• l’année dernière
On a longtemps dit que la présence de certains détenus corses dans les prisons françaises permettaient d'y maintenir un semblant d'ordre et de calme. Ce temps est-il révolu ? Entretien avec Michel Ucciani auteur de "Corse en prison" (Éd. Manufacture du livre).
Entretien par Bruno Rieth.

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"Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti". Albert Camus
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Transcription
00:00 Michel Oussiani, bonjour.
00:05 Bonjour.
00:06 Merci d'avoir accepté notre invitation sur maNTV.
00:08 Alors en 2020, vous sortiez votre premier roman, "Nacio, du FLMC au grand banditisme".
00:13 C'est un livre qui racontait votre parcours, d'abord comme soldat du FLMC,
00:18 puis après votre bifurcation vers le grand banditisme.
00:21 Alors c'était un livre passionnant parce que, finalement, vous montrez avoir le fonctionnement d'un groupe clandestin
00:25 et ensuite de ce monde interlope du grand banditisme.
00:29 Là, vous revenez avec un nouveau livre, "Corps sans prison, règlement de compte, communautarisme et combine".
00:35 Alors c'est un livre qui s'intéresse à une partie très précise de votre vie, c'est "Votre détention".
00:42 Finalement, ma première question, c'est pourquoi vous avez décidé de vous lancer dans ce livre ?
00:47 J'avais déjà depuis un moment le projet d'écrire un livre uniquement sur la prison.
00:51 Et puis les événements qui ont eu lieu l'an dernier, entre autres la mort d'Yvan Colonna avec qui j'étais très ami.
00:57 Ça a accéléré le processus pour écrire le livre.
01:01 Et puis j'ai lancé le truc, et c'est venu d'un jet.
01:06 Je me suis mis à la fin de l'été, puis c'est bien sorti.
01:10 Et puis je voulais dénoncer un peu tout ce que j'avais rencontré dans les prisons, à droite, à gauche.
01:15 J'étais passé pendant 20 ans, puisque j'ai fait 21 prisons en 20 ans.
01:19 Donc j'estimais que j'étais à même de mettre un avis sur l'évolution des prisons sur 40 ans.
01:25 Alors lors de vos premières détentions, comment se passe l'apprentissage des codes de la prison ?
01:32 Est-ce que c'est quelque chose de facile, d'évident pour vous ?
01:35 Alors ma première peine de prison, elle était minime, puisque c'était pour une connerie à Ajaccio quand j'étais jeune.
01:41 Puis c'était la prison d'Ajaccio, alors il n'y avait pas vraiment de code.
01:44 C'était plutôt familial, une toute petite prison à 50 détenus.
01:47 Donc il n'y avait pas vraiment de code, comme dans les plus grandes prisons que j'ai pu fréquenter après, dans les années suivantes.
01:55 Et alors justement, dans les prisons un peu plus sérieuses, quand vous êtes tombé pour des peines plus lourdes,
02:01 comment ça se passe justement ? Comment on se fait sa place là-bas ?
02:06 Au début, il n'y a pas question de se faire vraiment sa place.
02:11 Il faut se tenir bien, il faut avoir un bon dossier, pas être une crapule, avoir un délit crapuleux.
02:21 Mais ça c'est dans toutes les tôles, sauf maintenant où les mentalités ont changé dans les prisons d'aujourd'hui.
02:27 Mais sinon à l'époque, la première question qu'on te posait quand tu arrivais dans une prison,
02:31 il fallait que tu montes ton mandat de dépôt pour voir ce que tu avais fait, pour savoir si tu avais un délit honorable.
02:40 C'était quoi un délit honorable justement ?
02:43 Pas un délit crapuleux, pas un arracheur de sac de vieille ou un violeur, ou un arracheur de collier comme il y a aujourd'hui.
02:52 Surtout pas d'être en prison pour viol ou pour des trucs comme ça.
02:58 Donc, descendez en promenade, la première chose c'est "qu'est-ce que tu as fait ? Pourquoi tu es là ?"
03:05 Alors justement, pour se faire cette place, c'est quoi le plus important pour éviter les embrouilles avec les détenus ?
