Dans le cadre de l’Année du documentaire 2023, la Scam, ARTE et le CNC vous proposent ce troisième volet de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser » qui s'est déroulé à Paris, le 27 septembre 2023.
« Raconter avec les images des autres »
Le documentaire est l’une des seules formes d’œuvre à utiliser ce que l’on appelle « les archives ». Qu’advient-il quand un auteur une autrice s’approprie des images captées par d’autres, professionnels ou amateurs – telles les images d’archives institutionnelles ou privées, images de famille ou trouvées (found footage) – pour tisser un autre récit ?
Entre preuve, trace, ou écran de projection, « les images des autres » contiennent la possibilité de revisiter un événement, renouveler le regard, interroger la façon dont l’histoire a été dite, faire revivre le hors champ et incarner ce qui a été invisibilisé.
Programme
- 11h00 : Introduction par Réjane Hamus-Vallée, professeure des Universités, directrice de l’UFR Sciences de l’Homme et de la Société
- 11h30 : Dialogue entre la réalisatrice Mila Turajlić et la philosophe Marie-Josée Mondzain, animé par Rasha Salti
- 14h30 : Étude de cas "L’histoire oubliée des femmes au foyer" avec la réalisatrice Michèle Dominici, la productrice Juliette Guigon et la monteuse Nathalie Amsellem, modérée par Camille Ménager
- 16h30 : Table ronde animée par Alice Leroy avec Eleonore Weber - réalisatrice de "Il n’y aura plus de nuit", Alain Kassanda - réalisateur de "Colette et Justin – Une histoire congolaise" et Sylvie Lindeperg - historienne, autrice de "Nuremberg, la bataille des images"
« Raconter avec les images des autres »
Le documentaire est l’une des seules formes d’œuvre à utiliser ce que l’on appelle « les archives ». Qu’advient-il quand un auteur une autrice s’approprie des images captées par d’autres, professionnels ou amateurs – telles les images d’archives institutionnelles ou privées, images de famille ou trouvées (found footage) – pour tisser un autre récit ?
Entre preuve, trace, ou écran de projection, « les images des autres » contiennent la possibilité de revisiter un événement, renouveler le regard, interroger la façon dont l’histoire a été dite, faire revivre le hors champ et incarner ce qui a été invisibilisé.
Programme
- 11h00 : Introduction par Réjane Hamus-Vallée, professeure des Universités, directrice de l’UFR Sciences de l’Homme et de la Société
- 11h30 : Dialogue entre la réalisatrice Mila Turajlić et la philosophe Marie-Josée Mondzain, animé par Rasha Salti
- 14h30 : Étude de cas "L’histoire oubliée des femmes au foyer" avec la réalisatrice Michèle Dominici, la productrice Juliette Guigon et la monteuse Nathalie Amsellem, modérée par Camille Ménager
- 16h30 : Table ronde animée par Alice Leroy avec Eleonore Weber - réalisatrice de "Il n’y aura plus de nuit", Alain Kassanda - réalisateur de "Colette et Justin – Une histoire congolaise" et Sylvie Lindeperg - historienne, autrice de "Nuremberg, la bataille des images"
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Court métrageTranscription
00:00:00 (...)
00:00:22 -Eh bien, si, on va faire ça un petit peu à l'impro,
00:00:26 parce qu'il se trouve que celles et ceux
00:00:28 qui n'étaient pas là ce matin
00:00:31 n'ont pas eu la chance d'entendre Marie-Josée Mondzin.
00:00:35 -On ne sait pas pour nous faire entendre.
00:00:36 -Bah si, d'ailleurs, un micro.
00:00:38 Et Marie-Josée me disait, entre deux,
00:00:42 qu'elle avait un petit regret,
00:00:43 parce qu'il y a une petite histoire
00:00:45 qui rentre tout à fait dans les cordes de cette journée
00:00:48 tournée avec les images des autres,
00:00:49 et qu'elle regrettait de ne pas avoir...
00:00:51 Venez juste ici, parce que...
00:00:53 Je suis désolé, Marie-Josée. -Oui, moi aussi.
00:00:55 -Bon.
00:00:56 Et donc, je ne voulais pas la laisser avec ce regret,
00:00:58 et je ne voulais pas vous laisser dans cette ignorance.
00:01:01 Donc, Marie-Josée, vous avez la parole.
00:01:02 -C'est ça, Marie-Josée... -Avant de retrouver nos invités.
00:01:04 -Marie-Josée, retour.
00:01:06 (Rires)
00:01:08 C'est pas pour parler.
00:01:09 Je pensais que ça allait rester comme ça.
00:01:11 -On parlait de Mussolini. -Voilà.
00:01:14 Effectivement, parce qu'on a évoqué le cas du spécialiste,
00:01:18 de la numérisation, de la manipulation des images,
00:01:21 du trafic éventuel qui pouvait se passer avec les images.
00:01:25 Ça va se poser de plus en plus avec la question
00:01:28 de ce qu'on appelle l'intelligence artificielle,
00:01:30 bien qu'il n'y en ait pas de naturelle.
00:01:32 Et alors, la chose à laquelle je souhaitais faire allusion,
00:01:38 au cas où vous me donnez la parole, voilà, merci,
00:01:41 c'était les jannikians.
00:01:42 Je me suis dit, ça, il faut quand même dire quelque chose,
00:01:44 des jannikians, parce que ce sont d'immenses,
00:01:47 les coupes des jannikians, d'immenses documentaristes
00:01:50 qui ont eu accès, en les cherchant dans les bas-fonds
00:01:55 de l'Italie, qui ont fini par trouver les bandes,
00:01:59 enfin, les films dûs tourner par le caméraman de Mussolini.
00:02:08 Donc, des films absolument... Les films fascistes,
00:02:12 des films non seulement fascisants,
00:02:15 mais colonialistes sur l'Ethiopie, sur beaucoup de choses.
00:02:20 Et alors, qu'ont fait les jannikians ?
00:02:23 Ils se sont saisis de ces films pour faire des films politiques.
00:02:29 Et pour ça, et donc, non pas en respectant d'abord
00:02:32 l'état des pellicules, qui étaient terribles,
00:02:37 très bouffées pour des raisons chimiques et de vétusté,
00:02:41 puis en même temps, il ne s'agissait pas de faire connaître
00:02:44 l'oeuvre d'un Mussolinien.
00:02:47 Il s'agissait d'utiliser ces archives
00:02:52 pour leur donner, à leur fois, leur puissance de révélation
00:02:55 et leur puissance d'analyse et de décomposition politique.
00:02:59 Et ils ont décidé à ce moment-là, ils ont été convaincus à ce moment-là
00:03:03 qu'ils devaient inventer une caméra.
00:03:07 Et ils l'ont appelée la caméra analytique.
00:03:09 Et je rappelle qu'il y a un livre formidable des jannikians,
00:03:12 sur la caméra analytique, où ils expliquent
00:03:15 qu'ils ont fabriqué une caméra leur permettant
00:03:18 de travailler sur ces images, de les coloriser,
00:03:21 de les ralentir, de les accélérer, de les couper.
00:03:23 Donc il y a une véritable manipulation politique
00:03:28 des images mussoliniennes de ce fameux caméraman fasciste.
00:03:33 Et là, on a affaire à une manipulation
00:03:36 volontaire et politique des images,
00:03:39 d'une immense puissance politique.
00:03:41 En quoi c'est politique ?
00:03:43 En du fait que ça ne prend pas...
00:03:46 Non seulement on sort de l'image de propagande,
00:03:50 ça, ça va de soi,
00:03:51 mais non pas pour faire dire le contraire,
00:03:54 mais pour mettre le spectateur en situation
00:03:56 de devoir juger et construire son propre regard
00:03:59 en voyant les films.
00:04:00 C'est-à-dire, ils les ont colorisés,
00:04:03 ils les ont ralentis, ils les ont coupés,
00:04:06 ils les ont sonorisés, ils ont mis des chants, d'ailleurs.
00:04:10 C'est très, très beau.
00:04:11 C'est vraiment le travail des jannikians.
00:04:13 Il y a eu d'ailleurs une rétrospective à Beaubourg
00:04:16 de toute l'oeuvre des jannikians, qui était somptueuse.
00:04:19 On voyait ce qu'ils avaient fait sur les archives
00:04:21 de la guerre de 14 et sur les films mussoliniens.
00:04:26 - Ca ne méritait pas d'être raconté, cette histoire, Marie-Josée ?
00:04:28 - Oui, je pense que c'est très important,
00:04:30 parce qu'il faut inventer une caméra,
00:04:34 il faut inventer une machine qui me donne la puissance politique
00:04:38 de construire un regard critique chez le spectateur
00:04:41 en lui demandant ni de croire qu'il a affaire à un vrai film,
00:04:44 ni de croire à ce que raconte le film,
00:04:46 ni de croire à notre propre position de militant,
00:04:49 mais de se mettre dans une situation critique
00:04:53 et une situation aiguë de mobilisation critique.
00:04:56 Et j'ai envie de reprendre le mot que vient de me rappeler
00:05:00 et qu'a inventé Sylvie Lindebergh,
00:05:04 qu'elle appelle "le passage à l'art".
00:05:07 Voilà, elle vient de l'évoquer,
00:05:09 puisqu'il s'agissait de ça pour Alain Resnais.
00:05:12 Et là, c'est vraiment ça.
00:05:14 C'est-à-dire le passage à l'art des géants équients.
00:05:18 - Et en plus, vous me faites la transition
00:05:20 avec Sylvie Lindebergh.
00:05:21 Donc, Marie-Josée, mille fois merci.
00:05:24 (Applaudissements)
00:05:26 (...)
00:05:29 Bon, pour terminer cette journée,
00:05:32 on a trois autrices, j'irais même quatre...
00:05:36 Pardon. Trois autrices et un auteur
00:05:39 qui vont nous rejoindre.
00:05:41 Donc, Alain Cassandat, tu vas peut-être déjà...
00:05:44 Viens, viens nous rejoindre.
00:05:46 Alain Cassandat, qui est auteur d'un film
00:05:49 qui était primé au Festival du Réel l'année dernière
00:05:51 et qui s'appelle "Cocohead Generation".
