Lors d’une visite du chantier, Sophia, professeur de philosophie embourgeoisée, et Sylvain, charpentier qui retape son chalet, couchent ensemble. Un écart, se dit-elle. Mais le moment d’égarement se répète et l’attirance devient manque. Cette comédie sentimentale franco-canadienne réalisée par Monia Chokri, avec Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal, pose une question centrale : le transfuge de classe existe-t-il dans le couple ?
A l'occasion de notre avant-première organisée au Silencio des Prés, la cinéaste a répondu aux questions de Jérôme Garcin, chef du service Culture de « l’Obs ».
Retrouvez toute l’actualité, les reportages, les enquêtes, les opinions et les débats de "l’Obs" sur notre site : https://www.nouvelobs.com/
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Court métrageTranscription
00:00 Le couple, c'est un système, comme la famille,
00:02 un système politique, qui est encore inégalitaire.
00:04 ...
00:10 -Monia Chokri, bonsoir.
00:11 Je suis ravi de vous rencontrer à l'occasion de la sortie
00:15 de "Simple comme Sylvain", un film qu'on adore.
00:18 Qu'est-ce qui fait qu'un jour, une comédienne comme vous,
00:21 comédienne de Xavier Dolan et du dernier film, et premier,
00:25 de Charlotte Lebon, passe à la réalisation ?
00:28 C'est votre troisième film, troisième long métrage.
00:31 -C'est par l'écriture que c'est arrivé.
00:33 J'ai été obsédée, fan de cinéma, depuis toujours.
00:36 Même quand j'ai fait le conservatoire
00:38 dans la dramatique comme actrice,
00:40 mon envie était cinématographique,
00:43 plus que d'aller faire du théâtre.
00:45 J'avais l'impression que je pouvais m'exprimer
00:47 par le biais du jeu,
00:49 qui était, pour moi, plus simple que d'imaginer
00:51 que j'allais réaliser.
00:53 J'avais pas les capacités dans ma tête.
00:55 C'est venu par l'écriture.
00:57 En sortant du conservatoire,
00:58 je me suis mise à écrire des choses.
01:00 À un moment donné, au contact de Xavier,
01:02 de voir comment il travaillait sa démarche,
01:05 j'ai eu envie d'écrire.
01:07 J'ai commencé à écrire un long métrage
01:09 en disant que je l'allais donner à un réalisateur.
01:12 Plus je l'écrivais, plus je voyais les images.
01:15 C'est la rencontre de Nancy Grant,
01:17 ma productrice, celle de Xavier Dolan aussi,
01:19 qui m'a dit "Pourquoi tu t'écris un court métrage ?
01:22 "Faut voir si t'as les reins solides."
01:24 J'ai fait quelqu'un d'extraordinaire.
01:26 "The rest is a story" pour parler un bon français.
01:29 -"Simple comme Sylvain"
01:31 part de ce qu'on appelle tout bêtement un adultère,
01:34 mais avec des figures un peu archétypales
01:37 qui pourraient être caricaturales.
01:40 La prof de philo
01:41 dans une fac du 3e âge
01:44 qui rencontre le charpentier
01:46 qui retape sa maison de campagne,
01:48 qui n'est pas très philosophe,
01:51 au sens classique du terme,
01:52 et qui préfère Michel Sardou,
01:54 hors de cette rencontre-là,
01:57 vous faites quelque chose qui est totalement original.
02:01 Comme si vous repoussiez tous les clichés.
02:03 C'est quoi, votre secret, dans ce film ?
02:06 -Le secret, c'est de partir des clichés pour les déconstruire.
02:10 "Simple comme Sylvain", je voulais écrire une histoire simple.
02:13 C'est A + B = C.
02:14 L'histoire, finalement, la trame narrative,
02:17 est assez simple, mais à l'intérieur de cette trame-là,
02:20 c'est comment on peut déconstruire ce qu'on a dans la tête.
02:23 Le personnage de Sylvain, finalement,
02:25 oui, est une figure de virilité,
02:28 manuelle, tout ça,
02:30 mais c'est un homme qui est, par exemple,
02:33 émotionnellement disponible.
02:36 Ce qui est assez rare dans les comédies romantiques.
02:39 On a des personnages d'hommes torturés,
02:41 qui ne sont pas ouverts à l'amour.
02:43 Les femmes doivent les convaincre de cet appel de l'amour.
02:46 Ça fait partie de la déconstruction de clichés.
02:49 Ce qui m'intéresse, c'est de prendre les clichés
02:52 et de les triturer.
02:53 -Et sur le fond, vous croyez que culturellement
02:56 et socialement,
02:57 aimer quelqu'un d'aussi différent,
02:59 surtout on ne raconte pas la fin du film,
03:01 est possible ou pas ?
03:03 -Alors, aimer, oui.
03:05 Je pense qu'on peut aimer toutes sortes de gens.
03:08 Le problème vient plus du système du couple,
03:11 qui est un système politique, économique, familial, social,
03:14 et qui a longtemps eu rien à voir avec l'amour.
03:17 Il y a eu des alliances de famille, des partages de richesses.
03:20 L'amour s'est intégré dans les années 60-70.
03:23 On a inventé le divorce, par ailleurs.
