À la suite de l’Année du documentaire, la Scam, ARTE et le CNC vous présentent ce 5e volet de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser », portant sur l'image manquante.
Le programme :
- 11h : Keynote – Dialogue entre Raphaëlle Branche – historienne, réalisatrice, et Camille Ménager – réalisatrice.
- 11h30 : Table ronde en présence de Rithy Panh – réalisateur et auteur (en visio), avec Christophe Bataille – éditeur et auteur, animée par Fabrice Puchault – directeur de l’unité Société et Culture chez ARTE
- 14h30 : Étude de cas avec Mathias Théry – réalisateur et Jean-Michel Frodon – auteur et critique, autour des documentaires Isaac Asimov, l’étrange testament du père des robots, La Sociologue et l’ourson et La Cravate.
- 15h30 : Table ronde « Femmes, les récits manquants » avec Marie Bottois – réalisatrice, Diane Sara Bouzgarrou – cinéaste et plasticienne, Yamina Zoutat – réalisatrice et Camille Froidevaux-Metterie – philosophe, animée par Élodie Font – journaliste et autrice
Le programme :
- 11h : Keynote – Dialogue entre Raphaëlle Branche – historienne, réalisatrice, et Camille Ménager – réalisatrice.
- 11h30 : Table ronde en présence de Rithy Panh – réalisateur et auteur (en visio), avec Christophe Bataille – éditeur et auteur, animée par Fabrice Puchault – directeur de l’unité Société et Culture chez ARTE
- 14h30 : Étude de cas avec Mathias Théry – réalisateur et Jean-Michel Frodon – auteur et critique, autour des documentaires Isaac Asimov, l’étrange testament du père des robots, La Sociologue et l’ourson et La Cravate.
- 15h30 : Table ronde « Femmes, les récits manquants » avec Marie Bottois – réalisatrice, Diane Sara Bouzgarrou – cinéaste et plasticienne, Yamina Zoutat – réalisatrice et Camille Froidevaux-Metterie – philosophe, animée par Élodie Font – journaliste et autrice
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Court métrageTranscription
00:00:00 -Je suis Mathias Théry, le réalisateur d'Asimov,
00:00:09 "L'étrange testament du père des robots".
00:00:10 C'est une étude de cas qui va être un peu plus large qu'Asimov,
00:00:15 mais je ne vous en dis pas trop.
00:00:17 Et Jean-Michel Frodon, que je vois en vrai,
00:00:22 qui n'est plus une simple étude d'universitaire.
00:00:26 Il existe vraiment.
00:00:28 J'ai eu des bonnes notes à l'école grâce à vous.
00:00:31 Merci beaucoup.
00:00:32 Je vous laisse reprendre cette journée.
00:00:35 Merci beaucoup d'être là avec nous.
00:00:38 -Merci. Merci beaucoup.
00:00:41 Bonjour.
00:00:43 Merci à vous d'être là.
00:00:45 Merci aux organisateurs, d'une part, de nous inviter,
00:00:51 mais surtout d'essayer de nous aider à réfléchir un peu plus
00:00:56 sur ces enjeux importants qui étaient si présents
00:01:02 de manière à la fois urgente et émouvante ce matin,
00:01:09 que ce soit autour des images de la torture en Algérie
00:01:14 et du film "Muriel" avec Raphaël Branche,
00:01:17 et évidemment du cinéma de Ritipan.
00:01:20 On va repartir sur cette thématique de l'image manquante
00:01:25 avec Mathias Théry, un peu différemment.
00:01:29 Tu as souhaité, Mathias,
00:01:31 tu étais très enthousiaste de cette proposition de ta part,
00:01:36 que bien sûr, on ait comme point d'appui principal
00:01:42 le film que tu as fait autour et sur Isaac Asimov,
00:01:47 mais de repartager l'ensemble de ton chemin de cinéaste,
00:01:54 puisque la question de l'image manquante, d'une certaine manière,
00:01:57 est toujours présente sous des formes diverses.
00:02:01 Et depuis un film qui m'est cher,
00:02:05 qui est aussi le film grâce auquel on s'est rencontré,
00:02:07 ton premier court-métrage,
00:02:09 qui s'appelle "La vie après la mort" de Henrietta Lacks.
00:02:13 Et c'est, d'une part, très brièvement rappelé
00:02:19 de quoi il s'agit dans le film
00:02:21 et en quoi ça mobilisait déjà cet enjeu de l'image manquante
00:02:26 et sous quel aspect, puisqu'on a déjà bien entendu ce matin,
00:02:29 et on va entendre, c'est pour ça que c'est bien sûr,
00:02:31 pour le plaisir de traverser la carrière de Mathias Théry,
00:02:34 mais c'est aussi parce que ce parcours-là permet de déplier
00:02:39 la formule "image manquante" sous des formes et des modes d'existence
00:02:44 et des modes actifs dans le cinéma,
00:02:47 les manières de faire des films, variées en réalité,
00:02:51 et qu'avec la même formule,
00:02:52 on peut parler de choses assez différentes.
00:02:55 Donc, peut-être depuis ce premier court-métrage,
00:03:00 comment tu as eu affaire à cette problématique
00:03:02 et comment tu as commencé à en faire quelque chose ?
00:03:06 - Bonjour déjà.
00:03:08 En effet, l'image manquante est présente au centre de certaines oeuvres
00:03:16 dans lesquelles elle prend une place,
00:03:18 qui devient même le sujet du film,
00:03:20 comme le film de Ritty Panne,
00:03:22 ou comme d'autres documentaires comme...
00:03:26 Ah zut, trou de mémoire !
00:03:31 Le premier documentaire animé, on va dire,
00:03:34 "Recherche du trou de mémoire du soldat israélien",
00:03:38 Val Saïk-Bashir.
00:03:40 Mais on peut dire aussi que nous tous,
00:03:44 tous les réalisateurs,
00:03:46 font face à des problématiques d'image manquante,
00:03:50 même si ce manque n'est pas au cœur du film,
00:03:55 il est au cœur de notre pratique.
00:03:58 Tu parlais de ce premier court-métrage,
00:04:01 j'étais étudiant au Sardet Corasif de Paris.
00:04:04 Je décide de m'intéresser à mon colocataire à l'époque,
00:04:11 qui était mon frère,
00:04:12 qui lui-même filmait des cellules, était chercheur.
00:04:16 Il décide de proposer ses images aux gens de mon école,
00:04:20 en disant que des artistes devraient s'intéresser à cela.
00:04:23 Je me dis que je vais essayer de m'y coller.
00:04:25 Et assez rapidement,
00:04:26 je fais pour la première fois l'épreuve
00:04:30 de la difficulté de filmer quelque chose,
00:04:35 c'est-à-dire un chercheur au travail.
00:04:37 Parce que pointez-vous dans un laboratoire avec une caméra,
00:04:41 restez toute la journée et il ne se passera pas grand-chose.
00:04:44 À partir de là, je me mets à réfléchir
00:04:48 sur ce que je vais faire de ce jeune garçon.
00:04:50 Je réfléchis et commence à avoir l'ambition de vouloir raconter
00:04:56 ce que la recherche se fait et comment la science avance.
00:04:59 C'est ce qui commence à me travailler.
00:05:01 Je me rends compte que je ne peux pas le filmer.
00:05:04 Je dois trouver des stratagèmes
00:05:08 pour essayer de donner à voir des choses
00:05:11 que je ne peux pas capter directement.
00:05:13 - Le paradoxe joyeux de ce dont nous parlons ici,
00:05:18 c'est que pour les images manquantes,
00:05:20 il y a des images existantes, toujours.
00:05:22 Et en l'occurrence, il y a des images.
00:05:24 Peut-être que c'est bien, avant que tu poursuives ça,
00:05:26 de partager quelques images de la vie après la mort de Henrietta Lacks
00:05:33 pour que nous soyons plus à égalité sur ce dont tu parles.
00:05:37 Si on peut avoir le premier extrait.
00:05:40 - Je vais synchroniser les cellules
00:05:42 en mettant de la timidine dans les boîtes d'occulture.
00:05:44 Lundi 3 novembre, midi 11h30.
00:05:51 Vendredi 7 novembre, 11h - 10, café.
00:05:58 Je vais synchroniser les cellules
00:06:00 en mettant de la timidine dans les boîtes d'occulture.
00:06:03 Je vais synchroniser les cellules
00:06:05 en mettant de la timidine dans les boîtes d'occulture.
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00:09:03 en mettant de la timidine dans les boîtes d'occulture.
00:09:06 - Grâce au film.
00:09:07 - Oui.
00:09:09 Henri Talac, c'est une citoyenne américaine
00:09:11 qui est décédée dans les années 50 ou 60,
00:09:14 50, d'un cancer,
00:09:17 et dont les cellules, après sa mort,
00:09:21 ont été pour la première fois mises en lignée,
00:09:24 c'est-à-dire conservées en laboratoire
00:09:27 et en les faisant se reproduire.
00:09:29 Et ces cellules,
00:09:31 on les a conservées dans les laboratoires
00:09:36 et elles se sont divisées,
00:09:37 on les a envoyées dans différents laboratoires
00:09:39 et elles sont encore aujourd'hui utilisées dans les laboratoires.
00:09:41 Elles ont même été envoyées jusque sur la Lune
00:09:43 pour faire différentes expériences.
00:09:45 Et le chercheur, dans ce film,
00:09:47 travaille sur ces cellules.
00:09:49 Et d'une certaine manière,
00:09:51 c'est la vie provoquée par le décès de cette femme,
00:09:53 et en tout cas, ces cellules,
00:09:55 cette idée troublante que ces cellules continuent à vivre.
00:09:57 - Cette femme noire,
00:09:59 c'est pas indifférent que cette femme soit noire.
00:10:01 - Oui.
00:10:03 - Et que ça fait aussi quelqu'un qui a disparu
00:10:06 et qui continue à être parmi nous à sa manière.
00:10:09 - Oui, et qui a été un peu effacé de l'histoire, on va dire,
00:10:11 et qui ensuite re-rentre dans la grande histoire
00:10:14 par son existence post-mortem.
00:10:17 Mais voilà, tout ça pour dire
00:10:19 que je pense que notre travail de cinéaste
00:10:24 n'est pas de trouver le bon endroit où aller avec notre caméra
00:10:30 et de le filmer.
00:10:33 C'est de réussir à, face au réel, nous poser des questions,
00:10:36 des questions qui nous empêchent de...
00:10:41 Comment dire ça ?
00:10:43 C'est-à-dire qu'une fois qu'on a formulé ce qu'on voulait faire,
00:10:45 on se rend bien compte que le réel nous résiste
00:10:47 et que dans le réel, il n'y a souvent pas les choses
00:10:49 qui nous faudraient.
00:10:51 Je pense que les monteurs de documentaires
00:10:54 sont des petits héros,
00:10:56 parce que dans la plupart du temps,
00:10:58 les monteurs se retrouvent à faire des films
00:11:01 avec, on va dire, un tiers des images pour faire le film.
00:11:04 Dans le cas de la fiction, on a déjà beaucoup plus préparé
00:11:06 tout ce qu'il nous fallait,
00:11:08 alors qu'en salle de montage, dans le cas du documentaire,
00:11:10 il manque, on va dire, les deux tiers du film.
00:11:13 La plupart du temps, il faut trouver des manières
00:11:16 de réinventer les choses.