00:05:53 Magnifique film politique, justement,
00:05:55 sur un ciné-club au Nigeria.
00:05:57 Mais c'est pour un autre film qui vit ici.
00:05:59 Installe-toi, Alain. Bienvenue.
00:06:02 Alice vient me donner un coup de main.
00:06:04 Alice Leroy, qui est chercheuse,
00:06:07 membre de la rédaction des "Cahiers du cinéma" et critique.
00:06:10 On peut dire ça comme ça ? J'ai à peu près tout dit ?
00:06:12 C'est Alice qui va animer cette séance.
00:06:16 Et puis, Eleanor Weber, dont tout le monde, j'espère, aura vu
00:06:19 "Et il n'y aura plus de nuit",
00:06:20 sortie en salle sélectionnée à l'ACIDE, entre autres.
00:06:23 Et enfin, Sylvie Lindeberg, grande amie de la SCAM,
00:06:26 qui lui a décerné, je crois, il y a deux ans, Sylvie,
00:06:29 un prix pour un livre, pas pour un film,
00:06:31 pour un livre dont, évidemment, je vais oublier le titre,
00:06:34 mais sur les images de Nuremberg,
00:06:36 et ça, ça plaît, Sylvie, prenez des micros.
00:06:38 Et bien voilà. Donc Alice reprend le micro,
00:06:40 et elle, elle le sait, donc ça tombe très bien.
00:06:43 -La bataille des images.
00:06:45 Mais voilà, je remercie les organisatrices
00:06:50 et organisateurs de cette journée,
00:06:52 et puis tous les participants, c'est passionnant de vous écouter.
00:06:56 Et je remercie aussi Marie-Josée Bondzin
00:06:58 pour cette transition toute trouvée avec les Janikians,
00:07:01 parce qu'en écoutant la discussion précédente, passionnante,
00:07:05 je me disais, on va être aux antipodes
00:07:07 de ce dont nous, on va parler,
00:07:09 puisqu'on ne sera plus tellement sur des questions
00:07:12 de films amateurs, de films de famille,
00:07:16 et de filmer l'intimité à travers les images des autres,
00:07:19 mais qui, d'une certaine manière, sont des miroirs
00:07:22 de nos propres existences et de nos propres expériences.
00:07:26 Ici, on va plutôt parler de raconter avec les images des autres
00:07:32 des histoires d'oppression, des histoires de massacre,
00:07:36 des histoires, des tragédies historiques.
00:07:39 Donc, je me disais, le passage de l'une à l'autre
00:07:42 va pas être évident.
00:07:44 Et je trouvais intéressant de mentionner le travail
00:07:47 de Yervan Janikian et Angela Ricci-Lucchi,
00:07:51 parce qu'effectivement, il s'agit là d'une archive
00:07:55 totalement inédite,
00:07:58 celle de cet opérateur Luca Comerio,
00:08:01 qui est mort amnésique, d'ailleurs.
00:08:02 Donc, c'est encore... C'est un drôle de rapport
00:08:04 entre mémoire et histoire, entre l'oubli,
00:08:06 l'effacement des archives, et puis leur redécouverte
00:08:09 et leur remise...
00:08:14 Enfin, la façon de les remettre au présent,
00:08:16 de les inscrire aussi dans un rapport au temps
00:08:17 qui est aussi un rapport au présent et qui nous questionne
00:08:19 sur notre propre mémoire de ces images-là,
00:08:22 dans leur matérialité même.
00:08:23 Et il me semble que c'est un petit peu ce que chacun d'entre vous
00:08:27 fait à sa façon empirique et intime
00:08:31 pour Alain Cassandat et le travail qu'il a mené
00:08:34 dans ce premier long-métrage autour de l'histoire
00:08:38 de ses grands-parents et de la façon dont cette histoire
00:08:41 croise l'histoire du Congo au moment de la décolonisation.
00:08:47 C'est aussi ce qu'a fait Eleanor Weber...
00:08:50 Je vais vous présenter plus précisément ensuite,
00:08:52 vous inquiétez pas.
00:08:54 C'est aussi ce qu'a fait Eleanor Weber
00:08:56 à travers son premier long-métrage documentaire.
00:08:59 Elle avait déjà réalisé plusieurs courts-métrages
00:09:02 aussi bien de fiction que de documentaire,
00:09:03 mais ce premier long-documentaire, "Il n'y aura plus de nuit",
00:09:07 à partir d'images de found footage, on pourrait dire,
00:09:12 trouvées en ligne sur Internet
00:09:17 et qui sont des images tournées depuis des hélicoptères
00:09:20 sur des scènes de bataille, principalement au Moyen-Orient.
00:09:23 Des images dont elle a tenté d'explorer et de questionner aussi
00:09:27 les régimes de visibilité, les régimes de lisibilité aussi.
00:09:32 Et puis, enfin, d'une autre manière,
00:09:34 depuis le point de vue de l'historienne,
00:09:35 Parcille Villine de Perg,
00:09:36 historienne spécialiste des images et du cinéma,
00:09:40 auquel elle a consacré un grand nombre de livres,
00:09:42 principalement sur la Deuxième Guerre mondiale,
00:09:46 on peut dire autour de la Deuxième Guerre mondiale,
00:09:47 à la fois de la question de l'histoire de la déportation
00:09:52 ou de l'extermination, mais aussi de l'histoire de la résistance.
00:09:56 Et puis, ce livre dont il était question,
00:09:58 juste là, au tout début de ce panel,
00:10:02 "La bataille des images",
00:10:03 qui porte sur les images des procès,
00:10:06 les procès filmés de Nuremberg.
00:10:09 Et puis, évidemment, la façon dont ce procès filmé de Nuremberg
00:10:13 déploie des questions et des enjeux
00:10:16 aussi bien éthiques qu'esthétiques et politiques
00:10:19 qui courent jusqu'au présent.
00:10:23 Et par exemple, jusqu'à la question
00:10:26 des procès filmés pour l'histoire en France actuellement,
00:10:29 autour des procès pour terrorisme de Charlie Hebdo
00:10:34 et puis des attentats de 2015.
00:10:36 Donc voilà un petit peu...
00:10:38 On a trois invités qui sont...
00:10:42 qui s'inscrivent pas du tout dans les mêmes champs de pratique.
00:10:45 Il y a une historienne, deux cinéastes
00:10:47 qui ne fabriquent pas non plus du tout les mêmes objets,
00:10:51 même si Sylvie collabore à des films, comme on va le voir.
00:10:54 On verra aussi un film auquel vous avez participé
00:10:57 avec Jean-Louis Comoli.
00:10:59 Mais il me semble qu'il y a une question
00:11:01 qui traverse tous vos projets, tous vos travaux
00:11:04 et qui est celle qui va nous lier
00:11:06 et nous tenir ensemble pendant une heure.
00:11:10 Puis on ouvrira très vite à la salle
00:11:11 parce que je pense que vous aurez aussi des questions.
00:11:14 C'est celle, justement, de...
00:11:16 Qu'est-ce qu'on fait des images des autres
00:11:18 quand ces images, en fait, sont celles de l'ennemi,
00:11:20 sont celles de l'oppresseur, sont celles des tueurs ?
00:11:24 Qu'est-ce qu'on fait de ces images-là ?
00:11:26 Comment est-ce qu'on les regarde
00:11:29 en tant que spectateur, en tant que cinéaste ?
00:11:31 Et comment est-ce qu'on les rend visibles
00:11:32 et comment est-ce qu'on les rend lisibles pour d'autres ?
00:11:34 Donc ça, je pense que ce sera un petit peu
00:11:37 le point de départ de notre discussion.
00:11:41 Voilà. Peut-être pour entrer dans la discussion,
00:11:46 je vous propose qu'on commence
00:11:49 avec un extrait du film d'Alain Cassandat.
00:11:53 Alors, juste, Alain,
00:11:54 comme je vous ai présenté très brièvement tout à l'heure,
00:11:57 effectivement, vous avez fait un film très récemment,
00:12:04 "Coconut Head Generation",
00:12:06 qui a été récompensé au Cinéma du Réel,
00:12:08 qui a reçu le Grand Prix du Cinéma du Réel cette année,
00:12:12 et dans lequel il y a aussi des images des autres.
00:12:15 Il y a aussi un usage d'images
00:12:16 qui n'ont pas été tournées par vous.
00:12:19 Assez différentes, d'ailleurs, de celles qu'on va voir ici,
00:12:22 parce qu'il s'agit d'images au présent,
00:12:23 d'images filmées au téléphone portable
00:12:26 ou mises en ligne sur Instagram,
00:12:28 qui montrent des mobilisations d'étudiants, en fait,
00:12:31 dans le contexte du Nigeria
00:12:35 et d'une expérience que vous avez vécue,
00:12:37 d'une expérience de vie, en fait,
00:12:39 que vous avez traversée avec eux à ce moment-là
00:12:40 dans le cadre d'un ciné-club que vous animiez ensemble
00:12:43 et qui est un moment traversé par l'histoire,
00:12:48 par une mobilisation sociale.
00:12:51 Et pourtant, si on ne parle pas de ce film-là,
00:12:53 qui est plus récent, mais du premier que vous avez fait,
00:12:55 c'est peut-être parce qu'il y a un autre type d'archives
00:12:58 qui intervient dans ce premier film, Colette et Justin,
00:13:01 qui sont des archives diverses.
00:13:03 Il y a à la fois des archives familiales,
00:13:06 des archives de votre propre histoire familiale,
00:13:08 et puis il y a des archives qui sont un petit peu à l'opposé
00:13:11 de cette archive intime, qui sont des archives coloniales.
00:13:14 Et il me semblait que dans cet écart-là,
00:13:17 il y avait quelque chose d'assez passionnant à interroger
00:13:19 sur votre démarche
00:13:20 et le caractère aussi empirique de cette démarche.
00:13:23 Donc si vous voulez nous dire un mot
00:13:25 pour introduire à la fois le film et l'extrait qu'on va voir.
00:13:27 -Bien sûr. Donc déjà, merci de me recevoir ici.
00:13:29 Je suis très heureux d'être là.
00:13:32 Je n'ai pas vu le film depuis très longtemps, Colette et Justin.