03:13 Est-ce que c'est d'être un braqueur, d'avoir une lourde peine ou d'être corse ?
03:21 L'ensemble des trois c'est bien. Réduire les trois critères c'est pas mal pour être bien dans une prison, être tranquille.
03:32 A l'époque il y avait plus de respect quand même dans les prisons.
03:36 Les gens étaient plus respectés, maintenant aujourd'hui c'est passé de mode.
03:40 Les jeunes, les prisons maintenant ils ont de 20 à 25 ans, c'est plus trop ça.
03:45 A l'époque, la tranche d'âge en prison était plus âgée, on était entre 30 et 40 ans la grosse majorité.
03:52 En plus on restait entre nous, déjà dans les prisons en France, à droite à gauche, au beau-métro ou à la santé,
04:02 quand on pouvait réussir à être ensemble on restait entre nous, entre corse, entre braqueurs, entre gens du même profil.
04:10 On se mélangeait pas vraiment.
04:13 Vous avez vécu entre vos premières incarcérations et les dernières, vous avez vu un rajeunissement de la population carcérale
04:22 et du coup une évolution des codes de conduite et des interactions entre les détenus ?
04:27 Sur 40 ans je l'ai vraiment vu. La mentalité a complètement changé dans les prisons.
04:36 La prison maintenant c'est une reproduction de ce qui se passe dehors dans les quartiers.
04:43 C'est empire. La prison de nos jours est devenue infernale, invivable.
04:51 Vous diriez que c'est plus violent qu'avant ?
04:55 Beaucoup plus violent.
04:57 Oui, parce que les jeunes de maintenant, comme ils se conduisent dans les quartiers, dans les cités, ils reproduisent ça en prison.
05:07 Maintenant, en prison, des gens comme moi, avec mon profil pénitentiaire, mon passé, mon vécu, pour moi j'aurais pas de problème en prison.
05:19 Maintenant, dans les prisons, les gens qui arrivent, qui sont des accidentés de la prison, pas des délinquants, des mecs pour des délits financiers,
05:31 ou le mec qui a tué sa femme, pas des délinquants chevronnés. Pour eux la prison c'est un enfer maintenant.
05:38 Ils peuvent se faire broyer ?
05:39 Ils se font broyer.
05:41 Il y a une violence actuelle. A l'époque il y avait quand même de la violence entre détenus.
05:46 Vous racontez notamment le sort d'un gérant de bar qui a assassiné, qui a tué un jeune corse que tout le monde connaissait dans la prison,
05:54 et lui il va passer un sale quart d'heure.
05:56 Ah oui, c'était à Ajaccio, c'était dans les années 80, 86, 87.
06:05 C'était un maghrébin qui avait tué un corse dans une rue à Ajaccio, qu'ils ont écroué.
06:10 Lui il est rentré à la prison d'Ajaccio, il a morflé grave, il est sorti dans... il est sorti dans le... enfin il est resté dans le coma.
06:16 Il s'est passé quoi du coup ?
06:18 Il s'est fait lyncher dans la douche.
06:23 Alors il y a les rapports entre détenus et puis il y a les rapports avec les surveillants.
06:28 Comment ça se passait avec les surveillants ? Est-ce que vous aviez des techniques pour éviter de refroidir les surveillants un peu tâtillons ?
06:37 Non, mais disons, on n'a jamais eu des gens comme moi, on n'avait pas vraiment de problème avec les surveillants.
06:44 A partir du moment où ils nous respectent, ils nous emmerdent pas, on les emmerde pas.
06:48 Nous on n'est pas une catégorie de détenus à problème en prison.
06:53 Moi, ils me respectent, je le respecte à lui aussi.
06:56 S'il vient pas me chercher des poules dans la tête, pour rien.
06:59 Après, nous on sait qu'on a des profils particuliers, donc des mesures de sécurité particulières.
07:06 Plus durs ou plus souples que le détenu commun ?
07:11 Bien plus durs. Pendant des années, j'ai été classé en DHR, en détenu à haut risque, en DPS, en détenu particulièrement signalé.
07:20 Après, maintenant les appellations ont un peu changé.