00:11:18 D'ailleurs, c'est pour ça que j'aime bien travailler
00:11:21 en montant tout au fil de la fabrication du film,
00:11:26 ce qu'on a beaucoup fait aussi avec Étienne Chahou,
00:11:30 pour "La Société de l'Église d'Ourson", "La cravate",
00:11:32 des films qu'on écrivait en faisant des allers-retours
00:11:34 entre le montage et le tournage,
00:11:36 en définissant ce qui nous manquait,
00:11:40 et comment est-ce qu'on trouvait des solutions
00:11:44 pour combler ces manques, en se disant
00:11:46 qu'est-ce qui serait idéal,
00:11:47 et partons à la recherche de cet idéal
00:11:49 en essayant de le fabriquer de coûte que coûte, on va dire.
00:11:52 - Parce que ce court-métrage est aussi,
00:11:55 dans une certaine mesure,
00:11:57 contredis-moi si je me trompe,
00:11:59 mais la matrice du premier long-métrage
00:12:02 sur la recherche,
00:12:04 qui s'appelle donc "Cherche toujours",
00:12:06 et qui est lui-même consacré au travail
00:12:10 et à l'invisible, dans une très large mesure,
00:12:13 non pas de ce que trouve,
00:12:15 mais de la procédure de la recherche elle-même,
00:12:18 qui est celle des scientifiques,
00:12:21 assez généralement.
00:12:23 - Oui, on a prolongé ce film avec Étienne
00:12:26 dans un film qui s'appelle "Cherche toujours",
00:12:28 pour Arte,
00:12:29 où on filmait une équipe de recherche,
00:12:32 et où la préoccupation était la même,
00:12:34 dans le sens où on se demandait
00:12:36 comment un chercheur cherche,
00:12:38 et comment est-ce que,
00:12:40 on va dire,
00:12:42 par quelles émotions sont sollicitées
00:12:45 pour faire avancer une pensée ?
00:12:48 Et là aussi, on a dû inventer d'autres procédés,
00:12:52 par exemple, on se posait la question
00:12:54 de la place de la subjectivité
00:12:57 dans une expérience,
00:12:58 la place de l'inconscient,
00:13:00 donc on a confié à un des chercheurs
00:13:02 un enregistreur en lui disant,
00:13:04 on avait noté qu'il se souvenait bien de ses rêves,
00:13:06 et en lui disant, dès que tu te réveilles,
00:13:08 tu enregistres tes rêves.
00:13:10 On fait une récolte comme ça.
00:13:12 Et puis au bout d'un moment, on fait le bilan,
00:13:14 et on se rend compte que dans les rêves,
00:13:16 il y a des choses qui sont en rapport avec ces expériences,
00:13:18 et on décide dans le film
00:13:20 de faire des passages en dessin animé,
00:13:22 qui ponctuent le film,
00:13:24 des différents rêves de ce chercheur.
00:13:27 Et donc, on a compris que la recherche,
00:13:30 les manières de faire,
00:13:33 les procédures,
00:13:35 ce qui fait avancer la recherche
00:13:38 au sens le plus large du mot "avancer",
00:13:42 ce qui lui permet d'exister,
00:13:44 c'est un peu un sujet qui t'intéresse,
00:13:48 et on va te retrouver,
00:13:50 vous, vous retrouver, Kétienne Chailloux,
00:13:54 avec une chercheuse différente,
00:13:57 qui se trouvait par ailleurs à Tamer,
00:14:01 qui est sociologue,
00:14:03 avec à nouveau des réponses complètement différentes,
00:14:07 en termes de choix cinématographiques,
00:14:10 mais qui ont le même horizon,
00:14:13 de donner accès à des énergies,
00:14:21 on pourrait dire, au sens le plus large,
00:14:23 qui font qu'un sujet est travaillé,
00:14:26 ce n'est pas seulement la recherche de la chercheuse,
00:14:28 c'est plus comment ce sujet-là a été travaillé par elle,
00:14:31 mais par la société, dans le contexte particulier,
00:14:34 avec ce film "La chercheuse et l'ourson",
00:14:37 "La sociologue et l'ourson".
00:14:39 - C'est vrai qu'on a été plusieurs fois amenés à travailler
00:14:43 sur des gens qui eux-mêmes travaillent et qui cherchent,
00:14:46 et forcément, on s'est nous-mêmes mis au travail.
00:14:52 Je pense que les films sont le résultat de ce travail.
00:14:54 C'était évoqué beaucoup ce matin avec Ritipan,
00:14:58 sur comment est-ce que la démarche apparaît dans le film.
00:15:01 Je pense que la singularité du documentaire,
00:15:04 par rapport, on va dire,
00:15:06 si on doit le distinguer un peu de la fiction,
00:15:08 en tout cas, il y a une singularité qui me plaît énormément,
00:15:10 c'est que chaque documentaire raconte au spectateur
00:15:14 une démarche qui a été celle de la fabrication du film,
00:15:18 et elle transparaît toujours dans le film.
00:15:21 On raconte aussi des histoires.
00:15:22 Dans les fictions, on se contente des histoires,
00:15:24 mais tout documentaire est tout de même le récit de cette démarche.
00:15:27 On peut décider de la faire apparaître plus ou moins.
00:15:30 Je pense que la plupart du temps,
00:15:33 même cette démarche prend sens.
00:15:35 La question n'est pas tant de comment est-ce qu'on trouve
00:15:38 des moyens pour remplacer l'image manquante
00:15:41 par soit du dessin animé, soit des marionnettes, soit autre chose.
00:15:44 Parce que ça, ce serait juste faire de l'illustration.
00:15:48 Mais c'est plutôt comment est-ce qu'on essaie de trouver des démarches
00:15:51 qui, elles-mêmes, se mettent à raconter quelque chose
00:15:54 et qui sont le sujet même aussi du film.
00:15:59 C'est pour ça d'ailleurs que, vous parliez des bandes annonces aussi ce matin,
00:16:03 là, je propose la bande annonce de "La Sessiorelle et l'Ourson"
00:16:06 qui raconte la démarche, tout simplement.
00:16:08 - C'est l'extrait numéro 2.
00:16:11 [Bruit de son]
00:16:13 [Bruit de téléphone]
00:16:18 - Allô, Mathias ?
00:16:21 - Allô, maman, ça va ?
00:16:23 - Je suis dans le métro et je n'ai plus que 10% de batterie.
00:16:26 - Alors, c'est juste pour te dire que, ça y est, le film est fini.
00:16:30 - Ah, c'est super ! Je vais dire ça à ton père, il va être revanche !
00:16:33 - Et donc, maintenant, je peux t'en parler un peu plus.
00:16:36 - Oui.
00:16:39 - On a fait une partie du film en utilisant les discussions qu'on a eues tous les deux au téléphone.
00:16:42 - Ah bon ?
00:16:44 - Oui. Et ensuite, on a utilisé le son de ces enregistrements
00:16:47 et on a recréé des scènes avec des jouets et des peluches.
00:16:51 - Ah bon ?
00:16:53 - Euh, voilà.
00:16:55 - Je ne me représente même plus quelles étaient nos discussions au téléphone.
00:16:59 C'est quand tu me faisais parler de ma famille, non ?
00:17:03 - Oui, quand tu me parlais de ta grand-mère, de ta famille,
00:17:07 mais aussi de plein d'autres choses.
00:17:09 Des évolutions du mariage, des couples homosexuels,
00:17:12 de comment on fait les enfants, surtout quand on n'y arrive pas,
00:17:16 de l'évolution des mœufs à travers l'histoire, des mères porteuses...
00:17:21 Tout ce que tu m'as raconté, quoi.
00:17:24 - Et tout ce que vous avez filmé avec moi ?
00:17:27 Vous m'avez quand même suivi pendant des mois, partout ?
00:17:32 - Oui, on te voit aussi en vrai, avec les politiques,
00:17:36 dans les manifs, sur les plateaux télé.
00:17:39 On va à l'Assemblée, mais aussi à la maison.
00:17:43 On boit à papa.
00:17:45 - Ah là là !
00:17:47 - D'ailleurs, moi aussi, je suis devenu une peluche.
00:17:50 - Ah bon ?
00:17:52 - En gros, on a essayé de comprendre pourquoi tout le monde en France
00:17:57 s'est engueulé pendant un an sur le mariage homo.
00:18:05 - Mais ne me dis pas que tu es en train de m'enregistrer.
00:18:07 T'as un ton, ça veut dire que je suis sûre que tu m'enregistres.
00:18:11 - Alors oui, pour faire ce film...
00:18:19 Après coup, aujourd'hui, je dirais que la grande image manquante,
00:18:24 ce qui était notre plus gros problème à l'écriture de ce film,
00:18:28 c'était la place de la vie.
00:18:33 Très tôt, on a décidé avec Étienne que le film se ferait autour de la sociologue
00:18:39 et qu'on se tiendrait à ce poste précis derrière son épaule,
00:18:44 en traversant ces débats qu'on ne savait pas qui allaient être importants
00:18:48 au moment où on commence le film.
00:18:50 Mais on se dit que notre place, elle est là.
00:18:52 Notre point de vue est là, on n'a pas le droit d'en déroger.
00:18:54 On reste avec la sociologue parce que sinon,
00:18:56 il y a une pléthore d'experts sur le sujet et on va se perdre.
00:18:59 On va faire un catalogue, ça ne va pas fonctionner.
00:19:02 Ce qu'on se rend vite compte, c'est qu'en filmant la sociologue,
00:19:06 on filme des conférences, des entretiens avec des journalistes,
00:19:09 des entretiens avec des élèves.
00:19:11 Tout ça est très théorique et quelque part, très loin de ce que la sociologue
00:19:19 elle-même essaye de prôner, c'est-à-dire de faire des ponts
00:19:27 entre la sociologie, l'histoire, l'anthropologie et le pragmatisme,
00:19:32 la vie des gens.
00:19:34 D'ailleurs, le film, le tout début du projet du film est initié par elle
00:19:37 qui vient nous voir pour nous dire, il va y avoir ce projet de loi,
00:19:41 le grand public ne connaît pas les familles homoparentales,
00:19:44 il y a une méconnaissance et beaucoup d'a priori.
00:19:47 Je vous incite à faire un film sur ces familles pour que le grand public
00:19:51 les connaisse. Une image manquante, on va dire.
00:19:54 Elle nous pousse, on n'arrive pas à écrire ce film,
00:19:58 on rencontre différentes associations, etc.
00:20:01 Il n'y a pas cette petite alchimie qui fait qu'à un moment donné,
00:20:04 on se dit qu'on peut démarrer sur quelque chose.
00:20:06 Et rapidement, Étienne me dit "mais le sujet qui est sous nos yeux,
00:20:08 c'est Irène, c'est elle qui a la passion".
00:20:10 Donc, on commence à la filmer et on se rend vite compte que c'est sec,
00:20:14 qu'il n'y a pas ce qu'on aime dans les films qui sont,
00:20:20 on va dire pour faire simple, les sentiments, les émotions
00:20:24 et les histoires aussi.
00:20:27 Et donc rapidement, la première idée, c'est de contourner
00:20:33 le discours officiel de la chercheuse en allant chercher
00:20:36 le discours de la maman, ce qu'elle refusait d'avoir face caméra
00:20:40 parce que dès qu'il y avait la caméra, elle était très sérieuse.
00:20:42 Et donc, pour ça, on passe par le téléphone.
00:20:44 On se dit "on va enregistrer nos conversations téléphoniques"
00:20:48 et là, on va retrouver le ton de la cuisine, on va dire,
00:20:52 où on la pousse à nous raconter des choses, etc.
00:20:55 Et là, elle redevient plus la maman passionnée qu'on aime bien.
00:21:01 Et à partir de là, on se dit "bon, comment faire ?"
