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Dans le film “la Syndicaliste” de Jean-Paul Salomé en salle le 1er mars, Isabelle Huppert incarne Maureen Kearney, ex-salariée d’Areva condamnée pour avoir mis en scène son viol en 2012, puis relaxée. Les auteurs de cette agression n’ont jamais été retrouvés, ni même recherchés par la justice. Entretien croisé entre Caroline Michel, grand reporter à "l'Obs" dont le scénario du film est adapté de son enquête, et Maureen Kearney, la véritable syndicaliste d'Areva.

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Transcription
00:00 Il y a de nouveau des pressions, mais depuis la sortie du film.
00:04 Maureen Kernay était pour moi un contact professionnel.
00:29 C'est quelqu'un que je voyais dans le cadre de mes enquêtes à l'Obs.
00:33 À l'époque, je m'occupais des sujets d'énergie.
00:35 Et donc, je voyais Maureen, qui était syndicaliste CFDT,
00:40 secrétaire du comité de groupe européen d'Areva,
00:43 comme je voyais d'autres syndicalistes.
00:45 Donc, la première fois, je ne m'en souviens pas.
00:48 En revanche, je me souviens très bien
00:50 de la dernière fois où je t'ai vue avant l'agression.
00:53 C'était au Café Bourbon, l'automne 2012.
00:57 Et tu avais tout un dossier de documents
01:00 que tu allais remettre aux parlementaires.
01:02 Tu avais envoyé plein de lettres.
01:04 Et voilà, tu rameutais tout le monde sur la situation d'Areva.
01:09 Et tu avais rendez-vous avec plein de parlementaires.
01:12 Raison pour laquelle tu m'avais donné rendez-vous
01:14 en face de l'Assemblée nationale.
01:16 D'accord.
01:17 Dans la mesure où je connaissais Maureen Kernay,
01:23 par ailleurs, moi aussi, je travaillais sur les sujets d'Areva et d'EDF,
01:27 j'ai tout de suite été informée, alertée
01:29 de ce qui venait de se passer en décembre 2012,
01:33 du fait que Maureen avait été retrouvée agressée chez elle.
01:37 Je lui ai d'ailleurs tout de suite envoyé un message
01:40 auquel tu n'as pas répondu
01:41 parce que tu avais d'autres choses à faire, évidemment.
01:43 Et on est resté en contact tout le temps,
01:47 jusqu'au premier procès,
01:49 à des moments où tu n'avais pas forcément envie
01:53 de voir des journalistes,
01:54 mais on s'est vus quand même deux fois.
01:56 Est-ce que tu t'en souviens ?
01:57 Je me rappelle.
01:58 Je me rappelle que tu es venue à la maison avec quelqu'un.
02:00 Oui, avec une journaliste de l'Obs.
02:02 D'accord.
02:03 Marie-Françaie Tchégoin.
02:05 Oui.
02:06 Je ne me rappelle pas du tout de contenu.
02:08 Et je me rappelle une deuxième fois où je t'ai vue,
02:11 où je suis allée à la maison des femmes
02:14 en cherchant du soutien, un compte-parole ou quelque chose.
02:18 Et il y avait une liste d'attente de 100 personnes.
02:21 Et on t'a retrouvée avec Véro dans un café.
02:24 Mais je ne me rappelle pas du contenu non plus.
02:26 Alors c'était, je pense, après la gare d'Avue,
02:29 où tu avais fait des aveux.
02:32 Voilà, tu me disais, mais on m'a poussée à faire des aveux.
02:35 J'ai vraiment été agressée.
02:37 Je ne sais plus quoi faire.
02:38 Oui, oui.
02:39 Je n'ai pas de souvenir.
02:40 Tu n'as pas de souvenir de ça.
02:41 Et en fait, c'est juste après ce rendez-vous
02:44 que tu changes d'avocat, finalement.
02:46 D'accord.
02:47 Parce que tu me dis, mon avocat ne me croit pas.
02:49 Oui, oui.
02:50 C'est quand même un problème.
02:51 Oui, oui, tout à fait.
02:52 Le moment où je décide d'écrire vraiment l'enquête
02:59 et de reprendre l'enquête à zéro,
03:01 c'est pendant le premier procès en correctionnel,
03:05 celui de 2017, que j'ai très, très mal vécu.
03:08 Je n'avais pas l'impression que c'était fait correctement.
03:11 Et je t'avais vue extrêmement en souffrance.
03:13 Et c'est vrai, quand on te connaissait, on voyait que tu étais en souffrance.
03:15 Quand je suis sortie de ce procès qui n'en était pas un,
03:19 à mes yeux, on s'est vus et on a reparlé de nombreuses fois de ce moment.