07:23 Les escortes, maintenant ils appellent ça escorte 1, escorte 2, escorte 3, escorte 3 à mesure spéciale.
07:29 C'est toutes des catégories qui renforcent la sécurité.
07:34 Ma dernière peine, j'étais en escorte 3MS.
07:39 C'est une mesure spéciale, c'est équivalent d'un DPS, c'est-à-dire grosses escortes pour être...
07:48 quand on est extrait de la prison, quand on a une extraction médicale ou un transfert judiciaire pour un palais de justice ou un truc comme ça.
07:56 C'est des escortes renforcées à un nombre extravagant souvent.
08:01 C'est pour les détenus qu'on suspecte de vouloir s'évader ?
08:05 Voilà. Soit les détenus qu'on suspecte de s'évader, soit qu'on estime qu'ils ont une organisation d'or, qu'ils appartiennent à un groupe...
08:12 pour les politiques, ceux qui appartiennent à un groupe clandestin, ou ceux qui ont une grosse équipe de braqueurs d'or,
08:20 qui sont susceptibles d'être arrachés sur un transfert.
08:24 Donc une fois qu'on le sait, on s'y attend à être fouillé, à avoir des transferts comme ça.
08:32 Est-ce que vous, lors de vos premières incarcérations, l'étiquette FLNC qui continuait à vous coller à la peau
08:39 alors que finalement vous aviez rompu avec l'organisation, ou en tout cas vous étiez passé à autre chose,
08:44 est-ce que ça vous a facilité votre détention ?
08:46 C'est-à-dire que les surveillants étaient un peu sur la retenue avec vous ?
08:49 Ou au contraire, ça a mis plus de difficultés ?
08:52 L'étiquette FLNC, malgré que je l'ai quittée il y a plus de 30 ans,
08:56 elle m'a toujours suivi jusqu'à la dernière peine de prison.
08:59 Ça reste dans les fichiers pénitentiaires, alors pour eux, tu y es allé un jour, tu y es toujours.
09:04 Donc ça reste, ça accentue toujours les mesures sécuritaires.
09:10 Après, on a des avantages et des inconvénients.
09:16 Des avantages, c'est qu'ils ne nous embêtent pas trop.
09:23 On est plus surveillés que d'autres, mais ils ne nous embêtent pas trop.
09:27 À partir du moment où on les respecte, qu'on n'a pas de problème de comportement,
09:31 ça se passe bien avec les surveillants.
09:34 Vous racontez même à un moment donné qu'avec un camarade à vous,
09:37 vous avez sauvé la vie d'un surveillant qui était attaqué par deux toxicaux.
09:41 À l'époque, à la Santé, on est intervenu parce que c'était un surveillant qui ne nous emmerdait pas,
09:46 un brave surveillant qui, avec nous, il n'y avait aucun problème.
09:50 Il y avait deux toxicaux dans l'escalier avec qui il s'était pris sûrement la tête
09:56 ou qu'il les avait fouillés, il leur avait peut-être pris quelque chose dans leurs cellules.
10:00 Il les avait emmerdés, donc ils voulaient lui faire une embuscade.
10:03 Mais on est intervenu avec un ami à moi, un autre Corse à l'époque,
10:11 pour pas qu'il fasse de conneries là.
10:14 Parce qu'après, s'il y a une agression sur un surveillant, en vérité, ça emmerde tout le monde.
10:18 Ça retombe sur tout le monde en même temps et ça déclenche des incidents, des fouilles, des trucs.
10:23 On n'avait pas envie de ça.
10:25 En plus, nous, on trouvait qu'avec nous, c'était un bon surveillant.
10:28 On n'avait pas raison de lui taper sur la tête en traître dans un escalier ou quoi.
10:33 Donc il y avait quand même un peu des règles tacites.
10:36 C'est-à-dire que le surveillant qui ne m'embête pas, ben voilà.
10:39 Non, toujours, moi, le surveillant qui ne m'embête pas, je ne l'emmerde pas non plus.
10:43 Comme de nos jours, maintenant, les surveillants, ils se font insulter toute la journée, à travers les portes.
10:51 Nous, on n'a jamais eu ce problème de comportement.
10:55 Donc avec nous, ils ont des bons rapports.