00:13:35 C'est un film que j'ai commencé sans vouloir faire de cinéma.
00:13:38 C'est ma première expérience de cinéma.
00:13:39 La première fois que j'ai pris une caméra pour faire des cadres.
00:13:42 C'est parce que c'est né d'un besoin de raconter une histoire
00:13:44 dont j'avais le sentiment que je disparais
00:13:46 si je ne faisais pas le film.
00:13:47 En gros, je suis allé voir mes grands-parents pendant 4 ans
00:13:50 pour leur demander de me raconter leur vie au quotidien.
00:13:53 Parce que je suis né à Kinshasa en 1980,
00:13:54 donc 20 ans après l'indépendance.
00:13:56 Et pour moi, la colonisation était une abstraction.
00:13:59 Ça ne voulait rien dire de concret.
00:14:00 J'avais une approche très théorique, livresque.
00:14:03 Et je voulais savoir comment eux, dans leur chair,
00:14:06 avaient vécu ça. Et même dans leur imaginaire.
00:14:08 Comment ce monstre effrayé social s'est imposé à eux.
00:14:11 Et s'est imposé à eux aussi de manière différente
00:14:13 en fonction du genre.
00:14:14 Et donc j'ai interrogé à la fois mon grand-père et ma grand-mère.
00:14:17 Et toute la construction du film consiste à raconter
00:14:19 comment ma grand-mère vit spécifiquement la colonisation
00:14:22 et comment mon grand-père la vit.
00:14:23 Ce n'est pas du tout la même chose.
00:14:26 Et la difficulté que j'avais pour faire ce film,
00:14:29 c'est que je vais voir mes grands-parents,
00:14:31 qui me racontent un récit très personnel, très intime,
00:14:33 qui vient combler des manques.
00:14:35 Parce que je partais de ma propre ignorance de cette histoire-là.
00:14:37 Et pour donner chair à cette histoire-là,
00:14:41 j'ai commencé à chercher des images d'archives.
00:14:43 Évidemment, les archives personnelles,
00:14:45 donc la loi de la faute familiale.
00:14:47 Mais dès lors que je cherchais les images des années 40, 50 et 60,
00:14:52 les seules sources étaient coloniales.
00:14:54 Et tout d'un coup, je passais d'un régime
00:14:56 où les personnes que je vais filmer,
00:14:58 mes grands-parents et moi, étant des sujets,
00:15:00 à des objets d'un regard raciste,
00:15:02 d'un regard qui légitime l'entreprise coloniale.
00:15:05 Et ça, c'était compliqué à faire.
00:15:06 Donc j'ai passé tout mon montage à me battre contre les images.
00:15:09 Et c'était tout un processus. J'ai mis 7 ans à le faire.
00:15:12 Il y a beaucoup d'autres questions qui sont posées,
00:15:15 parce que c'est un film qui fait un pas de côté aussi
00:15:17 par rapport à l'approche qu'on a de l'histoire.
00:15:19 Parce que je raconte un anti-héros, mon grand-père.
00:15:21 C'est pas une figure...
00:15:24 En tout cas, je vais pas forcément défleurer le film
00:15:25 pour ceux qui l'ont pas vu,
00:15:26 mais en tout cas, il avait parti d'une sécession.
00:15:28 Et en général, on ne raconte que l'histoire
00:15:30 du point de vue des vainqueurs.
00:15:32 Et il a perdu la sécession.
00:15:33 Et il a fait le jeu des Belges à son corps défendant aussi.
00:15:36 Et donc, l'idée, c'était de raconter cette histoire-là
00:15:39 dans toute sa compétité
00:15:41 et de regarder dans les yeux les archives
00:15:43 et dans toute la violence.
00:15:44 C'est comment travailler une matière
00:15:45 dans laquelle je ne me retrouve pas en tant qu'humain.
00:15:49 Et comment est-ce que je peux raconter une histoire
00:15:50 à partir d'une matière qui est hostile.
00:15:53 Donc, on va voir un extrait qui rassemble les deux aspects.
00:15:56 C'est-à-dire que le début de la séquence
00:15:59 montre des images amatrices, en fait.
00:16:02 Et là, je me suis beaucoup reconnu
00:16:04 dans la démarche de la table ronde d'avant,
00:16:06 que je trouvais passionnante, parce que c'est la même chose.
00:16:09 C'est un mariage.
00:16:10 Comment est-ce que tout d'un coup, on regarde une image
00:16:14 et un détail fait changer la perception ?
00:16:16 J'avais pris contact avec une association
00:16:19 qui s'appelle "Archives Venedictes" en Belgique,
00:16:21 qui rassemble des images familiales.
00:16:25 En général, quand le grand-père et la grand-mère meurent,
00:16:27 il y avait des valises de bobines qui défosaient là-bas.
00:16:30 Soit au musée d'Arveren, soit eux les récupéraient.
00:16:32 Que les archives amatrices.
00:16:33 Et un jour, on tombe sur...
00:16:36 C'est mon monteur qui est tombé sur cette image-là
00:16:40 d'un mariage, supposément un mariage.
00:16:43 Et quand je regarde, je vais peut-être en parler après.
00:16:47 Je ne sais pas si...
00:16:48 Peut-être que je ne parle pas trop, je raconterai après.
00:16:50 On regarde l'image et on va parler après.
00:16:52 La journée, ils étaient boy.
00:17:02 Les mains couvertes de la saleté des autres.
00:17:05 Les chines rompues aux courbettes.
00:17:08 Tactilos dans la moiteur des bureaux.
00:17:12 L'étouffant sous le plafond de verre.
00:17:16 À l'entrée des banques, ils étaient plantons.
00:17:19 Mobiliers humains posés près de la porte.
00:17:23 Dans les halls des grands hôtels, ils grouillaient.
00:17:26 Plateaux à la main.
00:17:27 Servants, cocktails, martinis.
00:17:31 Ils avaient cessé d'être des hommes pour devenir
00:17:36 rouages anonymes d'une machine bien huilée.
00:17:40 La ville européenne, avec son plan en damier,
00:17:44 ses avenues arborées, ses clubs, ses cafés.
00:17:48 Interdit au noir.
00:17:51 Son cordon sanitaire, sa zone tampon.
00:17:54 Sensé tenir à distance les miasmes de la cité indigène.
00:17:58 Où retournaient tous les soirs, à l'heure du couvre-feu,
00:18:02 ces rouages qui redevenaient des hommes
00:18:05 au contact de leurs femmes.
00:18:08 Elle n'avait pas bougé.
00:18:11 Nous étions contraintes d'être des femmes au foyer,
00:18:15 se souvient Colette, qui a arraché comme tant d'autres
00:18:18 son émancipation sur les étals des marchés.
00:18:21 L'indépendance pour elle est passée par le commerce.
00:18:24 Contre toute attente, toute assignation.
00:18:28 Lorsqu'en 1954, la Belgique inaugure le Vanium,
00:18:35 la première université du Congo,
00:18:38 elle ne compte qu'une femme.
00:18:41 Six ans plus tard, à la table ronde,
00:18:44 lorsque les hommes politiques s'accorderont sur l'indépendance,
00:18:48 ils les oublieront encore en les privant du droit de vote
00:18:53 comme un rappel de leurs doubles conditions,
00:18:56 de coloniser et de femmes
00:19:00 à l'intersection des dominations.
00:19:05 (musique douce)
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00:19:21 (bruit de clavier)
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00:20:45 Comment faire un film à partir des archives de l'oppresseur ?
00:20:49 Dénoncer sa violence sans la réactiver au passage ?
00:20:53 De quels récits s'emporteusent les personnes à l'image ?
00:20:57 Je l'ignore.
00:21:01 Leurs voix qui n'ont jamais compté se sont eues.
00:21:06 Seuls subsistent les clichés de leur humiliation.
00:21:10 Comme une seconde défaite,
00:21:13 infligée par le colonisateur.
00:21:17 Et à mon tour, je les mets en scène,
00:21:21 ravivant la douleur comme le sel sur une plaie.
00:21:26 Car dominer,
00:21:30 c'est photographier,
00:21:33 imposer un regard qui confisque à l'autre son image,
00:21:37 l'élaboration de son récit propre.
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01:18:16 - C'est un peu dur, juste un extrait, comme ça.
01:18:20 - Oui, je trouve que c'est un peu compliqué.
01:18:23 - Pourquoi pas ça ?
01:18:26 - Mais...
01:18:28 - Mais pardon, parce que je me rends compte que c'était mon choix,
01:18:31 et là, en la voyant, je me rends compte que c'est pas du tout une bonne idée
01:18:34 de me projeter cette séquence seule et qu'effectivement...
01:18:37 - C'est compliqué, mais en tout cas, bon, c'est pas...
01:18:40 Moi, quand je l'ai découverte, j'étais comme vous, après tout.
01:18:44 Mais...
01:18:46 Dire que dans la voix, là, on entend que la narratrice,
01:18:52 bon, peut-être moi, c'est pas moi qui parle,
01:18:54 mais en tout cas, c'est plutôt moi, quand même,
01:18:56 discute avec quelqu'un,
01:19:00 et c'est un dialogue qui est rapporté sur le mode indirect,
01:19:02 ça, c'est le choix que j'ai fait face à ces images,
01:19:05 c'est d'en discuter avec un pilote français,
01:19:10 un jeune pilote que j'ai rencontré, pas beaucoup de fois,
01:19:13 deux fois, pour tout dire, c'est peu,
01:19:16 mais deux fois assez longtemps,
01:19:18 en regardant un certain nombre de séquences avec lui,
01:19:20 donc je l'ai mis dans la même position que moi,
01:19:24 enfin, non, sauf que lui avait son regard expert,
01:19:27 et moi, le regard absolument profane,
01:19:30 et lui considérait que ces images,
01:19:32 on en a un écho dans cette scène-là,
01:19:34 n'étaient pas faites pour être regardées par des civils,
01:19:37 que ça n'avait aucun sens,
01:19:39 et moi, je considérais que ça avait du sens.
01:19:41 Donc notre dialogue part en grande partie de ce désaccord,
01:19:47 on va dire, et je le restitue.
