Dans son livre Les Réseaux secrets de la police, le journaliste d’investigation Frédéric Ploquin raconte les liaisons dangereuses – mais aussi vertueuses – entre police et franc-maçonnerie. Un ouvrage explosif.
Le magazine Marianne est en kiosques chaque jeudi et disponible en ligne.
"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti". Albert Camus
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00:00 On reçoit dans Marianne TV aujourd'hui un journaliste d'investigation, spécialiste
00:07 de la police, auteur de nombreux livres sur le grand banditisme et les affaires criminelles
00:12 de ces 40 dernières années, Frédéric Ploquin, bonjour.
00:15 Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:19 Vous publiez "Les réseaux secrets de la police, loge, influence et corruption", c'est aux
00:25 éditions du Nouveau Monde, une histoire jamais écrite, celle du ministère de l'Intérieur
00:31 à travers ses réseaux secrets, ses clans, ses officines, ses puissants syndicats, mais
00:36 aussi et surtout ceux de la franc-maçonnerie.
00:39 Un livre extrêmement bien informé, qui regorge de révélations, de nombreux policiers, responsables
00:46 policiers s'expriment pour la première fois à ce sujet.
00:48 On apprend par exemple que quasiment tous les ministres de l'Intérieur ont été franc-maçons
00:53 sous la Ve République, on apprend aussi que c'est presque un passage obligé à quiconque
00:59 veut atteindre un poste de prestige au sein de la maison police.
01:02 Vous racontez les dérives de certains policiers franc-maçons, mais aussi ce que les valeurs
01:07 maçonniques ont pu apporter à la police.
01:09 Comment vous en êtes arrivé, Frédéric Ploquin, à cette idée folle de raconter la police
01:15 à travers les loges maçonniques ?
01:16 C'est le fruit de 40 ans d'observation, de filature et de surveillance que j'exerce
01:22 à l'encontre de la police.
01:23 Je les surveille depuis 40 ans, ça fait 40 ans que je suis spécialisé sur cette question
01:28 pour différents journaux, dont Marianne, il faut le rappeler.
01:31 Vous avez été collaborateur à Marianne pendant très longtemps.
01:34 J'ai été collaborateur à Marianne pendant 10 ans.
01:35 Et je pense que l'un des cœurs, on va dire, l'un des ressorts démocratiques du journalisme,
01:42 c'est précisément d'aller surveiller, entre guillemets, les institutions fermées
01:46 de la police d'une manière générale.
01:48 C'est vraiment l'institution par excellence fermée sur l'extérieur qui mérite qu'on
01:54 y mette un peu de transparence.
01:55 Ça fait 40 ans que je les écoute, 40 ans que je prends des notes, 40 ans que je crée
01:59 mon propre réseau, on va dire, dans la police.
02:01 Et tout d'un coup, j'ai effectivement, je me suis rendu compte que j'avais les moyens,
02:05 en m'appuyant sur toutes ces notes à accumuler, sur toutes les personnes rencontrées depuis
02:10 40 ans, de vraiment raconter de l'intérieur la manière, tous les ressorts intimes et
02:15 secrets de cette institution policière.
02:17 Pourquoi est-ce que la police fonctionne en réseau ? C'est assez simple à expliquer,
02:23 c'est une institution un peu coupée de la société.
02:25 Les politiques ont toujours, ont plutôt généralement souhaité une institution coupée de la société
02:32 pour mieux la contrôler d'ailleurs.
02:33 C'est une institution coupée du reste du monde, c'est une institution en danger.
02:37 Le policier, en général, de plus en plus d'ailleurs aujourd'hui, est un être socialement
02:43 isolé.
02:44 Et donc il va chercher à s'appuyer, il va chercher des cordées, il va chercher une
02:48 écurie, il va chercher finalement une manière aussi de sociabilisation.
02:54 Et ça, c'est l'atout majeur pour le flic des loges francs-maçons, c'est qu'il peut
03:02 y être en tant que flic, sans finalement faire l'objet de la vindicte, d'une vindicte
03:06 quelconque, sans être tout de suite...
03:08 Vous savez qu'aujourd'hui, beaucoup de gens se targuent de détester la police.