10:58 – Alors il y a quand même une personnalité que vous avez rencontrée en prison
11:02 qui avait l'air de prendre un malin plaisir à terroriser les surveillants, c'était Michel Ardouin.
11:07 Vous racontez qu'il était un ancien complice de Messrine,
11:12 qu'on appelait porte-avions pour son goût des armes.
11:14 Et vous racontez qu'il prenait vraiment un plaisir…
11:17 – Michel, je l'ai connu à la santé.
11:20 Comme il était en DPS, comme moi, à l'époque, pour les parloirs, on était escorté.
11:26 C'est-à-dire, on n'y allait pas tout seul au parloir.
11:29 Il nous escortait depuis nos cellules jusqu'au parloir.
11:31 Et souvent, un surveillant le récupérait à lui dans le quartier bas en division.
11:35 Il passait par le bloc A, il me récupérait à moi,
11:38 ce qui fait qu'on montait tous les deux avec le même surveillant en direction des parloirs.
11:42 On était fouillés avant, puisqu'on ne passait pas la fouille normale avec les autres détenus.
11:47 Il nous fouillait avant et il nous fouillait après.
11:50 Et lui, comme il était de carreur impressionnante, il devait faire dans les 110 kg.
11:56 Et puis, que tout le monde le connaissait, il s'amusait à terroriser les surveillants.
12:01 Quand il le fouillait… Mais c'était rigolo, ce n'était pas de la vraie terreur.
12:05 Il échambrait un maximum.
12:07 Et bon, la plupart du temps, c'était des jeunes surveillants, ils n'osaient pas trop répliquer.
12:11 – Oui, ils ne comprenaient pas forcément l'humour de Michel Erdouin.
12:14 – Oui, mais bon, ce n'est pas de la vraie terreur.
12:17 Il rigolait avec eux, il échambrait un peu méchant,
12:21 mais il ne savait pas trop comment réagir avec lui.
12:24 – Alors, vous racontez aussi un autre élément de la prison, c'est la question de la corruption.
12:29 Vous racontez notamment qu'il y a des surveillants, des fois,
12:32 qui viennent vous solliciter directement en disant,
12:34 "Si vous voulez, moi, je peux vous faire passer ce que vous voulez contre rétribution."
12:38 C'était quelque chose de fréquent ou c'est vraiment des exceptions ?
12:42 – C'est exceptionnel, c'est des exceptions, parce que les surveillants ne se mouillent pas comme ça.
12:47 Après, pour les petites corruptions, ça arrive plus fréquemment.
12:51 – C'est quoi les petites corruptions pour vous ?
12:53 – Non, des trucs plus légers que des calimes.
12:56 Mais là, ce jour-là, la santé, ce surveillant, il avait vrillé,
13:01 il devait avoir soit un gros besoin d'argent, soit il était prêt à tout.
13:06 Il avait peut-être un gros besoin d'argent.
13:09 C'est lui qui s'était proposé par lui-même au départ.
13:13 Donc, pour des gens qui veulent s'évader, c'est toujours intéressant d'avoir un surveillant
13:18 sous la main qui est prêt à rentrer beaucoup de choses pour de l'argent.
13:22 – Et sur les... donc il y a la question des armes,
13:25 effectivement, vous dites que c'est exceptionnel.
13:27 Tout le reste, je parle d'alcool, de la drogue, des téléphones,
13:30 c'est des choses qu'on arrive à faire rentrer en prison via les surveillants
13:34 ou c'est d'autres circuits ?
13:37 – Il y a tous les circuits maintenant de nos jours.
13:41 Il y a les surveillants, il y a les parloirs.
13:45 Maintenant, les armes en prison, c'est des couteaux, des couteaux céramiques.
13:50 Il n'y a besoin de personne pour les rentrer, ils ne sonnent pas.
13:52 Ça ne sonne pas les couteaux en céramique.
13:54 – Donc c'est plutôt lors des visites que ça rentre ?
13:56 – Donc ça peut rentrer par n'importe où.
13:57 Il n'y a pas besoin d'un surveillant ou de le faire jeter par-dessus le mur.
14:00 Après, les téléphones, ça sonne aux parloirs.