01:19:51 Évidemment, j'ai fait des choix,
01:19:53 on n'a aucune preuve qu'il ait vraiment dit ce que je dis qu'il dit,
01:19:57 mais ça, c'est mon choix d'écriture, voilà.
01:20:00 Et mon idée, c'était de dialectiser ma position,
01:20:03 c'est-à-dire qu'il me semblait impossible, pour le coup,
01:20:06 pour évoquer d'autres types de démarches qu'on peut avoir
01:20:09 avec une voix et des images,
01:20:11 moi, il m'était impossible d'occuper simplement une position de surplomb
01:20:16 ou qui aurait été complètement subjective,
01:20:18 c'est-à-dire que l'une ou l'autre des solutions ne me paraissait pas jouable,
01:20:22 c'est-à-dire le discours très théorique sur ces images,
01:20:26 qui les interprète, et qui aurait été de surplomb scientifique,
01:20:30 je dirais pas seulement théorique, mais scientifique,
01:20:32 ou de l'autre côté, quelque chose de complètement subjectif,
01:20:35 la cinéaste, qu'est-ce qu'elle fait face à ce type de matériaux ?
01:20:40 Je dis pas que j'ai pas essayé des choses dans ce sens-là, d'ailleurs,
01:20:44 j'ai tenté des choses, et ça me paraissait, chaque fois,
01:20:47 de priver le spectateur de sa propre capacité à avoir une place,
01:20:53 ou un regard, et à être actif.
01:20:55 Et la solution que j'ai trouvée pour relativiser ma position
01:21:01 face à ces images qui, elles-mêmes, sont de nature hégémonique,
01:21:04 c'était de produire un dialogue avec l'opérateur de ces images,
01:21:09 qui est à la fois un sujet et un non-sujet,
01:21:14 parce qu'une de mes hypothèses, mais alors ça, ça court tout le long du film,
01:21:18 c'est qu'il y a quelqu'un derrière ces caméras-là.
01:21:20 Ce qui est assez différent de ce que pensait quelqu'un comme Faroqui,
01:21:24 qui a été le premier, un des premiers, en tout cas,
01:21:27 je sais pas si c'est vraiment tout à fait le premier,
01:21:29 mais un des premiers à constituer ce corpus,
01:21:34 à dire, là, il y a quelque chose qui s'appelle des images opératoires,
01:21:38 qui sont éventuellement belles, c'est très important qu'il dise ça,
01:21:44 mais si elles le sont, c'est tout à fait involontaire,
01:21:47 il n'y a personne qui a décidé qu'elles seraient belles,
01:21:50 et il n'y a pas de sujet derrière ces images.
01:21:54 Il y a une subjectivité qui a été annihilée
01:21:57 par la machine de guerre, par la technologie.
01:22:00 Et moi, au contraire, je viens bien plus tard,
01:22:04 parce que ces images ont été tournées avec des engins,
01:22:07 des caméras beaucoup plus sophistiquées que du temps de Faroqui,
01:22:10 je pense que maintenant que ces caméras sont très sophistiquées,
01:22:14 qu'elles peuvent faire des gros plans, des cadres,
01:22:16 qu'elles sont couplées au casque,
01:22:19 il y a ces têtes caméra canon, c'est la même chose.
01:22:23 Je pense qu'en fait, il y a un sujet qui regarde, qui fait des plans,
01:22:28 qui, éventuellement, peut être fasciné par ce qu'il voit,
01:22:32 et qui, de temps en temps, ne voit plus rien,
01:22:33 parce qu'il est complètement englouti, évidemment,
01:22:36 enfin, ne voit, ne regarde plus rien,
01:22:37 mais voit englouti dans son action, dans son acte,
01:22:43 dans une pulsion scopique insatiable,
01:22:45 mais uniquement liée au fait de viser et de tirer.
01:22:48 Donc c'est un sujet, une subjectivité intermittente, presque,
01:22:53 mais que, de temps en temps, elle est elle-même face à une image.
01:22:57 Voilà ce que je pense.
01:22:58 Et que dans cette image, cette image qui est...
01:23:02 Là, on le voit, quand même, je pense, qui est délirante.
01:23:05 En réalité, ces caméras, elles ont été faites pour élucider le réel,
01:23:10 totalement, pour tout voir, et d'ailleurs, elles en sont capables,
01:23:14 et on voit là qu'elles produisent des images hallucinées.
01:23:17 Elles sont folles, en fait.
01:23:18 Ça, ça m'a paru, pour le coup, intéressant,
01:23:22 c'est que les technologies les plus avancées
01:23:24 pour percer l'opacité de la nuit,
01:23:26 pour voir dans tous les recoins et partout et tout le temps,
01:23:32 en réalité, délirent.
01:23:33 C'est-à-dire qu'elles produisent une image du monde complètement hallucinée,
01:23:37 faite de surfaces luisantes, de fantômes,
01:23:40 ce qui m'a rappelé le titre du film,
01:23:43 mais avec des fantômes errants, quoi.
01:23:47 C'est un monde... Voilà.
01:23:49 Donc, il y a un pilote qui est face à ce délire, en fait,
01:23:54 sur lequel, à partir duquel,
01:23:58 il produit quand même un événement réel qui est le crime.
01:24:02 Enfin, il tue des gens, régulièrement, en tout cas.
01:24:06 -Juste pour préciser sur ce dialogue,
01:24:09 il y a à la fois la forme du dialogue rapporté,
01:24:12 parce que ce n'est pas un dialogue en direct.
01:24:15 Il y a une forme, d'ailleurs, très marquérienne.
01:24:17 Ça rappelle aussi les écritures de Chris Marker,
01:24:21 et qui est dite en voix off par Nathalie Richard.
01:24:25 Donc, peut-être, juste aussi sur l'écriture de cette voix off
01:24:27 et le choix de ce dialogue rapporté,
01:24:29 est-ce que c'était justement pour souligner la subjectivité
01:24:33 un peu déplacée de ces pilotes qui sont à la fois sujet,
01:24:37 mais en même temps pris dans un dispositif de vision
01:24:40 qui les déborde, quelque part ?
01:24:42 -De toute façon, il n'aurait pas accepté.
01:24:46 Je dis d'emblée pour être honnête.
01:24:48 Il n'aurait pas accepté que...
01:24:49 J'ai enregistré, d'ailleurs, les entretiens avec lui,
01:24:51 mais que je les utilise.
01:24:52 Mais même s'il avait accepté, je ne l'aurais pas fait.
01:24:54 Ça ne m'intéressait pas du tout de produire du témoignage direct.
01:24:58 Ce n'est pas le témoignage du pilote qui m'intéresse.
01:25:01 D'ailleurs, on les entend... Ah, là, on ne les entend pas,
01:25:03 parce que j'ai coupé le son de cette séquence.
01:25:06 On a le son souvent des pilotes avec leur radio.
01:25:08 Donc il y a beaucoup de séquences dans le film
01:25:10 où il y a les pilotes qui parlent.
01:25:12 Mais mon intention n'était pas
01:25:16 qu'on comprenne la position du pilote, en fait,
01:25:20 ou qu'on n'en sache plus.
01:25:23 C'est qu'on se demande ce que sont ces images.
01:25:26 Quelle représentation du monde nos machines de guerre produisent ?
01:25:31 Pour tuer.
01:25:33 Et est-ce que les propriétés esthétiques qu'elles ont,
01:25:36 qu'on peut repérer dans une salle de cinéma, en tout cas,
01:25:40 ne servent pas le projet de mort, au fond ?
01:25:41 C'est-à-dire qu'il y aurait comme ça une fonction
01:25:45 de la fascination,
01:25:49 une certaine fonction de la paradoxale beauté de ces images,
01:25:53 ou même douceur de ces images.
01:25:55 Parce que là, évidemment, quand on montre un extrait comme ça,
01:25:58 c'est ultra-violent, peut-être,
01:26:01 mais il y a très peu de gens qui sortaient de la salle.
01:26:03 Le film est sorti en salle, je l'ai montré dans des tas de festivals,
01:26:06 très peu de gens sortaient.
01:26:08 Parce que ces technologies du regard elles-mêmes,
01:26:13 ou ces caméras-là, amortissent la violence.
01:26:16 C'est-à-dire qu'il y a quelque chose qui met à distance la violence
01:26:20 pour le pilote, pour celui qui va tuer.
01:26:23 Et que, d'une certaine façon, ce qui est insupportable,
01:26:25 c'est d'être capable de les regarder, presque.
01:26:28 C'est un... Voilà.
01:26:30 - C'est vrai. D'ailleurs, une partie du trouble esthétique
01:26:33 dont il était question, là, à l'instant,
01:26:36 c'est aussi que quand on regarde ces images, nous,
01:26:39 on n'a pas conscience, du moins, peut-être pas immédiatement,
01:26:43 que ces tâches lumineuses qui apparaissent comme ça
01:26:46 sur le paysage sont, en fait,
01:26:50 ce que les caméras thermiques repèrent, c'est-à-dire...
01:26:52 - La chaleur. - Donc les corps des membres.
01:26:54 - Le sang, potentiellement, etc.
01:26:57 Donc il y a une beauté paradoxale et terrifiante, en fait,
01:27:02 de ces images, effectivement.
01:27:04 - La beauté n'est pas toujours du côté du bien, ça, on le sait.
01:27:08 - J'entends que ça...
01:27:10 - J'ai le droit de poser une question ? - Bien sûr, bien sûr.
01:27:14 - Le film est absolument passionnant et terrifiant,
01:27:19 enfin, les deux.
01:27:21 Moi, c'est maniaquerie d'historienne,
01:27:23 mais j'avais un peu envie de remonter d'un cran,
01:27:26 parce que ce que...
01:27:28 Alors, d'abord, quand on voit ce film,
01:27:30 c'est aussi le prolongement des réflexions de Paul Virilio
01:27:34 dans "Guerre et cinéma", où il dit,
01:27:37 dès la Première Guerre mondiale, on a monté des caméras
01:27:39 sur les canons des avions d'assaut,
01:27:45 et ils avaient comme point commun...
01:27:47 Enfin, il dit "l'œil", on peut discuter, l'œil,
01:27:50 mais enfin, l'œil et l'arme avaient comme point commun la visée.