03:11 Donc plus vous avez des personnes extérieures qui détestent la police, plus les policiers
03:14 ont besoin de s'entraider et de se protéger.
03:17 Vous savez aussi que quand il y a une échéance politique importante et qu'il y a un changement
03:22 de majorité, quand vous êtes patron dans la police, vous risquez de vous retrouver
03:25 dans un placard, dans un trou, c'est ça la tradition.
03:27 Donc pour éviter le placard, pour éviter le blackout, pour éviter d'être socialement
03:32 trop isolé, vous vous raccrochez.
03:33 Si vous êtes Corse, vous avez une bande de policiers Corse, si vous êtes Auvergnat,
03:38 vous les retrouvez une fois par mois au restaurant, si vous êtes de la PJ, vous rentrez dans
03:43 une association de pégistes et puis vous essayez de participer aussi à des agrèpes
03:47 régulières.
03:48 Et finalement, la seule chose transversale dans tout ça, c'est la franc-maçonnerie.
03:52 Parce que la franc-maçonnerie permet à des gens de tous les galons qu'ils soient très
03:57 haut placés.
03:58 Et c'est ça qui est intéressant d'ailleurs.
03:59 C'est que dans les loges franc-maçonnes, vous pouvez avoir un brassage, un préfet
04:02 et un brigadier chef.
04:03 Et peut-être même, ce qui est absolument incroyable, le brigadier chef ayant une position
04:08 supérieure à celui du chef, il est supérieur dans le policier.
04:11 Il est le contrôlant au sein de...
04:13 Donc voilà, le policier trouve dans les loges franc-maçonnes, quelque part, cette hiérarchie
04:18 qu'il aime et qu'il apprécie.
04:19 Et puis il se fait des amis, il se fait des alliés et finalement il œuvre pour sa propre
04:25 carrière aussi.
04:26 Et comment se fait-il que ça soit devenu un passage obligé pour atteindre les hautes
04:30 sphères de l'hiérarchie policière, pour atteindre le poste de dirigeant de syndicats
04:34 de police par exemple ? Qu'est-ce qui fait qu'il y a eu cette transformation ?
04:39 Mais longtemps, quand vous étiez commissaire de police, il fallait avoir, pour faire une
04:46 bonne carrière, il fallait avoir dans la poche une carte d'adhérent au syndicat majoritaire,
04:50 qu'on appelait le STROMF, le syndicat des commissaires.
04:52 Il fallait avoir, pourquoi pas, même absolument une carte de membre du Parti Gaulliste, parce
05:00 que la droite a dominé longtemps cette institution, il fallait avoir sa carte au parti de droite.
05:07 Et il fallait, si possible, être dans la franc-maçonnerie, mais pas, attention parce
05:12 qu'il y a plusieurs obédiences dans la franc-maçonnerie.
05:15 Il y en a une qui est plutôt, on va dire progressiste, et qui défend, qui est attachée aux valeurs
05:19 de la laïcité et de la République, c'est le Grand Orient, qui est majoritaire de ce
05:23 côté-là.
05:24 Et de l'autre côté, on a une obédience majoritaire qui s'appelle la GLNF, la Grande
05:29 Loge Nationale de France, qui elle, fédère plutôt les conservateurs et plus élitistes.
05:33 Et c'est là où la hiérarchie, où les hiérarches de la police allaient traditionnellement.
05:37 Et s'ils n'y étaient pas, ils pouvaient peut-être être défendus un jour par le
05:43 syndicat.
05:44 Mais je veux dire, vous savez que la tambouille des promotions au ministre de l'Intérieur,
05:48 elle se passe souvent entre le ministre, les syndicats, le cabinet du ministre, etc.
05:52 Et si vous avez plusieurs relais, c'est-à-dire que vous êtes à la fois franc-mac, membre
05:57 du parti et adhérent au syndicat, vous avez quand même plus de chance d'avoir le poste
06:04 que vous souhaitez.
06:05 Donc en fait, c'est presque une obsession chez les chefs de la police, c'est d'avoir
06:09 toutes les cartes, d'avoir tous les réseaux.
06:11 Et il y a quand même un ancien directeur général de la police qui dit dans le bouquin
06:15 "si vous n'avez pas de réseau dans la police, vous n'êtes rien".