14:03 Donc ça ne rentre pas par les parloirs familiales.
14:05 Ça rentre par les projections la plupart du temps.
14:08 – Les drones maintenant qui sont utilisés aussi ?
14:10 – Non, ça je n'ai pas testé, je n'ai pas connu.
14:13 C'est plus récent.
14:15 Mais sinon, par les projections, c'est courant.
14:18 Depuis des années, ça passe par-dessus les murs.
14:21 Par des surveillants, par des intervenants extérieurs.
14:24 Il y a quelques téléphones qui ne sonnent pas.
14:26 Des petits modèles qui peuvent rentrer par les parloirs encore,
14:29 parce qu'ils ne sonnent pas.
14:31 La caméra, ça rentre par les parloirs.
14:33 Ceux qui veulent faire rentrer de la caméra en prison,
14:36 c'est le marché à ciel ouvert, il y en a partout.
14:39 – Est-ce que d'ailleurs vous avez vu une évolution
14:41 au cours de toutes vos détentions,
14:43 de la présence de la drogue en prison ?
14:45 Est-ce qu'elle a toujours été là ?
14:47 Ou est-ce qu'il y a eu une montée en puissance ces dernières années,
14:50 notamment du shit qui rentre plus facilement ?
14:53 – Il y a eu une grosse montée en puissance ces dernières années de cam' en prison.
14:56 À l'époque, les premières peines de prison, il n'y en avait pas.
15:00 Ou alors c'était vraiment planqué, caché, il y en avait très très peu.
15:04 Et par la suite, ça a commencé un peu là.
15:07 Maintenant, de toute façon, c'est devenu en prison, tu trouves de tout.
15:12 Tu veux de la coque, tu as de la coque.
15:14 Ça vaut toujours plus cher que l'extérieur.
15:16 – Est-ce que d'ailleurs vous pensez que certaines administrations pénitentiaires,
15:21 pour essayer de maintenir une paix sociale,
15:23 ferment un peu les yeux sur cette présence ?
15:25 – C'est évident. Pour le shit, ils ferment les yeux.
15:28 Pour la coque, non. Pour les drogues dures, ils ne ferment pas les yeux, je pense.
15:32 Mais pour le shit, oui, ils laissent faire.
15:34 Ils savent, parce que de toute façon, ça se sent dans tous les couloirs.
15:38 Alors, s'ils ne veulent vraiment pas, ils n'ont pas besoin de chercher, ça se sent.
15:42 Il y a une odeur qui flotte dans tous les couloirs de toutes les prisons.
15:46 Maintenant, le shit, ça se sent à plein nez.
15:48 – Alors vous racontez aussi un autre élément,
15:50 une évolution qui arrive à partir des années 90,
15:53 c'est l'arrivée de nouveaux profils,
15:55 notamment des détenus qui sont condamnés pour terrorisme islamiste.
16:00 Comment s'est passée leur intégration dans la prison ?
16:04 Est-ce que ça a eu des conséquences ?
16:08 – Le problème, ce n'est pas tellement les terroristes islamistes,
16:13 puisqu'on le sait qu'ils sont radicalisés,
16:16 ces terroristes sont rentrés pour ça,
16:18 mais c'est les gens qui rentrent pour tout autre chose,
16:21 pour n'importe quel délit en prison,
16:23 que ce soit des voleurs, des trafiquants, et qui se radicalisent.
16:27 Ils sont radicalisés déjà en rentrant,
16:29 mais ils sont rentrés pas pour le terrorisme.
16:32 Ou alors ceux qui se radicalisent parce qu'ils arrivent en détention.
16:37 Et c'est vrai que maintenant, c'est un très gros problème dans les prisons,
16:41 parce qu'ils n'arrivent pas à le gérer.
16:43 – Ce phénomène de radicalisation, comment il se passe concrètement ?
16:47 – Moi, je l'ai vu arriver à la fin des années 90,
16:50 quand ils ont commencé à vouloir instaurer les prières de promenade,
16:56 après à faire des réclamations, réclamer des salles de prière
17:01 dans les ailes des pièces qui leur étaient réservées,
17:05 alors qu'ils ont accès quand même à un culte musulman,
17:10 qui a eu lieu une fois par semaine avec un imam qui vient de l'extérieur.