01:27:55 Et dans le même temps, ce qui m'a fascinée en voyant ça,
01:27:59 c'est de retrouver cette idée, mais complètement redisposée,
01:28:03 qu'on a dans le film de Faroqui,
01:28:05 c'est-à-dire la proximité entre conserver et détruire.
01:28:08 Alors, je m'explique sur les deux,
01:28:11 parce que ça dépouche sur une question, c'est-à-dire que,
01:28:14 là, ce qui est complètement fascinant
01:28:16 pour ceux qui ne l'ont pas vu et terrifiant,
01:28:18 c'est que, vous l'expliquez, il y a un...
01:28:23 C'est le mouvement du corps, le mouvement de la tête
01:28:26 qui déclenche, enfin, la caméra.
01:28:31 Donc, c'est le corps lui-même,
01:28:35 et plus l'œil, enfin, c'est le corps, les mouvements de la tête
01:28:38 qui sont responsables des images qu'on a vues.
01:28:42 Alors, il y a ça, c'est pour ça que je parle de prolongement.
01:28:45 - L'idée par l'œil, quand même. - L'idée par l'œil.
01:28:47 Mais je veux dire, il y a quelque chose de...
01:28:49 Peut-être dans quelques années,
01:28:51 on aura la caméra intégrée dans le cerveau.
01:28:53 Voilà, on est dans ce processus interminable,
01:28:56 mais qui, en même temps, dans lequel vous posez
01:28:59 cette question du regard, parce que le regard passe aussi
01:29:02 par un cadre et par ce plan très fort
01:29:06 où, tout d'un coup, on filme des enfants,
01:29:08 qu'il ne s'agit pas, là, j'espère, d'exécuter.
01:29:13 Mais voilà, il y a cette question en suspens.
01:29:16 Mais voilà, pourquoi est-ce qu'on fait ces images ?
01:29:19 Il y a un moment où vous dites...
01:29:22 C'est aussi pour les archiver.
01:29:24 Et c'est là que j'aimerais bien que vous me répondiez,
01:29:28 parce que, voilà, toute la réflexion de Faroqui,
01:29:32 mais aussi de la mienne sur les ghetto-wots, c'est ça.
01:29:35 C'est on filme parce qu'on va détruire,
01:29:39 on filme ce qu'on va détruire,
01:29:40 on détruit parfois parce qu'on a filmé.
01:29:42 C'est le cas de Theresienstadt.
01:29:44 Et là, il y a quand même la notion d'archive,
01:29:46 et en même temps, vous dites qu'elles ne sont pas faites
01:29:48 d'une certaine manière pour être vues.
01:29:50 Mais vous parlez de...
01:29:53 Le paradoxe de ça, c'est qu'on pourrait se dire
01:29:56 qu'on garde ces images pour prouver qu'on a bien fait.
01:30:00 Et que, du coup, ce serait une forme de justification.
01:30:04 Et ce qui rajoute encore un degré à notre anéantissement,
01:30:10 c'est-à-dire que, finalement, on a bien fait le job.
01:30:14 Mais voilà, c'est autour de toutes ces questions
01:30:16 que moi, je m'interroge en voyant votre film.
01:30:18 - Je pense qu'il y a un cap qui est franchi
01:30:22 avec ce couplage-là, c'est-à-dire entre tuer et voir,
01:30:26 avec ce fantasme de la guillitude réalisé, au fond.
01:30:30 Parce que dans tous les autres cas qu'on a évoqués,
01:30:34 de René, eh bien, quelqu'un a filmé les tortionnaires
01:30:40 ou les victimes.
01:30:42 Et parfois, c'est un tortionnaire qui filme,
01:30:44 parfois, une victime a fait des photos.
01:30:47 Mais, en tout cas, il y a quelqu'un qui se décale un peu
01:30:52 pour regarder à un moment.
01:30:54 Là, il n'y a personne, en principe, qui regarde.
01:30:56 C'est-à-dire qu'en principe, le type qui tire, qui vise
01:31:00 et qui tire, il n'a pas à regarder.
01:31:02 Si on distingue un peu voir et regarder,
01:31:05 ou l'œil et le regard, si on produit ce type de distincts,
01:31:08 de skis, comme disait l'autre, de distinction,
01:31:11 en principe, il a juste visé, tiré, qui va se taire.
01:31:15 - Parce qu'il n'y a plus d'analyse.
01:31:16 - Voilà. Sauf que, pour vous répondre sur le plan
01:31:20 qui vous intéresse, c'est-à-dire pourquoi c'est archivé,
01:31:23 finalement, ce truc-là.
01:31:24 C'est-à-dire, quelle est la fonction de cette archive ?
01:31:26 C'est qu'en fait, il faut vérifier.
01:31:28 Et elles ne sont pas faites pour être regardées,
01:31:31 mais elles sont tout le temps regardées, ces images.
01:31:34 Donc, c'est ça.
01:31:35 Ça, c'est le paradoxe que vous avez bien soulevé.
01:31:38 En fait, c'est ça que vous soulevez.
01:31:39 Vous avez raison.
01:31:40 Elles sont regardées dès qu'il y a eu un tir.
01:31:43 Toute la hiérarchie le regarde.
01:31:45 C'est-à-dire que toute la hiérarchie le regarde
01:31:47 pour voir s'il n'y a pas eu une connerie, en gros,
01:31:49 pour voir s'il n'y a pas eu une bavure.
01:31:51 Et pour justifier.
01:31:52 Alors, après, il y a la légitime défense différée,
01:31:54 des choses que j'évoque un peu dans le film.
01:31:56 Mais donc, elles sont regardées à ce moment-là.
01:32:00 Et puis, alors, quand vous dites...
01:32:03 Alors, ça, c'est moins institutionnel et moins...
01:32:07 Historiquement, je ne sais pas si les historiens
01:32:09 en font quelque chose,
01:32:10 mais moi, jamais j'aurais fait ce film
01:32:12 si ce spectacle-là ne préexistait pas
01:32:15 à mon intention de le faire.
01:32:17 C'est-à-dire que moi, ce spectacle,
01:32:18 je l'ai donc vu sur Internet,
01:32:19 comme le rappelait Alice au début.
01:32:21 J'ai pas eu accès à des documents confidentiels.
01:32:24 Enfin, auxquels il avait accès,
01:32:26 c'était les services de l'armée.
01:32:27 Moi, c'est pas le CP Bidule, là, qui m'a fourni ça.
01:32:32 Ils m'ont dit "Vous, c'est même pas la peine."
01:32:34 Puis le pilote, il m'a dit "Demandez à ma capitaine."
01:32:37 Et la capitaine, elle a dit "Non, mais là, c'est bon, quoi.
01:32:39 "Vous n'aurez aucune...
01:32:41 "Je voulais juste des images d'entraînement, moi,
01:32:42 "puisque j'avais besoin de plans vide, parfois,
01:32:45 "et d'entraînement en France."
01:32:47 Et elle a dit "Mais allez voir ailleurs, quoi.
01:32:49 "C'est même pas la peine."
01:32:50 Donc, ces images, je les ai eues parce que des pilotes eux-mêmes
01:32:55 les publient sur Internet après leur mission,
01:32:57 parce qu'elles sont sur une clé USB
01:33:00 et qu'il est hyper facile de publier sur Internet,
01:33:05 donc sur des sites de vétérans de l'armée,
01:33:08 military.com, sur YouTube, etc.
01:33:11 Donc, elles sont déjà ultra regardées, en réalité.
01:33:16 Moi, je ne viens qu'après pour essayer de faire en sorte
01:33:19 qu'on les regarde autrement.
01:33:20 C'est-à-dire, je les extrais du flux où elles sont prises.
01:33:24 Et là, le flux, c'est vraiment un flux de "Waouh, bravo, super", etc.
01:33:29 Enfin, c'est rarement un flux critique.
01:33:31 Parfois.
01:33:34 -J'aurais encore plein de questions, notamment sur Danette,
01:33:37 mais je sais qu'il y a plein de questions dans la salle
01:33:38 et je voulais qu'on garde du temps pour que vous ayez la parole aussi.
01:33:42 Donc, on peut faire circuler un micro.
01:33:44 Je vois des mains qui se lèvent.
01:33:46 -Euh...
01:33:47 -Merci beaucoup.
01:34:08 Moi, autant je suis intéressée par le film de Alain Kassanga,
01:34:14 autant je suis choquée par celui d'Eleanor Weber,
01:34:18 pour une cinéaste.
01:34:20 Je veux dire, c'est vrai qu'on a vu ces images à la télévision
01:34:25 ou sur Internet,
01:34:28 mais sur un film que tout le monde peut voir,
01:34:32 même des enfants.
01:34:34 Je suis sidérée, parce que c'est l'utilisation de l'image
01:34:37 comme propagande d'une guerre
01:34:40 où on tue les hommes comme des mouches.
01:34:45 Je crois qu'il y a une distance à prendre.
01:34:47 -Vous avez vu le film ou vous avez juste vu l'extrait ?
01:34:50 -Non, j'ai vu l'extrait, ça me suffit.
01:34:52 -Du coup, c'est pas pertinent.
01:34:53 -Mais c'est utilisé dans votre... Merci.
01:34:56 -Non, non, mais c'est un vrai problème, là.
01:34:59 Mais c'est pas grave.
01:35:00 En fait, le film, il produit...
01:35:03 Je peux pas vous répondre. D'abord, je trouve ça...
01:35:05 J'aime pas, moi, ce genre de débat comme ça,
01:35:07 mais je vais vous répondre quand même.
01:35:08 Mais le film, il produit un regard critique sur ces images.
01:35:13 Mais non, c'est pas montré, mais c'est pas de ma faute,
01:35:15 et c'est même pas de la faute d'Alice.
01:35:17 J'ai prévenu un extrait.
01:35:18 Il faut aller le voir, puisque je crois que Arte et Lascam
01:35:23 le mettent... Vraiment, regardez-le,
01:35:25 parce que vous comprenez bien que j'ai pas fait ce film,
01:35:28 parce que je trouve ça super, vous voyez.
