Dans le cadre de l’Année du documentaire 2023, la Scam, ARTE et le CNC vous proposent ce quatrième volet « Le documentaire a-t-il un genre ? » de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser » qui s'est déroulé à Paris, le 8 décembre 2023.
Programme de la journée :
• 10h30 : Introduction par Paul B. Preciado, philosophe, écrivain et réalisateur, animée par Fabrice Puchault, responsable de l’unité Société et Culture chez ARTE
• 11h30 : Conversation entre Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, cinéastes et artistes, animée par Elisabeth Lebovici, historienne de l’art, journaliste et critique d’art
• 14h30 : Entretien avec Kirsten Johnson, réalisatrice et directrice de la photographie documentaire, mené par Rémi Lainé, président de la Scam et réalisateur, et Marie Mandy, réalisatrice
• 16h30 : Masterclass avec Tabitha Jackson, réalisatrice, avec traduction par Marguerite Capelle
Programme de la journée :
• 10h30 : Introduction par Paul B. Preciado, philosophe, écrivain et réalisateur, animée par Fabrice Puchault, responsable de l’unité Société et Culture chez ARTE
• 11h30 : Conversation entre Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, cinéastes et artistes, animée par Elisabeth Lebovici, historienne de l’art, journaliste et critique d’art
• 14h30 : Entretien avec Kirsten Johnson, réalisatrice et directrice de la photographie documentaire, mené par Rémi Lainé, président de la Scam et réalisateur, et Marie Mandy, réalisatrice
• 16h30 : Masterclass avec Tabitha Jackson, réalisatrice, avec traduction par Marguerite Capelle
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00:00:00 Bonjour, je suis là juste pour exprimer mon grand amour à ces trois personnes.
00:00:18 Elisabeth Lebovis, que je lis avec joie, qui me donne de l'énergie.
00:00:27 Grande, grande critique d'art, journaliste, écrivaine et une des rares critiques d'art
00:00:33 dont le livre a produit une exposition, exposée, qui était au Palais de Tokyo jusqu'à récemment.
00:00:40 Et voilà, merci beaucoup, Elisabeth, pour avoir accepté de modérer la conversation
00:00:46 avec deux cinéastes dont le travail est presque intime, que je connais, que je suis.
00:00:55 Johanna Hagitoma et Khalil Jorech sont des plasticiens, des penseurs, des éducateurs
00:01:03 et des cinéastes.
00:01:04 Ils travaillent toujours ensemble.
00:01:06 Peut-être à un moment donné, Khalil dévoilera la nature de notre relation.
00:01:12 Je l'ai traumatisé à l'école quand on était enfant.
00:01:18 Il s'est vengé, il est devenu célèbre, il a travaillé à Catherine Deneuve et moi,
00:01:22 je ne suis rien.
00:01:23 Voilà, merci beaucoup.
00:01:26 Merci de m'avoir invitée et merci à Paul d'avoir ouvert cette journée incroyable.
00:01:41 Et il se trouve que moi aussi, j'avais été assez embêtée par la phrase "le documentaire
00:01:47 a-t-il un genre?"
00:01:48 Ça m'avait posé beaucoup de questions.
00:01:50 J'étais très énervée contre ce titre et j'en ai beaucoup voulu un rachat d'abord.
00:01:55 Et puis, en fait, je vous ai eu au téléphone, Khalil et Johanna, et en fait, je me suis
00:02:01 aperçue que le titre ne leur déplaisait pas à condition qu'on l'examine un tout petit
00:02:05 peu.
00:02:06 Alors, on va faire une espèce d'examen, justement, critique pendant notre séance.
00:02:11 Parce que, en fait, ce n'est pas le documentaire "est-il un genre?"
00:02:15 qui est une phrase tellement banale qu'elle est déjà à la poubelle avant d'être prononcée
00:02:19 que le documentaire "a-t-il un genre?" qui, finalement, est assez intéressant.
00:02:24 Parce que qu'est-ce que ça veut dire "a-t-il"?
00:02:26 Il y a quelque chose d'une attribution.
00:02:28 On a les yeux noirs, on a un téléphone portable, c'est assez possessif.
00:02:33 C'est aussi un état transitoire.
00:02:35 Aujourd'hui, j'ai les yeux rouges, donc on a les yeux rouges.
00:02:37 Alors, ces petites remarques sémantiques pour repréciser un petit peu notre position.
00:02:43 Le documentaire a-t-il un genre?
00:02:45 Étymologiquement, donc, "avoir" c'est "aberrer, tenir, occuper, habiter et, selon Marx, posséder".
00:02:53 Le verbe "avoir" étant, chez lui, toujours utilisé sous sa forme positive et politique.
00:02:59 L'avoir pour le capital.
00:03:00 C'est ça, en fait, que je trouve que vous remettez complètement en cause.
00:03:04 Cet état assez massif de la possession du genre.
00:03:09 Pour ce que je connais de votre travail, en tout cas,
00:03:11 cet avoir, il est toujours un peu transitoire, temporaire et peut-être aussi très contradictoire.
00:03:18 Alors, voilà, c'est ça dont j'aimerais qu'on parle un tout petit peu aujourd'hui.
00:03:24 Et pour liquider les choses de la façon politique dont on peut introduire les choses.
00:03:31 Donc, voilà, vous vous identifiez, tu t'identifies, Johanna, comme une femme.
00:03:35 Tu t'identifies, Rali, comme un homme.
00:03:37 Peu importe ce que ça veut dire.
00:03:39 Vous êtes un couple, vous vivez ensemble, vous travaillez ensemble.
00:03:41 Et voilà, c'est fait, c'est dit et on peut passer à autre chose.
00:03:44 Alors, moi, quand on m'a dit...
00:03:48 Et puis après, je vais leur laisser la parole.
00:03:50 Je fais cette introduction.
00:03:51 Le documentaire "A-t-il un genre?"
00:03:52 J'ai tout de suite pensé à "Ici et ailleurs" de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Mieville,
00:03:56 qu'on a traduit avec quelqu'un qui est ici aujourd'hui en anglais.
00:04:01 Et c'était un moment assez difficile, n'est-ce pas, Catherine Ruello?
00:04:04 On a traduit "Ici et ailleurs" pour Jackie Renal au cinéma Blicker Street.
00:04:09 Et donc, elle nous avait...
00:04:10 Comme elle n'avait pas les moyens de faire des sous-titres,
00:04:12 c'est nous qui disions la traduction.
00:04:14 Et c'était vachement compliqué.
00:04:15 Et justement, au moment où il y a tous ces "a", on n'y arrivait pas en anglais.
00:04:20 Voilà. Et donc, il y a un moment dans ce film où, donc,
00:04:25 tous les deux regardent les combattantes palestiniennes,
00:04:30 on y pense aujourd'hui, filmer dans leur vie quotidienne,
00:04:33 leur débat, leur entraînement et leur mort,
00:04:36 où en fait, Godard est pris en flagrant délit de Mel Gays par Mieville,
00:04:42 puisqu'il regarde un certain nombre...
00:04:44 Vous connaissez cette séquence sûrement.
00:04:46 Il regarde un certain nombre de combattantes et il parle de leur fierté,
00:04:49 de leur effort, de leur justesse, etc.
00:04:51 Et en particulier, une combattante et Mieville lui envoie immédiatement à la gueule.
00:04:55 "Mais tu oublies de dire qu'elle est belle."
00:04:58 Vous vous souvenez de cette histoire et qu'en fait, voilà,
00:05:01 qu'elle est un objet de désir.
00:05:03 Et voilà, c'est là où je voulais introduire "Je veux voir",
00:05:09 le film que vous avez réalisé avec Catherine Deneuve et Rabih Mrouet.
00:05:14 Je crois qu'on pourrait voir d'abord un extrait,
00:05:16 à moins que vous ayez envie d'ajouter quelque chose à cette longue intro.
00:05:20 - On peut y aller avec l'intro.
00:05:22 - Et ça, c'est la frontière ?
00:05:26 - Oui, c'est la frontière.
00:05:29 La petite route là, c'est la qui nous rapproche le plus d'Israël.
00:05:35 Et là, un statut flou pour l'instant.
00:05:39 - C'est-à-dire ?
00:05:39 - Normalement, c'est interdit de marcher là-bas.
00:05:43 Mais on a eu l'autorisation juste pour le film.
00:05:46 Peut-être parce que vous êtes avec nous.
00:05:49 Ça va être un grand marché là.
00:05:52 C'est un sentiment bizarre pour moi.
00:06:04 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:06:07 - Oui, c'est un film qui est très bien réalisé.
00:06:10 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:06:13 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:06:16 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:06:19 - C'est un film qui est très bien réalisé.
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00:06:46 - C'est un film qui est très bien réalisé.
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00:07:13 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:07:16 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:07:19 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:07:22 - C'est un film qui est très bien réalisé.
00:07:25 - Juste après, nous avons vécu cette guerre un peu à distance
00:07:28 - Juste après, nous avons vécu cette guerre un peu à distance
00:07:31 - J'étais jurée dans un festival à ce moment-là et on n'était pas au Liban.
00:07:34 - J'étais jurée dans un festival à ce moment-là et on n'était pas au Liban.
00:07:37 - Après, on n'a pas pu y retourner et on a vu toutes ces images de la guerre télévisées
00:07:40 - Après, on n'a pas pu y retourner et on a vu toutes ces images de la guerre télévisées
00:07:43 - Après, on n'a pas pu y retourner et on a vu toutes ces images de la guerre télévisées
00:07:46 - Après, on n'a pas pu y retourner et on a vu toutes ces images de la guerre télévisées
00:07:49 - Elles n'ont pas ce pouvoir, ce n'est pas qu'on ne sait pas, ce n'est pas qu'on n'a pas vu
00:07:54 - On voit très bien mais ça n'arrête pas les choses.
00:07:57 - C'est quelque chose qui continue.
00:08:00 - Et puis, quand on a pu enfin aller à Beyrouth, au Liban, on a été au sud pour filmer
00:08:03 - Et puis, quand on a pu enfin aller à Beyrouth, au Liban, on a été au sud pour filmer
00:08:06 - Et là, on a posé un trépied sur cette frontière exacte qu'on voit dans cet extrait
00:08:09 - Et là, on a posé un trépied sur cette frontière exacte qu'on voit dans cet extrait
00:08:12 - Et ça a été, on a provoqué un incident, tout le monde est venu entre la finue
00:08:15 - Et ça a été, on a provoqué un incident, tout le monde est venu entre la finue
00:08:19 - Le Hezbollah, l'armée, on nous a évacués rapidement pour ne pas causer de problème
00:08:22 - Le Hezbollah, l'armée, on nous a évacués rapidement pour ne pas causer de problème
00:08:25 - Et c'est là où on s'est dit avec Ray Lill, parce que nous on aime bien les interventions dans les films aussi
00:08:28 - Et c'est là où on s'est dit avec Ray Lill, parce que nous on aime bien les interventions dans les films aussi
00:08:31 - Et c'est là où on s'est dit avec Ray Lill, parce que nous on aime bien les interventions dans les films aussi
00:08:34 - Comment on pourrait faire quelque part pour poser un trépied ici et peut-être ouvrir une route ?