00:21:06 Penser à un film, c'est toujours un enfer parce que c'est respecter
00:21:10 à peu près une forme de logique au projet qu'on est en train de se donner,
00:21:17 c'est-à-dire, on veut faire un film sur une chercheuse
00:21:20 qui traverse un débat autour d'une loi.
00:21:22 Et notre préoccupation de départ aussi, très tôt, c'était de se dire
00:21:27 comment est-ce que la loi et la vie interagissent ?
00:21:31 Comment les mœurs et les lois s'influencent ?
00:21:35 Comment les temps changent ?
00:21:37 Pour ça, on avait la loi, on avait la chercheuse,
00:21:40 mais on n'avait pas la vie.
00:21:43 Et on avait trouvé ce stratagème de l'enregistrement téléphonique
00:21:48 en lui disant "là, elle va pouvoir devenir conteuse aussi,
00:21:51 et faire ses détours, nous raconter ses histoires,
00:21:54 pouvoir être dans le concret, nous raconter ce qu'elle dit,
00:21:57 ce qu'il a changé, etc.", c'est-à-dire l'expérience, la vie des gens.
00:22:01 Mais on n'avait pas l'image, on n'avait que le son.
00:22:04 Et là, on réfléchit assez, on a un peu envisagé plein de chemins.
00:22:12 On a voulu faire jouer des comédiens, faire de l'animation,
00:22:16 mais on se rendait compte que faire de la sociologie sur des comédiens,
00:22:19 ça allait trop incarner les gens, ça allait en faire...
00:22:23 Il fallait que les comédiens deviennent des archétypes,
00:22:25 il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas.
00:22:27 Et vient cette idée des marionnettes,
00:22:31 qui répondent à plusieurs de nos problèmes, on va dire,
00:22:35 qui sont qu'à la fois, on peut quand même faire du cinéma,
00:22:40 c'est-à-dire sortir les violons, faire un peu de romance,
00:22:44 rentrer dans la vie des familles, etc.
00:22:47 Tout en ne mettant pas le film en pause,
00:22:52 parce qu'on avait envie que le film soit tout de même
00:22:55 une expérience pour le spectateur, un peu au présent
00:22:57 de cette période historique du débat autour de la loi.
00:23:01 Et donc, on s'est monté un petit scénario, en tout cas en tête,
00:23:04 qui se dit "bon, le fils appelle la mère,
00:23:08 elle est préoccupée par sa sociologie, lui, il est préoccupé par son cinéma,
00:23:12 et dès qu'elle, quasiment en direct, au fur et à mesure qu'elle lui raconte,
00:23:16 lui peut sortir quelques peluches, quelques jouets,
00:23:21 et rapidement mettre en scène, en peu, en direct, ce qui est raconté.
00:23:28 Ce qui permet de ne pas...
00:23:31 Le dessin animé nous ferait beaucoup plus sortir du temps présent.
00:23:37 On existe quand même dans cette matérialité,
00:23:39 parce que c'est du réel, c'est filmé,
00:23:42 et le spectateur ne quitte pas le moment historique.
00:23:45 Voilà.
00:23:47 Et je dirais que le plus grand manque que l'on avait, c'était ça.
00:23:51 C'était pouvoir incarner la vie,
00:23:55 et que le spectateur ait aussi accès à ce qu'il y a derrière ces histoires de loi,
00:24:00 qui sont des histoires de famille, des histoires de vie,
00:24:05 des histoires de désir d'enfant,
00:24:07 des choses très humaines, mais qu'on ne pouvait pas capter directement.
00:24:11 Et ensuite, on s'est rendu compte que ça nous permettait aussi
00:24:15 de contourner d'autres problèmes que nous avions,
00:24:18 qui étaient que la chercheuse ne voulait pas trop
00:24:24 montrer les coulisses de son travail,
00:24:27 mais qu'en passant par la marionnette, on pouvait s'amuser à la montrer au lit,
00:24:32 montrer des choses qu'au début elle se refusait de nous montrer, etc.
00:24:35 Et puis, c'est greffé à une autre idée,
00:24:38 c'est de prendre des extraits de discussions médiatiques,
00:24:42 où là on pouvait incarner en marionnette la société en train de débattre,
00:24:46 les députés, les journalistes, etc.
00:24:48 Un peu tout ce manège de l'actualité.
00:24:53 Mais je pense que notre plus grand manque, c'était de pouvoir retrouver
00:24:58 les émotions de la vie.
00:25:02 - Parce que c'est central, et c'est bien.
00:25:05 Il me semble que c'est important ce que tu as dit sur la matérialité.
00:25:09 Ce sont des objets, mais qui prennent une forme de présence
00:25:15 que n'aurait ni des dessins, ni des photos,
00:25:19 et qui en même temps, ne trompent pas du tout,
00:25:25 n'ont aucune ambiguïté que vous pourriez avoir avec des acteurs
00:25:30 qui joueraient le rôle de ta mère,
00:25:33 et des autres protagonistes de l'histoire,
00:25:37 de manière un peu marginale, mais qui a de l'importance,
00:25:42 et cette importance réapparaît fréquemment,
00:25:46 associée à l'idée, dans les nombreuses circonstances
00:25:51 où il y a des images manquantes, il y en a tout le temps et partout,
00:25:54 mais il y a notamment des images manquantes parce que les gens ne veulent pas,
00:25:58 les gens n'ont pas consenti à ce qu'on fasse des images d'elles.
00:26:02 Vous avez très délibérément choisi de mettre en scène,
00:26:05 y compris avec la bande-annonce, donc c'est quand même que ça vous importe
00:26:09 de montrer que tu enregistres ta mère sans qu'elle le sache,
00:26:12 sans son consentement avant.
00:26:15 On va imaginer qu'il y a un moment où elle a dit ça.
00:26:18 - Il y a son consentement à l'enregistrement,
00:26:20 mais on n'a pas demandé son consentement à la marionnette,
00:26:23 parce qu'elle avait la particularité qu'ont beaucoup d'intellectuels
00:26:27 et de chercheurs, quand on les filme, c'est qu'ils veulent maîtriser
00:26:30 les choses que l'on fait sur eux et je les comprends.
00:26:33 Mais là, en plus, avec sa casquette de mère, en plus,
00:26:36 elle voulait un petit peu surveiller tout ce qui se faisait,
00:26:39 tout en disant "je vous fais super confiance", etc.
00:26:42 Donc on savait, mais après, on sait aussi que
00:26:45 on pouvait se permettre de faire ce pas de côté vis-à-vis de
00:26:52 notre transparence habituelle vis-à-vis de nos personnages,
00:26:56 parce que ça raconte aussi une relation familiale.
00:26:58 Et quelque part, c'est le sujet aussi du film,
00:27:00 qu'est-ce que c'est une relation mère-fils ?
00:27:04 C'est à la fois de la transmission, de la tendresse,
00:27:11 de la vacherie tendre, on va dire aussi.
00:27:14 Et on peut se permettre d'être un peu pincant avec les gens qu'on aime,
00:27:20 pourvu qu'on sent bien qu'on le fait parce qu'on les aime.
00:27:23 Mais il est vrai que, aussi, je trouve que dans chaque film,
00:27:34 les films documentaires s'écrivent avec des relations.
00:27:37 Ce sont ces relations qui apparaissent au final à l'écran,
00:27:42 ces relations entre les gens qui sont devant et derrière la caméra
00:27:46 et qui font sens.
00:27:52 Donc ici, on a décidé de mettre en scène la relation du fils et de la mère.
00:27:58 En fait, derrière le fils, il n'y a pas que le fils,
00:28:01 on est deux avec Étienne Chailloux, qui a décidé de disparaître
00:28:07 au profit de la scénarisation du documentaire.
00:28:11 Mais voilà, derrière le fils, on est deux.
00:28:17 Mais en tout cas, là, sur quoi j'insiste, c'est faire des documentaires,
00:28:22 c'est écrire avec des relations, et ces relations sont toujours problématiques.
00:28:28 Quand les gens vous racontent l'histoire de la fabrication des films,
00:28:30 il y a souvent des histoires pas possibles,
00:28:32 entre les difficultés à convaincre les gens,
00:28:37 les gens qui décident de ne plus faire les films au milieu,
00:28:39 comment est-ce qu'on fait avec ça ?
00:28:41 On est obligé, on est en train de travailler du vivant.
00:28:45 Et je pense que c'est ça qui se ressent à l'écran et qui est intéressant.
00:28:48 Et ce vivant fait... Dans ce vivant, il y a des trous,
00:28:55 il y a des non-dits, il y a des choses qui manquent, etc.
00:28:59 On essaye avec les films de créer quand même une parole avec tout ça.
00:29:03 - Alors, avec le film suivant, il y a une certaine manière,
00:29:06 la situation est quasiment opposée, mais le plus loin possible,
00:29:11 parce que là, il y a une extrême proximité, puisque la personne au centre du film
00:29:16 avait cette relation de proximité, non seulement familiale, mais affective,
00:29:22 puisqu'on comprend combien vous avez des rapports proches et affectueux,
00:29:27 l'un avec l'autre, ta mère et toi, ça se voit parfaitement dans le film,
00:29:31 versus le film qui s'appelle "La cravate" où là, il n'y a pas de malentendu.
00:29:36 - Je crois qu'on passe à "Asimov" là.
00:29:38 - Tu préfères qu'on passe par "Asimov" d'abord ?
00:29:40 - Oui, ça peut être.
00:29:42 - C'est pareil, on est aussi à l'opposé.
00:29:45 Mon problème avec "Asimov", c'est qu'il est mort.
00:29:47 - Oui, c'est un autre type d'écart qu'avec un garçon à l'époque Front National.
00:29:54 Mais passons donc par "Asimov", par à la fois l'enjeu du film,
00:30:02 on va regarder ce qu'il y a à voir là, et donc c'est à la fois l'enjeu du film,
00:30:08 et de manière peut-être encore plus prégnante,
00:30:12 parce que ce sur quoi tu as insisté depuis le début,
00:30:15 c'est-à-dire comment le film est fait, par quel moyen vous êtes passé, tu es...
00:30:19 - Ce que je disais à l'instant, c'est que j'aime beaucoup que,
00:30:22 les films sont des récits de relations, et là le problème,
00:30:26 c'est qu'il était impossible de tisser une relation avec Isaac Asimov,
00:30:31 puisqu'il était mort, et donc l'exercice était complètement différent,
00:30:36 donc il fallait d'une certaine manière le reconvoquer d'une autre manière.
00:30:40 On peut regarder la petite bande-annonce.
00:30:43 - Donc ça doit être la 4, je crois. - Non, c'est la 3.
00:30:46 - Tu l'avais mis avant ? - Oui, je crois.
00:30:48 C'est ça.
00:30:51 - Bonjour, je m'appelle Isaac Asimov.
00:30:54 Je suis né en 1920.
00:30:57 A partir du moment où vous entendrez cette annonce, je serai mort depuis de nombreuses années.
00:31:02 Vous, les humains du 21ème siècle, les humains de demain,
00:31:12 vous êtes les premiers à l'avoir.
00:31:16 Vous, les humains du 21ème siècle, les humains de demain,
00:31:19 vous êtes le principal objectif de ma vie.
00:31:22 Chaque jour, j'écris pour imaginer ce qui peut se passer à vous.
00:31:26 Si je voulais prendre le temps de vous apporter cette annonce,
00:31:34 c'est parce que je suis convaincu que la science-fiction peut aider l'humanité.
00:31:39 Elle contient des pouvoirs qui sont plus que jamais nécessaires
00:31:44 pour la survie de l'espèce.
00:31:46 J'ai déjà essayé de partager cette conviction avec les hommes de mon temps,
00:31:51 mais étaient-ils prêts à l'entendre ?