01:35:31 -Mais il me semble, par ailleurs,
01:35:32 que même dans l'extrait qu'on vient de voir,
01:35:34 il y a une distance.
01:35:35 Il y a une distance critique vis-à-vis de ces images.
01:35:37 -Il n'y a pas une mise en crise.
01:35:39 -Mais je comprends qu'à partir d'un extrait, ça vous choque,
01:35:42 mais je suis obligée de vous répondre un peu comme ça aussi.
01:35:46 -Excusez-moi, j'ai envie de défendre la réalisatrice,
01:35:48 parce que...
01:35:50 Ah, pardon.
01:35:51 (Propos inaudibles)
01:35:53 -Oui, oui.
01:35:55 C'est possible ou pas ?
01:35:56 -C'est déjà bien.
01:35:57 -Non, j'ai envie de défendre la réalisatrice,
01:36:00 parce que là, dans votre table ronde,
01:36:05 je trouve que vous, vous n'avez pas eu le temps
01:36:07 de présenter votre propos, votre démarche.
01:36:10 Pourquoi avez-vous fait ce film ?
01:36:12 Qu'est-ce que vous avez cherché à raconter ?
01:36:14 Par quels moyens on a été un peu confrontés,
01:36:17 je dirais un peu brutalement à cet extrait,
01:36:20 qui est effectivement...
01:36:21 Enfin, je n'ai pas d'adjectif, d'ailleurs,
01:36:26 les mots me manquent.
01:36:29 Et moi, ce qui m'a un peu glacée de l'intérieur,
01:36:33 j'avais l'impression... Voilà.
01:36:35 Pour certains hommes ou femmes, c'est comme un jeu vidéo,
01:36:40 sauf que là, on a des vraies personnes qui meurent,
01:36:45 on a des vraies personnes qui tirent,
01:36:47 et oui, effectivement, ça nous prend dans les tripes.
01:36:52 Donc je comprends que la personne est choquée,
01:36:55 mais je pense, là, on a eu un aperçu
01:36:58 qui ne correspond pas à ce sur quoi vous réagissez.
01:37:02 Donc peut-être que vous pouvez prendre deux minutes
01:37:04 pour expliquer un peu votre propos, votre démarche.
01:37:08 -Moi, je pense que c'était l'occasion de se poser la question
01:37:14 de qu'est-ce que c'est que montrer un extrait ?
01:37:18 Il y a des objets. Certains extraits, par exemple...
01:37:21 -Le thème de l'année prochaine.
01:37:24 -Non, mais je veux dire, c'est comme si l'extrait
01:37:27 faisait un geste cinématographique
01:37:31 pour autoriser un échantillonnage.
01:37:34 On va vous montrer un échantillon du film.
01:37:36 Bon, Mila a fait quelque chose d'important.
01:37:39 Je vais vous montrer une bande-annonce, par exemple.
01:37:42 Effectivement, c'est toute une réflexion qui s'ouvre là,
01:37:48 non pas sur votre film, parce que j'ai aucun doute,
01:37:51 je vais le voir, et j'ai aucun doute sur sa tenue,
01:37:55 je le sens, rien qu'en vous entendant,
01:37:57 mais j'ai pas besoin de voir un extrait.
01:38:00 C'était peut-être le moment, dans une réunion comme ça,
01:38:03 de se dire, voilà, un film dont on ne va pas vous montrer d'extrait,
01:38:07 parce que c'est ce qui a construit sa propre nécessité,
01:38:14 qui importe, si un jour vous voyez le film,
01:38:17 il faut que vous ayez au moins entendu ce que j'ai voulu faire.
01:38:19 Voilà, j'ai l'occasion d'expliquer ce que j'ai voulu faire, etc.
01:38:23 C'est-à-dire qu'on ne peut pas, comme ça,
01:38:25 sortir un petit bout de quelque chose
01:38:28 en disant, ça va vous donner une idée de...
01:38:30 Ça ne marche pas tout le temps.
01:38:32 - Non, mais c'est vrai qu'on n'a pas...
01:38:34 Avec Alice, pour tout vous dire, c'est un hasard,
01:38:36 mais on a fait 5 ou 6 tables rondes.
01:38:39 On en a fait plein.
01:38:41 On en a fait au bal, au réel, et même avec des étudiants aussi.
01:38:47 Et parfois, on montrait quelque chose de plus.
01:38:52 Là, c'est-à-dire que ça, en plus,
01:38:55 c'est pas une séquence introductive qui expose.
01:38:59 Ça nous met au coeur de ce qui est supposément insupportable à voir,
01:39:04 en tout cas, mais sauf que ça vient au bout de 40, 50 minutes de film, ça.
01:39:09 Et voilà, là, vous débarquez,
01:39:12 ce dialogue avec le pilote, vous voyez pas du tout ce que c'est.
01:39:15 C'est-à-dire qu'il y a quelqu'un qui parle de Pierre V,
01:39:16 c'est qui, Pierre V ? On sait pas du tout.
01:39:18 Donc, vous ne voyez que l'image,
01:39:20 vous voyez pas du tout le dispositif
01:39:22 que j'ai mis en place pour qu'on la regarde.
01:39:25 Donc, c'est compliqué.
01:39:28 Après, je vous parle depuis tout à l'heure.
01:39:29 Moi, je suis pas une...
01:39:34 Je suis pas férue de justification morale, je vais vous dire.
01:39:39 Donc, vous pouvez attendre ça de moi, vous l'aurez pas.
01:39:42 Mais... Et politiquement,
01:39:47 je pense qu'il n'y a pas de doute sur mon intention,
01:39:49 mais encore faut-il voir le film.
01:39:50 Mais enfin, vous pouvez pas imaginer que j'ai fait ce film
01:39:53 parce que je trouve extraordinaires quand même
01:39:55 ces nouvelles technologies et leur grande puissance.
01:39:58 Voilà, bon.
01:39:59 Et j'ai...
01:40:00 -C'est déjà clair dans l'extrait.
01:40:02 -Oui, c'est clair dans l'extrait, en fait, mais peut-être pas tout à fait.
01:40:04 -Mais il me semble, par ailleurs, pour avoir effectivement
01:40:07 fait un certain nombre de débats avec Eleonore,
01:40:09 après même la projection de son film en intégralité,
01:40:12 qui suscitait, et il suscite encore,
01:40:15 des réactions très vives de la part du public.
01:40:19 Et je pense que peut-être même si vous aviez vu le film entier,
01:40:23 vous auriez peut-être aussi des questions et des réactions très vives.
01:40:25 Et peut-être parce que, justement, le film touche à un endroit très juste,
01:40:29 qui est à quelles conditions ces images sont visibles
01:40:32 et dans quelle mesure on les supporte.
01:40:34 Et si elles sont insupportables, et si le film les rend insupportables,
01:40:37 c'est peut-être justement aussi parce que c'est son projet même
01:40:41 de nous révéler le caractère insupportable de ces images
01:40:44 et de creuser cette espèce d'ambiguïté esthétique,
01:40:49 de fascination morbide dans laquelle elle nous plonge.
01:40:51 Donc peut-être que si le film vous heurte et vous dérange...
01:40:55 - Pour ceux qui le verront ou pas, mais ce n'est pas une chose quand même...
01:41:00 C'est arrivé dans les publics de salles, mais ce n'est pas...
01:41:04 Par exemple, dans la réception du film, j'avais très peur, moi,
01:41:07 que des gens, en gros, puisqu'on a commencé à évoquer
01:41:13 des questions morales, continuons, même si je n'adore pas ça,
01:41:18 mais ça me semble important.
01:41:21 Je craignais qu'on me reproche évidemment une certaine complaisance.
01:41:24 C'est le terme que les gens emploient dans ces cas-là.
01:41:28 C'est-à-dire, tu as bien tripé sur tes images.
01:41:31 Et puis tu... Enfin, j'exagère en disant ça,
01:41:35 mais évidemment que moi, j'ai énormément souffert moralement
01:41:40 en faisant ce film de "Est-ce que vraiment c'est possible ou pas ?"
01:41:44 Et je dois dire que j'ai quand même travaillé longtemps
01:41:49 jusqu'au moment où moi, mais aussi une petite équipe,
01:41:52 on s'est dit "Là, on est au bon endroit.
01:41:56 On est à un endroit qui ne devrait pas...
01:42:00 et qui ne serait pas juste une pure provocation."
01:42:04 Le film, ce n'est pas mettre ça sur grand écran
01:42:06 pendant une heure et quart et basta.
01:42:08 Et ça, j'avoue que dans les commentaires, les articles, etc.,
01:42:16 même de la part de, par exemple, de revues ou de journaux,
01:42:20 qui ont pu m'attendre à un rejet, je n'ai pas eu beaucoup de...
01:42:25 Les gens ont quand même compris, je crois,
01:42:27 que ce dispositif était là pour faire penser,
01:42:29 pour le couvoir matière à penser,
01:42:31 et pour nous permettre, nous, collectivités de citoyens,
01:42:34 puisque c'est quand même des guerres...
01:42:36 Moi, le point de départ de ce film, c'est un intérêt que j'ai
01:42:39 pour des guerres complètement occultées et qu'on mène,
01:42:42 et que la France mène dans un certain nombre de coalitions.
01:42:46 En notre nom, mais pas seulement.
01:42:47 En notre nom et avec nos soldats.
01:42:50 Et c'est ça qui me...
01:42:51 Tout à coup, ce qui m'intéresse, c'est sous Hollande, etc.
01:42:54 Qu'est-ce qui se passe ?
01:42:55 Je ne vais pas commencer sous Hollande,
01:42:57 mais c'est sous Hollande qu'il y a eu quand même beaucoup de choses,
01:42:59 il faut le dire.
01:43:00 Et qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi ?
01:43:01 Ça ne fait pas débat. Pourquoi ?
01:43:03 On n'en débat pas, justement.
01:43:05 Et je m'intéresse à ça, puis je découvre le matériau filmé.
01:43:11 C'est-à-dire qu'avant, on filmait la guerre.
01:43:13 Maintenant, la guerre est un film.
01:43:15 Alors là, je simplifie, mais quand même,
01:43:16 il est devenu un film, il y a quelque chose de cet ordre-là.