06:19 C'est énorme.
06:20 Effectivement, là, vous pointez du doigt peut-être une certaine dérive déjà, par
06:24 exemple que certains l'utilisent pour l'avancement, pour les intérêts privés, pour leur carrière.
06:29 Est-ce que c'est comme ça que les policiers voient la franc-maçonnerie ? Comme un accélérateur
06:32 de carrière ?
06:33 Il y a deux choses.
06:34 Il ne faut pas être juste.
06:38 Moi, dans ce livre, je ne tape pas seulement sur les francs-maçons, mais d'abord je montre
06:42 les avantages.
06:43 Et les avantages, c'est vrai que pour moi, aujourd'hui, la franc-maçonnerie est un
06:48 refuge des valeurs républicaines et elle a peut-être permis jusqu'à aujourd'hui
06:54 d'éviter une trop forte radicalisation au sein de la police et notamment certaines
06:59 dérives vers l'extrême droite.
07:01 Pourquoi ? Parce qu'elle défend précisément des valeurs républicaines et qu'elle y
07:05 est très attachée et que le policier qui fréquente ses loges régulièrement discute
07:10 autour de ces thèmes, réfléchit à la place du policier dans la société.
07:14 Donc ça, c'est plutôt bien.
07:15 Mais à côté de ça, et notamment au sein de la GLNF, on l'a vu, à côté de ça,
07:20 c'est la porte ouverte évidemment à des dérives.
07:23 Parce qu'imaginez que vous êtes un commissaire de police dans une petite ville de province
07:27 et que vous avez au sein de votre loge, relativement élitiste, un haut magistrat, pourquoi pas
07:35 plusieurs notables, le médecin, les avocats.
07:38 Imaginez que les réunions de loge, c'est d'abord effectivement où on planche sur
07:45 des sujets très sérieux et puis après, systématiquement, il y a la tradition de
07:48 ce qu'on appelle les agapes.
07:49 Non seulement on mange, on mange bien, on essaie de bien manger, mais on se lâche,
07:52 on discute.
07:53 Et si vous êtes un homme d'affaires, vous avez peut-être des ennuis avec la justice
07:57 et que tout d'un coup vous avez le commissaire, le juge, l'avocat à la même table, c'est
08:01 assez tentant d'aller chercher peut-être la petite info, le petit arrangement.
08:05 Et c'est ça qui se passe.
08:06 Et c'est très humain finalement.
08:08 Vous êtes autour d'une table, vous avez picolé un peu, etc.
08:11 Et puis à un moment donné, bon tu ne veux pas m'arranger ce coup-là, ce serait peut-être
08:14 sympa.
08:15 Et c'est comme ça que ça se passe.
08:16 Et c'est comme ça que vous perdez la digue tombe.
08:18 La digue tombe, parce que normalement vous êtes censé avoir le droit en tant que fonctionnaire,
08:22 vous avez l'obligation de réserve.
08:23 Les digues tombent, les petits arrangements commencent.
08:26 Et là, évidemment, on n'est plus dans quelque chose de républicain, on est plutôt
08:32 dans les prébendes, les combines et la petite corruption qui peut devenir importante dans
08:36 certains coins.
08:37 Je rappelle quand même que dans le sud de la France, on a des...
08:41 C'était le procureur Éric de Montgolfier à une époque à Nice qui a dit "attendez,
08:44 moi je ne peux plus travailler, je ne peux plus faire mes enquêtes.
08:46 Le jeu d'instruction à qui je confie le dossier, il est dans telle loge, et puis là il voit...
08:51 Et puis tout s'arrange, et puis les dossiers n'avancent pas, et les dossiers s'endorment".
08:53 Vous savez que c'est très facile.
08:54 L'impression qu'on sabotait son travail.
08:56 Totalement.
08:57 C'est-à-dire que les enquêtes n'aboutissaient pas.
08:58 Et il a compris pourquoi.
08:59 C'est qu'en fait il y avait une espèce de...
09:01 En fait on est presque dans un mode "semi-mafieux".
09:05 La mafia c'est ça, c'est une espèce de coupole locale au sein de laquelle s'arrangent les
09:10 affaires.
