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Qu'est-ce que l'État profond ? Éléments de réponse dans le livre du haut-fonctionnaire Jean-Pierre Jouyet « Est-ce bien nécessaire, monsieur le Ministre ? ».

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Transcription
00:00 Il y a quelques semaines, Marianne consacrait sa une à une longue enquête sur ces 13 inconnus
00:09 qui dirigent la France.
00:10 13 hauts fonctionnaires, peu connus et pour la plupart proches d'Emmanuel Macron, qui
00:15 sont chargés, en principe, de mettre en œuvre la politique décidée par le peuple à travers
00:20 ses élus, président de la République en tête.
00:22 Mais ces 13 personnalités, aussi talentueuses soient-elles, sont en réalité la partie
00:28 émergée d'un gigantesque iceberg.
00:30 Un iceberg constitué de milliers, de dizaines de milliers de fonctionnaires, presque toujours
00:36 inamovibles, qui dirigent de fait notre pays depuis des décennies.
00:40 Ce constat, ce n'est pas seulement moi qui le fais, c'est aussi celui d'un homme
00:44 digne de foi, puisqu'il a lui-même appartenu au Serail et occupé plusieurs de ses postes
00:50 prestigieux, à Bercy, à la direction du Trésor, à Matignon, auprès de Lionel Jospin,
00:54 à l'Elysée, comme secrétaire général de François Hollande.
00:57 Et il a même été secrétaire d'État sous Nicolas Sarkozy.
01:01 Enfin, il fut l'un des mentors d'Emmanuel Macron, le propulsant au ministère de l'Économie.
01:07 Cet homme, éminemment sympathique par ailleurs, c'est Jean-Pierre Jouyé.
01:11 Un énarque bien sûr, mais aussi un catholique de gauche, proche à un moment de Jacques
01:17 Delors.
01:18 Jean-Pierre Jouyé, dans un livre qu'il vient de sortir chez Albain Michel, fait son
01:21 acte de contrition.
01:22 Il reconnaît avoir péché pendant toutes ces décennies, ne pas avoir pris conscience
01:26 de la complexité administrative que doivent affronter les citoyens ordinaires.
01:31 Il reconnaît avoir péché par conformisme, d'avoir participé à la hausse des dépenses
01:36 publiques dans les différents postes qu'il a occupés, car tout haut fonctionnaire, tout
01:41 responsable dans l'administration, doit réclamer toujours plus de budget et d'effectifs,
01:47 sous peine de ne plus être respecté par ses troupes.
01:50 Le titre du livre de Jean-Pierre Jouyé est en soi tout un symbole.
01:54 Est-ce bien nécessaire, monsieur le ministre ?
01:56 C'est la réponse de l'administration à tout homme politique qui souhaite faire
02:00 quelques réformes, enrayer la prolifération bureaucratique, simplifier la machine administrative.
02:06 Est-ce bien nécessaire, monsieur le ministre ?
02:08 En fait, les hommes politiques, depuis bien longtemps, seuls détenteurs de la légitimité
02:13 démocratique, sont impuissants.
02:16 Jusque-là, y compris le président de la République.
02:20 Ils appuient sur un bouton, rien ne se passe.
02:23 Ils cherchent un plan B, rien ne se passe si l'administration a décidé qu'il ne
02:28 fallait rien changer.
02:29 Et ce que décrit Jean-Pierre Jouyé, c'est cette impuissance à réformer l'État.
02:34 Tous les présidents, tous les premiers ministres ont entonné l'hymne à la nécessaire simplification
02:39 administrative.
02:40 Tous ont échoué.
02:41 Et il ne faut pas chercher plus loin les causes du mal français, de notre incapacité à
02:47 bien gérer les finances publiques et réduire l'endettement.
02:49 Deux exemples parmi d'autres.
02:52 La première fois, la France était fière de deux de ses grands services publics, la
02:55 santé et l'éducation nationale.
02:57 Aujourd'hui, nous ne sommes en que de pleutons.
02:58 Pourtant, les dépenses sont là.
03:01 Ainsi, la France est au deuxième rang en matière de dépenses hospitalières et elle
03:06 consacre 5,2% de son PIB à l'éducation nationale, contre 4,9% pour la moyenne de
03:13 l'OCDE.
03:14 Mais là où le bas blesse, c'est que la proportion des strates administratives n'a
03:18 cessé de croître au détriment de ceux qui sont sur le terrain.