00:31:54 Seulement vous, les gens du futur, serez capables de juger.
00:32:00 (Applaudissements)
00:32:08 - Ça, c'est le nouveau film ? - Oui.
00:32:11 Ce film est basé sur une fausse archive que j'ai fabriquée.
00:32:19 Si je vous révèle la fin du film,
00:32:22 vous découvrez à la fin du film que ce message enregistré par Isaac Asimov
00:32:29 sur cette cassette vidéo est une fausse interview recréée
00:32:34 grâce aux technologies de l'intelligence artificielle.
00:32:38 Deepfake.
00:32:40 Pourquoi je fais ça ?
00:32:45 Mon premier problème, c'est qu'Isaac n'est plus là
00:32:49 pour qu'on puisse s'entendre autour d'une caméra.
00:32:56 En lisant, pour préparer ce film, beaucoup de choses qu'il a faites,
00:33:00 je réalise qu'il est, au-delà de l'écrivain de science-fiction,
00:33:05 un intellectuel, un penseur, féru d'histoire, de politique.
00:33:11 Et qu'à côté de ses livres, et dans ses livres, il déploie une pensée
00:33:18 qui est un peu sa vision du monde,
00:33:25 mais que je trouve très fournie, parce qu'il a une très grande mémoire.
00:33:28 Et en regardant un peu toute son oeuvre et tous ses écrits,
00:33:32 qui sont aussi des conférences, beaucoup de préfaces, beaucoup d'articles,
00:33:36 il y a à peu près un discours qui se déploie,
00:33:41 et que je vois apparaître, et je me dis,
00:33:44 c'est plutôt ça que j'ai envie de montrer.
00:33:47 Je vais essayer de retranscrire ce que je vois qu'il dit
00:33:53 à travers toutes ses prises de parole, et je vais en faire une masterclass.
00:33:58 Ce film sera une masterclass d'Asimov, parce qu'il adorait parler de lui-même,
00:34:04 et qu'à un moment donné, je n'avais pas trop ma place là-dedans,
00:34:07 et qu'on sentait bien que son ego, gros comme ça,
00:34:10 se ressentirait d'autant mieux si en plus c'était lui qui prenait les rênes du film.
00:34:15 Je décide de me mettre à son service, on va dire.
00:34:20 C'est-à-dire, lui parle, moi je montre.
00:34:23 Je fais apparaître dans le film la salle de montage,
00:34:27 qui est vraiment la meilleure dont j'ai procédé.
00:34:30 Je monte, et à côté du banc de montage, j'installe un banc-titre,
00:34:38 une caméra sur un pied, sur un fond noir,
00:34:42 sous lequel je peux faire défiler des objets, ou des archives.
00:34:48 J'essaie de suivre sa pensée, qui est en fait sa pensée que j'ai découpée et reconstituée,
00:34:53 mais tout de même, j'essaie d'être fidèle à sa pensée,
00:34:58 et j'essaie d'incarner un peu ses concepts par des objets,
00:35:06 parce que je réalise qu'il se resserre souvent de ses concepts,
00:35:11 à la fois dans ses livres, et à la fois dans ses prises de parole,
00:35:14 et que les choses, au bout d'un moment, reviennent.
00:35:17 Les concepts reviennent à différents endroits,
00:35:19 et grâce au banc-titre, je peux aussi montrer cette mécanique qui est la sienne.
00:35:25 Et donc, à la fois, on découvre le bonhomme,
00:35:29 je réponds aussi aux besoins de la collection,
00:35:33 il y avait des contraintes, il fallait qu'on découvre l'auteur,
00:35:38 qu'on embrasse à peu près son œuvre, etc.
00:35:41 Lui, ce que je trouvais intéressant, c'est qu'il articulait son œuvre,
00:35:46 le travail de l'écrivain de science-fiction, et l'influence que les auteurs peuvent avoir
00:35:52 en tant que citoyen dans les débats qu'on a sur l'avancée du monde.
00:36:00 Tout son discours, c'est d'essayer de comprendre l'histoire des technologies,
00:36:06 et de croiser l'histoire des technologies avec l'histoire des sociétés,
00:36:11 en espérant que l'histoire nous permette de mieux comprendre le présent.
00:36:17 Et ça, c'est quelque chose qu'on avait déjà compris,
00:36:21 et auquel on a été sensible avec la sociologue et l'ourson,
00:36:24 à un moment donné, il faut se retourner sur le passé pour comprendre le présent.
00:36:28 Et je trouve intéressant que, même mort, il essaye à nouveau
00:36:33 de nous faire regarder notre présent avec les yeux du passé, etc.
00:36:38 Avec cette petite pirouette que l'intelligence artificielle,
00:36:41 qui n'existait pas de son vivant, mais qu'il pressentait,
00:36:46 pouvait venir en renfort pour exaucer son rêve, on va dire,
00:36:51 c'est-à-dire être immortel, parce que lui espérait, à travers ses bouquins
00:36:56 et ses prises de parole, de pouvoir continuer, comme peut-être tout auteur,
00:37:00 de pouvoir continuer, après sa mort, à compter dans le monde.
00:37:07 J'imagine que c'est poser la question de, est-ce qu'on montre à la fin
00:37:12 que c'est de l'image fabriquée avec l'intelligence artificielle ?
00:37:18 Est-ce qu'on le montre ? Quand est-ce qu'on le montre ?
00:37:21 Comment on le montre ?
00:37:23 Là, on n'a pas vu dans la petite présentation qui a été montrée,
00:37:28 comment ça se passe dans le film lui-même.
00:37:33 Qu'est-ce que ça travaille à faire ?
00:37:35 Ça rentre dans cette question que tu as déjà évoquée plusieurs fois,
00:37:40 et je crois très importante, d'exposer les dispositifs de création du film
00:37:47 comme partie prenante du film.
00:37:49 Ce n'est pas un à côté, ce n'est pas le bonus, c'est dans le film.
00:37:53 Ce n'est pas le making-of, c'est le film qui contient ça.
00:37:59 Et qu'est-ce que ça travaille pour toi ?
00:38:04 La manière, les choix que tu fais dans ce cas-là,
00:38:09 qui est quand même avec des outils qui sont toujours relativement nouveaux.
00:38:14 Oui, c'est poser la question de, est-ce qu'on le dit ?
00:38:18 Est-ce qu'on prévient au début du film ?
00:38:21 Moi, j'insistais pour qu'on le dise à la fin.
00:38:25 J'insistais pour qu'on trompe le spectateur.
00:38:28 Alors qu'en tant que spectateur, je déteste être trompé.
00:38:32 Je ne suis pas fan des films qui entretiennent le flou.
00:38:36 J'aime bien comprendre quels sont les matériaux qui sont déployés devant moi,
00:38:41 qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui n'est pas vrai, etc.
00:38:44 Comment tout ça s'articule.
00:38:46 Mais là, en l'occurrence, pour moi, ça faisait sens,
00:38:50 puisque un des discours d'Asimov, c'est de dire,
00:38:56 la technologie nous offre toujours de nouvelles possibilités
00:39:01 et ces possibilités sont toujours doubles.
00:39:05 Ce ne sont que des outils.
00:39:07 Et les outils, on peut les utiliser de toutes les manières,
00:39:11 des pires manières que des meilleures.
00:39:13 Et donc, il fait un peu l'apologie de la technologie,
00:39:19 bien qu'on sente que dans sa vie, au bout d'un moment,
00:39:23 que la technologie non maîtrisée peut quand même mener la planète,
00:39:30 on va dire, à sa perte.
00:39:32 On voit que son amour de la technologie aussi est traversé
00:39:36 par la prise de conscience des dimensions écologiques, on va dire.
00:39:39 Mais que donc, toute technologie peut être utilisée de toutes les manières.
00:39:46 Et il ne cesse de dire ça en disant, n'ayez pas peur des technologies,
00:39:49 mais apprenez à les maîtriser.
00:39:52 Et l'idée du film, c'était de faire ça aussi.
00:39:53 Je sens qu'aujourd'hui, en tout cas, on est dans ces questionnements
00:39:58 sur qu'est-ce que, dans un monde ultra inondé d'images,
00:40:04 où on sent que la puissance de calcul des machines
00:40:10 permet, on a l'impression d'être face à un océan des possibles,
00:40:14 un peu vertigineux, etc.
00:40:17 Lui disait, non, à chaque moment de l'histoire,
00:40:20 chaque nouvelle technologie a créé des angoisses,
00:40:23 a créé un sentiment que les choses allaient nous échapper.
00:40:26 Il le raconte même au sujet de l'apparition de l'écriture.
00:40:29 Mais que la question est là, c'est-à-dire comment apprendre
00:40:35 à s'emparer de ces outils.
00:40:37 Donc le film incite un peu, c'est une pirouette de fin qui dit,
00:40:39 vous voyez que là, vous pouvez vous faire tromper,
00:40:42 mais soyez vigilant, apprenez à maîtriser les langages des images.
00:40:47 - Alors justement, à l'évidence, il y avait une image qui te manquait,
00:40:55 pour ça qui était l'image d'Asimov, pas seulement son image,
00:41:00 mais lui présent, ayant l'air d'être vivant et parlant.
00:41:05 Mais est-ce qu'il y a d'autres images manquantes dans ce film-là ?
00:41:09 Est-ce que le film a affaire à d'autres manques d'images ?
00:41:12 - Je dirais plutôt que ce que je nommerais images manquantes,
00:41:15 c'est ce qui va devenir ma préoccupation, au-delà de ce que je peux montrer.
00:41:21 Et là, ma préoccupation, c'est d'essayer de montrer une pensée,
00:41:26 c'est-à-dire de quoi est composée sa pensée.
00:41:29 Et donc, comprendre un peu quels sont les concepts qu'il a,
00:41:32 ce que j'évoquais avec le bon titre.
00:41:36 Et à un moment donné, mon objectif, il est là.
00:41:39 Et ce n'est pas un objectif palpable, mais c'est qu'il faut que je trouve
00:41:42 une manière, il faut que je trouve une dialectique qui va la faire apparaître.
00:41:45 - C'est ça, c'est ce que disait Hrithipad magnifiquement, d'ailleurs.
00:41:49 C'est ce qu'il dit dans l'image manquante à la fin,
00:41:52 c'est que les images, les plus grandes images manquantes manquent,
00:41:55 et manqueront. Ce à quoi on a affaire, c'est à ce à quoi elle renverrait,
00:42:01 mais dont nous aurons jamais l'image complète,
00:42:05 mais on a affaire à ce dont c'est l'image, en l'occurrence,
00:42:08 à la pensée ou la réflexion, peut-être la peur aussi,
00:42:12 ou l'hystérie conquérante et dominatrice sur la plate-forme.
00:42:20 Plein de choses en réalité.
00:42:22 Parce que, moi, ça m'importe qu'on entende qu'au-delà de l'espèce
00:42:29 d'exploit technique, qui en plus, pour nous aujourd'hui, je crois,
00:42:34 est encore amusant. Je pense que dans deux ans ou dans cinq ans,
00:42:38 ça sera juste... Il y aura ça partout, tout le temps.
00:42:41 Et c'est inquiétant.
00:42:44 Et cette inquiétude-là est une image manquante aussi.
00:42:47 De ce que les productions d'images par l'intelligence artificielle
00:42:52 vont arriver à fabriquer est un moyen de convoquer bien d'autres choses
00:42:57 qui sont aussi des images manquantes, qui sont le vrai sujet du film.
00:43:00 - Oui, mais ce que je trouve intéressant, c'est le bon côté
00:43:03 de la folie des images dans laquelle nous sommes entrés.