03:25 Et en fait, on essaie d'intégrer
03:29 ce sentiment-là, l'amour,
03:30 qui est un sentiment volatil, anarchiste,
03:33 à un système codifié.
03:35 Un couple, pour que ça marche,
03:37 il faut que ce soit adoubé par son environnement.
03:40 Les statistiques sont claires sur le fait
03:42 que c'est une majorité écrasante de gens
03:45 qui ne font pas de transfuges de classe,
03:47 qui restent dans leur classe sociale.
03:49 Le couple, c'est un système politique,
03:51 qui est encore un système inégalitaire.
03:54 -A vous, qui vivez à cheval
03:56 entre le Québec et la France,
03:58 les relations amoureuses vous semblent différentes
04:02 entre un pays et l'autre ?
04:05 -Oui, c'est différent, parce que les hommes québécois
04:08 sont un peu plus déconstruits dans leur masculinité.
04:11 Ils acceptent plus aisément...
04:13 -Je savais que vous alliez m'attaquer.
04:15 -En lien avec leurs émotions.
04:18 Les femmes québécoises sont plus affirmées aussi.
04:21 D'ailleurs, une femme québécoise avec un homme français,
04:24 ça fait souvent des explosions de valeurs,
04:28 parce qu'on a une certaine force, disons.
04:32 Et donc, je pense qu'il y a encore en France
04:36 certaines manières de concevoir les relations de couple
04:40 ou les relations hommes-femmes,
04:42 comme dans les couples hétéronormés,
04:44 où il y a un déséquilibre.
04:45 Mais ça vient aussi d'une société hiérarchisée.
04:48 Tout ça est lié à la domination.
04:50 Et dans la domination, il y a aussi les relations intimes,
04:53 donc celles des hommes-femmes dans les couples hétéros.
04:56 Et je pense que c'est lié à ce rapport de hiérarchisation
04:59 du pouvoir, en fait.
05:00 -Vous avez fait un choix qui est très marqué
05:03 et, à mon avis, très réussi.
05:05 C'est cette image très "seventies".
05:07 C'est quoi, la raison ?
05:09 -C'est un mélange de mes choix techniques,
05:12 c'est-à-dire d'utiliser le zoom,
05:14 d'utiliser le mouvement de dolly, en fait.
05:16 Donc, il n'y a pas d'épaule, par exemple.
05:19 Il n'y a pas un style qu'on voit plus contemporain.
05:21 J'ai beaucoup étudié le cinéma de Robert Altman.
05:24 J'avais envie d'une rondeur dans le film,
05:26 d'une sensualité, d'une caméra qui bouge tout le temps,
05:29 mais avec longueur.
05:31 Et puis, c'est aussi les codes, les codes couleurs,
05:33 qui sont des codes qui rappellent aussi les années 70,
05:36 qui sont plus uniformes que les codes couleurs
05:39 de stimulation oculaire.
05:41 Donc, il y a un peu un mélange de ça,
05:43 un peu d'inconscient,
05:44 puis aussi l'envie, par moment, d'utiliser des codes,
05:47 donc ceux du film romantique des années 70,
05:50 qui était très premier degré, très fleur bleue,
05:52 en se disant, on va rentrer...
05:54 Même la musique, Démile Sornin, mon compositeur,
05:56 on va rentrer dans un univers,
05:58 et le spectateur, c'est tout de suite
06:00 qui rentre dans un film romantique,
06:02 fleur bleue, premier degré,
06:03 puis après ça, je détourne encore une fois les codes
06:05 pour raconter une histoire contemporaine
06:08 de ce qui se faisait dans l'amour des années 70, disons.
06:11 -Dernière question, c'est vraiment l'héroïne,
06:14 Magali Lépine Blandeau,
06:16 dont vous dites qu'elle est votre meilleure amie.
06:19 Est-ce qu'elle est aussi l'actrice que vous souhaitiez avoir
06:22 dans ce rôle-là, dans ce film-là ?
06:24 -Moi, j'écris jamais pour des acteurs,
06:26 mais c'est vrai que ça a été comme une évidence
06:28 qu'elle pouvait incarner ce rôle,
06:30 d'abord parce qu'elle m'accompagne créativement,
06:32 parce qu'elle porte les mêmes préoccupations que moi,
06:35 et ces sujets-là qui sont dans le film,
06:37 on les a échangés ensemble.
06:40 C'est quelqu'un qui m'accompagne dans ma création
06:42 parce que c'est une de mes premières lectrices,
06:45 et en fait, elle a ce corps et cette beauté
06:47 d'une héroïne romantique,
06:49 mais elle a l'intelligence et la fougue
06:51 et la profondeur d'une prof de philo.
06:53 Donc, je vous disais, c'était l'actrice parfaite
06:56 pour incarner ce rôle.
06:57 -Donc, elle reste votre meilleure amie.
07:00 Je souhaite, Monia Chokri, un plein succès à votre film,
07:03 et à ce "Simple comme Sylvain" qui, à mon avis,
07:06 va décoiffer le pays d'Alfred de Musset
07:08 et d'Emmanuel Mouret. Merci beaucoup.
07:11 -Le pays des intrigantes.
07:12 -Merci beaucoup, Monia. -Merci.
07:15 *Silence précaire.*