00:08:37 - Comment on pourrait faire quelque part pour poser un trépied ici et peut-être ouvrir une route ?
00:08:41 - Parce que notre travail de cinéaste ou d'artiste, comme on voudrait être appelé, c'est surtout de négocier avec ce réel et de repousser un peu les limites
00:08:47 - Parce que notre travail de cinéaste ou d'artiste, comme on voudrait être appelé, c'est surtout de négocier avec ce réel et de repousser un peu les limites
00:08:52 - Parce que notre travail de cinéaste ou d'artiste, comme on voudrait être appelé, c'est surtout de négocier avec ce réel et de repousser un peu les limites
00:08:55 - Et c'est là où on a eu cette idée d'inviter Catherine Deneuve à venir avec nous pour interroger un petit peu d'abord le statut des images
00:08:58 - Et c'est là où on a eu cette idée d'inviter Catherine Deneuve à venir avec nous pour interroger un petit peu d'abord le statut des images
00:09:05 - Si tout d'un coup ces ruines qu'on ne voit plus, ces guerres qu'on regarde à distance, si tout d'un coup il y avait une figure tout à fait inattendue qui venait avec nous pour les montrer
00:09:19 - Si tout d'un coup ces ruines qu'on ne voit plus, ces guerres qu'on regarde à distance, si tout d'un coup il y avait une figure tout à fait inattendue qui venait avec nous pour les montrer
00:09:20 - Si tout d'un coup il y avait une figure tout à fait inattendue qui venait avec nous pour les montrer
00:09:22 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que ça créerait une dissociation qui tout d'un coup ne serait pas possible ?
00:09:24 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que ça créerait une dissociation qui tout d'un coup ne serait pas possible ?
00:09:28 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que ça créerait une dissociation qui tout d'un coup ne serait pas possible ?
00:09:30 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:09:32 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:09:34 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:09:36 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:09:38 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:09:40 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ? Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
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00:22:58 - Est-ce que les gens les regarderaient différemment ?
00:23:00 - Et Khalil, il n'arrêtait pas de dire à l'équipe
00:23:02 "Mais est-ce qu'il va y avoir le retour de la fiction ?"
00:23:04 Et personne ne le comprenait, on lui regardait comme "Qu'est-ce qu'il raconte celui-là ?"
00:23:09 Et en fait, Catherine, elle par contre, elle a très bien compris.
00:23:13 Donc dans la scène de fin dont tu parles, tout d'un coup elle est donc avec l'ambassadeur qui lui dit
00:23:18 "Et comment on tourne un film ? Vous avez beaucoup répété et tout ça."
00:23:21 Donc elle, à un moment, elle se tourne vers Rabia et elle lui fait un vrai regard de cinéma.
00:23:26 Un vrai regard où on voit très bien qu'elle joue et on voit très bien ce qu'elle joue.
00:23:31 Elle est extraordinaire parce qu'elle a compris, elle, qu'il faut pour nous sauver à nous,
00:23:35 il faut le retour de la fiction pour qu'on ait le droit de rêver de nouveau.
00:23:39 - Pour qu'on ait le droit de montrer.
00:23:41 - Pour le droit à la joie aussi, de façon de l'espoir, de la proposition, de la performativité.
00:23:53 - Est-ce qu'on coupe et qu'on passe à la deuxième étude de cas ?
00:23:57 - Nous étudions des cas.
00:23:59 - Parce que tout d'un coup, moi j'avais mis deuxièmement "Porter un corps dans un lieu", ça c'était, je veux voir,
00:24:09 "Promener un corps dans un lieu", "La promenade de la fusée".
00:24:13 - Oui, alors je fais une petite introduction avant de montrer l'extrait ou pas, je ne sais pas.
00:24:20 Mais disons que ce second film dont on va parler s'appelle "Lebanese Rocket Society".
00:24:26 Et par... Oui, en fait, on va montrer la bande-annonce, comme ça vous verrez.
00:24:32 On a pensé vous montrer la bande-annonce parce que... plutôt qu'un extrait.
00:24:37 - Eh bien, bienvenue au musée du Liban.
00:24:42 - Les Libanais auraient un jour rêvé de conquête spatiale ? On a du mal à y croire.
00:24:47 - Au tout début des années 60, pendant que la NASA terminait ses préparatifs pour envoyer sa première fusée Apollo dans l'espace,
00:24:53 un petit groupe d'étudiants de l'Université Haïgazian, menés par Manouel Manoubian, a lancé des fusées dans le ciel libanais.
00:25:00 - C'est le début. On a commencé de la scratch avec de petites roquettes.
00:25:04 - Les sables passent à terre et ont joué des vaisseaux.
00:25:08 - C'était un grand accomplissement.
00:25:10 - Ce projet spatial était devenu un projet national.
00:25:14 - J'ai regardé mes étudiants et je leur ai dit qu'on pouvait regarder des roquettes plus grandes.
00:25:18 - Les boys et les fusées, c'était une bonne histoire.
00:25:21 - Et à ce moment-là, on a décidé de l'appeler la Société des Roquettes Libanaise.
00:25:25 - Les choses changent. L'armée prend petit à petit le pouvoir.
00:25:33 - J'étais très inquiet pour le projet spatial.
00:25:37 - Notre roquette avait une longue durée, ce qui, j'assume, concernait les pays autour de Libanon.
00:25:44 - Les Israéliens le regardaient, les Syriens le regardaient, tout le monde le regardait.
00:25:48 - J'ai pensé que c'était quelque chose qui devait s'arrêter.
00:25:52 Aujourd'hui, l'histoire du projet spatial libanais paraît presque impossible.
00:25:59 Alors, une idée un peu folle.
00:26:02 - On a fait l'équipe, on a commencé à le faire.
00:26:04 - Il y a des gens qui ne se souviennent pas.
00:26:07 - Offrir la reproduction à l'échelle de la fusée SIDER-4 à l'université où tout a commencé.
00:26:12 - Ce rêve d'espace, je veux le partager avec d'autres.
00:26:15 - Et ce rêve ne s'arrête plus.
00:26:17 - Regarde-moi dans la photo, je suis un choukaine.
00:26:28 - Je ne peux pas filmer le bain de bois.
00:26:30 - C'est quand même un trailer vachement optimiste.
00:26:34 - C'est la conquête.
00:26:36 - Il fallait à tout prix produire des images un peu différentes.
00:26:40 - On travaille beaucoup sur les représentations, sur comment nous sommes représentés.
00:26:47 - Nous nous représentons finalement nous-mêmes par le biais, le prisme de ces représentations.
00:26:54 - Parfois même en contradiction, en réaction.
00:26:57 - Quand on a entendu parler de ce projet spatial qui a vraiment eu lieu dans les années 60,
00:27:03 - Au début, ça paraissait vraiment impossible.
00:27:06 - Pourquoi d'abord, si ça avait vraiment eu lieu, on n'en parlait pas ?
00:27:09 - Parce que c'était totalement oublié et pas du tout présent dans l'histoire même de nos conversations.
00:27:15 - Et puis ensuite, cette idée-là de tout d'un coup, juissive, de produire des images qui ne nous ressemblaient pas du tout.
00:27:22 - Qui ne ressemblaient pas à ce à quoi les gens s'attendaient.
00:27:25 - Et puis surtout, si on tape Roquette sur Internet, c'est tout de suite les fusées du Hezbollah contre les uns les autres, Israël ou je ne sais quoi.
00:27:36 - Donc c'est tout de suite quelque chose de la guerre.
00:27:39 - Et tout d'un coup, on s'est dit, on a aussi produit des fusées, en tout cas pour eux qui les produisaient à l'époque,
00:27:46 - Pour la science et l'éducation.
00:27:50 - Et surtout, ils se pensaient totalement contemporains du reste du monde dans cette recherche.
00:27:55 - Alors, comme le disait Joanne à l'instant, ces personnes ont fait ce projet parce que c'était des rêveurs.
00:28:02 - Dans les années 60, les rêveurs, c'était des gens qui voulaient changer le monde.
00:28:05 - Donc ils imaginaient que par la science, ils construisaient la paix.
00:28:09 - C'était l'intitulé même de ce projet qui a été fait.
00:28:12 - Le monsieur le plus âgé, c'était un révérent protestant qui, dans l'enceinte de son université,
00:28:21 - Un groupe d'Arméniens venant de partout dans le monde arabe, a conçu pour la paix et la recherche des fusées.
00:28:29 - Et ils étaient assez bons.
00:28:31 - Aujourd'hui, si on mettait juste avant, fusées libanaises, etc., on avait un missile.
00:28:39 - C'est-à-dire qu'il y avait une mésentente sur la possibilité même de ce que ça pouvait être, ce projet.
00:28:47 - C'était peut-être une des raisons pour lesquelles ce projet ne pouvait plus résonner dans nos pensées.
00:28:54 - Il ne correspondait pas à l'image que nous avions de nous-mêmes.
00:28:57 - Pas seulement à ce que l'image avait, ce que les autres avaient comme image de nous.
00:29:02 - Et je pense que c'est ça, le cœur.
00:29:04 - Comment reprendre, arrêter les définitions, et surtout celles qui nous sont imposées,
00:29:14 - et tout d'un coup prendre la liberté de faire des fusées.
00:29:19 - Bon, ça c'est un exemple, les fusées.
00:29:21 - C'est un exemple vachement important, parce que vous fabriquez une fusée, qui ne marche pas, qui n'est pas lancée.
00:29:28 - C'est une sculpture.
00:29:29 - Qui va poser des problèmes immenses, d'ailleurs.
00:29:31 - Ça se voit un peu dans le film.
00:29:33 - Oui.
00:29:34 - Parce que notre décision, en fait, on fait la première partie du film, on raconte toute l'histoire.
00:29:38 - Parce qu'au départ, on pensait qu'on n'allait pas trouver les documents.
00:29:41 - On pensait au départ que, parce qu'il n'y avait pas de documents, on ne trouvait rien.
00:29:45 - Vous avez aussi un discours sur les archives au Liban.
00:29:48 - C'est ça, l'image manquante, on a beaucoup travaillé sur l'absence d'image, l'histoire qui ne se raconte pas, tout ça.
00:29:56 - Donc c'était presque normal qu'il n'y ait plus rien de toute cette aventure.