00:43:08 Je dirais, c'est que les spectateurs n'ont jamais été autant experts
00:43:13 de l'image qu'avec notamment les réseaux sociaux.
00:43:19 Les spectateurs ont fait l'expérience de qu'est-ce que c'est qu'un montage
00:43:24 documentaire, c'est-à-dire la mise en scène de soi articulée et publicisée.
00:43:30 Et donc, le spectateur est plus savant qu'avant.
00:43:36 Même si le problème est plus grand, parce que la société des images
00:43:41 dans laquelle nous sommes fait qu'il y a de plus en plus de questions éthiques, etc.
00:43:45 Mais en tout cas, je trouve que le spectateur est plus savant qu'avant.
00:43:53 Et ça, c'est une bonne chose.
00:43:55 C'est-à-dire qu'il est plus aussi capable de sentir qu'il est en train
00:43:59 de se faire bananer dans tel film ou que là, on essaie un peu de lui faire croire
00:44:05 quelque chose. En tout cas, il est plus au travail qu'avant.
00:44:08 Il est très au travail, j'espère qu'il va l'être de plus en plus.
00:44:11 Parce que dans chaque film se pose la question du pacte, on va dire,
00:44:17 que l'on passe avec le spectateur.
00:44:21 Pour Isaac Asimov, moi, je suis toujours très concerné par cette histoire de pacte.
00:44:28 C'est-à-dire qu'est-ce qu'il croit, qu'est-ce que je lui annonce, etc.
00:44:32 Là, la question de la véracité, c'est-à-dire autant il y a l'intelligence artificielle
00:44:36 qui vient pour faire un trucage, mais on aurait presque pu le faire
00:44:40 avec un très bon maquillage.
00:44:42 Mais l'affaire, c'est plutôt, une fois que je révèle que tout de même,
00:44:47 cette image est fabriquée, j'annonce tout de suite après au spectateur
00:44:51 de quoi est réellement composé le film.
00:44:53 Et je veux un petit signe, 5 minutes, 10 minutes.
00:44:57 De quoi est composé le film, c'est-à-dire que, autant si l'image est fausse
00:45:00 et il a été un peu truqué, je dis que toutes les paroles d'Asimov
00:45:04 ne sont que des extraits de choses qui ont réellement été dites
00:45:07 et je donne la liste des choses où j'ai été puisé, etc.
00:45:10 Et là, j'invite le spectateur à me faire confiance, comme dans tout film,
00:45:13 à croire que j'ai bien respecté ce que je dis.
00:45:17 Et même pour me prouver ça à moi-même, en tout cas, pour tester
00:45:26 ce que je suis en train de faire, moi, j'ai rapidement envoyé à la fille
00:45:29 d'Isaac Asimov tout le contenu du film en lui disant, voilà, moi,
00:45:34 j'articule les choses comme ça, est-ce que vous le reconnaissez ?
00:45:36 Et c'était mon seul moyen de pouvoir faire un petit peu valider
00:45:39 par le personnage la non-trahison par moi de qui il est.
00:45:47 - Qu'est-ce qu'elle a dit ? - Elle a validé.
00:45:49 Elle a même été troublée, elle a été touchée.
00:45:53 - Donc Mathias a une contrainte de temps un peu ferme tout à l'heure.
00:46:00 Donc on parlera de "La cravate" une autre fois, qui est un film passionnant.
00:46:04 Parce que l'idée, c'est de laisser pour le peu de temps qui nous reste,
00:46:08 la parole à la salle, si en tout cas, s'il y a des questions.
00:46:13 - La cravate ? Allons-y alors, moi, je suis chaud.
00:46:17 - Bon alors, présente-le.
00:46:22 - Je crois qu'en fait, avec Étienne, on a toujours pensé nos bandes annonces
00:46:26 comme des objets complètement indépendants des films,
00:46:29 qu'on s'est toujours battus pour faire nous-mêmes,
00:46:31 parce qu'ils présentent un petit peu souvent la démarche.
00:46:38 Ils sont même parfois des objets qui accompagnent avec des choses
00:46:42 qui ne sont pas dans le film.
00:46:44 C'est pour ça que je propose qu'on regarde la bande annonce
00:46:46 qui dure trois minutes, qui nous laissera, qui permet de tout de même,
00:46:49 pour avoir présenté un peu l'ensemble du projet, sans perdre trop de temps.
00:46:52 - Et donc, voici le texte.
00:47:01 Ceci est l'histoire d'un jeune militant politique nommé Bastien Régnier.
00:47:10 - J'ai l'impression de lire un livre, mais...
00:47:13 Tu sais déjà tout ce qui se passe dedans.
00:47:18 Il était membre d'un parti constitué à l'extrême droite de l'éventail des idéologies.
00:47:21 Il avait quelques responsabilités, mais rien de très glorieux,
00:47:24 et il avait accepté qu'une caméra s'installe auprès de lui
00:47:27 le temps d'une campagne présidentielle.
00:47:30 - On ne pense pas pareil. Je le sais bien. - Mais oui, je le sais bien.
00:47:34 On découvrira comment les circonstances poussèrent le jeune homme à s'engager davantage.
00:47:40 À ses côtés, on visitera les étages du parti.
00:47:43 - Bastien, Fabien, bonjour.
00:47:46 On appoisera la rhétorique mise en place pour conquérir l'opinion.
00:47:49 Puis on apprendra à identifier les pièges qui peuvent briser une ambition.
00:47:53 - Ça me fait un peu flipper tout de suite, quand même.
00:47:58 Le supérieur du héros sentait qu'il fallait se méfier.
00:48:05 - Mais après, il filme, je veux dire, les trucs.
00:48:07 - Je peux pas de cette séquence dans le montage final, tout ça est confidential.
00:48:10 Mais pouvait-il agir contre cet attachement étrange
00:48:14 qui était tissé peu à peu entre son militant et l'équipe de cinéma ?
00:48:17 Qui mêlait la tendresse et le dégoût ?
00:48:20 La ruse, la langue de bois, le mensonge et la sincérité.
00:48:24 - Je passe pour un salaud, du coup.
00:48:29 J'étais un salaud.
00:48:31 La fin du récit est connue, c'était en mai 2017.
00:48:34 Mais on lira auparavant tout ce qui animait Bastien Régnier
00:48:37 pendant que s'écrivait une page nouvelle du roman national.
00:48:40 - Donc c'est parti. Tout ce que tu nous as dit, on le met dans le film.
00:48:43 - Oui.
00:48:44 - Juste avant le Covid.
00:48:54 C'est sorti juste avant le Covid.
00:48:57 - Oui, c'est sorti quatre semaines avant le Covid.
00:49:00 Donc, on voit dans la bande-annonce un peu tous les ingrédients,
00:49:03 on va dire, du film qui sont des choses qu'on a déjà évoquées,
00:49:06 c'est-à-dire la question de la relation avec le personnage,
00:49:11 la fabrication de l'image autour du protagoniste.
00:49:15 Pour ce film, je dirais que l'image,
00:49:20 enfin, ce qu'il nous manquait, c'était le cerveau de Bastien.
00:49:26 En tout cas, qu'est-ce qui se passe dans sa tête ?
00:49:29 Pour résumer, je rencontre Bastien à l'occasion d'un petit film de commande,
00:49:36 un film court de commande,
00:49:38 sur les jeunes qui s'apprêtent à voter pour la première fois.
00:49:40 Une relation se tisse entre lui et moi.
00:49:43 Le tournage dure un mois, je vois que quelques fois,
00:49:52 puis je me rends compte, il m'emmène au QG de campagne du parti.
00:49:57 Là, je me rends compte que je pénètre aussi un monde
00:49:59 auquel je n'aurais pas pu avoir accès autrement.
00:50:01 Et je demande à ce moment-là à Bastien
00:50:03 si je peux continuer à le filmer avec Étienne,
00:50:07 qui lui, à l'époque, chapeautait plutôt la collection de films
00:50:10 pour laquelle je faisais ce film.
00:50:12 Et avec Étienne, on décide à deux de continuer à suivre Bastien,
00:50:17 qui obtient l'aval de sa hiérarchie.
00:50:19 Et on le tourne, on le filme comme ça,
00:50:21 pendant toute la durée de la campagne.
00:50:24 Et là, qu'est-ce qui se passe ?
00:50:26 On se rend compte assez rapidement que partout où on va filmer,
00:50:34 on a affaire à une image qui est très maîtrisée de la part du parti,
00:50:38 qui est mise en scène,
00:50:40 en tout cas qui est l'image qu'ils ont prévue de renvoyer aux médias
00:50:44 pendant une campagne.
00:50:46 À côté de ces moments où on peut filmer,
00:50:50 Bastien se confie, c'était confié à moi au départ,
00:50:55 sur un peu ce qu'il vit à côté de sa vie de militant.
00:51:03 Mais rapidement, on comprend que le militant qui s'affiche devant la caméra
00:51:09 joue le rôle du militant
00:51:11 et qu'on n'arrive pas à avoir accès à ce Bastien, à celui-là.
00:51:15 Et Étienne, très tôt, voit en lui le potentiel d'un personnage de roman,
00:51:24 on va dire, parce qu'il est en train à ce moment-là de monter dans la hiérarchie
00:51:29 et c'est un gars de campagne qui est en train de devenir membre d'un parti à la capitale,
00:51:35 et on décide de mettre en place des séances avec lui,
00:51:41 sans caméra, sans enjeu d'image, où on discute.
00:51:46 Et il se raconte.
00:51:49 Il se raconte et on se rend compte qu'en fait, il a envie de ça.
00:51:54 Il est heureux de se raconter.
00:51:57 Il est heureux même jusqu'à commencer à nous raconter des choses qu'il ne dit pas à son parti,
00:52:01 à savoir qu'il a un passé de skinhead,
00:52:04 qu'il a été éduqué à la violence, à des endroits, etc.
00:52:10 Des choses qu'on ne peut plus dire au parti si on veut devenir élu.
00:52:16 Et donc très vite, il y a cette idée qu'il faut accompagner cette image
00:52:25 qu'on ne peut pas percer par autre chose.
00:52:28 Et donc on décide de passer par la littérature.
00:52:33 On se dit que tout ce qu'on a compris de Bastien, on va l'écrire.
00:52:42 Et on va l'écrire en lui donnant la valeur d'un vrai personnage.
00:52:48 Enfin, d'un vrai personnage de roman.
00:52:52 Et ça, quelque chose qui va lui donner une place,
00:52:55 on s'en rendra compte plus tard,
00:52:57 est une place qui le touche énormément
00:53:00 puisqu'on fait la même chose que ce qu'il a été cherché au parti,
00:53:06 c'est-à-dire de la reconnaissance.
00:53:08 Et à partir de là, s'enclenche quelque chose qu'au début, on n'avait pas vraiment prévu,
00:53:14 qui était qu'à force de le raconter, il va dire "puisque vous voulez me raconter,
00:53:20 vous pouvez me raconter ce que vous avez pensé".
00:53:22 Et le principe va plus loin que ce qu'on avait imaginé au début.
00:53:26 C'est-à-dire qu'au moment où on décide de lui tendre le texte
00:53:30 pour le relire avec lui, d'ailleurs, intéressant,
00:53:34 on décide de faire une séance,
00:53:36 la séance où il est filmé, où il lit le texte,
00:53:39 on ne lui montre aucune image.
00:53:41 On décide de faire tout ça autour des mots, parce qu'on se dit
00:53:44 l'image est tellement maîtrisée dans les enjeux de la campagne
00:53:49 que ce qu'il y a dans sa tête.
00:53:50 Et donc pour ça, il n'y a que les mots.