17:14 Mais apparemment, à certains qui sont radicalisés,
17:17 ça ne leur convient pas, parce que l'imam est trop modéré,
17:19 donc ils veulent des salles de prière à eux,
17:21 avec un imam autoproclamé entre eux, ils veulent plus radical.
17:29 Donc c'est avec ces gens-là que la détention devient dure,
17:32 parce qu'ils ont des revendications.
17:35 Une fois qu'ils ont une salle de prière, ça part sans arrêt en embrouille avec eux,
17:39 parce qu'ils disent, si tu as la cabine téléphonique dans le couloir,
17:42 que tu parles un peu fort, ils sortent, ils disent,
17:44 tu ne respectes pas la prière, on est en train de parler.
17:46 Ou alors quand il y a dans les ailes de détention,
17:49 des cuisines où toutes les détenues ont accès,
17:52 où il y a des fours, des trucs comme ça, ils veulent imposer des règles,
17:55 tu ne mets plus de pizza avec du jambon dans le four,
17:57 parce que c'est une insulte pour notre religion,
18:00 et souvent ça part en embrouille comme ça, et puis ça dégénère.
18:04 – Et d'ailleurs, vous pointez la responsabilité de l'administration pénitentiaire
18:08 dans la gestion de ces profils radicalisés,
18:11 le fait de les mettre en plein milieu des prisons,
18:13 et donc au contact d'autres détenus,
18:15 avec la capacité de recruter des détenus.
18:22 – Bien sûr, parce qu'ils sont regroupés,
18:26 les radicalisés, ils essaient d'agrandir leur cercle,
18:29 de convertir les autres à être plus pratiquants que ce qu'ils ne sont,
18:35 ça crée des tensions, et puis ceux qui sont vraiment radicalisés,
18:38 vraiment les extrémistes, c'est des dangers permanents pour les autres détenus,
18:42 d'ailleurs on en a la preuve avec ce qui s'est passé à Arles pour Yvan,
18:45 c'est des dangers pour les surveillants,
18:47 parce que chaque fois qu'un surveillant ouvre la porte,
18:50 il ne sait pas ce qui l'attend de l'autre côté maintenant.
18:52 Maintenant, je comprends que les surveillants aient peur,
18:54 ils aillent travailler avec la peur au ventre
18:56 quand ils sont affectés sur des ailes où il y a des radicalisés comme ça,
18:59 qui ne savent pas comment les contrôler,
19:04 et les directions, les responsables politiques
19:07 ne prennent pas les bonnes décisions pour ces gens-là,
19:11 ils ne veulent pas instaurer des prisons réservées à ces gens-là.
19:17 Oui c'est ça, pour vous il faudrait les mettre dans des unités spécialisées,
19:21 couper du contact des autres détenus pour éviter qu'ils...
19:24 Leurs unités, comme ils appellent ça, de déradicalisation, c'est de la putain de...
19:29 Vous n'y croyez pas, oui.
19:30 Les personnes qui y croient, les surveillants ils n'y croient pas,
19:33 personne n'y croit parce que ça ne sert à rien,
19:35 le mec qui est radicalisé, il ne va pas aller se déradicaliser
19:38 parce qu'on va lui faire des discours.
19:40 Ça ne peut qu'empirer.
19:42 Une prison comme c'est parti maintenant, je l'ai vu sur les dix dernières années,
19:46 ça ne peut qu'empirer et devenir de plus en plus dangereux,
19:49 parce que ces gens-là sont dangereux en prison.
19:52 Alors pendant longtemps on disait que finalement c'était un peu les corses,
19:56 quand ils étaient là, qui tenaient les prisons,
19:58 en tout cas qui permettaient de maintenir un certain ordre,
20:01 est-ce que ça a été vrai déjà, et surtout est-ce que c'est vrai encore ?
20:05 Non c'était vrai à une époque, dans les années 80, 90,
20:08 c'est vrai qu'on était toujours...
20:11 Parce que déjà on était...