00:30:02 - On ne trouvait rien au Liban, mais quand on rencontre Manouk Manoukian, le père du projet,
00:30:06 qui vit à Tampa, qu'il accepte de nous recevoir, parce que ça a pris un temps.
00:30:11 Il s'est dit "c'est quoi ces deux Libanais qui veulent tout d'un coup me reparler de mon projet de fusée ?"
00:30:15 - Qu'est-ce qu'il fait maintenant ?
00:30:18 - Il est professeur de mathématiques, toujours.
00:30:21 - Et il fait d'ailleurs des fusées avec ses étudiants.
00:30:24 - Il continue son rêve, mais il nous a ouvert son bureau, et là il avait absolument tout.
00:30:30 Tous les documents, il n'y avait plus du tout d'image manquante, toutes les images étaient là.
00:30:35 Et donc là on s'est dit "il faut qu'on raconte cette histoire".
00:30:38 Et donc on a vraiment raconté toute l'histoire, jusqu'à l'arrêt bien sûr, vous voyez bien pourquoi
00:30:44 les Libanais s'arrêtent de faire des fusées qui peuvent devenir des missiles plus tard.
00:30:49 Et puis on s'est dit "mais qu'est-ce qu'on va faire aujourd'hui ?
00:30:52 On ne va pas seulement parler du passé, on ne va pas rester sur cette note nostalgique de "voilà comment on était" et tout ça.
00:30:57 Et c'est là qu'on décide avec Khalil de créer une fusée, la reproduction identique,
00:31:02 et surtout de lui faire traverser les rues.
00:31:05 - Donc c'est votre Catherine Deneuve là ?
00:31:07 - D'une certaine, oui.
00:31:08 - Il y a quelque chose aussi d'un peu performatif, parce que pour faire passer une fusée, c'était quasiment impossible.
00:31:15 Alors cette fusée, on en a fait deux.
00:31:17 On en a fait une à l'invitation de Racha Salti d'ailleurs.
00:31:21 - C'est la marraine de la fusée.
00:31:23 - Pour la biennale de Sharjah.
00:31:25 - Donc c'est dans le monde de l'art et dans le monde de l'éducation,
00:31:28 on reconnaît cette fusée pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un projet pour la paix.
00:31:33 Et donc il fallait, tout le monde, quand on a reconstitué cette fusée,
00:31:38 il fallait la transporter pour aller la mettre.
00:31:41 Mais nous on refusait de la transporter en pièces détachées.
00:31:45 On voulait la faire traverser comme elle traversait dans les années 60.
00:31:49 - Parce que dans les années 60, elle partait du collège à Egadien et elle allait à Duboyer.
00:31:54 C'est un lieu un peu en hauteur et elle était envoyée à ce moment-là.
00:31:58 Et là, il se trouve que cette usine où on a construit la fusée était à Duboyer, au même endroit.
00:32:03 Donc on voulait à tout prix qu'elle revienne de la même manière,
00:32:06 sur un camion et au vu au su de tous.
00:32:08 - Et donc ça, ce sont des stratégies de...
00:32:13 En tout cas, à l'époque, on avait peur de tout le monde.
00:32:17 C'est-à-dire on avait peur à l'intérieur du pays,
00:32:20 mais aussi de nos voisins, qu'il y ait une mésentente sur ce que c'est.
00:32:24 Or, nous ne pouvons pas parler avec tout le monde.
00:32:26 Donc il fallait utiliser de différents stratagèmes pour qu'il n'y ait pas une réaction...
00:32:31 - C'est pour ça qu'on nous voit à la télé, en fait.
00:32:34 On passe sur les télévisions, on commence à raconter ce qu'on est en train de faire
00:32:38 pour que les moteurs de recherche des uns et des autres...
00:32:41 On va chez les ambassadeurs parce que personne ne voulait nous laisser passer cette fusée.
00:32:45 - Passer avec une fusée en plein Beyrouth, j'imagine que c'est un peu embêtant.
00:32:48 - Mais c'était là, justement. C'était là la négociation.
00:32:51 C'est là où il faut négocier pour que ça se passe.
00:32:55 - Donc c'est une intervention sur des territoires, dans un territoire,
00:32:58 et où on essaie de rendre possibles ces certaines choses,
00:33:01 parce que sinon, on a l'impression que les significations s'aménuisent.
00:33:07 C'est-à-dire que notre territoire est en train de se réduire,
00:33:11 de rétrécir comme une peau de chagrin,
00:33:13 et où on va assister de plus en plus à des mésententes
00:33:17 et qui nous empêcheraient de continuer de pousser.
00:33:20 - Mais vous parlez de ce film comme une négociation avec la réalité.
00:33:23 J'aimerais bien qu'on continue à penser cette question-là, justement.
00:33:27 Alors négocier pour faire passer la fusée,
00:33:30 mais aussi négocier parce que finalement, il y a cette négociation d'images.
00:33:35 Il y a des images d'archives dont vous parlez,
00:33:38 et vous m'avez dit très souvent que c'est impossible de faire appel
00:33:42 à des images d'archives au Liban parce qu'elles sont toutes privatisées
00:33:45 et elles ne sont pas publiques.
00:33:47 Il n'y a pas d'archives publiques, si j'ai bien compris, ou pas disponibles.
00:33:51 Et puis négocier entre les images,
00:33:54 c'est-à-dire des captations de cette performance de la fusée,
00:33:58 des images télévisées, des images d'archives,
00:34:01 des images d'animation qui arrivent et qui s'insèrent dans le film.
00:34:07 Donc il y a aussi cette négociation-là qui s'opère
00:34:10 à l'intérieur de ce que vous avez fabriqué.
00:34:13 - Il y a des images d'archives, par exemple,
00:34:16 comme avec la Fondation Arapo, l'image, mais ce sont tous,
00:34:19 tout le temps, des initiatives privées.
00:34:22 C'est ça la difficulté un peu.
00:34:25 Mais ici, c'était l'idée de produire des images inattendues.
00:34:30 Inattendues, c'est-à-dire depuis le début, à Écré-Lille,
00:34:34 ce qu'on cherche, c'est produire des images qui nous correspondent
00:34:38 un peu plus, en tout cas, nous, on a été des grands lecteurs,
00:34:41 bien sûr, d'Edouard Tsaï, de l'orientalisme,
00:34:44 on a beaucoup réfléchi sur ces questions-là.
00:34:46 Et l'idée, c'est aussi de produire des images qui nous ressemblent
00:34:49 et pas des images comme celles qu'on voudrait,
00:34:52 qui sont produites par des films qui viennent de nos régions.
00:34:56 Et donc aussi, cette idée, par exemple, de produire
00:35:01 des images de science-fiction, d'animation,
00:35:05 c'est parce qu'on en voit très peu, des images de science-fiction.
00:35:08 Même nous-mêmes, elles ne sont pas à notre disposition.
00:35:12 On se projette peu dans le futur.
00:35:15 Excusez-moi.
00:35:18 - En fait, dans la négociation, il y a bien sûr l'idée de transformer le réel.
00:35:25 C'est-à-dire qu'on n'accepte pas les choses, on n'a pas ce cynisme-là.
00:35:29 - Décolonisé, on dirait peut-être.
00:35:31 - Oui, on va essayer de déplacer certains regards sur certaines situations
00:35:39 et essayer de rendre les conditions et les modes d'existence possibles,
00:35:43 on va dire, dans ces endroits-là.
00:35:46 Donc le réel est pour nous un matériau malléable, transformable, etc.,
00:35:51 pour essayer de rendre les situations...
00:35:56 En tout cas, de révéler les complexités de ce qu'il y a.
00:36:01 C'est tout un travail venant d'une situation, je dirais,
00:36:06 où nous ne sommes pas dans le camp des vainqueurs.
00:36:10 On a toujours une difficulté à faire comprendre
00:36:16 les réalités de nos existences.
00:36:19 Donc il faut rendre compte, parfois, des complexités
00:36:23 et faire un travail d'analyse, de décomposition
00:36:27 de tous ces épistémoïens, on va dire, qui constituent des matériaux.
00:36:32 Contrairement au collage ou au montage,
00:36:39 chez nous, ils sont, pour reprendre Godard,
00:36:43 ils utilisent la soupe.
00:36:45 Il y a la soupe à morceaux et la soupe passée.
00:36:48 Nous, tout est mixé.
00:36:50 C'est tellement complexé. Et c'est vrai qu'il y a le montage et le mixage.
00:36:55 Joanna m'en veut énormément.
00:36:58 - Pourquoi ? Non, mais dis-nous, la soupe...
00:37:01 - Voilà. - Soupe à grumeaux.
00:37:04 - Donc le mixage est très, très complexe.
00:37:08 Parce que justement, on n'arrive plus à identifier, par exemple,
00:37:13 une photo qui aurait des bords peut-être suturés,
00:37:16 mais qui a quand même des bords.
00:37:18 Et donc là, ça devient quelque chose qui est extraordinaire.
00:37:21 Il faut procéder là aussi à des analyses chimiques, presque,
00:37:28 pour pouvoir redistinguer des éléments,
00:37:32 pouvoir recomprendre et révéler la complexité de certaines choses.
00:37:37 - Je pense que c'est une question d'imaginaire.
00:37:40 Donc nous, ce qu'on voudrait, c'est...
00:37:43 On réfléchit sur l'écriture de l'histoire,
00:37:45 sur ses constructions, ses fabrications,
00:37:47 et sur l'imaginaire.
00:37:49 Et ces images, elles vont nourrir un imaginaire.
00:37:52 Notre imaginaire d'abord,
00:37:54 et puis peut-être ouvrir des imaginaires différents.
00:37:57 Et permettre.
00:37:59 Parce que tout est aussi une idée d'autorisation.
00:38:02 S'autoriser soi-même, c'est extrêmement important.
00:38:05 On ne saura pas...
00:38:07 Décloisonner, décoloniser, si tu veux.
00:38:09 Ces questions-là sont extrêmement au cœur des pratiques
00:38:14 quand on fait des images.
00:38:16 Je vais faire un petit détour pour parler de ça.
00:38:20 Il y a quelques années, très longtemps déjà,
00:38:24 on a voulu faire un film au Yémen.
00:38:26 Parce qu'on nous avait volé une copie d'un de nos films au Yémen.
00:38:30 Et on s'est dit avec Rali,
00:38:32 "Qui va voler une copie de nos films ?"
00:38:34 C'était un film assez lourd, les copies 35 à l'époque, au Yémen.
00:38:38 Ce n'était pas un film culte, on va dire.
00:38:40 Et là, ça a posé plein de questions dans notre tête.
00:38:44 Et on a commencé à faire un film au Yémen.
00:38:47 Et puis, il y a eu le 11 septembre.
00:38:49 C'était Arte qui s'intéressait à ce film.
00:38:52 Et quand on est revenu voir la personne en charge à l'époque,
00:38:57 c'était après le 11 septembre.