00:53:52 Et donc on fait cette séance de lecture qu'autour des mots,
00:53:54 parce que les mots sont très importants,
00:53:56 en plus dans la rhétorique d'un parti qui lui-même travaille sur son langage, etc.
00:54:01 Et pour être au plus proche de ce qu'il y a derrière le militant.
00:54:07 Et ça crée ce truc où finalement, il décide de nous raconter plus
00:54:11 de choses que l'on avait prévues.
00:54:13 Et ça, c'est la surprise de notre métier.
00:54:17 Au bout de deux ans de travail,
00:54:19 il y a une pièce manquante de la vie de Bastien,
00:54:24 qui est un peu peut-être même la pièce centrale de la compréhension
00:54:28 de l'arche du bonhomme, qui est un traumatisme de jeunesse,
00:54:33 qui a fait complètement dévier sa vie et qui a été en fait
00:54:37 le point de départ de son engagement militant.
00:54:41 Et donc au final, on se rend compte que même si on n'a pas réussi,
00:54:53 enfin il y a quelque chose d'impossible dans notre démarche,
00:54:55 on s'en rend bien compte, c'est-à-dire accéder à la vérité intérieure,
00:54:59 subjective, sa vérité à lui, de lui-même, on n'y a pas accès.
00:55:04 Mais on se dit, notre tentative, si on la montre au spectateur,
00:55:09 et si le spectateur a aussi accès à nos ratés, à nos impossibilités,
00:55:15 au moment où on se dit, peut-être que c'est faux ce truc-là,
00:55:20 peut-être que là, lui, il est en train de juste les manipuler, etc.
00:55:24 Ou peut-être que eux, ils sont en train de le manipuler,
00:55:26 et qu'on se dit que si le spectateur a un peu accès quand même
00:55:29 à ces deux extrêmes, le film aura peut-être quelque chose à raconter
00:55:36 et qui ne sera pas trop préfabriqué, ni par nous, ni par lui.
00:55:41 Et donc j'espère que dans le film, il y a quelque chose qui nous échappe
00:55:48 tout de même, mais qui est quand même présent et qui se travaille.
00:55:50 Quelque chose qui est au travail.
00:55:52 - Parce que l'image manquante, parmi les images manquantes,
00:55:58 en fait il y en a toujours plusieurs, beaucoup, dans chaque film,
00:56:04 il y a des choses qui concernent Bastien, le personnage,
00:56:08 mais il y a aussi des enjeux plus collectifs.
00:56:11 Et ce que vous aidez à rendre sensible, même si ce n'est pas visuellement,
00:56:19 ne concerne pas que le cas de Bastien Regnier,
00:56:23 mais des choses qui concernent la société dans laquelle on vit
00:56:28 et qui sont des acteurs politiques de notre monde de manière plus ample.
00:56:36 Ça se déploie à partir d'un cas très précis,
00:56:42 qui est scotché à ce gars-là, mais pour faire autre chose.
00:56:46 - Finalement, ce que lui incarne bien, parce qu'il a une histoire
00:56:49 qui est complètement différente de l'entièreté des militants
00:56:55 d'extrême droite, enfin pas l'entièreté, mais une histoire assez particulière.
00:56:58 Mais là où il y a quelque chose de commun, c'est peut-être le ressentiment,
00:57:04 le manque de reconnaissance, le besoin de sentir que l'on compte,
00:57:12 que l'on fait partie du monde, que le monde ne nous échappe pas.
00:57:16 Et là, oui, il y a quelque chose de plus large,
00:57:21 quelque chose qu'on en a senti sur le terrain, dans les meetings, etc.
00:57:24 Et aussi, autre sujet, c'est-à-dire, en effet, à chaque fois,
00:57:28 dans chaque film, il y a plusieurs sujets, on essaie de les hiérarchiser.
00:57:31 Celui du haut, pour moi, c'est la question de la tête de Bastien.
00:57:37 Mais il y a aussi comment est-ce que la politique s'empare des images
00:57:44 et de la communication, et qu'aujourd'hui, c'est devenu 80% d'une campagne,
00:57:50 ou en tout cas, la question de la communication et de la mise en scène
00:57:54 est complètement présente aujourd'hui en politique.
00:58:00 Ça l'est depuis toujours, mais c'est décuplé.
00:58:03 Et le film essaie un peu de décortiquer ça.
00:58:06 C'est-à-dire, derrière ce qu'il nous a montré, qu'est-ce qu'on voit ?
00:58:09 Et on essaie tout de même, dans le film, de trouver des moments
00:58:12 où on sent que la communication, la mise en scène du parti, ses frites,
00:58:19 il y a des choses qui leur échappent, et tout de même, on a accès
00:58:22 à ce qui se passe réellement dans ce groupe-là,
00:58:27 au-delà de ce qu'il donne aux caméras.
00:58:30 - On va peut-être prendre une question dans la salle,
00:58:34 pour ne pas avoir été entièrement anti-démocratique,
00:58:37 avant de te laisser partir, puisque tu as des obligations derrière.
00:58:43 - Bonjour, merci.
00:58:47 - On voit dans la bande-annonce, à un moment, les personnages secondaires,
00:58:51 qui disent "on coupe, on ne veut pas montrer ça".
00:58:54 Comment le réalisateur s'affranchit de ça, et quand même le met dans son film ?
00:58:59 Et est-ce qu'on obtient l'accord après, ou est-ce que c'est un choix délibéré ?
00:59:05 - C'est le film où la question de la relation aux gens qu'on filmait
00:59:12 était la plus délicate.
00:59:15 On a toujours filmé des gens avec qui on était d'accord,
00:59:20 on était dans le même camp, on va dire.
00:59:23 Et là, c'était beaucoup plus complexe.
00:59:25 Donc, il y avait tout de même, sur le tournage, un enjeu,
00:59:28 où chacun n'est pas là pour la même raison.
00:59:32 Il ne se laisse pas filmer, pour les mêmes raisons que nous,
00:59:35 on veut les filmer.
00:59:37 Donc, le personnage qu'on voit, c'est Eric, le supérieur hiérarchique de Bastien.
00:59:41 C'était un jeune loup du Front National, à l'époque.
00:59:45 Et qui, lui, est là pour maîtriser, dire ce qu'on filme, ce qu'on ne filme pas, etc.
00:59:48 Et donc, nous, on n'a que accès à ce qu'il nous montre,
00:59:55 et en effet, de temps en temps, lui intervient comme ça.
00:59:58 D'ailleurs, c'est une scène qui n'est pas dans le film,
01:00:00 qu'on aurait pu mettre dans le film, mais qu'on n'avait pas la place pour le mettre.
01:00:03 Donc, on s'est dit, on le met dans la bande-annonce,
01:00:05 comme ça, au moins, on sait que ça existe.
01:00:07 Et donc, nous, on décide de faire ce qu'on peut.
01:00:10 C'est-à-dire que dès qu'ils nous disent "Vous pouvez filmer", on filme.
01:00:13 Dès qu'ils nous disent "On coupe", on essaye de plus ou moins couper.
01:00:15 Ou dans le film, il y a un moment même, où ils veulent utiliser la caméra,
01:00:19 ils me demandent de rester à Whirlpool,
01:00:24 l'endroit où Marine Le Pen va faire une sortie pour essayer de contrer Macron, etc.
01:00:28 Ils ont besoin qu'il y ait des images, parce que j'ai la guerre des images.
01:00:30 Donc, ils me disent "Tu restes avec ta caméra, moi, je ne sais pas trop quoi faire.
01:00:33 Est-ce que j'écoute le FN ? Est-ce que je fais ce que moi, je veux ?" etc.
01:00:37 Donc, sur le tournage, on est dans ce deal permanent.
01:00:42 Avec des moments où on est dégoûté, parce qu'ils nous disent,
01:00:45 après le premier tour, par exemple, on reste avec eux toute la journée,
01:00:49 on va avoir les réactions à la fin du premier tour.
01:00:52 Et puis, en fait, ils nous disent "Non, finalement, vous ne rentrez pas dans notre QG,
01:00:55 et vous restez dehors", etc. parce qu'ils ne voulaient pas qu'on filme la déception.
01:00:58 Et donc, on fait avec.
01:01:01 Et donc, d'où ce que je disais, l'idée de passer par autre chose,
01:01:05 qui n'est pas que de l'enjeu de l'image.
01:01:10 C'est qu'ensuite, la relation avec Eric était différente de celle de Bastien.
01:01:14 C'est-à-dire qu'autant Bastien, lui, a décidé à un moment donné de jouer frangeux,
01:01:18 à un moment donné de se livrer d'une manière où il s'est mis en péril lui-même.
01:01:22 Et donc, nous, nous ne pouvions pas ne pas être dans cette forme de sincérité aussi.
01:01:28 Donc, on a fait un film où on a toujours essayé, quand même,
01:01:31 tout en assumant qu'on était ennemis, pas d'accord, etc.
01:01:36 de faire quelque chose qui ne soit pas un coup de couteau dans le dos de Bastien.
01:01:39 Donc, le film, on lui a d'abord donné le texte,
01:01:41 mais ensuite, on lui a montré le film, première version du montage,
01:01:45 deuxième version du montage, en en discutant avec lui, etc.
01:01:48 pour voir s'il était prêt à qu'on rende tout ça public.
01:01:53 Autant avec Eric, on n'a été chercher aucune validation.
01:01:56 On s'est... eux voulaient se servir de nous au moment du tournage
01:02:01 parce qu'ils voulaient exister en campagne.
01:02:03 Ils nous prenaient pour des... on n'avait pas de... on était des petits, quoi.
01:02:08 On n'avait pas de diffuseurs, etc.
01:02:10 Donc, on leur racontait nos galères pour essayer de trouver des sous
01:02:13 qu'on n'arrivait pas à trouver.
01:02:15 Et ils nous disaient "Bon, ils ne sont pas dangereux".
01:02:17 Mais, et donc, en tout cas, il n'y a jamais eu de deal,
01:02:20 de validation de leur part, quoi.
01:02:22 Ils ont découvert le film à l'écran, et nous, on a complètement assumé
01:02:26 que comme c'est un parti politique avec ses communicants,
01:02:29 on n'est pas du tout dans un rapport de... on ne leur doit rien.
01:02:35 Ils acceptent, parce que c'est un travail public qu'ils font,
01:02:37 ils acceptent les caméras, c'est eux qui décident
01:02:40 où ils acceptent, des caméras ou pas.
01:02:42 Donc, ils ont découvert le film à l'écran.
01:02:44 Ensuite, au moment de la sortie du film, nous, on avait...
01:02:47 beaucoup de questions sur "Que va-t-il se passer ?
01:02:50 Y aura-t-il des réactions ?" etc.
01:02:53 On faisait des projections où les directeurs de salles nous disaient
01:02:57 "Au dernier rang, là, c'est toute la bande du FN du coin, etc."
01:03:00 Donc, ils étaient là.
01:03:04 Et la réaction était "Silence".
01:03:06 Ça, ça a été assez intéressant.
01:03:08 C'est-à-dire que le parti n'a jamais commenté ce film.
01:03:11 Et pourtant, ils étaient là.
01:03:14 Et en fait, on a bien, à force de les côtoyer, on a bien compris
01:03:16 qu'est-ce que c'était que le rôle du silence.
01:03:20 Le buzz, eux, ils cherchent toujours le buzz.
01:03:22 Même, on voit dans le film, à un moment donné, ils font un bad buzz.
01:03:25 Ils sont toujours en train d'évaluer entre le good buzz et le bad buzz.
01:03:28 C'est-à-dire qu'à un moment donné, même si ça parle mal sur eux,
01:03:32 ça parle d'eux, donc il faut en parler, etc.