09:11 Donc ça c'est la dérive potentielle.
09:13 Les gens racontent un certain nombre d'affaires...
09:16 Oui, vous en racontez bien sûr.
09:18 D'affaires nationalement retentissantes qui ont été perturbées par l'existence de ces
09:24 réseaux parce que la franc-maçonnerie était très implantée, notamment au sein de la
09:27 police judiciaire parisienne et tout particulièrement au sein de la brigade financière.
09:32 Vous racontez parmi les dérives, quelques dérives que vous plantez parce que effectivement
09:37 votre ouvrage pour le coup n'est pas du tout caricatural dans la mesure où vous désignez
09:41 à la fois les dérives et les apports bénéfiques que ça peut y avoir au sein de la police.
09:46 Mais sur les dérives, vous mentionnez par exemple des cas où des policiers appartenant
09:50 à une loge ont pu utiliser des fichiers de police au bénéfice de membres de cette loge
09:54 et vous montrez que l'appartenance à une loge peut obliger parfois un policier vis-à-vis
09:59 de ses frères, ce qui pose un peu le problème d'une double allégeance.
10:04 Vous avez cette phrase que je vais citer, vous dites "le fait d'appartenir à une loge
10:09 maçonnique induit des obligations au nom desquelles le policier est poussé à la faute".
10:15 Et vous avez des exemples de ça, est-ce que vous pouvez nous en raconter un peu ?
10:18 Déjà le vocabulaire lui-même est explicite, à partir du moment où vous êtes entre frères,
10:23 excuse-moi mon frère, c'est mon frère, il est mon frère pour la vie, et si mon frère
10:28 a des ennuis, même s'il a commis des choses graves, je vais peut-être l'aider, parce
10:31 que c'est mon frère, c'est ça la fraternité.
10:33 Donc à partir de là, effectivement, il faut être très fort psychologiquement et mentalement
10:37 pour refuser quelque chose à son frère.
10:39 "Non écoute, t'es mon frère, mais là je peux pas, parce que moi j'ai des règles,
10:42 j'ai une déontologie, excuse-moi j'ai des principes".
10:44 Effectivement, il faut être très très fort et tout le monde ne l'est pas.
10:47 Et bon, parmi les petits exemples qu'on peut citer, c'est vrai que dans l'une des affaires
10:51 qui a défrayé, qui a fallu faire trébucher la Vème République, il y a eu cette affaire,
10:54 cette fameuse affaire ELF, qui était en gros le financement occulte des partis politiques
10:58 par l'argent de la compagnie pétrolière française.
11:03 ELF, je me souviens très bien, je raconte qu'à un moment donné, cette affaire peut
11:08 basculer, la juge Eva Joly n'est pas loin justement d'obtenir, en fait elle a épinglé
11:13 André Tarallo, qui est l'un des membres clés de cette affaire ELF, l'un des magiciens
11:19 d'ELF, elle l'a épinglé, il y a eu une perquisition chez lui, il y a des documents
11:23 assez compromettants qui pourraient être exploités, qui ont été saisis, et là,
11:27 et là, magie, miracle, quelqu'un, un fonctionnaire de police forcément, à l'intérieur même
11:34 des locaux de la Brigade Financière rue du Château des Rentiers à Paris, fait disparaître
11:39 les CV compromettants.
11:40 Mais quand ils disparaissent, c'est qu'ils ont totalement disparu, totalement, on ne
11:45 les a jamais retrouvés, et on n'a jamais épinglé la personne qui les avait fait disparaître,
11:49 mais pour tous les acteurs du dossier, il est évident que c'est la chaîne, la cordée,
11:54 la cordée maçonnique qui a été employée et appelée au secours pour sauver le soldat
12:00 Tarallo, et par-delà le soldat Tarallo, pourquoi pas, les plus grands du gouvernement
12:06 de l'époque, puisque en fait, Tarallo, André Tarallo, voilà, savait à peu près
12:11 comment avait été réparti l'argent occulte, l'argent noir, vers quel parti politique,
12:16 et qui en avait profité.
12:17 Donc on a sauvé ainsi le soldat Tarallo, mais ce n'est pas le seul, effectivement.