00:38:59 Et elle nous a dit, "Mais non, on arrête tout ça.
00:39:01 "On ne va pas faire ce film de vous qui cherchez votre copie au Yémen.
00:39:05 "Ben Laden, Yémenite, il y a des sujets plus importants maintenant que vous."
00:39:10 Et il a dit, "C'est devenu anecdotique."
00:39:14 Et nous, anecdotique, c'est notre truc, justement.
00:39:18 On a été, on s'est dit, d'abord, on n'est pas toujours très bon dans les définitions.
00:39:24 Donc on a dit, "Ça veut dire quoi, anecdotique, en fait, exactement ?"
00:39:28 Donc, anecdotique, c'est la petite histoire,
00:39:30 mais c'est aussi l'histoire tenue secrète.
00:39:33 Et là, on s'est dit, "Voilà, c'est exactement là où on va aller,
00:39:36 "dans l'histoire tenue secrète, la petite histoire,
00:39:38 "l'histoire qui est justement parallèle à l'histoire écrite officiellement,
00:39:43 "l'histoire qui s'écrit et qui s'apprend et qui se construit."
00:39:46 Donc ce film-là, il fait partie de ça.
00:39:48 - C'est les interstices.
00:39:50 - Oui, les interstices.
00:39:51 Mais l'anecdote, moi, je trouve ça très, très intéressant
00:39:53 parce qu'on s'aperçoit que dans le champ de l'histoire des arts, finalement,
00:39:57 l'anecdote, c'est aussi ce qui permet de déplacer, finalement,
00:40:00 une confrontation directe avec ce qu'on voit.
00:40:02 L'anecdote, c'est tout ce qui se passe du côté des sujets
00:40:07 qui sont convoqués, c'est-à-dire on va un petit peu déplacer le sujet
00:40:11 de cette confrontation brutale avec, on pourrait dire, la grande histoire,
00:40:15 qui n'existe pas d'ailleurs, face à ce chème complètement ridicule,
00:40:19 en déplaçant un petit peu le regard à côté et vers peut-être d'autres sujets.
00:40:25 Moi, je m'étais aperçue finalement qu'en histoire de l'art,
00:40:28 quand tout d'un coup, on voit représenter des attributaires,
00:40:32 les donateurs, donatrices, mais aussi des gens à qui les œuvres sont dédicacées,
00:40:36 par exemple, à partir des années 60, 70, 80, il y a beaucoup d'œuvres
00:40:43 qui sont dédiées à des gens. Et tout d'un coup, ça va introduire
00:40:46 quelque chose de l'anecdote, effectivement, de la petite histoire,
00:40:49 de la petite histoire de relation, qui fait que la grande histoire,
00:40:54 elle est complètement déplacée. Et on va regarder, effectivement,
00:40:56 la modernité différemment. Et avant de passer au troisième petit cas,
00:41:05 j'aimerais bien qu'on parle justement de ce rapport anecdotique
00:41:09 que vous entretenez avec cette histoire de la modernité
00:41:12 dont vous parlez dans l'Ebanese Rocket Society.
00:41:15 - En fait, pour nous, l'anecdotique, moi, je fais déjà des distinctions
00:41:21 parce que parfois, l'anecdote peut être mal perçue parce qu'elle peut être
00:41:26 une sorte de contrepoint subjectif qui vient demander un équilibre,
00:41:33 une justification devant... Voilà. Pour nous, c'est une stratégie...
00:41:38 - De résistance. - De résistance.
00:41:41 On va dire que nous souffrons de ce que l'on appelle des latences,
00:41:47 c'est-à-dire de présences dont les conditions de visibilité
00:41:52 ne sont pas forcément réunies. C'est-à-dire, il y a des choses,
00:41:55 mais les conditions de leur apparition ne sont pas forcément réunies,
00:41:59 comme dans l'image argentique, entre le moment de la prise de vue
00:42:03 sur le négatif, l'image est là, mais les conditions de sa révélation
00:42:07 ne sont pas encore remplies. Et donc, ça, c'est quelque chose
00:42:13 qu'on ressent très fortement dans des positions où nous ne sommes pas...
00:42:17 - Du côté des vaincus. - Voilà. Et c'est une position aussi
00:42:21 de stratégie, ça veut dire qu'on est là même si tu ne me vois pas.
00:42:25 Ce n'est pas que je ne suis pas là. C'est-à-dire, je suis là même si
00:42:29 il y a un discours qui se plaque chez nous, il y a des dissidences,
00:42:34 pour reprendre le terme de Paul, ou de, nous, des latences qui vont venir
00:42:39 crier ou attendre que ce cri puisse devenir audible.
00:42:45 Et elles vont s'incarner dans ces interstices où l'anecdotique
00:42:50 va devenir le moment où on pointe notre présence et la possibilité
00:42:55 même d'avoir un récit. C'est là qu'on existe.
00:42:59 - Je pense qu'il faut faire qu'on fasse attention aussi quand on dit vainqueur
00:43:02 ou vaincu, parce que je crois que c'est plutôt, justement,
00:43:07 dès qu'on a quelque chose, c'est toujours remettre en jeu.
00:43:12 Il faut tout le temps remettre en jeu les choses, les apprendre,
00:43:18 surtout quand... Moi, j'ai l'impression toujours de recommencer à penser
00:43:23 depuis la base, en fait. Et c'est vrai que sûrement je sais
00:43:29 beaucoup de choses, mais très souvent, j'ai l'impression qu'il faut absolument
00:43:33 que je désapprenne tout dès le départ. Donc chaque position est différente.
00:43:38 Parce que notre positionnement n'arrête pas d'évoluer, justement.
00:43:42 Il n'arrête pas d'être mis en question par les autres, mais il faut absolument
00:43:47 qu'il le soit aussi par nous-mêmes. Et on n'arrive pas à se tenir,
00:43:52 disons, quelque part. - Et le film enregistre ça, généralement, dans le cinéma,
00:43:56 dans le cinéma documentaire encore plus. On a la liberté de pouvoir...
00:44:01 Par exemple, "Libanese Rocket Society", on a tourné un film avec Jeanne Lapoirie,
00:44:05 une directrice de la photo qu'on aime beaucoup, qui était un très beau film
00:44:08 mélancolique sur l'absence d'image, avec des travellings lents,
00:44:12 qui évoquaient les absences d'image de ce projet-là.
00:44:16 Et puis, quand on a trouvé ces images-là, ce qu'on avait tourné devenait caduc.
00:44:21 - On voulait être mélancolique, nous, tout d'un coup. On avait tout.
00:44:25 Donc on s'est dit, bon, pour une fois, il va falloir raconter une petite conquête.
00:44:30 Et au début, on avait beaucoup de mal avec cette idée qu'on allait raconter
00:44:35 toute cette histoire. Mais finalement, c'est peut-être pour ça aussi
00:44:39 qu'on a fait "La fusée", pour se mettre en danger. Parce que l'idée aussi,
00:44:42 c'était qu'il ne faut surtout pas être nostalgique. Il ne faut surtout pas se dire...
00:44:46 C'est le grand danger de notre région aussi, et du monde, de dire,
00:44:51 avant, c'était mieux. Aujourd'hui, on est dans les extrêmes.
00:44:55 Aujourd'hui, c'est la catastrophe. Moi, je dis à chaque fois,
00:44:58 je ne suis pas sûre que c'était tellement mieux. Si je réfléchis à l'histoire
00:45:00 de mon grand-père, il a été exilé de Zmir. Il arrive au Liban.
00:45:06 Il y a des guerres successives, des famines, des maladies.
00:45:10 Il faut faire attention aussi. Ce qui est attristant, c'est qu'il y a toujours
00:45:13 cette même... Il faut toujours se mettre au combat, en fait,
00:45:18 contre les extrêmes. Et c'est là, c'est pour ça qu'il faut les négocier.
00:45:24 Pas négocier avec elles, jamais. - Jamais. C'est là où, évidemment,
00:45:29 c'est très facile de passer au troisième extrait. Tu m'as fait la troisième.
00:45:32 - Oui.
00:45:34 De mes parents, je n'ai pas gardé grand-chose.
00:45:46 Il est resté, quand ma mère est morte, en 57, dix ans après mon père.
00:46:00 Deux tapis, un qui-l'est mais un tapis, et une valise de la première guerre mondiale
00:46:06 en cuir rouge, dans laquelle j'ai mis une ou deux pièces d'argenterie.
00:46:13 Et j'ai mis un album de famille, des lettres que mon père avait envoyées
00:46:20 à ma mère en français. Et il y avait des photos de l'armée
00:46:28 et une grande photo où il était avec Ataturk, Ataturk au milieu, l'état-major,
00:46:35 et lui, trois ou quatre officiers, puis moi.
00:46:39 J'avais, pendant des années, des amis arméniens, Ichmanian.
00:46:55 Elles étaient trois filles. Et j'ai laissé cette valise chez eux
00:47:02 de 1957 à 1976, 17.
00:47:09 - Vingt ans. - Vingt ans.
00:47:11 Voilà, le clim, was stored under the mattress of one of their beds,
00:47:17 and the boukharara was spread on the living room couch.
00:47:22 And the family would daily, once or twice, my dad asked when I was going
00:47:28 to keep out my thing. But I was feeling shy for Alphette,
00:47:33 it was going to be like pulling their hat from under their seat.
00:47:38 I talked to Simon about my valise, but kept postponing.
00:47:47 Vingt-dix-neuf-cent-soixante-dix-sept, Simon et moi, nous étions dans l'ancien
00:47:53 Babidris, et nous voyons les trois filles.
00:47:58 "Ah", j'ai dit, "j'ai décidé, on vient vous voir cette semaine."
00:48:03 Simon dit, "prendre les affaires d'été." Et El Dio, il dit, "c'est trop tard.
00:48:09 Nous avons vendu l'argenterie et les tapis, et les autres, on les a jetés,
00:48:16 nous partons après-demain à Los Angeles." Il quittait Beyrouth tout de bon.
00:48:23 Je les ai vus au coin de cette rue, c'était fini.
00:48:28 Ce qui m'a donné froid au dos après, je me suis dit, ils ont ouvert la valise,
00:48:37 et ont vu cette photo des généraux qui disaient "Homme sacré".
00:48:42 J'ai été triste, ils disaient, ils se choquent.
00:48:47 Pendant vingt ans, ils ont eu pour eux ces montres dans leur armoire, dans la chambre.
00:48:54 Et moi, j'ai perdu ces documents à jamais.
00:49:11 - Et elle ferme le tiroir. C'est incroyable cet extrait.
00:49:15 - Ça, c'est un film qui s'appelle "Ismirna", qu'on a fait en conversation avec Etel Adnan,
00:49:22 artiste, poète, notre ami. Et nous étions liés par cette histoire d'Ismir,
00:49:31 parce que sa mère était née à Ismir, comme mon grand-père, et tous les deux avaient dû quitter.