20:14 disons, le haut du panier sur les délits, les braqueurs,
20:18 c'est toujours les braqueurs dans les prisons qui étaient le mieux installés,
20:22 le mieux vu, le plus respecté.
20:24 Maintenant c'est fini, il n'y a plus de tout ça,
20:28 il n'y a plus les corses qui hanquent prison,
20:32 il n'y a plus comme avant,
20:35 maintenant c'est les jeunes, les prisons, les jeunes des quartiers.
20:39 Vous avez un terme pour les appeler les "griblins" ?
20:42 Oui, les griblins.
20:44 Et aujourd'hui c'est eux qui tiennent les prisons sans les tenir,
20:47 parce qu'il n'y a pas une telle puissance,
20:49 mais c'est eux la puissance dominante dans les prisons.
20:52 Ils ne tiennent pas les prisons, mais ils font le bordel.
20:55 Ils sont bordéliques.
20:57 Moi j'ai vu les dernières prisons où on était passé,
21:00 par exemple sur une prison comme Montpellier,
21:02 des gens de mon profil à moi,
21:04 sur par étage, on était 3 ou 4 à avoir les portes ouvertes.
21:08 Ils fermaient la porte aux autres.
21:11 Nous ils nous laissaient ouverts parce qu'ils savent qu'on n'a pas de problème de comportement.
21:14 Dès qu'ils ont gêné, ils rouvrent la porte,
21:17 c'est fini, ça part dans tous les sens dans les couloirs,
21:20 soit ils essayent de passer du shit sous la porte,
21:22 d'aller réclamer du shit, du tabac, des trucs, de trafiquer, de faire des trucs,
21:25 donc ils les laissent fermer.
21:27 Ça déclenchait souvent des jalousies, des conflits.
21:30 Pourquoi eux ils sont ouverts et pas nous ?
21:32 Tu as beau leur expliquer, mais si tu n'étais pas un boucan,
21:35 que tu criais partout, que tu courais partout,
21:37 dès qu'ils t'ouvrent la porte, ils t'ouvrent rien la porte.
21:39 Si tu étais tranquille.
21:41 Nous ils nous ouvrent la porte, on passe dans une autre cellule,
21:43 on va boire le café, on joue aux cartes, entre nous,
21:45 reste l'après-midi fermé, mais on ne fait pas le bordel.
21:47 Donc on avait ces avantages là.
21:50 Et après 20 ans de prison,
21:53 est-ce que vous avez l'impression que toutes ces années
21:56 vous ont écarté du grand banditisme,
21:58 ou au contraire ont accéléré votre entrée dans le grand banditisme ?
22:01 Toutes ces incarcérations ?
22:03 Ça l'a plutôt accéléré au départ que freiné.
22:06 Ah oui bien sûr, l'école, comment dire,
22:09 c'est pas une légende, l'école du crime, c'est la vérité.
22:13 Tu ne te sors pas en t'améliorant,
22:15 parce qu'il n'y a pas de réinsertion possible en prison.
22:18 Les gens qui, alors ce mois-ci, me font bien rigoler
22:20 quand ils parlent de réinsertion, de programme de réinsertion,
22:23 c'est bidon.
22:25 Le travail en prison ne te réinsère pas.
22:28 C'est pas parce que tu vas servir la gamelle,
22:30 servir des cantines, ramasser les poubelles,
22:32 pendant 2 ou 3 ans de ta peine de prison,
22:35 que tu vas être réinséré en sortant.
22:37 Ceux qui font ça, ils font ça parce qu'ils ont besoin d'argent
22:40 pour cantiner, pour pouvoir manger convenablement en prison.
22:46 Même quand il y a des prisons qui sont équipées en grands ateliers,
22:52 où il y a du travail qui est donné par des concessionnaires extérieurs,
22:56 ou des ateliers de couture, comme la centrale d'Arles par exemple.
22:59 J'ai vu des gens rester 10 ans dans l'atelier de couture de la centrale d'Arles.
23:03 C'est pas pour autant que quand ils sortent,
23:05 ils vont aller travailler chez Dior et chez Chanel.
23:07 Ils vont jamais devenir couturiers.
23:09 Pareil pour les formations.