12:24 Après, il y a aussi les commissaires de police qui étaient au sein de cette Brigade Financière,
12:29 qui non seulement ont servi leurs frères, mais se sont enrichis sur le dos, en fait,
12:34 de leurs frères, c'est-à-dire qu'il ne s'agissait pas pour eux de donner simplement
12:38 des informations, mais de les vendre.
12:39 Donc on a des gens qui ont profité, alors là, il y a tout, on trahit l'institution
12:45 policière, on trahit un peu ses frères parce qu'on leur demande du pognon pour leur donner
12:48 des informations, et finalement, on trahit sa propre... oui, c'est ça, son propre métier.
12:54 Et donc là, il y a un certain nombre de cas qui ont été d'ailleurs démasqués, je veux
12:59 dire, parce que ça finit par se voir.
13:01 Mais il y en a dans toute la France, je veux dire, à Marseille, il y en a un qui... il
13:04 y a un frère qui avait dans sa loge, en gros, tous les patrons de boîte de nuit, puis derrière
13:08 les patrons de boîte de nuit, il y avait le milieu, il y avait le vieux milieu, le
13:12 bon vieux milieu marseillais.
13:13 Donc les informations arrivaient sur les perquisitions à venir, en temps voulu et en heure, et on
13:17 faisait les ménages avant.
13:18 Vous voyez tout ce que ça peut permettre.
13:20 C'est là où on s'approche d'une dérive quasiment mafieuse.
13:22 C'est là où, effectivement, au-delà de la cordée sympathique qui permet de s'entraider
13:27 entre collègues, au-delà de la solidarité nécessaire, puisque flic, c'est quand même
13:31 un métier où on est un peu marginalisé sur le plan social, je veux dire, surtout aujourd'hui,
13:36 avec le fait que les terroristes ciblent particulièrement les policiers, ils sont obligés de s'isoler,
13:44 parce qu'ils ne peuvent pas dire à tout le monde...
13:45 Et la centaine de manières en ville, notamment, en 2016...
13:47 Je pense à Manier en ville, effectivement.
13:48 Ça montre bien que le policier est obligé de se trouver, voilà, d'autres univers.
13:52 Mais au-delà de ça, il y a ces dérives potentielles, et ça peut aller extrêmement
13:55 loin.
13:56 Là, je parle de liaisons dangereuses entre des policiers, des fonctionnaires, donc des
14:03 magistrats et, pourquoi pas, des membres du milieu.
14:06 Donc des grands voyous.
14:07 Ce qu'on découvre aussi dans votre livre, c'est que certains policiers aussi refusent,
14:12 finalement, de rentrer dans cette logique maçonnique, de rentrer dans les loges.
14:16 Vous citez le cas d'Yves Lefebvre, qui est un syndicaliste policier, bien connu des plateaux
14:23 télévisés, qui, lui, a refusé cette tutelle maçonnique.
14:27 Comment ça s'est passé ?
14:28 Dans un premier temps, ça s'est plutôt bien passé pour lui.
14:32 Mais effectivement, le jour où Yves Lefebvre, qui dirigeait quand même le premier syndicat
14:38 de France, ou le deuxième à l'époque, je ne sais plus, parce que ça a été une
14:41 alliance...
14:42 Une ITSGP ?
14:43 Entre une ITSGP et alliance, ce sont les élections, c'est premier ou deuxième.
14:46 Effectivement, il avait un basque, je veux dire, qui ne pèse pas toujours ses mots,
14:53 qui allait franchement.
14:54 Et un jour, il y a eu une "exaction" bavure policière à Paris, c'était l'affaire
15:01 des Éclairs, de ce rappeur qui avait été coincé dans un sas et qui...
15:05 Et roué de coups.
15:06 Et roué de coups, etc.
15:07 Et lui avait pris une position très très forte, qui avait dérangé énormément dans
15:11 l'institution, où il avait en gros dit "écoutez, il y a des limites, là, on ne peut pas tout
15:16 faire, il faut peut-être plus se tenir, etc."
15:18 Il avait osé dire ça, sans langue de bois.
15:21 Je pense que s'il avait bénéficié, on va dire, des alliés, s'il avait pu s'appuyer
15:29 sur des alliés, sur plus d'alliés que ceux-là, il aurait résisté.