00:49:37 Sa mère était grecque, mon grand-père également. Ils sont partis en 1922,
00:49:42 et plus personne n'est reparti à Ismir. Ni mon père, ni Etel.
00:49:46 Et en fait, on avait toujours ce rêve avec Etel, on va aller à Ismir ensemble.
00:49:51 Parce qu'on avait grandi dans des mondes remplis de ce lieu,
00:49:56 des histoires en continu sur leur vie à Ismir.
00:50:00 Et en fait, on n'a jamais pu aller ensemble, mais on a été filmer à Ismir,
00:50:07 et ramener des images à Etel. Le film tourne autour de cette idée.
00:50:12 Et là, elle raconte cette histoire absolument folle de sa valise,
00:50:17 qu'elle a laissée chez ses amies arméniennes.
00:50:21 Parce que tout le film est autour de son père, qui était syrien,
00:50:25 officier de l'Empire Ottoman, ami d'Atatürk. Et sa mère était grecque.
00:50:31 Et donc, ils ont dû partir, parce que à un certain moment,
00:50:35 ce n'était pas possible pour un officier d'être marié à un grec.
00:50:40 Ils arrivent à Beyrouth, mais tous les deux sont défaits.
00:50:44 Et elle grandit dans cette maison où tout le monde est défait, en fait.
00:50:49 Et moi, j'ai grandi avec un grand-père, avec lequel je vivais aussi,
00:50:54 qui passait son temps à raconter ses histoires d'un ailleurs.
00:50:58 Et ce qui est incroyable, c'est que, Etel et moi, jamais,
00:51:02 on n'a pensé qu'on venait pas du même bord.
00:51:05 Disons que son père avait quelque part poussé mon grand-père à partir.
00:51:11 Et ça a été la tragédie de leur famille.
00:51:15 On le découvre au montage. - Ah, c'est ça. Au montage.
00:51:19 - Oui, très bizarrement, on y pense au montage, en fait.
00:51:22 - Un an après. - C'est la monteuse qui nous dit
00:51:25 "mais vous voulez travailler sur cet aspect?"
00:51:27 Et là, on se regarde avec Khalil, on n'y avait jamais pensé.
00:51:30 C'était assez incroyable.
00:51:32 - Elle parle de "tirer tapis sous les pieds".
00:51:37 Là, peut-être, c'est vraiment l'image dans le tapis.
00:51:40 Cette chose qui est là, mais qui se reconstitue.
00:51:44 - Cette idée folle qu'elle a laissée cette valise avec les monstres dans le placard.
00:51:49 - Ce qui est extraordinaire chez une personne comme est-elle,
00:51:53 c'est qu'il y a certes la perte de toute une histoire, de toute son histoire.
00:51:59 Mais il y a aussi une empathie qu'elle a ressentie pour l'autre.
00:52:04 Empathie qu'elle n'a pas réalisée au moment où elle a laissé.
00:52:08 Et c'est ça où les significations se déconstruisent dans le temps aussi.
00:52:14 C'est-à-dire qu'on réalise aussi ce qu'on a fait dans le temps.
00:52:18 Ça perd parfois de certains phénomènes de dureté.
00:52:24 Par exemple, quand Joanna réalise, 20 ans après,
00:52:29 qu'ils ne parlaient pas du même endroit, mais que ce n'était pas grave.
00:52:33 Et elle, ce rapport à la valise et à la peine qu'elle a sans doute provoqué à ses amis.
00:52:42 - Parce qu'en fait, ce qui était important, c'est cette idée du trauma.
00:52:46 C'est-à-dire que dans le film, elle insiste sur cette idée que ce n'est pas notre tristesse.
00:52:54 Ce n'est pas notre trauma. C'est le leur, en fait.
00:52:57 Et nous devons nous en défaire.
00:53:00 Nous ne pouvons pas vivre avec le trauma des autres,
00:53:03 même s'ils sont nos parents ou nos grands-parents.
00:53:06 Nous devons nous choisir.
00:53:08 - Ça, c'est 40 ans d'analyse.
00:53:10 - C'est beaucoup d'analyse, peut-être, mais c'est aussi extrêmement important aujourd'hui, je pense.
00:53:15 C'est-à-dire que moi, quand j'ai été à Izmir, je te disais, et j'en parle dans le film aussi,
00:53:21 j'ai eu l'impression que j'arrive là-bas avec cette histoire, les tueurs,
00:53:25 ce qu'ils ont fait à notre famille et tout ça.
00:53:27 Et en fait, j'ai juste l'impression de poser moi aussi des valises.
00:53:31 Je dépose mes valises de toutes ces années accumulées.
00:53:35 Et d'ailleurs, je fais un truc très primaire.
00:53:38 Je fais une allergie immense.
00:53:41 C'est-à-dire, je suis couverte de la tête aux pieds de bouton.
00:53:44 Et deux jours après, quand je rentre à Beyrouth, je n'ai plus aucun bouton.
00:53:48 C'est comme si j'avais expulsé le trauma des autres, que je ne voulais plus.
00:53:54 Je voulais être dans une autre approche de l'histoire, dans une autre approche de ma propre histoire.
00:54:01 Et je pense que ça, c'était très important dans le film de dire ça.
00:54:05 - Et c'est ce pouvoir, pour revenir au côté performatif, c'est cette transformation.
00:54:10 J'allais parler de la performativité du film qui, effectivement, performe quelque chose.
00:54:16 - Directement.
00:54:18 À ma surprise, je dois dire, mais effectivement.
00:54:22 Et aussi, je crois, est-elle quand elle laisse cette valise.
00:54:27 Je ne suis pas sûre qu'elle...
00:54:29 Pour elle, les Ishmanyans, les trois fils, ce sont ses amis.
00:54:33 Ce ne sont pas des Arméniennes qui ont été massacrées par les Turcs.
00:54:39 Et son père était ami de Data Turc.
00:54:42 Et cette photo, ce sont ses amis d'abord.
00:54:46 Parce qu'elle choisit sa vie, et elle, depuis le début, elle fait des choix pour elle-même.
00:54:52 Et c'est après, des années plus tard, justement, qu'elle s'en rend compte.
00:54:57 - Mais donner réalité à un tel acte manqué, c'est quand même, là encore,
00:55:03 une sorte de fonction performative du film qui est inouïe.
00:55:07 - Parce que ce film, on l'a tourné pendant très longtemps.
00:55:10 On allait chez elle, on posait la caméra, mais on parlait.
00:55:13 C'était des digressions.
00:55:15 Et en fait, ça a eu beaucoup de temps.
00:55:18 Et elle a écrit ce "Le Porello" et son livre à propos de l'Empire ottoman à ce moment-là.
00:55:23 Parce que l'Empire ottoman est tout d'un coup devenu très important dans le film.
00:55:27 Parler de l'Empire ottoman, c'est quand même crucial,
00:55:30 même aujourd'hui, particulièrement aujourd'hui.
00:55:32 Donc, je crois que c'est à ce moment-là que la figure de son père est revenue.
00:55:37 Et tout ça. Et ça a été effectivement performatif.
00:55:41 - Et ce qui est fascinant, d'ailleurs, quand on voit comment l'écriture d'Ettel
00:55:45 recouvre à chaque fois les images d'archives, finalement,
00:55:48 comment tout d'un coup, il y a cette volonté aussi de glisser deux discours
00:55:52 et d'éviter toute possibilité de nostalgie.
00:55:54 Puisqu'effectivement, tout d'un coup, la nostalgie pour, en plus,
00:55:58 des gens qui ont fait des actions qui étaient vraiment des saloperies,
00:56:03 tout d'un coup, l'écriture vient là pour donner une distance aux archives.
00:56:08 Et ça, je trouve ça aussi très, très beau.
00:56:10 Et le fait qu'Ettel lise en plus ce qu'elle a écrit,
00:56:14 on introduit quand même à la fois une très, très grande intimité
00:56:17 et aussi une possibilité, effectivement, de ne pas être happé
00:56:20 par le sentiment de fascination qu'on a toujours à l'égard des archives,
00:56:23 qui est d'ailleurs un sentiment complètement faux,
00:56:25 parce qu'on les regarde, on est complètement fascinés,
00:56:27 puis en même temps, on s'en fout totalement.
00:56:29 - Très important, effectivement, tu as raison, de ne pas céder à la fascination.
00:56:35 Et il y a la fascination, en fait, si on reprend, nous, dans le premier film,
00:56:39 "Je veux voir", on ne veut pas être fasciné par les ruines, n'est-ce pas ?
00:56:42 Parce qu'il y a aussi cette autre fascination, la fascination de la guerre,
00:56:45 la fascination de la ruine, la pulsion scopique de "je veux voir, je veux voir".
00:56:50 Le film, quand il dit "je veux voir", il dit, bien sûr,
00:56:53 c'est Alain Resnais, "tu n'as rien vu".
00:56:56 C'est aussi ça, c'est Hiroshima, mon amour,
00:57:00 et pour Etel, c'est aussi, on invoque les images des archives,
00:57:04 on en fait d'autres, mais quelque part, on se libère.
00:57:07 Parce que c'est ça aussi, l'idée de faire les films, la performativité,
00:57:11 c'est gagner un peu de terrain, empêcher la restriction du territoire
00:57:16 ou se libérer pour un petit temps.
00:57:20 - Oui, c'est très important dans l'histoire de la pensée visuelle,
00:57:25 les stratégies que vous mettez en place pour essayer de transformer
00:57:30 la norme visuelle et de transformer notre rapport visuel.
00:57:35 Et ça, c'est quelque chose qui traverse, finalement,
00:57:39 les trois extraits qu'on a vus.
00:57:42 - Sur la reconnaissance de certains éléments,
00:57:47 quand on voit une image d'archive, on voit d'abord du temps,
00:57:52 un certain décalage qui s'est passé.
00:57:54 Et la condition de nostalgie est très dangereuse,
00:57:57 parce qu'elle idéalise, elle mythifie,
00:58:00 donc elle nous empêche de regarder ce que c'est.
00:58:03 Ici, tout le travail est justement de pouvoir véritablement regarder
00:58:08 et non pas mythifier ou...
00:58:13 Non, notre travail est une déconstruction pour pouvoir regarder.
00:58:17 C'est ça qui est important,
00:58:19 c'est pouvoir, à un moment, regarder les éléments,
00:58:22 tels qu'ils apparaissent, et pas simplement un certain aspect.
00:58:26 Pour reprendre l'exemple d'Ethel,
00:58:29 elle reconnaît la perte de la valise,
00:58:32 mais elle reconnaît aussi une autre réalité.