03:21 Il y a ceux qui sont dans les bureaux, à l'éducation nationale et dans les ARS, pour
03:26 la santé, qui fabriquent souvent de la norme, de la paprasse pour justifier leurs emplois.
03:31 Et il y a ceux qui sont au front, aux urgences des hôpitaux ou dans les écoles et lycées.
03:36 Ceux qui sont au front n'ont pas le pouvoir et ont été peu à peu paupérisés pour financer
03:41 les emplois des administratifs.
03:42 Les ARS se sont ainsi surajoutés aux administrations centrales qui n'ont pas été réformées.
03:48 Et ces ARS mobilisent chacune des dizaines de médecins pour surveiller les médecins
03:53 de ville, alors que l'on manque partout de médecins sur le terrain.
03:56 Cet État obèse pèse bien évidemment sur l'activité économique du pays et sa compétitivité,
04:03 en termes de budget, mais aussi de fabrication de normes.
04:06 Ainsi, le code général des collectivités territoriales a triplé de volume en 20 ans.
04:11 Le code de l'urbanisme a grossi de 44%.
04:14 Le code de l'environnement est passé de 100 000 à 1 million de mots.
04:18 Il est devenu plus important que le code du travail en France, qui lui-même n'a cessé
04:22 de grossir.
04:23 Aujourd'hui, ce code du travail pèse 1,5 kg.
04:26 En Suisse, qui n'est pas connu pour être un haut lieu de l'exploitation salariale,
04:30 le code du travail ne pèse que 150 grammes.
04:33 Et tout est à l'avenant.
04:34 C'est logique, parce que dès lors que l'on ne met pas fin au doublon dans l'administration,
04:39 dès lors que l'Union européenne fabrique elle aussi des normes et des règlements à
04:43 haute dose, il faut transposer les textes en France, ce qui justifie une partie du travail
04:48 de l'administration.
04:49 C'est le fameux millefeuille.
04:51 Et pendant ce temps-là, la France produit de moins en moins.
04:54 La production de normes, leur contrôle, a remplacé la production industrielle et agricole.
04:59 Cheikh Jaser, bien sûr, mais c'est ce processus dans lequel nous sommes engagés depuis des
05:04 décennies et qui explique notre déclassement.
05:07 Jean-Pierre Jouyé a fait œuvre sanitaire, il sera pardonné de ses péchés, mais son
05:13 acte de contrition servira-t-il à quelque chose ? On peut étant douté, car cet état
05:18 profond est tellement enraciné dans le pays qu'on ne voit pas comment on pourrait sinon
05:22 l'éradiquer, du moins lui renier une partie de ses pouvoirs.
05:26 C'est tout le dilemme des politiques, et notamment de ceux qui aspirent à changer
05:30 les choses en profondeur.
05:31 Il est à la mode aujourd'hui de prédire une prochaine victoire de Marine Le Pen.
05:36 Mais que ferait-elle de cette victoire, dès lors que l'état profond continuera de diriger
05:41 de fait le pays ? Faut-il alors pratiquer un spoï-système massif ? C'est pratiquement
05:46 impossible.
05:47 D'une part parce que les hauts fonctionnaires sont protégés par leur statut, et parce
05:52 que d'autre part, il faut continuer à faire fonctionner l'appareil d'état et la machine
05:56 administrative.
05:57 Et que cela ne peut se faire qu'avec un personnel certes acquis à de nouvelles options
06:02 politiques, mais également compétent.
06:04 Lorsque la gauche est arrivée au pouvoir en 1981, elle avait dans ses bagages de nombreux
06:10 hauts fonctionnaires qui ont assuré une continuité de l'action publique.
06:14 Apparemment, le RN n'a pas un terrestres réservoir.
06:17 Voilà pourquoi une alternance en sa faveur ne risque guère de changer les choses en
06:22 profondeur, parce que cette haute administration aura vite fait de phagocyter la nouvelle
06:27 équipe.
06:28 Seul espoir qu'au sein de cette haute administration, il y ait suffisamment de personnalités qui,
06:34 comme Jean-Pierre Jouyé, fassent leur acte de contrition, et acceptent que l'on procède
06:38 enfin à une véritable réforme et simplification de l'État.
06:42 Merci.
06:43 Au revoir.
06:43 [SILENCE]

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