15:33 Mais là, il en a pris plein la figure, il n'a pas pu résister.
15:36 Et finalement, il a été lâché par tout le monde.
15:40 Parce qu'en fait, je veux dire, globalement, et puis notamment le syndicat Allianz, était
15:46 plutôt sur la ligne "on couvre, on protège, on dit rien".
15:48 Il a manqué de corporatisme à ce moment-là.
15:51 Voilà.
15:52 Et lui, il a reculé, reculé, reculé.
15:53 Et ce jour-là, dans sa tête, il a dit "je vais laisser mon poste.
15:57 J'arrête le syndicalisme et je vais me consacrer aux oeuvres sociales", ce qu'il fait aujourd'hui
16:02 très bien.
16:03 Mais donc, ça souligne bien les limites de l'exercice.
16:08 Quand on est un peu seul dans cette institution et qu'on veut dire des vérités qui dérangent,
16:13 il vaut mieux être soutenu.
16:14 Si possible par des frères.
16:16 Vaut-il viril ? Il regorge aussi d'anecdotes, d'histoires revisitées à travers le prisme
16:23 de la franc-maçonnerie.
16:24 Moi, j'ai découvert par exemple qu'à une époque, la franc-maçonnerie a pu être
16:29 utilisée par Claude Guéant, ancien ministre de l'Intérieur, qui a toujours été bien
16:33 introduit dans les cabinets ministériels à Beauvau, qui lui, s'en est servi pour
16:37 faire accepter sa réforme de 95 sur les corps et les carrières.
16:41 Comment il a pu se servir des loges pour faire accepter, disons, à la hiérarchie policière
16:46 cette réforme ?
16:47 Ça, c'est l'époque où Claude Guéant n'avait pas encore son bris.
16:49 Parce que je rappelle quand même qu'il a fini par taper dans la caisse des frais de
16:53 police, qui se servait de l'argent qui était censé aider la police à faire des enquêtes
16:59 pour aller chez Darty, acheter son frigidaire ou sa machine à laver.
17:02 Ce qui d'ailleurs, intellectuellement et éthiquement, est assez incohérent par rapport
17:08 à sa défense, à son implication au nom de la défense de la sécurité.
17:13 On parle d'il y a 30 ans.
17:15 Là, on est sur avant.
17:16 Et avant, effectivement, Claude Guéant, c'était une figure de l'institution, de
17:20 la place Beauvau, qui était plutôt à droite, très marquée à droite, et qui, effectivement,
17:27 a usé du biais maçonnique à plusieurs reprises.
17:30 Parce que la police, c'est une maison difficile à réformer.
17:33 C'est une maison qui a plein de résistances, de réticences, où les syndicats pèsent
17:36 très lourd.
17:37 Et quelquefois, on ne peut pas faire passer des réformes.
17:38 Et d'ailleurs, la réforme qu'il a fait passer n'a pas forcément eu que des bénéfices.
17:43 Mais il a effectivement joué, à un moment donné, des fraternels, parce qu'il faut
17:49 aussi dire ça.
17:50 Non seulement il y a des loges maçonniques, droite, gauche, etc., mais il y a des fraternels
17:54 qui ont l'avantage, justement, de rassembler, qui sont transversales, ça a été une de
17:57 mes découvertes, et qui réunissent sur un même plan, autour d'une même table, des
18:02 gens qui, a priori, sont dans des camps politiques différents.
18:05 Et autour de cette table, ils peuvent s'accorder.
18:09 Et là, effectivement, il a joué à fond, Claude Guéant, ce jour-là, de cette fraternelle
18:13 et de cet espace pour obtenir un compromis qu'il a obtenu.
18:17 Et il a pu faire passer sa réforme.
18:19 Donc, quelque part, on pourrait dire que c'est bien, finalement, la formationnerie.
18:22 Il met de l'huile dans les rouages de cette police qui, parfois, coince un petit peu.
18:26 Ça permet d'avancer, ça permet de débloquer des dossiers.
18:28 À plusieurs époques, ça a permis de débloquer des dossiers.
18:32 Mais en même temps, disons qu'il y a quelque chose de peu transparent dans les négociations
18:39 qui s'y passent.
