françaises sont fermées, je vais rester au
49:25 Liban.
49:26 Le Liban, c'est dangereux pour moi.
49:28 Il y a les miliciens du Hezbollah, il y a des forces du régime syrien.
49:32 Heureusement, un mois après, j'ai été convoqué par l'ambassade pour avoir le visa.
49:38 Donc, je suis rentré.
49:39 J'ai atterri à Frontenay-le-Comte, chez mon frère, dans le Vendée, au bout de la
49:43 nature.
49:44 Et là-bas, j'ai continué mes dessins pour témoigner ce que j'ai vécu en Syrie, dans
49:49 les prisons.
49:50 C'est hyper inspirant de voir autant de détermination et d'envie d'y arriver,
49:55 de s'en sortir et d'être heureux, en fait.
49:58 Et aujourd'hui, pourquoi tu voulais aussi en parler publiquement ?
50:01 Publiquement, parce que Bachar Al-Assad est toujours au pouvoir.
50:06 Ça fait bientôt huit ans que je suis en France.
50:09 On souffre du fait qu'on ait hésité à intervenir en Syrie pour enlever Bachar Al-Assad.
50:15 Je parle franchement, peut-être qu'il y a des gens d'extrême-gauche qui disent
50:19 « oui, t'es pro-américain ». Non, je ne suis pas pro-américain.
50:22 Là, on paye ce monstre qui s'appelle Vladimir Poutine, qui est rentré au Moyen-Orient
50:32 pour protéger Bachar Al-Assad et qui a mis les pieds dans les culs de tous les Européens.
50:37 Ça me donne envie de parler et de témoigner et de dire à nouveau l'erreur
50:43 et les erreurs qu'on a commises.
50:44 Peut-être nous, Syriens, en tant qu'opposants, les Européens avec leur hésitation.
50:49 J'ai toujours envie de parler pour que dans les médias,
50:54 le régime syrien, en tant qu'il y a toujours des gens qui le critiquent.
50:58 J'ai peur qu'il y ait une normalisation de ce régime, parce que là, on voit,
51:03 surtout après le dernier siéisme, en Turquie et en Syrie,
51:07 les gens disaient que ça a touché les Turcs et les opposants syriens
51:11 qui sont dans le nord de la Syrie.
51:13 Il y a des gens qui disent que même Dieu il est, même la terre,
51:17 elle joue du côté de Bachar Al-Assad.
51:19 La Syrie, elle est détruite carrément.
51:21 Il y a 4 millions de réfugiés syriens qui sont quittés de leur maison
51:25 pour ne pas rester sous Bachar Al-Assad.
51:28 Ils vivaient dans des camps de réfugiés et dans des maisons, des bidonvilles.
51:33 Et toute cette région a été touchée par le dernier siéisme.
51:36 Et quand on a vu Bachar Al-Assad sortir, il était très heureux.
51:40 Il voyait que même le siéisme, il était de son côté.
51:44 Et pour cela, il y a des pays arabes qui essaient de normaliser
51:49 et de rétablir Bachar Al-Assad dans la communauté internationale.
51:55 Il profite avec cette situation, l'Occident qui est en conflit,
52:00 en Ukraine avec Poutine, Poutine qui est appuyé par Bachar Al-Assad,
52:05 qui traite les Ukrainiens de Nazis.
52:10 Oui, ça fait l'âge.
52:12 Donc j'ai tellement envie toujours de parler, de dessiner.
52:16 Les gens et le monde ont besoin de t'entendre, d'écouter ton histoire.
52:22 Parce que ton histoire, c'est la tienne, mais c'est aussi celle de milliers de Syriens.
52:28 Et c'est très respectable en tout cas.
52:30 Et j'adore tes dessins aussi.
52:33 Merci.
52:34 Et ce qui est encore particulier, et quand je dis "urgent" avec ton histoire,
52:38 c'est que c'est actuel encore.
52:40 C'est qu'on ne parle pas d'une guerre d'il y a un siècle.
52:44 On parle de quelque chose que des gens en souffrent actuellement,
52:48 sont emprisonnés encore maintenant.
52:50 J'espère que beaucoup de gens verront cette interview.
52:52 J'espère que les gens la partageront.
52:54 J'espère qu'il y aura du beau autour de soi, parce que moi, j'ai 19 ans,
52:59 je suis très connectée sur les réseaux sociaux.
53:01 Je ne savais pas.
53:01 Je ne savais pas et je pense que les gens qui me regardent là,
53:04 qui sont derrière les caméras, ne savent pas.
53:06 En tout cas, on ne le sait pas de cette manière-là.
53:08 Un des devoirs des tyrans et des dictateurs,
53:11 c'est d'instaurer l'amnésie dans les populations,
53:14 qu'ils oublient leurs crimes et qu'ils laissent tomber.
53:18 On n'oubliera pas, non. On n'oubliera jamais.
53:20 Merci.
53:21 Merci à toi.