01:03:34 Donc là, le fait qu'ils décident de ne rien dire sur le film, c'était
01:03:37 on ne veut pas qu'il y ait de discussion autour de ce film.
01:03:40 Donc, pas de réaction, pas de discussion, etc.
01:03:44 Parce que ça voulait dire qu'ils n'avaient pas envie d'avoir à prendre la parole
01:03:47 autour de ce film, puisqu'on raconte comment est-ce qu'il y a des batailles en interne,
01:03:51 comment est-ce qu'il y a des jalousies, comment est-ce qu'on demande aux militants
01:03:55 de se taire face aux caméras, etc.
01:03:58 Comment est-ce qu'il y a le bon discours, le mauvais discours.
01:04:01 Tout ça qui est incarné par Bastien.
01:04:02 Ils ne peuvent pas non plus condamner Bastien, qui est un de leurs militants, etc.
01:04:06 C'est dans une situation impossible.
01:04:08 Mais du coup, on est dans des relations complexes,
01:04:11 qui nous font flipper par moments,
01:04:13 qui nous mettent dans des situations où, des moments,
01:04:16 on se demande un peu sur quel fil on est en train de marcher.
01:04:19 Et il n'y a que le montage qui peut essayer ensuite de nous garantir,
01:04:24 l'équilibre, on essaie de le trouver ensuite au montage.
01:04:29 Où cette relation étrange doit apparaître,
01:04:32 sans que, en tout cas c'est le but de ce film,
01:04:35 il y a d'autres films qui sont des films qui viennent pour piéger.
01:04:41 Notre idée, ce n'était pas celle-là.
01:04:44 C'était donc d'être sur le fil.
01:04:47 - Merci.
01:04:49 On va s'arrêter là, Mathias.
01:04:52 L'après-midi continue sans nous.
01:04:57 On va devenir une image manquante de la suite de l'après-midi.
01:04:59 Mais merci à toi.
01:05:01 Et merci qu'on ait pu balayer comme ça
01:05:04 toutes ces différentes occurrences de l'image.
01:05:07 - Merci à vous.
01:05:09 - À suivre donc.
01:05:11 - Bonjour, bienvenue à ceux et celles qui nous rejoignent
01:05:21 pour cette dernière partie de la journée.
01:05:23 Je suis Marie Mandy, je suis autrice réalisatrice
01:05:26 et avec Rémi Lenné, je fais partie de ceux et celles
01:05:29 qui coordonnent un peu le contenu éditorial de ces journées.
01:05:32 Alors, moi je suis très heureuse en tout cas qu'on ait une table ronde
01:05:36 avec trois réalisatrices et une philosophe féministe
01:05:39 pour explorer cette question de l'image qui manque.
01:05:42 On l'a vu depuis ce matin, c'est tout le temps,
01:05:45 les images manquent beaucoup, alors beaucoup du côté des guerres,
01:05:47 des génocides, du drame, des refus d'apparaître, de l'absence.
01:05:51 Et vraiment, je voulais qu'on ajoute à cette journée
01:05:55 une question qui moi me préoccupe beaucoup,
01:05:57 ce sont les images qui manquent à l'imaginaire féminin
01:06:00 et qui manquent dans nos têtes, nos têtes de femmes notamment.
01:06:03 Il y a quelques années, pour un documentaire que je réalisais
01:06:06 sur le cinéma des femmes, je me souviens qu'une réalisatrice
01:06:09 m'avait raconté qu'elle souhaitait filmer un tampon ensanglanté
01:06:13 et son chef opérateur lui avait dit "il n'en est pas question,
01:06:16 je ne filmerai pas ça, ce sera sans moi".
01:06:23 Voilà, donc quand on sait que ce qui n'est pas à représenter
01:06:25 n'existe pas, je pense que ces images qui manquent
01:06:28 constituent à mon sens un grand trou dans nos imaginaires.
01:06:31 Et j'avais envie qu'on en parle aujourd'hui,
01:06:34 parce que c'est quelque chose dont on ne parle pas beaucoup.
01:06:36 Alors, faut-il montrer en creux et de façon explicite ?
01:06:40 C'est certainement une des questions qui va nous occuper
01:06:43 et qui a aussi précédé la préparation de cette journée,
01:06:45 parce que tout le monde n'a pas envie de voir peut-être du sang
01:06:49 ou le col d'un utérus, mais l'artiste doit-il
01:06:52 tenir compte des envies du spectateur ?
01:06:54 En tout cas, ce sont des images qui viennent nous chercher
01:06:58 et en visionnant les films des réalisatrices ici présentes,
01:07:01 moi j'y ai vu des images que je n'avais jamais vues
01:07:04 et qui m'ont mise à l'épreuve, et pourtant je dirais
01:07:07 que je suis une réalisatrice, une femme, une spectatrice aguerrie.
01:07:10 Et donc vous verrez tout à l'heure des extraits
01:07:13 que nous avons volontairement choisis,
01:07:15 qui montrent des passages explicites,
01:07:18 parce que je pense que c'est important pour réfléchir ensemble.
01:07:21 Moi je vois également dans ces films une autre manière de faire récit,
01:07:25 peut-être moins linéaire, peut-être plus par cercle concentrique,
01:07:28 par association d'idées, des formes qui parfois aussi
01:07:31 manquent à la manière de raconter général.
01:07:34 Et donc avant de laisser la parole à nos invités,
01:07:37 je vais vous présenter Élodie Fon, qui va animer le débat.
01:07:39 Certains d'entre vous la connaissent, parce qu'elle nous accompagne
01:07:42 depuis le début de ces séminaires.
01:07:45 Élodie a été chargée de programme chez Arte,
01:07:49 aujourd'hui chargée des séries documentaires
01:07:51 chez HBO Max France.
01:07:53 Mais Élodie est d'abord une autrice de radio et littéraire,
01:07:57 c'est surtout pour ça qu'elle est là.
01:07:59 Et son prochain essai, qui sort en mai
01:08:02 chez l'éditeur La Déferlante, n'est pas sans rapport
01:08:04 avec le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
01:08:07 Ce livre s'intitule "À nos désirs, dans l'intimité des lesbiennes".
01:08:12 Élodie, je te passe la parole.
01:08:14 Est-ce que c'était un récit manquant ?
01:08:17 J'espère, quelque part.
01:08:19 Enfin, j'espère.
01:08:21 En tout cas, il m'a manqué à moi.
01:08:23 Bonjour à tous, ravie de vous retrouver,
01:08:25 en effet, pour une nouvelle table ronde.
01:08:28 C'est vrai que moi, cette question de l'image manquante
01:08:30 dans mon travail, c'est quelque chose qui me travaille beaucoup.
01:08:33 Et je travaille en effet beaucoup sur les femmes lesbiennes.
01:08:37 Alors, on entend souvent que les personnes LGBT,
01:08:40 on les voit partout.
01:08:42 Mais en fait, si vous essayez de faire le travail,
01:08:46 je pense que vous n'êtes pas capable de citer
01:08:48 10 lesbiennes connues en France.
01:08:50 Et c'est vrai que j'ai fait un travail de recherche
01:08:53 auprès de centaines de femmes lesbiennes.
01:08:57 Et je crois que l'image qui m'avait le plus manqué, moi,
01:09:00 ce sont les voix de lesbiennes âgées,
01:09:02 qui ont plus de 65 ans, je dirais.
01:09:05 Et je me suis rendue compte, en les écoutant,
01:09:09 que ma vie n'allait plus être pareille
01:09:14 qu'une fois que je les avais entendues,
01:09:16 une fois qu'elles étaient rentrées dans ma vie.
01:09:18 Et ça m'a fait extrêmement bizarre de me rendre compte
01:09:21 qu'à 38 ans, je découvrais à quel point
01:09:25 quelque chose comme ça pouvait me manquer.
01:09:27 Et donc, c'est vrai que j'ai accepté tout de suite
01:09:31 de mener cette table ronde, parce que pour moi,
01:09:33 c'est essentiel de discuter,
01:09:37 et en plus, je suis très bien entourée
01:09:39 de cette question des récits manquants.
01:09:42 Et notamment, parce qu'il n'y a pas que des récits manquants
01:09:44 chez les femmes, mais des récits manquants
01:09:46 qui manquent aux femmes.
01:09:48 Alors, pour en discuter, moi, ça y est,
01:09:50 je vous ai raconté ma petite vie,
01:09:52 mais ce n'est pas moi qui vais parler.
01:09:54 Pour en discuter, on est en cette fin d'après-midi
01:09:57 avec Diane Sara Bouzgarou.
01:09:59 Bonjour, Diane.
01:10:01 Tu peux prendre ton micro.
01:10:03 Diane qui est cinéaste, plasticienne,
01:10:06 et qui va nous parler, entre autres, du documentaire
01:10:08 "Je ne me souviens de rien".
01:10:11 Remarqué depuis pour "The Last Hillbilly",
01:10:13 co-réalisé avec Thomas Djanko.
01:10:15 Nous sommes aussi avec la réalisatrice
01:10:18 Yamina Zuta.
01:10:20 Bonjour.
01:10:22 Bonjour.
01:10:24 Avec qui nous évoquerons le documentaire
01:10:26 "Chienne de rouge",
01:10:28 qui part du procès du sang contaminé.
01:10:30 Aussi à mes côtés, Marie Beautois.
01:10:32 Bonjour.
01:10:34 Pour le court-métrage "Le passage du col".
01:10:36 Marie, documentariste et aussi chef-monteuse,
01:10:38 et ça a son importance dans le court-métrage
01:10:40 que nous avons vu tout à l'heure.
01:10:41 Et puis elle va éclairer cette conversation.
01:10:43 La philosophe Camille Frode-Vaumétry.
01:10:45 Bonjour.
01:10:47 Autrice, entre autres, des livres
01:10:49 "Le corps des femmes",
01:10:51 qui m'a personnellement bouleversée,
01:10:53 "Sein en quête d'une libération",
01:10:55 "Un si gros ventre".
01:10:57 À chaque fois, ce sont des livres différents.
01:10:59 Et qui a réfléchi aussi à l'image
01:11:01 en étant la conseillère scientifique
01:11:03 de deux documentaires,
01:11:05 "Les mâles du siècle",
01:11:07 dont on verra tout à l'heure un extrait,
01:11:09 par Laurent Métry,
01:11:10 et qui interroge le regard et la parole
01:11:12 des hommes sur leur corps,
01:11:14 leur plaisir,
01:11:16 leur vision des femmes.
01:11:18 Et je précise que pour les petits mâles,
01:11:20 il va y avoir une projection débat
01:11:22 à Paris le 30 avril,
01:11:24 au cinéma...
01:11:26 - Les Cinq Comartins.
01:11:28 - Oui, à Havre-Comartin.
01:11:30 Merci à toutes les quatre
01:11:32 d'être parmi nous.
01:11:34 On va démarrer cette discussion par l'image,
01:11:36 justement, par un extrait
01:11:38 du film documentaire de Diane,
01:11:39 "Je ne me souviens de rien",
01:11:41 sorti en 2017.
01:11:44 - Il y a tout le feu.
01:11:45 C'est pas grave.
01:11:47 - C'est pas grave, maintenant.
01:11:49 J'ai pas peur, maintenant.
01:11:51 Ben Ali est quitte.
01:11:53 On dégage la piste à cause de Catherine.
01:11:55 - C'est à cause de Brachiche.
01:11:57 - À cause de Brachiche.
01:11:59 À cause de Brachiche, Catherine.
01:12:01 Zine Ben Ali quitte, là.
01:12:03 - À cause de Brachiche.
01:12:05 - À cause de Brachiche.
01:12:07 - À cause de Brachiche, Catherine.