18:40 Et il y a toujours, ce qui veut dire que dans la police, il y a toujours des coulisses,
18:43 des coulisses un peu secrètes, où il se passe des choses pas sur la place publique.
18:47 Oui, là où certains policiers ne comprennent pas, parfois, pourquoi certaines choses se
18:53 passent parce qu'ils n'ont pas accès, forcément, à ces réseaux-là.
18:56 Oui, exactement.
18:57 Vous racontez, donc, effectivement, que la formationnerie, aussi, à travers ses valeurs,
19:04 à travers les espaces de dialogue qu'elle propose, a pu aussi avoir des apports au sein
19:09 de la police pour sortir, par exemple, d'un machisme qui a pu être assez prédominant
19:15 à une époque dans l'institution, pour casser aussi la structure, parfois très verticale,
19:20 très compartimentée de la police.
19:22 Ça a permis, peut-être, de créer du lien au sein de la police nationale, c'est ça ?
19:27 Il y a un chapitre dans ce livre sur les femmes, les femmes de l'intérieur.
19:31 Qu'est-ce qu'elles ont fait, les femmes, à un moment ? En fait, à partir de 1972,
19:36 officiellement, les femmes avaient le droit d'entrer dans la police.
19:38 Avant, c'était un métier d'homme et un métier que d'homme.
19:40 Donc, ça a été très, très, très lent.
19:42 Au départ, elles étaient secrétaires.
19:44 Elles faisaient le café, les photocopies, peut-être à la brigade des mineurs, mais
19:48 ça s'arrêtait là.
19:49 Et à un moment donné, mais c'est assez récent finalement, ça date d'une dizaine
19:52 d'années, les femmes se sont dit « et si on adoptait les moyens des hommes, finalement,
19:58 pour y arriver ? » Et elles ont créé une association qui s'appelle Femmes de l'intérieur,
20:02 qui elle-même fonctionne sur le mot d'une sorte de franc-maçonnerie.
20:08 Elles ont inventé donc ce qu'elles appellent la sororité.
20:11 C'est-à-dire qu'on est entre sœurs et si on serre les coudes entre sœurs, on va
20:15 peut-être y arriver.
20:16 Et bien, elles ont réussi.
20:18 Elles ont réussi, ce qui signifie que les méthodes des hommes qu'elles ont copiées,
20:23 reproduites, etc., finalement, ont produit leurs effets, puisqu'elles se sont regroupées,
20:30 elles ont montré qu'elles étaient nombreuses, elles sont allées démarcher les IRA, les
20:34 directeurs généraux de la police, les ministres, etc.
20:36 Elles ont bousculé des ministres.
20:37 Elles ont eu affaire à Gérard Collomb qui les boudait, qui les snobait, qui disait
20:42 « non, non, moi je ne viendrai pas à vos pots, etc. »
20:44 Puis elles ont eu affaire après à Bernard Cazeneuve qui a dit « ok, moi je vous soutiens
20:48 ». Elles ont eu affaire jusqu'à Gérard Darmanin qui a priori, lui, pour le coup,
20:54 s'est peut-être dit « tiens, si je jouais de ce réseau-là » et qui est le premier
20:58 ministre de l'intérieur, Gérard Darmanin, à avoir promu à des très hauts postes autant
21:03 de femmes policiers.
21:04 Et donc tout d'un coup, moi j'ai regardé ça, moi qui observe l'institution depuis
21:07 longtemps, j'ai dit « mais effectivement, qui est-ce qui dirige aujourd'hui les CRS
21:11 ? C'est une femme.
21:12 Qui est-ce qui dirige l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste ? C'est une
21:16 femme.
21:17 Qui est-ce qui dirige le service des, on va dire, la protection des hautes personnalités
21:21 où c'était quand même le machisme de purée dure, où on n'avait que des mollos,
21:25 etc. ? C'est une femme.
21:26 Qui est-ce qui dirige l'office des stups, qui est quand même le point le plus difficile
21:31 en termes de police judiciaire aujourd'hui ? C'est une femme.
21:33 Qui est-ce qui dirige la sécurité publique ? Excusez-moi du peu, c'est-à-dire l'intégralité
21:37 des gardiens de la paix en France ? C'est une femme.