23:11 Toutes les formations que j'ai vues en prison,
23:14 elles sont obsolètes quand tu sors de prison.
23:16 Elles ont 20 ans de retard.
23:18 Ils dispensent ça.
23:20 Faut qu'ils arrêtent de montrer ça comme de la réinsertion.
23:24 Disons que c'est un passe-temps.
23:26 Il faudrait mieux qu'ils annoncent ça.
23:28 Pour occuper le détenu.
23:30 Pour éviter, pour pas qu'il pète les plombs,
23:32 parce qu'il passe 22h/24 en cellule.
23:34 Faut qu'ils annoncent ça comme un passe-temps pour les détenus.
23:37 Que ce soit les activités, le travail, au service général ou en atelier.
23:43 Et tout ce qui est proposé dans les prisons.
23:46 Comme à un moment, j'en parle dans le bouquin,
23:48 ce qu'ils ont dénoncé, parce que c'est sorti sur les réseaux sociaux.
23:51 L'organisation de la parodie de Koh Lanta dans la prison de Fresnes.
23:55 Ils en ont fait les choux gras dans les infos.
23:58 Et tous les ministres, ils se sont tous offusqués
24:00 qu'il y a pu y avoir un truc comme ça,
24:02 en faisant semblant d'ignorer que ça existait.
24:04 Sur les 40 dernières années, des activités comme ça en prison,
24:08 j'en ai vu, mais tous les ans,
24:10 il y a toutes sortes d'activités,
24:12 du théâtre, des concerts, des démonstrateurs extérieurs
24:16 qui viennent faire des démonstrations pour tout et n'importe quoi.
24:19 C'est des passe-temps pour les détenus.
24:22 Voilà, c'est pas...
24:24 Et là, parce que c'est passé sur les réseaux sociaux,
24:26 ils ont fait comme s'ils découvraient.
24:28 Alors que le mec qui a fait ça,
24:30 il a fallu qu'il ait des autorisations,
24:32 mais alors du plus petit niveau jusqu'au plus haut niveau.
24:34 Donc, ils ont fait hériter, les politiques qui ont dénoncé ça,
24:37 ils ont fait semblant d'ignorer que ça y était.
24:40 Alors si je vous replonge à vos 18 ans,
24:45 en sachant que vous allez faire 20 ans de prison,
24:48 est-ce que vous choisiriez la vie que vous avez menée,
24:51 ou alors vous choisiriez de faire autre chose ?
24:54 Je pense que non.
24:57 Je pense que j'aurais continué quand même,
24:59 puisqu'il y en a des fois, ils font un mois de prison,
25:02 ça leur sert de leçon, ils reviennent plus jamais.
25:04 Ils ont compris la leçon,
25:06 moi ça n'a pas été le cas du tout, malheureusement.
25:09 Je ne regrette pas ce que j'ai fait,
25:11 parce que si c'est pour regretter, il ne faut pas le faire.
25:13 En vrai, ma vie m'a plu du premier au dernier jour,
25:15 même si elle m'a coûté 20 ans de prison.
25:17 Et 20 ans de prison, c'est le seul regret que j'ai,
25:20 moi ça devait être fait prendre.
25:22 Je ne regrette pas ce que j'ai pu faire,
25:24 parce que c'était mon choix de vie.
25:26 Mais je ne suis pas un exemple à suivre,
25:29 parce que les 20 ans de prison, je les ai faits,
25:31 et les gens qui les font, ils ratent beaucoup de choses dans la vie de tous les jours.
25:35 Ils ne voient pas grandir leurs enfants,
25:38 ils ratent beaucoup de choses.
25:40 Quand il se passe des trucs dans les familles,
25:42 ils ne sont pas là, parce qu'ils sont en prison.
25:45 Mais bon, c'était un choix de vie,
25:47 je n'étais pas un accidenté de la prison,
25:49 moi j'ai fait le choix de mener cette vie-là.
25:52 Michel Oussiani, merci.
25:54 Je rappelle le titre de votre livre,
25:56 "Corps sans prison, règlement de compte, communautarisme et combine".
25:59 Merci.
26:00 C'est moi qui vous remercie.
26:02 [Musique]

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