03:24 Puisque ce que j'avais dit à Maureen, c'est "je vais reprendre l'enquête à zéro".
03:28 Mais je n'avais pas fait de promesses.
03:29 Ça, je l'ai réalisé...
03:31 D'abord, on se vouvoyait, on s'est vouvoyés jusqu'à la sortie du livre.
03:35 Oui, tout à fait.
03:36 Donc jusqu'en 2019.
03:37 Et souvent, on me pose la question, on me dit "est-ce que vous aviez des doutes ?"
03:41 Et je réponds toujours la même chose.
03:43 Si je n'avais pas de doutes, je ne serais pas journaliste.
03:46 On ne part pas dans une enquête en ayant des convictions.
03:50 Sinon, on n'enquête pas, on fait des témoignages ou du militantisme.
03:53 Mais malgré tout, tu m'as fait confiance.
03:56 Tout à fait.
03:57 Et un jour, je t'ai demandé pourquoi tu avais fait cette confiance,
04:00 alors que je ne t'avais rien promis.
04:01 Moi, j'ai toujours senti chez toi une écoute, une bienveillance.
04:07 Tu n'as jamais dit "je te crois" et tu me dis que c'était normal que tu aies des doutes.
04:13 Mais tu m'as fait passer un message presque sublimement,
04:19 que tu me croyais.
04:22 Tu n'avais rien à cacher.
04:23 Voilà.
04:25 On aurait trouvé quoi ?
04:26 Que j'aurais trop bu une soirée,
04:28 que j'aurais fumé en jouant il y a 20 ans, ce genre de choses, oui.
04:33 Mais je ne voyais pas ce que j'aurais pu trouver de pas normal
04:38 que j'aurais fait dans ma vie.
04:40 Donc finalement, la confiance, c'est aussi que toi, tu étais sereine par rapport à...
04:44 Moi, j'avais entièrement confiance en toi. Entièrement.
04:47 Et cette confiance, ça venait de mon intuition.
04:51 Et ça, je fais à mon intuition.
04:54 Voilà.
04:55 Aujourd'hui, ça va.
05:00 La première fois que j'ai vu le film, j'étais très impactée.
05:03 Je suis sortie au milieu, je suis revenue,
05:07 je n'ai pas dormi pendant 15 jours.
05:09 Parce que c'est voir six ans de sa vie condensée en deux heures
05:14 et se rendre compte de ce que nous avons tous vécu.
05:18 L'intimidation, la perversion du système,
05:22 le harcèlement juridique, tout.
05:27 Et je me dis, on a vécu tout ça,
05:29 mais on est tous encore là, aujourd'hui.
05:31 Je me suis là, réellement rendue compte de la violence,
05:35 de tout ce que j'avais vécu,
05:37 parce que c'était vécu sur six ans.
05:40 Et là, c'était... -Sur deux heures.
05:43 -Et donc, de voir visuellement,
05:45 du coup, j'ai aussi compris ce qui a pu se passer
05:50 dans la tête de ma famille, de mes amis, de toi, de la CFDT.
05:55 Et c'est épouvantable aussi pour eux.
05:58 Passons au mois.
06:03 -Il y a de nouveaux dépressions,
06:05 mais depuis la sortie du film, en fait.
06:08 Il y a de nouveau des mails, des appels téléphoniques.
06:12 Et moi, en septembre, j'ai déposé une plainte pour appel malveillant,
06:16 parce que j'avais reçu des appels malveillants.
06:18 Je ne voulais pas que ça reste là et que...
06:21 Je voulais que ça cesse.
06:22 Donc, on sent des pressions.
06:24 Après, il y a une part qui est normale, évidemment,
06:26 parce qu'on vient soulever ce qui est une affaire d'État,
06:29 ce qui est un scandale d'État,
06:31 ce qui a mis en cause aujourd'hui et hier
06:37 des gens qui étaient des hommes politiques,
06:39 des chefs d'entreprise, des grandes entreprises publiques,
06:42 des intérêts vraiment nucléaires,
06:45 donc des choses qui remuent.
06:46 Donc, c'est normal qu'il y ait des pressions.
06:48 Après, il faut quand même souligner que la France, c'est une démocratie.
06:51 Donc, ce film existe.
06:53 Il a été financé.
06:55 Un grand réalisateur a décidé de le faire.
06:57 Un casting complètement dingue a adhéré
07:01 puisqu'il y a Isabelle Huppert, Marina Feuil, Sylvain Attal,
07:04 voilà, aussi adhéré à l'histoire
07:05 et eu envie de porter l'histoire de Maureen Körner.
07:08 Donc, c'est un film qui se fait,
07:11 mais c'est un film qui se fait
07:13 dans un moment de vigilance et de pression,
07:17 mais il va sortir, donc tout va bien.
07:20 ...

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