01:43:19 Je tombe sur ce film-là.
01:43:20 Ce film, tandis qu'on se parle, il est en train d'être tourné.
01:43:23 C'est un film qui n'a pas de fin.
01:43:26 Et moi, je n'ai eu accès qu'à la part émergée de l'iceberg,
01:43:30 vraiment toute petite.
01:43:32 Et encore une fois, ce n'est pas moi qui suis...
01:43:33 Elle est là, en effet.
01:43:35 Vous le savez, puisque vous voyez.
01:43:37 Eh bien, je me suis dit...
01:43:40 Face à cette caméra à usage mortifère,
01:43:45 enfin prise dans un projet mortifère,
01:43:48 j'ai voulu qu'on regarde,
01:43:52 qu'on ajoute des regards à ces images, justement,
01:43:56 qui ont annihilé la subjectivité du regard.
01:43:58 Et peut-être annihilé, malgré tout,
01:44:01 en partie, le regard de celui qui tire aussi,
01:44:03 en tant que sujet.
01:44:05 Et je me suis dit, c'est en ajoutant des regards
01:44:07 qu'il y aura un espace critique.
01:44:09 Donc si vous voulez qu'on parle politique,
01:44:11 pour moi, c'est ça qui est politique.
01:44:12 C'est qu'il y a un rapport critique à ces images,
01:44:16 si on décide de les appeler images,
01:44:18 alors qu'on pourrait encore en discuter.
01:44:20 Moi, c'est ça qui m'intéresse au cinéma.
01:44:22 C'est que le spectateur fasse une expérience
01:44:26 pas toujours confortable.
01:44:27 Et là, je rejoins Alice.
01:44:28 Ce n'est pas confortable de voir ce film à tous les moments.
01:44:30 C'est évident.
01:44:31 Mais... Et so what ?
01:44:34 L'ambivalence, en plus,
01:44:36 en dehors même de cette question de la guerre,
01:44:40 il y a une question qui m'occupe
01:44:43 et qui, là, est à son sommet, on pourrait dire.
01:44:46 C'est celle de la pulsion scopique,
01:44:48 c'est-à-dire du désir de voir, comme disent les psys,
01:44:51 du désir de voir au-delà du visible.
01:44:54 Ces caméras, c'est ça qu'elles réalisent,
01:44:57 qu'elles veulent réaliser comme fantasme
01:44:59 et qu'elles ne parviennent pas à réaliser,
01:45:00 parce que le pilote dit toujours,
01:45:02 il ne le dit pas dans cet extrait,
01:45:04 "Plus je vois, moins je suis sûre de ce que je vois."
01:45:06 C'est-à-dire ce fantasme de tout voir,
01:45:08 il est voué à l'échec.
01:45:10 Notre position de spectateur,
01:45:11 elle n'est pas étrangère à ce fantasme-là,
01:45:13 et même notre position de cinéaste.
01:45:15 Et c'est vrai que ça m'a occupée.
01:45:17 Ça m'a pris du temps d'ausculter ça.
01:45:21 Et passionnée, je dois le dire,
01:45:22 malgré la difficulté, franchement...
01:45:26 Objectif, vous pouvez en douter, tout ce que vous voulez,
01:45:28 mais bon, ce n'est pas tous les jours marrant, quoi,
01:45:30 de travailler sur ces images.
01:45:34 -C'est bien, la position scopique en jeu.
01:45:36 -Ah bah oui, c'est vraiment le...
01:45:38 -Oui.
01:45:41 Pour appuyer ce que vous venez de dire,
01:45:45 j'ai vu le film en entier,
01:45:48 et vous avez déjà, vous avez tout à fait anticipé
01:45:52 ce que je voulais souligner,
01:45:54 qui est que ça pose une question de la vision
01:45:58 et du monde digital auquel on est soumis.
01:46:02 Parce que je trouve que votre film,
01:46:03 les images sont évidemment difficiles à englober, bien entendu,
01:46:07 et elles dépassent notre capacité humaine à englober les choses.
01:46:12 On ne peut pas... On les reçoit,
01:46:13 après, ça prend du temps à les englober.
01:46:16 Mais il est question d'hypervision dans ce film.
01:46:20 Et à la fin du film,
01:46:23 ce qui m'a surprise et en même temps éclairée,
01:46:28 c'est quand vous nous montrez comment,
01:46:30 en tout cas, comme les images nous montrent comment,
01:46:32 plus on voit, moins on voit,
01:46:35 et moins on peut décider de ce que l'on voit.
01:46:39 Et ça pose la question de la responsabilité.
01:46:41 Donc si on retourne dans le champ du cinéma,
01:46:44 je trouve que ce film fait partie du champ du cinéma
01:46:47 dans ce sens où on peut...
01:46:49 Il nous permet de réfléchir très sérieusement sur l'hypervision
01:46:54 et sur ce fantasme de tout voir,
01:46:58 qui est une question qu'on doit adresser
01:47:01 et dont on doit se...
01:47:03 à laquelle on doit faire...
01:47:05 porter une grande attention. Voilà.
01:47:25 -Pour parler un petit peu de tous les films
01:47:28 et du sujet de cette journée,
01:47:31 le usage des films, des matériaux d'archives.
01:47:39 Et là, vous venez de parler d'un sujet qui est au fond de tout.
01:47:45 Qu'est-ce qu'on cherche
01:47:49 dans les matériaux d'archives et dans les films amateurs ?
01:47:53 C'est ce côté...
01:47:57 brouillon, mal fait, maladroit et intime.
01:48:02 J'ai trouvé dans tous les films,
01:48:09 c'est un traitement un peu juste.
01:48:13 Justifier des matériaux,
01:48:20 soit par des rapports de famille,
01:48:24 qu'on voit dans les films,
01:48:27 dans les films d'Alan Kassandah,
01:48:30 comme dans les films "Les histoires des femmes au foyer".
01:48:33 Mais dans le film...
01:48:37 sur le studio du cinéma en Yougoslavie,
01:48:44 là,
01:48:48 quelque chose qui n'est pas là, c'est la première personne,
01:48:51 l'auteur, entre guillemets.
01:48:54 Il n'apparaît pas dans le film.
01:48:56 Dans les autres films, oui,
01:48:58 la présence du cinéaste est bien présente.
01:49:03 Et surtout, cette vision d'auteur autant reclamée
01:49:08 qui devient des films d'auteur et dans des objets artistiques.
01:49:16 C'est ça que je me demande beaucoup
01:49:21 dans le film qu'on vient de voir.
01:49:25 J'ai vu un entier et on sait.
01:49:29 Parce que ce sont des images que l'on a déjà vues sur YouTube.
01:49:33 Donc quand ça commence le film,
01:49:37 moi, je m'attendais déjà à une scène comme celle du massacre.
01:49:42 Mais je me suis dit, comment est-ce qu'elle va conduire ce film-là
01:49:47 pour arriver là ?
01:49:49 Et c'est vrai que c'est une façon très intelligente
01:49:52 avec ce texte qui donne un ton humain
01:50:00 de ces personnes-là qui sont des machines de guerre.
01:50:04 Ce ne sont plus des personnes.
01:50:06 Ça fait partie d'une machine qui est là pour filmer et tuer.
01:50:10 Mais là, vous arrivez à lui donner, à leur donner un côté humain
01:50:16 au début et à la fin.
01:50:19 Ça boucle.
01:50:21 Ça facilite, si on veut, le visionnage de tout le film.
01:50:29 Je me suis dit, ça fait penser à quoi ?
01:50:36 Ce sont des hommes, en fin de compte.
01:50:39 Ceux qui font ça sont des hommes.
01:50:42 On est capable de plus grandes atrocités tout le temps.
01:50:47 Mais en même temps, on les voit
01:50:51 grâce à cette alluvie d'objets artistiques.
01:50:55 Oui, c'est-à-dire que là, on est en salle, on voit le film.
01:51:00 Il y a d'autres films où on voit des scènes de mort,
01:51:05 de la mise à mort, et ça passe.
01:51:09 Ça passe parce qu'on a vu un film, même si c'est un documentaire.
01:51:13 Mais on est un peu protégé par cette alluvie.
01:51:19 Je ne sais pas si vraiment on arrive à vraiment réfléchir,
01:51:24 à avoir une pensée critique grâce au film.
01:51:28 Je ne sais pas, je m'interroge.
01:51:31 Mais là où je m'inquiète, c'est jusqu'où on peut aller
01:51:36 avec cette idée de construire des objets esthétiques,
01:51:43 une plastique, tout ça.
01:51:44 Tout devient un objet d'art.
01:51:48 Aujourd'hui, surtout, quand on voit des expositions,
01:51:53 tout peut être un objet d'art, une pierre.
01:51:57 Et pareil avec les films, les frontières et les limites
01:52:01 du cinéma d'auteur, ça devient un peu flou et trop grand.
01:52:06 - Il y a beaucoup de choses dans ce que vous avez dit.
01:52:11 Je comprends bien, c'est un peu ce dont on discutait
01:52:16 au tout début, cette question du passage à l'art,
01:52:20 ce concept qui, visiblement...
01:52:24 Eh bien peut-être que...
01:52:28 C'est une vieille question, ça.
01:52:33 - Peut-être...
01:52:38 Deux choses.
01:52:41 Marie-Josée, tout à l'heure, disait que c'était un cas d'école
01:52:45 sur qu'est-ce que c'est qu'un extrême,
01:52:47 mais aussi sur une question fondamentale.
01:52:51 Quand on montre...
01:52:53 La question, c'est celle de la responsabilité
01:52:57 de montrer ces images et de la manière dont on les montre.
01:53:01 Et évidemment, pour qui a vu le film,
01:53:05 l'écart est gigantesque entre ce qu'on pourrait voir
01:53:11 à la télévision dans un sujet où vous dites les avoir vus
01:53:15 et puis le film qui nous est proposé.
01:53:18 Donc ça, c'est évidemment une question fondamentale.
01:53:20 Et puisqu'on parlait de passage à l'art,
01:53:22 c'est une question que René s'est posée
01:53:25 avec les images des camps, bien évidemment.
01:53:27 Il y a des images qu'il n'a pas voulu mettre.