00:58:35 C'est cette possibilité de pouvoir voir ce qui n'était pas visible
00:58:40 qui est très important.
00:58:42 Je crois que c'est le travail aussi qui est possible au cinéma.
00:58:45 C'est-à-dire que nous, ce qui nous intéresse au cinéma ou en art,
00:58:48 c'est de rendre compte de ce qui n'est pas forcément de l'ordre du visible,
00:58:51 de rendre compte des latences.
00:58:53 Je crois que c'est un des articles qui m'avait le plus intéressé.
00:58:59 C'était cette conversation avec Jean-Michel Frotton,
00:59:01 justement à propos de "Je veux voir",
00:59:04 sur le travail sur les latences
00:59:07 qui sont comme des stratégies, aujourd'hui,
00:59:11 éminemment contemporaines à propos du cinéma.
00:59:13 - Mais je crois que c'est l'idée aussi de voir,
00:59:16 mais justement pas de montrer,
00:59:20 que l'autre voit ou que je vois à travers les yeux.
00:59:24 Quand on demande à Catherine et à Rabia de partir avec nous,
00:59:29 c'est parce qu'ils vont nous aider à voir.
00:59:32 Il y a un moment dans le film où le noir arrive,
00:59:37 parce qu'on n'arrive plus à voir.
00:59:39 Ils s'installent et puis c'est par l'histoire du cinéma,
00:59:42 Rabia qui va réciter "Belle de jour",
00:59:45 ils vont parler de cinéma, que l'image revient.
00:59:49 Je pense qu'on voit à travers le regard de l'autre,
00:59:51 on voit à travers les images des autres,
00:59:53 ces images-là, et à travers leurs mots.
00:59:57 Mais dans une action, disons.
01:00:01 De voir vraiment dans l'action.
01:00:03 - Moi, je voulais, puisqu'on pourrait peut-être
01:00:09 accueillir quelques questions,
01:00:11 je voulais terminer sur ce qui me paraît aussi
01:00:14 vraiment intéressant, c'est justement le statut
01:00:17 que vous proposez à la performativité dans vos films,
01:00:20 qui n'est pas seulement la performativité des humains
01:00:23 qui font quelque chose.
01:00:25 Je voulais juste citer la grande théoricienne,
01:00:28 physicienne, féministe américaine Karen Barad,
01:00:31 qui dit "La performativité a été pensée presque
01:00:35 exclusivement comme affaire humaine,
01:00:37 en particulier lorsqu'il s'agit de différencier
01:00:39 l'humain et les autres non-humains.
01:00:41 Alors à quoi ressemblent les analyses performatives
01:00:44 de l'abjection, la suggestion, la gentilité
01:00:47 et la matérialité lorsqu'il s'agit de non-humains ?
01:00:50 La foudre, les neurones des raies,
01:00:52 les universitaires, les atomes
01:00:55 et peut-être le documentaire.
01:00:57 Est-ce que vous avez des questions ?
01:01:02 Des remarques ?
01:01:06 - C'est ma question, c'est pas ma décision.
01:01:09 - On en a une là.
01:01:11 - Oui, quand vous parlez évidemment de ce travail
01:01:29 que vous faites de déconstruction d'un certain type
01:01:32 d'égard, justement en utilisant la performativité
01:01:36 et tout ça, moi j'aimerais en fait vraiment
01:01:39 vous entendre parler de comment vous travaillez
01:01:41 à vous deux. Parce que c'est un peu la raison
01:01:43 pour laquelle on vous a invité.
01:01:45 Et donc peut-être c'est une question qui vous fâche,
01:01:47 je ne sais pas, mais vraiment, on voudrait
01:01:50 comprendre comment la parole, les idées,
01:01:54 enfin voilà, comment vous vous arrangez
01:01:58 pour travailler ensemble en tant que couple,
01:02:00 en tant qu'hommes et femmes, pour rester vraiment
01:02:03 au cœur du sujet de cette journée.
01:02:05 Voilà, merci.
01:02:07 - Oui, je pense qu'on était quand même au cœur du sujet.
01:02:10 Parce que justement, quand on a parlé tous les trois
01:02:14 et avec Racha de cette invitation,
01:02:16 c'était très important cette idée du genre,
01:02:19 mais peut-être pas exactement là où on aurait pu
01:02:24 directement aller par rapport à la journée.
01:02:27 Disons, c'était plutôt l'idée de ce brouillage,
01:02:30 de brouillage avec Rélille.
01:02:32 Bon, je crois que là, on a essayé avec Elisabeth
01:02:35 justement de montrer en quoi nous répondions
01:02:37 totalement à cette question.
01:02:39 Mais je pense qu'il y a aussi cette idée que,
01:02:42 bien sûr, on travaille à deux.
01:02:45 Et je crois que le problème, pas le problème, pardon,
01:02:51 la question c'est celui du rapport de force, n'est-ce pas ?
01:02:54 Le rapport de force, mais que nous n'avons pas
01:02:58 arrêté d'en parler.
01:03:00 C'est-à-dire que ce sont ces stratégies-là.
01:03:02 Et quand on est à deux, nous, depuis le début,
01:03:05 ce qui nous a intéressé, c'est qu'on se voit un peu
01:03:08 comme un collectif en action, et pas comme un duo
01:03:12 comme ça qui va parler de lui-même.
01:03:15 C'est pas notre sujet, même si on n'arrête pas
01:03:18 de parler de soi.
01:03:20 Je crois que nous, on fait des petites guérillas,
01:03:24 disons, à deux.
01:03:26 Et on n'a pas d'ego.
01:03:28 C'est-à-dire que je crois que le plus important,
01:03:30 quand on travaille ensemble, c'est de se dire
01:03:32 la question de l'ego, on la liquide rapidement
01:03:35 parce qu'elle n'est pas intéressante.
01:03:37 Et la question de la collaboration,
01:03:40 elle demande la zéro frustration.
01:03:43 Parce que si je commence, moi, à faire une concession
01:03:46 à Khalil et lui m'en faire une,
01:03:48 on finit par se haïr.
01:03:52 Et nous, on a envie de travailler ensemble.
01:03:55 C'est un désir.
01:03:57 Et de ce désir, en fait, naît l'écoute de l'autre.
01:04:00 Et parfois, on peut faire des combats et des conflits
01:04:03 l'un contre l'autre, énormes.
01:04:05 Mais il n'y a pas un vainqueur, un vaincu.
01:04:10 Il y a autre chose à trouver à ce moment-là.
01:04:13 Ça veut dire que ça ne va pas.
01:04:15 Si on arrive à se disputer et qu'il y en a un sur un plan,
01:04:18 ça peut nous arriver, sur la position de la caméra,
01:04:21 sur un personnage, sur une stratégie.
01:04:24 C'est quelque chose qui ne va pas s'il y a conflit.
01:04:27 Je pense que c'est ça qui est très important.
01:04:29 Et de trouver quelque chose d'autre.
01:04:31 - Et pour reprendre votre question,
01:04:34 vous vouliez comprendre. Moi aussi.
01:04:37 Franchement, je ne comprends pas encore véritablement
01:04:40 parce que ce n'était pas intentionnel.
01:04:44 Ce n'est pas programmatique.
01:04:46 On ne sait même pas si ça va durer.
01:04:49 Dans le sens, pour l'instant, ça dure.
01:04:51 Mais ce ne sont pas des figures de style,
01:04:55 ce dont je parle.
01:04:56 C'est véritablement quelque chose qui est ressenti.
01:04:58 C'est-à-dire que Joanna, quand elle vient
01:05:00 et qu'elle fait un film sur sa famille,
01:05:02 ce n'est pas censé me concerner.
01:05:04 Et pourtant, je le reconnais complètement comme mon film.
01:05:08 D'ailleurs, je dis que c'est mon film.
01:05:10 Même s'il y a un côté possessif qui est très étrange
01:05:13 par rapport à Elisabeth.
01:05:15 Il n'empêche que ce travail,
01:05:19 c'est le travail de ce territoire qu'on essaye de créer,
01:05:25 qui est un laboratoire, en fait,
01:05:27 qui est une façon d'être.
01:05:29 On n'a pas prévu de continuer.
01:05:33 Mais pour l'instant, on est mu par les mêmes choses.
01:05:36 Et donc, on se retrouve dans le même sillon.
01:05:40 - Je crois aussi que quand on fait un film,
01:05:44 soyons sérieux, c'est une équipe qui fait un film.
01:05:47 N'est-ce pas ?
01:05:48 Moi, j'ai toujours été très sensible à cette idée
01:05:50 du total collectif dans un film.
01:05:52 Je demande l'avis de tout le monde.
01:05:54 Tout le monde m'intéresse.
01:05:56 Ce que je veux, c'est faire dérailler la machine.
01:05:59 C'est très important quand on fait un film.
01:06:02 Et donc, pour moi, c'est jamais...
01:06:04 Bien sûr, après, il y a la question de l'auteur.
01:06:06 C'est un film de nous deux.
01:06:08 Mais pour moi, c'est un film de nous tous.
01:06:11 Vraiment.
01:06:12 Et donc, la collaboration, elle est difficile à expliquer
01:06:14 parce qu'elle est continue avec plein de gens.
01:06:16 J'ai l'impression de collaborer avec vous aujourd'hui,
01:06:18 par exemple, ou tout à l'heure, quand tu parlais.
01:06:20 Ça n'arrête pas.
01:06:22 Et c'est ça qui est important aussi.
01:06:26 De se dire que les films,
01:06:28 même les actes artistiques, on les fait à plusieurs.
01:06:31 Vraiment.
01:06:33 - Pour revenir sur cette matière à penser,
01:06:35 même un film terminé,
01:06:37 on a parlé tout à l'heure de la salle
01:06:42 comme un moment où on apprend ce qu'on a fait.
01:06:45 Mais même dans le temps,
01:06:47 les raisons pour lesquelles on fait un film aussi,
01:06:50 changent dans le temps, même s'il est terminé.
01:06:52 Mais il n'est pas terminé.
01:06:53 Donc, c'est ce travail où les couches se palimpsestent.
01:06:59 À un moment, on va presque comme dans un laboratoire,
01:07:03 essayer de les dégager,
01:07:05 essayer de lire, vous savez, avec des instruments.
01:07:09 Il y avait sept couches et sept couches.
01:07:11 Elles sont toutes là.
01:07:13 Mais elles laissent différents genres de traces.
01:07:17 Et ces dimentations-là sont passionnantes à étudier.
01:07:20 - Oui, parce que c'est comme si...
01:07:22 Pour moi, on a répondu vraiment à la question.
01:07:25 C'est-à-dire que le documentaire a-t-il un genre ?
01:07:28 Ce n'est pas les auteurs du documentaire ont-ils un genre ?
01:07:30 C'est le documentaire a-t-il un genre ?