21:40 Qui aujourd'hui d'ailleurs, qui vient d'être promue numéro 2 de la direction
21:44 générale de la police nationale.
21:45 Donc je me suis dit, il s'est passé quelque chose.
21:47 Je suis parti de là, de ce constat, comme ça, du fait que les femmes aujourd'hui étaient
21:51 très importantes parmi les plus hautes galonnées.
21:54 Et j'ai essayé de comprendre pourquoi.
21:55 Et j'ai retrouvé cette association, Femmes de l'intérieur, qui raconte comment elles
22:01 s'y sont prises.
22:02 Et finalement, elles n'ont pas eu tort.
22:05 Elles ont appliqué les méthodes des hommes pour conquérir des postes.
22:08 Et aujourd'hui, elles arrivent, non pas encore à l'égalité, il y a encore du travail,
22:11 mais elles ont franchi des marches importantes.
22:14 Et finalement, peut-être feront-elles un jour bouger l'institution plus que les hommes.
22:18 En ayant dit tout ça, en ayant fait cette enquête, en ayant observé pendant 40 ans
22:25 cette police, quel regard vous portez aujourd'hui sur l'influence de la formationnerie sur
22:31 la police ? Est-ce que c'est un problème ?
22:32 Pour vous, est-ce qu'il faudrait sortir la formationnerie de la police ou la police
22:38 de la formationnerie ? Quel bilan vous en tirez ?
22:40 Non, je pense que la France gagnerait à être un peu plus transparente à ce niveau-là.
22:43 Et j'ai observé que les anglo-saxons, enfin en Angleterre, il avait été demandé aux
22:48 policiers à l'entrée dans la carrière de déclarer, si oui ou non, de le déclarer
22:52 tout simplement.
22:53 Si oui ou non, ils appartenaient à une loge formationne, parce que c'est quand même
22:55 au départ, la formationnerie était encore plus puissante en Grande-Bretagne qu'en France
22:59 puisqu'elle vient de là-bas.
23:00 Et donc, je trouve que ça, c'est pas mal.
23:02 C'est juste un petit moment de transparence.
23:04 Il ne s'agit pas de demander aux policiers à quelle partie il est inscrit, mais simplement
23:07 s'il est dans une loge.
23:08 Donc déjà, ça se fait aujourd'hui, il me semble, à l'entrée de la DGSI, de la
23:15 Direction Générale de la Sécurité Intérieure.
23:17 On pose la question quand il y a une enquête un peu de personnalité au départ, mais ça
23:21 s'arrête là.
23:22 Donc déjà, cette transparence ferait du bien.
23:25 Je pense que du coup, ce livre fait œuvre de transparence.
23:30 Je trouve que c'est pas mal de mettre un peu tout ça sur la table.
23:32 En fait, le fait que ce soit moins caché, avéré et affiché, je trouve que c'est
23:37 bien.
23:38 C'est une bonne chose.
23:39 Moi, j'ai voulu mettre encore une fois, c'est notre boulot de journaliste, de la
23:41 transparence dans cette institution.
23:43 Et à partir de là, il ne faut pas se cacher le fait que la formationnerie a des bons côtés.
23:50 Et je pense que par rapport à la radicalisation de la police aujourd'hui et au fait que
23:57 de plus en plus de policiers glissent vers des positions ultra radicales, avec la montée
24:03 d'un véritable réseau lié au Rassemblement National dans cette institution, réseau auquel
24:10 je consacre aussi un chapitre.
24:12 C'est la première fois qu'on le fait de cette façon là.
24:13 Je pense que par rapport à cela, la prégnance de la formationnerie peut aussi permettre
24:21 de conserver, de cultiver cet esprit républicain qui est pour moi inhérent au métier magnifique
24:30 de gardien de la paix.
24:32 Merci beaucoup, Frédéric, de nous avoir accordé cet entretien.
24:35 Je vous montre une dernière fois votre livre à l'écran, "Les réseaux secrets de la
24:39 police", aux éditions du Nouveau Monde, enquête absolument trépidante sur la police
24:43 nationale.
24:44 Merci beaucoup.
24:45 Merci à vous.
24:45 Merci à vous.