01:53:31 Et quelle a été, finalement, sa position ?
01:53:34 Ça a été de dire "je ne mets pas ces images-là".
01:53:36 Je pense, en tout cas, que c'est l'idée qu'il a eue
01:53:41 à regarder ce qu'il a mis de côté.
01:53:43 C'est celle qui rejette les internés des camps
01:53:47 ou qui continue à les maintenir en dehors de l'humanité.
01:53:51 Et ces questions-là, elles se posent aussi dans le film.
01:53:54 Il y a des enfants, il y a une vieille dame,
01:53:57 même dans l'extrait qu'on a vu.
01:53:59 Donc cette question, elle est fondamentale.
01:54:01 Et puis après, il y a un geste de monteur,
01:54:03 et c'est ça que j'appelle le passage à l'art,
01:54:05 qui fait que tout d'un coup, il va les ramener aussi
01:54:09 vers cette humanité par le geste, par le commentaire,
01:54:12 par la musique, par son travail de montage
01:54:14 et par la distance critique qu'il va construire
01:54:16 avec ces images.
01:54:18 Donc voilà, c'est des débats qui sont fondamentaux, importants.
01:54:23 Et évidemment, on ne peut juger du travail
01:54:27 qu'il nous a présenté qu'en le voyant, d'abord.
01:54:30 -Et par ailleurs, pour prolonger,
01:54:32 parce qu'effectivement, on pourrait rajouter
01:54:34 le travail d'Alain et le choix des images
01:54:37 qui a été fait dans votre film,
01:54:39 de ne pas montrer, par exemple,
01:54:41 des images de violence littérale,
01:54:43 mais de montrer comment la violence est présente
01:54:46 en hors-champ et de manière souterraine dans ces images.
01:54:49 Et je me posais aussi une question en vous écoutant,
01:54:51 c'est-à-dire peut-être la fonction de l'art
01:54:53 n'est pas uniquement d'esthétiser les choses,
01:54:55 elle est peut-être aussi de les interroger
01:54:58 dans des espaces critiques et dans des espaces politiques.
01:55:01 Et c'est peut-être ce qu'opèrent ici tous les films
01:55:03 dont il a été question aujourd'hui.
01:55:05 -Et en plus, moi, je dirais que je ne vous crois pas
01:55:10 quand vous dites que vous les avez déjà vus, ces images.
01:55:14 J'y crois pas.
01:55:15 Vous les avez jamais regardées
01:55:17 comme on les regarde si on est pendant une heure,
01:55:20 un peu plus d'une heure, dans une salle de cinéma,
01:55:23 face à ces images-là.
01:55:24 Déjà, c'est faux.
01:55:26 Parce que moi, justement, je croyais les avoir vues,
01:55:29 je ne les avais pas vues.
01:55:31 Et c'est quand j'ai commencé à me trouver
01:55:33 vraiment un peu longtemps face à elles,
01:55:35 en tout cas, attentivement, peut-être,
01:55:37 qu'autre chose s'est produit,
01:55:42 qui...
01:55:43 Enfin, la prise de...
01:55:46 Faire face à...
01:55:48 à l'horreur que nous produisons, que nous établissons,
01:55:54 c'est une défonction de l'art, bordel.
01:55:56 Enfin, je veux dire, c'est...
01:55:58 Comment vous dire ?
01:56:02 Il faut ouvrir les yeux sur l'horreur.
01:56:05 Mais non, mais c'est vrai aussi.
01:56:07 Et c'est... Ouais.
01:56:11 À partir du moment où, en ouvrant les yeux,
01:56:14 on n'assigne pas le spectateur
01:56:17 à une place où il doit subir ce spectacle, simplement.
01:56:20 Mais je ne crois pas que c'est ce que j'ai fait, voilà, dans le film.
01:56:23 -Bonjour.
01:56:31 Moi, j'ai une question en tant que jeune réalisateur
01:56:36 qui débute dans la profession.
01:56:38 C'est une question qui est adressée à tous les quatre.
01:56:41 J'ai l'impression que le débat qu'on a en ce moment,
01:56:45 ça dépasse les limites du documentaire.
01:56:48 On peut le généraliser aussi.
01:56:51 Il y a quelques années,
01:56:53 quand on a eu les pamphlets de Céline qui allaient être rediffusés
01:56:56 et qu'on se demandait s'il fallait tout montrer.
01:56:59 Pareil pour "Made Come of Hitler".
01:57:03 Moi, ma question, c'est est-ce qu'on peut tout montrer ?
01:57:08 Et ou est-ce que c'est le commentaire
01:57:11 et la manière dont on montre ces images qui doit être jugé ?
01:57:15 -Pas le commentaire, mais la manière...
01:57:17 C'est évidemment le dispositif
01:57:20 que vous proposez au spectateur qui doit être jugé.
01:57:23 -D'être... Me sentir très mobilisée par ce débat,
01:57:37 passage à l'art, revenons-y.
01:57:40 Qu'est-ce que c'est qu'une œuvre d'art ?
01:57:42 À quoi on reconnaît une œuvre d'art ?
01:57:45 Pascal Dussapin a dit une chose magnifique.
01:57:50 "Créer, c'est donner des bords au chaos."
01:57:54 C'est très beau.
01:57:57 Vraiment, c'est donner des bords au chaos.
01:58:00 C'est donner une forme.
01:58:01 Et j'ai été amenée, moi-même, à travers le travail tout théorique
01:58:06 que je fais sur une œuvre d'art, de dire...
01:58:08 Si on doit définir ce qu'est une œuvre d'art,
01:58:12 ce n'est pas du fait de sa forme, du plaisir, du style,
01:58:17 uniquement de sa forme.
01:58:18 C'est la façon.
01:58:19 On ne peut juger ou appeler œuvre d'art
01:58:24 qu'à la mesure de la liberté de celui à qui il s'adresse.
01:58:29 C'est-à-dire, je reconnais une œuvre d'art
01:58:32 à la liberté qu'elle me donne.
01:58:34 Si je vois un film ou si je vais à une pièce de théâtre,
01:58:39 quand je suis confrontée à ce qu'on appelle une œuvre de création,
01:58:45 si je me sens moi-même augmentée dans le bonheur d'être,
01:58:51 à mon tour, acteur de ma propre action,
01:58:54 si j'y gagne moi-même ma liberté,
01:58:56 alors, véritablement, il y a une œuvre d'art.
01:58:58 Mais ce n'est pas une œuvre d'art ontologiquement.
01:59:03 Il n'y a pas un statut de l'art.
01:59:05 Je crois que le travail que fait Jacques Rancière aussi là-dessus,
01:59:09 en ce moment, est très important.
01:59:11 C'est que l'art a cessé d'être une ontologie des formes,
01:59:15 mais de plus en plus, quelque chose qui se mesure
01:59:18 à la liberté de celui à qui il s'adresse.
01:59:21 C'est quelque chose que Jean-Louis Comoli a aussi parfaitement dit.
01:59:26 C'est quel spectateur on construit ?
01:59:30 Donc, le film de Léonor, quel spectateur il construit ?
01:59:34 Moi, je crois très juste de dire que ça nous fait voir
01:59:37 pour la première fois ce que nous croyons tous avoir vu.
01:59:41 Mais peut-être qu'on va le voir autrement pour la première fois,
01:59:45 et de ce fait, construire notre propre regard là-dessus,
01:59:50 pour la première fois autrement,
01:59:51 au point d'y trouver les formes sous lesquelles nous allons y résister.
01:59:58 - Les mots par lesquels nous allons y répondre.
02:00:00 - Pour moi, résister à ce voyeurisme intégral,
02:00:03 c'était justement multiplier des regards.
02:00:06 C'était ajouter des regards, ajouter un terme.
02:00:09 Et ajouter un terme, c'est le regard,
02:00:12 mais c'est très important ce que vous venez de dire sur un regard.
02:00:16 Qu'est-ce que c'est un spectateur libre ?
02:00:18 Mais en tout cas, c'est évidemment dans cette relation-là
02:00:24 qu'aujourd'hui, je trouve qu'on doit se poser la question du passage à l'art.
02:00:28 Et plus du tout dans les termes, excusez-moi monsieur,
02:00:32 c'est pas une critique, mais peut-être que vous aviez tout à l'heure,
02:00:36 qui est esthétisation, pas esthétisation.
02:00:39 C'est-à-dire que cette problématisation autour de
02:00:43 est-ce qu'on a esthétisé ou pas les choses,
02:00:46 est-ce qu'on les a embellies de ce fait,
02:00:49 je pense qu'elle ne produit pas des capacités à renouveler nos gestes
02:00:56 et nos positions de spectateur.
02:00:58 Je pense vraiment que dans cette...
02:01:00 Je trouve, oui, Mérancière, en effet, c'est la base presque là-dessus.
02:01:04 - Voilà. Et quand Benveniste analyse le mot "auteur",
02:01:08 en disant le mot "auteur" à l'origine,
02:01:11 ça veut dire quelqu'un qui accroît, qui fait, qui accroît,
02:01:15 qui augmente quelque chose.
02:01:17 Et donc, effectivement, je reconnais une oeuvre d'art
02:01:20 à ce que j'en sors accrue,
02:01:22 c'est-à-dire agrandie dans ma façon d'aborder le monde,
02:01:27 de le nommer, de le décrire ou de résister à ce qu'on m'impose.
02:01:31 - Ou déplacée. - Agrandie ou déplacée.
02:01:34 - C'est ça. Voilà.
02:01:36 Ça fait partie de l'agrandissement, oui, du déplacement.
02:01:41 - Malheureusement, je crois qu'on doit s'arrêter là,
02:01:45 mais merci beaucoup.
02:01:48 - On s'arrête là très provisoirement,
02:01:49 parce qu'on va surtout aller boire un coup.
02:01:51 Mais je laisse la place à Anne,
02:01:52 puisqu'elle est puissance invitante au CNC.
02:01:54 - C'était juste pour vous dire la même chose.
02:01:56 On vous invite à surtout ne pas vous arrêter de discuter,
02:01:58 mais de faire ça autour d'un verre.
02:02:00 Merci beaucoup pour ces débats.
02:02:02 (Applaudissements)