01:07:32 On a pris le truc à la lettre et on a essayé de...
01:07:34 Comment justement, quand même,
01:07:36 parler du genre sans parler des technologies
01:07:39 et des outils qui le fabriquent ?
01:07:41 Ce n'est pas possible.
01:07:42 Donc, tout d'un coup, on est aussi rendu
01:07:45 à la fabrication des subjectivités
01:07:47 qui ne sont pas celles des auteurs, là, en l'occurrence,
01:07:49 mais aussi qu'est-ce qu'on peut penser aussi ?
01:07:52 C'est ce que essaie de penser justement
01:07:54 une théoricienne des sciences comme Karen Barad.
01:07:56 Comment peut-on penser la subjectivité
01:07:59 en dehors des auteurs,
01:08:02 en dehors des spécificités humaines
01:08:05 de ces subjectivités ?
01:08:07 On peut aussi essayer aujourd'hui,
01:08:09 et c'est ça notre contemporanéité,
01:08:11 de penser autrement et de penser aussi
01:08:13 en prenant en compte les outils qui les fabriquent.
01:08:17 Voilà.
01:08:18 Donc, je trouve qu'on a vraiment fait dix certes, là.
01:08:22 On a fait première, deuxième, troisième partie.
01:08:24 On a essayé d'être hyper à vous de nous le dire.
01:08:30 On n'a pas réussi, mais on a fait plan science-po.
01:08:32 Un, deux, trois.
01:08:34 Parlant de un, deux, trois,
01:08:37 et des trois cas que vous avez présentés,
01:08:40 j'ai trouvé...
01:08:41 Vous n'avez pas parlé de genre comme tel,
01:08:43 mais vous avez mis en œuvre
01:08:46 cette critique du genre,
01:08:48 en commençant par l'excès de féminité
01:08:51 de Catherine Deneuve,
01:08:53 la déconstruction un peu de Catherine Deneuve,
01:08:56 "Palimpsest", "Belle de jour" et tout ça,
01:08:59 mais avec "Rabir", où le courant ne passe pas.
01:09:01 Ce n'est pas une relation de séduction.
01:09:03 En allant au fusée,
01:09:06 qui est mis à nu,
01:09:09 le fusée, l'objet phallique,
01:09:10 qui est complètement mis à nu,
01:09:12 qui est complètement...
01:09:13 Ce n'est pas un fusée pour tuer l'autre,
01:09:15 pour exploser,
01:09:16 mais c'est une curiosité, c'est une rencontre.
01:09:18 Et à la fin, est-elle ad ninde,
01:09:20 qui transcende
01:09:22 et masculinité et féminité,
01:09:25 mais aussi identité politique
01:09:27 et appartenance,
01:09:29 qui est sous-jacent dans tout le récit
01:09:33 et tous les documentaires.
01:09:35 Il y a vraiment une critique un peu
01:09:37 de ces idéologies,
01:09:39 de ces dispositifs politiques
01:09:41 qui sont liés à cette question de genre,
01:09:44 que je trouve...
01:09:46 Il y a une déconstruction subtile,
01:09:48 mais pas si subtile,
01:09:49 qui évolue de "Je veux voir"
01:09:52 jusqu'à "Esmir", jusqu'à "Smir".
01:09:56 - Une réflexion, mais aussi une question,
01:09:59 si vous voulez commenter plus là-dessus.
01:10:02 - J'aime beaucoup cette analyse,
01:10:05 mais je ne vais pas...
01:10:07 Par rapport à ce que tu disais,
01:10:10 c'est-à-dire qu'il y a des significations
01:10:12 qui adviennent,
01:10:13 qui ne sont pas forcément intentionnelles
01:10:15 ou montées,
01:10:16 mais qui, bien sûr,
01:10:18 après Deneuve,
01:10:19 le fait de vouloir travailler
01:10:21 sur un objet aussi phallique,
01:10:23 c'était quelque chose
01:10:25 qui était pris en compte,
01:10:26 mais qu'il fallait tout le temps
01:10:27 déjouer, détourner.
01:10:28 - Oui.
01:10:29 - C'est sûr que...
01:10:30 - D'ailleurs, tu disais très justement
01:10:32 qu'il n'y a jamais eu des films
01:10:35 qui montraient le décollage de la fusée,
01:10:38 mais les films explosaient en vol,
01:10:41 en fait, encore plus que les fusées.
01:10:44 - C'est aussi la façon dont on les voit.
01:10:47 Si vous vous souvenez,
01:10:48 à la fin de la bande-annonce
01:10:50 de "Lebanese Rocket Society",
01:10:51 il y a ce photographe qui dit
01:10:54 "Pfff, est-ce que je suis idiot ?
01:10:56 Non, j'ai raté la fusée."
01:10:58 Alors que nous,
01:10:59 on la trouve sublime, cette photo.
01:11:01 On lui dit "Mais elle est superbe, ta photo."
01:11:03 Il dit "Mais c'est quoi cette trace, en fait ?"
01:11:06 La trace, c'est là où on vient.
01:11:09 On est dans la trace.
01:11:11 - Ça, c'est une vraie analyse de genre.
01:11:12 - Oui.
01:11:13 - Rater la...
01:11:14 Voilà.
01:11:15 - Oui, bonjour.
01:11:20 Vous avez répondu, en fait,
01:11:22 à la question en passant par tous vos chemins.
01:11:26 Le rapport entre vous deux,
01:11:28 deux auteurs de subjectivité,
01:11:30 deux genres féminin-masculin,
01:11:32 vous le citez souvent, Godard,
01:11:34 le rapport entre, c'est la troisième image,
01:11:36 le troisième film.
01:11:37 Est-ce que finalement,
01:11:38 certains de vos films
01:11:39 ne sont pas des films
01:11:40 qui vous échappent à l'un et à l'autre ?
01:11:42 Vous m'avez répondu.
01:11:44 Alors, déjà, on a fait un bout de chemin.
01:11:46 Par ailleurs, nous sommes en train de produire
01:11:47 un film au Liban.
01:11:48 On travaille avec Yasmin Chehemi, etc.
01:11:50 sur cette affaire de la fusée.
01:11:51 Je connais votre film,
01:11:52 qui est très intéressant,
01:11:53 qui est un peu carnavalesque,
01:11:55 de promener comme ça
01:11:56 la figure de la fusée à travers Beyrouth
01:11:58 avec ce qu'on peut imaginer
01:12:00 au niveau de la géopolitique,
01:12:01 missiles, etc.
01:12:03 On voulait savoir,
01:12:07 et peut-être qu'on vous rencontrera à cet effet,
01:12:09 si vous avez exploré
01:12:11 toutes ces images disparues
01:12:12 dont des fonds remontent,
01:12:13 les fonds photographiques
01:12:15 du début du XXe siècle
01:12:17 concernant Beyrouth,
01:12:19 ou les Ottomans, etc.
01:12:20 Si vous avez bien un peu travaillé
01:12:22 sur cette mémoire particulière du Liban,
01:12:24 qui après, le protecteur à français,
01:12:26 tout ce qu'on sait,
01:12:27 n'est pas si travaillé que cela,
01:12:29 finalement,
01:12:30 ou représenté ou reproduit,
01:12:32 puisqu'on est dans les questions
01:12:34 de l'art de la représentation,
01:12:35 de la reproduction,
01:12:36 c'est ce que j'ai cru entendre depuis ce matin.
01:12:38 Représenter, reproduire,
01:12:40 ce n'est pas tout à fait la même histoire.
01:12:42 Représenter, c'est déjà une fiction.
01:12:44 Comme disait Schopenhauer,
01:12:45 on a dit fiction partout.
01:12:46 La reproduction, c'est l'art de reproduire le réel.
01:12:49 Et donc,
01:12:51 ça peut poser aussi beaucoup de questions,
01:12:53 mais en tout cas,
01:12:54 mettre la main sur ces images disparues,
01:12:56 vous avez parlé de ces travelling, tout ça,
01:12:58 et ces monstres,
01:12:59 ces Ottomans, c'est magnifique.
01:13:00 C'est un peu notre sujet,
01:13:02 de montrer ces photos
01:13:03 que plus personne ne voit,
01:13:04 et qui ont signé des moments funestes.
01:13:07 Et bravo pour vos travaux.
01:13:09 - Merci beaucoup.
01:13:11 Je pense que,
01:13:12 je vais juste,
01:13:13 on pourra en reparler,
01:13:15 mais je crois que, plus que jamais,
01:13:17 on se rend compte qu'on a besoin
01:13:19 de montrer des images de cette période-là.
01:13:21 Surtout ces derniers temps,
01:13:24 on se rend compte qu'il y a beaucoup de choses
01:13:27 qu'on ne connaît pas,
01:13:28 et des narratives tellement différentes
01:13:31 chez les uns et les autres,
01:13:32 qu'il y a des récits, des images
01:13:34 qui doivent être invoquées.
01:13:35 Et je crois qu'on a à peine commencé,
01:13:40 en fait, à défricher,
01:13:43 à retrouver les archives,
01:13:45 et les documents, et les histoires.
01:13:47 Et il y a une grande importance
01:13:49 à faire ce travail, je crois, oui.
01:13:51 Mais dans l'idée de raconter un récit,
01:13:54 et une pluralité de récits.
01:13:57 Un regard très large.
01:14:00 - Mais les archives, comme l'archéologie,
01:14:03 c'est une politique.
01:14:05 Donc il faut savoir ce qu'on cherche
01:14:07 pour voir ce qu'on veut trouver.
01:14:09 - Qu'est-ce qui a été indexé ?
01:14:10 Comment ça a été indexé ?
01:14:11 Comment ça a été archivé ?
01:14:12 L'indexation, c'est l'écriture,
01:14:14 c'est l'écriture de l'histoire.
01:14:16 Et le problème, c'est d'aller contre l'indexation
01:14:19 pour trouver d'autres choses
01:14:21 qui ont été écrites différemment,
01:14:22 ou indexées autrement.
01:14:24 Et ça, ça a été un énorme travail
01:14:26 sur l'Ibanese Rock Society,
01:14:28 parce que dans l'indexation,
01:14:29 on ne trouvait pas les choses.
01:14:30 - Mais surtout, c'est à partir du moment
01:14:32 où on change de gris de lecture.
01:14:34 Qu'est-ce qui se passe ?
01:14:36 Parce que les mots ne vont pas opérer
01:14:39 de la même façon.
01:14:41 Il y a des mots qui étaient valables
01:14:43 dans un schéma, dans une perspective,
01:14:45 dans ce qu'on voit.
01:14:47 Je vous rappelle que même les Américains
01:14:49 avaient vu l'écran d'extermination,
01:14:53 mais ce n'est pas ce qu'ils cherchaient.
01:14:54 Ils cherchaient des usines.
01:14:55 Donc ça n'a pas opéré.
01:14:57 - Ils ne les ont pas reconnus.
01:14:58 - Ils ne les ont pas reconnus.
01:14:59 Donc c'est...
01:15:00 Oui, oui, mais c'est...
01:15:02 (Propos inaudibles)
01:15:10 Vous devez un micro.
01:15:12 (Propos inaudibles)
01:15:14 Mais tout est contexte.
01:15:17 Par exemple, le film de Paul Preciado
01:15:19 finit sur cette histoire de passeport.
01:15:23 Oui, mais une distribution de passeport.
01:15:27 Les migrants, parce que tu en as parlé,
01:15:30 ils jettent leur passeport.
01:15:32 Ils jettent leur passeport,
01:15:34 parce que sinon, s'ils sont attrapés,
01:15:35 ils sont renvoyés d'où ils viennent.
01:15:37 Donc vous voyez, chaque contexte
01:15:40 va déterminer des choses.
01:15:44 - Oui, je voudrais revenir sur "Je veux voir",
01:15:51 que j'avais vu au cinéma en son temps,
01:15:54 en 2008, je crois, ou 2007, je ne sais plus.
01:15:56 - C'est 2008.
01:15:57 - Qui m'avait beaucoup impressionnée.
01:15:58 Et là, de revoir le corps de Catherine Deneuve
01:16:01 après l'intervention de Paul Preciado,
01:16:05 c'était très étonnant,
01:16:06 parce que tout à coup, on voit Catherine Deneuve
01:16:08 comme on ne la voit jamais.
01:16:10 On la voit marcher de manière très décidée.
01:16:12 On la voit un peu perdue,
01:16:15 se questionnant, ne sachant pas très bien
01:16:17 que faire et où aller.
01:16:19 Et j'ai évidemment compris,
01:16:22 au travers de ce film et de tout ce que vous venez de dire,
01:16:25 que c'est précisément cela que vous cherchez,
01:16:28 à savoir que la comédienne,
01:16:31 tout à coup, sort dans une espèce d'errance,
01:16:33 que la direction d'acteur n'existe pas,
01:16:36 où elle est très floue et vous cherchez l'accident,
01:16:40 les marges des intentions.
01:16:43 Et on se dit, moi je me dis en tous les cas,
01:16:46 qu'on a l'impression que vous montez même
01:16:48 ce qu'il y a avant la prise et après la prise.
01:16:51 Et ma question qui rejoint le thème d'aujourd'hui,
01:16:55 c'est dans votre travail, à tous les deux,
01:16:57 qui dit moteur et qui dit coupé ?
01:17:03 Direction d'acteur, il y en a beaucoup,
01:17:06 mais qui sont préalables presque.
01:17:08 C'est justement à défaire parfois des automatismes
01:17:13 que certains acteurs ont, etc.
01:17:15 Défaire des situations.
01:17:19 Parce que généralement, quand on est dans une situation
01:17:21 qu'on ne connaît pas,
01:17:23 on a tendance, ce qu'est de ces presque humains,
01:17:25 quand on a peur de quelque chose, à se raccrocher
01:17:27 à du connu ou à du déjà fait, etc.
01:17:30 Donc il faut créer des conditions pour accepter de lâcher,
01:17:34 lâcher prise pour pouvoir être entraîné ailleurs.
01:17:38 - Je pense que c'est difficile à comprendre,
01:17:46 mais ce n'est pas défini.
01:17:49 Nous, depuis, nous n'aimons pas beaucoup
01:17:51 cette histoire de définition.
01:17:53 Une des premières œuvres qu'on a faites,
01:17:55 ça s'appelle "Beirut n'existe pas, le cercle de confusion".
01:17:58 C'est justement cette idée que c'est une grande photo de Beyrouth
01:18:01 découpée en 3000 morceaux, collée sur un miroir.
01:18:05 Les spectateurs vont prendre des morceaux.
01:18:07 Derrière chaque fragment de l'image,
01:18:10 c'est écrit "Beyrouth n'existe pas".
01:18:12 Et plus on enlève l'image, plus le miroir fait
01:18:17 que c'est vous que vous regardez.
01:18:19 Cette histoire est très fondamentale dans notre pratique.
01:18:25 Parce que, justement, il n'y a pas quelqu'un qui va dire moteur.
01:18:30 On n'a pas défini ce rôle-là.
01:18:32 Et ça nous a joué beaucoup de tours.
01:18:34 Ça a été quelque chose de très problématique dans notre vie.
01:18:38 Mais qu'on revendique absolument.
01:18:41 Beaucoup de gens disaient "oui, mais moi, je veux bien financer ce film,
01:18:44 mais je veux savoir qui tient la caméra,
01:18:47 qui parle aux acteurs, comment vous travaillez ensemble".
01:18:50 Et en fait, on ne sait pas, parce que chaque fois, c'est différent.
01:18:53 Chaque fois, ce ne sont pas des rôles préétablis.
01:18:56 Chaque fois, il y a une situation, je vais m'entendre un peu mieux avec cette personne.
01:19:00 Donc, en se regardant, c'est moi qui vais aller lui parler.
01:19:03 Ou Khalil a une idée.
01:19:05 Il y a un brouillage.
01:19:09 Et c'est ça qui nous intéresse.
01:19:11 Je ne sais pas ce qu'il va raconter quand il parle.
01:19:14 Parfois, je m'inquiète.
01:19:16 Mais bon.
01:19:18 Mais c'est ça, c'est très important de ne pas avoir pris cette décision.
01:19:23 Comme on n'a pas non plus pris la décision de travailler dans le monde du cinéma
01:19:27 ou dans le monde de l'art.
01:19:29 Parce que pour nous, c'est exactement la même chose.
01:19:32 Et souvent, on nous dit "vous êtes des cinéastes qui faites de l'art
01:19:38 ou vous êtes des artistes qui faites des films ?
01:19:41 Et comment on sait être à deux ?
01:19:43 Il y en a un qui fait plus artiste et l'autre qui fait plus cinéaste.
01:19:46 Mais en fait, non.
01:19:48 Et je ne sais pas.
01:19:49 Et pour moi, c'est toute une recherche.
01:19:51 Ça n'arrête pas d'infuser.
01:19:53 - On n'est pas les mêmes du tout.
01:19:56 Du tout, du tout.
01:19:57 On n'a pas les mêmes rythmes.
01:19:58 On n'a pas les mêmes positions, etc.
01:20:00 - Mais on ne sait pas qui on va être en même temps, au moment où on est sur le plateau.
01:20:06 C'est très organique.
01:20:08 On se rend compte que sur un plateau, on a beaucoup de décisions à prendre.
01:20:12 Et c'est très organique.
01:20:14 On change d'avis.
01:20:15 Et je me contredit continuellement.
01:20:18 Je le contredit, il me contredit, je me contredit, il se contredit.
01:20:21 Donc, vous voyez, il n'y a pas de position.
01:20:23 Mais à un moment, le problème du couper, c'est d'être sûr qu'on ne va pas couper trop à l'avance.
01:20:30 Et c'est aussi le problème du respect.
01:20:32 Quand on travaille avec l'autre, ce n'est pas de couper.
01:20:34 C'est de le regarder pour être d'accord qu'on coupe.
01:20:37 C'est très important.
01:20:39 - On vient de les inquiéter.
01:20:40 Mais ça, ça ne fait...
01:20:41 - Non, non, non.
01:20:42 Pour les gens d'Arte, on s'entend très bien sur un plateau.
01:20:45 Ça se passe très bien.
01:20:46 On n'est jamais en dépassement.
01:20:48 - Mais ça crée quand même les conditions d'une certaine jubilation.
01:20:56 Parce qu'on sent les choses qui se font ou qui adviennent.
01:21:00 Même, je veux voir, quand on a commencé le tournage, elle nous avait donné 8 jours.
01:21:04 Franchement, c'était un court métrage.
01:21:06 - 6 jours.
01:21:07 - 6, oui.
01:21:08 On a tourné 8.
01:21:09 Donc, c'était...
01:21:11 On n'imaginait pas.
01:21:13 Mais c'est parce qu'il se passait quelque chose qu'on a senti que c'était en train de se changer.
01:21:18 - C'est très...
01:21:19 En fait, on a tourné un court métrage.
01:21:21 Et en fait, en montant, c'est devenu un long métrage.
01:21:23 Et on avait très peur d'aller dire à Catherine, c'est un long métrage, Catherine.
01:21:28 Parce qu'elle nous a dit, je veux bien faire un court métrage avec vous.
01:21:31 Et donc, là, tout d'un coup, on avait un long métrage.
01:21:34 Donc, on l'amène, on se retrouve et on lui dit, Catherine, c'est un long métrage.
01:21:38 Elle a dit, ce n'est pas grave.
01:21:40 D'accord, d'accord.
01:21:42 Elle dit toujours, d'accord, d'accord.
01:21:43 Puis après, on lui a dit, Catherine, le film va aller à Cannes.
01:21:46 Elle a dit, d'accord, d'accord, mais je veux le voir.
01:21:48 Mais voilà, on ne sait pas ce qu'on fait toujours.
01:21:51 Et c'est ça qui est formidable.
01:21:53 C'est de pouvoir...
01:21:54 - Il y a fondamentalement une question de cinéma.
01:21:57 Il y a l'idée de la rencontre.
01:21:59 C'est bresonien, peut-être, mais c'est ça.
01:22:03 Même là, un mot qui peut...
01:22:06 On rencontre un mot et ça nous envoie dans une direction.
01:22:09 Une personne nous dit quelque chose, c'est inspirant.
01:22:13 Et c'est ça qui est extraordinaire.
01:22:15 C'est que ce n'est pas...
01:22:17 C'est ni moi, ni elle, ni...
01:22:21 Parce que même moi, je suis tellement de palimpsest et elle aussi, etc.
01:22:25 Donc, c'est compliqué.
01:22:27 Et c'est ça qui est formidable.
01:22:29 C'est d'essayer d'espérer que ces rencontres vont continuer à produire quelque chose.
01:22:34 Et quand je reviens sur les produits chimiques et sur les réactions chimiques,
01:22:38 c'est que les réactions chimiques produisent des choses
01:22:40 tant que les agents sont encore actifs.
01:22:43 Et que parfois, on a tendance à imaginer qu'on perd de la puissance active.
01:22:48 Et donc, il ne faut pas...
01:22:50 C'est la seule chose.
01:22:52 - On veut nous faire croire ça.
01:22:56 - C'est démonter aussi la chaîne de production d'un certain point de vue.
01:23:00 Vous essayez aussi de défaire les maillons de cette chaîne.
01:23:04 Et ça, c'est important.
01:23:06 - Élisabeth Johanna et Khalil, merci infiniment.
01:23:09 - Merci de l'invitation, de nous avoir écoutés.