01:12:09 Zine Ben Ali quitte, là.
01:12:12 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:13 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:15 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:17 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:19 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:21 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:23 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:25 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:27 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:29 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:31 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:33 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:35 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:37 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:39 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:41 - Qu'est-ce que tu veux ?
01:12:42 [Bruit de moteur]
01:12:44 [Bruit de moteur]
01:12:45 [Bruit de moteur]
01:12:46 [Bruit de moteur]
01:12:48 [Bruit de moteur]
01:12:50 [Bruit de moteur]
01:12:52 [Bruit de moteur]
01:12:54 [Bruit de moteur]
01:12:56 [Bruit de moteur]
01:12:58 [Bruit de moteur]
01:13:00 [Bruit de moteur]
01:13:02 [Bruit de moteur]
01:13:04 [Bruit de moteur]
01:13:06 [Bruit de moteur]
01:13:08 [Bruit de moteur]
01:13:10 [Bruit de moteur]
01:13:12 [Bruit de moteur]
01:13:14 [Bruit de moteur]
01:13:15 [Bruit de moteur]
01:13:17 [Bruit de moteur]
01:13:19 [Bruit de moteur]
01:13:21 [Bruit de moteur]
01:13:23 [Bruit de moteur]
01:13:25 [Bruit de moteur]
01:13:27 - En tant que psy, je savais qu'il s'agissait d'un trouble bipolaire,
01:13:32 mais je ne voulais pas me le dire à moi-même, le reconnaître.
01:13:37 J'étais dans cette difficulté, mais totalement bouleversé.
01:13:43 Je voulais voir ma fille avoir cette pathologie.
01:13:48 - Vous étiez agité, inquiet, mais...
01:13:52 - Non, mon inquiétude, c'est le suicide.
01:13:57 Moi, j'avais toujours ça en tête.
01:14:01 [Bruit de moteur]
01:14:03 [Bruit de moteur]
01:14:05 [Bruit de moteur]
01:14:07 [Bruit de moteur]
01:14:09 [Bruit de moteur]
01:14:12 [Bruit de moteur]
01:14:13 [Bruit de moteur]
01:14:15 [Bruit de moteur]
01:14:17 [Bruit de moteur]
01:14:19 [Bruit de moteur]
01:14:21 [Bruit de moteur]
01:14:23 [Bruit de moteur]
01:14:25 [Bruit de moteur]
01:14:27 [Bruit de moteur]
01:14:29 [Bruit de moteur]
01:14:31 [Bruit de moteur]
01:14:33 [Bruit de moteur]
01:14:35 [Bruit de moteur]
01:14:37 [Bruit de moteur]
01:14:40 [Bruit de moteur]
01:14:41 [Bruit de moteur]
01:14:43 [Bruit de moteur]
01:14:45 [Bruit de moteur]
01:14:47 [Bruit de moteur]
01:14:49 [Bruit de moteur]
01:14:51 [Bruit de moteur]
01:14:53 [Bruit de moteur]
01:14:55 [Bruit de moteur]
01:14:57 [Bruit de moteur]
01:14:59 [Bruit de moteur]
01:15:01 [Bruit de moteur]
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01:15:05 [Bruit de moteur]
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01:15:10 [Bruit de moteur]
01:15:12 [Bruit de moteur]
01:15:14 [Bruit de moteur]
01:15:16 [Bruit de moteur]
01:15:18 [Bruit de moteur]
01:15:20 [Bruit de moteur]
01:15:22 [Bruit de moteur]
01:15:24 [Bruit de moteur]
01:15:26 [Bruit de moteur]
01:15:28 [Bruit de moteur]
01:15:30 [Bruit de moteur]
01:15:32 [Bruit de moteur]
01:15:34 [Bruit de moteur]
01:15:36 [Bruit de moteur]
01:15:39 [Bruit de moteur]
01:15:40 [Bruit de moteur]
01:15:42 [Bruit de moteur]
01:15:44 [Bruit de moteur]
01:15:46 [Applaudissements]
01:15:48 C'est un extrait de "Je ne me souviens de rien"
01:15:52 pour une toute petite mise en contexte.
01:15:55 2011, au tout démarrage du printemps arabe.
01:15:59 Les images du feu d'artifice sont tournées en Tunisie.
01:16:07 - Non.
01:16:08 - Ça veut raconter ça ?
01:16:11 - C'est un collage de différents moments,
01:16:15 mais ce plan-là, non.
01:16:17 - Je me suis dit que ça voulait illustrer
01:16:20 le fait que Ben Ali s'en allait.
01:16:23 - C'est au montage qu'on le suggère,
01:16:26 mais en tout cas, ça s'est tourné à Paris.
01:16:29 - Merci.
01:16:31 - On s'en fiche.
01:16:34 - L'idée de démarrer cette conversation avec vous, Diane,
01:16:37 c'est de commencer par parler de l'image qui manque de soi
01:16:41 dans les récits de femmes.
01:16:44 En l'occurrence, votre film part d'une image
01:16:48 que vous avez d'une période dont vous avez oublié le souvenir.
01:16:52 Pouvez-vous nous raconter le contexte ?
01:16:55 - En fin 2010, début 2011,
01:17:00 pendant la révolution tunisienne,
01:17:04 qui est le pays de mon père,
01:17:07 j'ai traversé un épisode maniaco-dépressif assez critique.
01:17:14 Et à l'époque, avant de traverser ça,
01:17:19 j'avais pour habitude de documenter ma vie comme ça.
01:17:23 La montée en puissance de l'état maniaque
01:17:28 et j'avais une sorte de frénésie de tout filmer, de tout montrer,
01:17:31 mais dans un geste totalement inconscient,
01:17:35 entre guillemets, d'un travail en cours.
01:17:39 Et du coup, à partir du moment où ça a été de mal en pire,
01:17:46 on va dire que c'est devenu une sorte de geste de survie à l'hôpital.
01:17:51 Et j'ai continué à filmer jusqu'à...
01:17:56 J'ai même fui dans l'hôpital de manière assez compliquée
01:17:59 parce qu'on n'a pas le droit normalement.
01:18:02 J'ai arrêté de filmer à un moment donné,
01:18:05 au moment où j'étais dans un moment de dépression.
01:18:08 Et du coup, il se trouve que ça a été un événement extrêmement violent
01:18:13 et dont il me manquait énormément de souvenirs.
01:18:17 J'avais une forme de blackout.
01:18:20 J'avais quelques bribes d'événements, quelques souvenirs,
01:18:25 je pense l'état psychique dans lequel j'étais,
01:18:27 et de part aussi les médicaments dont j'ai été assommée, etc.
01:18:30 Je n'avais plus cette mémoire-là, en fait.
01:18:33 Et en fait, mon compagnon avait stocké toutes les cartes SD,
01:18:39 les cartes SDV, etc. Il avait tout conservé.
01:18:42 Et on va dire que des mois plus tard, j'ai redécouvert
01:18:46 l'existence de ces rushs.
01:18:49 Et j'ai découvert, brièvement d'ailleurs,
01:18:53 je n'ai pas voulu tout de suite les regarder,
01:18:55 mais j'ai découvert des souvenirs qui étaient sortis de ma mémoire intérieure,
01:18:59 mais en tout cas sauvegardés sur des disques.
01:19:03 Et donc, j'ai eu pour projet de reconstruire cette mémoire-là,
01:19:11 perdue, avec ces images qui, moi, me manquaient pour ça.
01:19:16 Même si je l'ai fait des années plus tard.
01:19:19 C'est-à-dire que le film est fait en 2016,
01:19:22 et qui vous manquait à vous, dans votre histoire personnelle ?
01:19:25 Parce qu'on n'a pas mis ça comme extrême,
01:19:29 mais on vous voit dans des épisodes maniaquo-dépressifs,
01:19:32 on vous entend répéter, par exemple, énormément les mêmes choses,
01:19:36 essayer d'attirer le fait que la personne réponde,
01:19:40 puis réponde, puis réponde encore.
01:19:42 Est-ce qu'au-delà de votre histoire personnelle,
01:19:45 ce sont des histoires qui vous avaient manqué, j'allais dire tout court ?
01:19:51 - Oui, disons qu'en fait, le désir de film,
01:19:54 il est né d'à la fois un vrai intérêt, encore une fois,
01:19:59 des années après, donc remise de tout ça.
01:20:02 J'ai trouvé que c'était quand même assez étrange et beau,
01:20:07 en un sens, de me dire, je pourrais reconstruire une mémoire
01:20:11 via des images, je trouvais le concept assez excitant,
01:20:20 entre guillemets, intéressant.
01:20:22 Mais ça s'est aussi entremêlé à un truc progressif,
01:20:26 de réaliser qu'au fond, on parlait vraiment, en tout cas à l'époque,
01:20:33 énormément de bipolarité, et même des gens proches
01:20:37 qui voulaient être soutenants, etc.,
01:20:39 j'avais vraiment la sensation qu'on ne mesurait pas
01:20:43 ce que c'était que vraiment ça.
01:20:45 On me disait souvent, "Ah oui, mais moi aussi, j'ai un petit côté bipolaire."
01:20:49 On peut avoir des changements d'humeur, etc.
01:20:53 Mais il y avait un truc qui vraiment commençait à me gêner
01:20:56 et qui, selon moi, manquait parce que je me sentais...
01:21:01 J'avais vécu un truc extrêmement violent dont je n'arrivais pas
01:21:05 à transmettre, du moins à l'oral, toute l'ampleur
01:21:09 de cette espèce d'effondrement.
01:21:13 Et je me disais, même si j'avais un peu peur de montrer ça,
01:21:18 je me disais quand même que j'ai filmé des choses
01:21:21 que je n'ai pas besoin de reconstituer.
01:21:23 La matière elle-même faisait part de ce que c'est
01:21:28 qu'un corps et un esprit en train de sombrer.
01:21:32 Et du coup, je me disais que peut-être ces images-là
01:21:37 pouvaient transmettre quelque chose de ça, en tout cas,
01:21:42 à un moment comme ça.
01:21:44 - Camille, froidevométrie.
01:21:47 Est-ce que la santé mentale tout court
01:21:49 et la santé mentale des femmes soient une image manquante ?
01:21:53 - Oui, je crois que c'est la santé mentale tout court
01:21:57 qui est un peu une image manquante.
01:21:59 Mais ce que m'inspire, ce que vient de dire Diane,
01:22:02 c'est la centralité de l'écriture en première personne dans son travail.
01:22:08 Mathias Thierry évoquait tout à l'heure l'importance de la relation
01:22:12 dans le documentaire.
01:22:15 Je ne sais pas exactement à propos du sociologue Edourson
01:22:17 à quel point le documentariste peut se mettre lui-même aussi
01:22:20 à l'écran dans la relation.
01:22:22 Mais ce qui me frappe comparativement, si je puis dire,
01:22:25 c'est que dans le cas, et je crois que ça vaut pour les documentaires
01:22:29 de Marie et de Yamina aussi,
01:22:31 c'est à quel point les femmes réalisatrices font,
01:22:35 ce n'est même pas une question d'effort,
01:22:37 mais ce geste très puissant,
01:22:40 que je considère être un geste politique,
01:22:43 de se présenter elle-même sans aucun filtre, aucun procédé,
01:22:49 aucune construction scénaristique,
01:22:52 notamment dans une forme d'immédiateté,
01:22:55 de la présence de soi-à-soi,
01:22:57 mais du coup aussi pour le spectateur,
01:22:59 d'une présence qui s'impose très fortement.
01:23:01 Et il me semble que, alors ce n'est pas du tout évidemment
01:23:04 l'idée très loin de moi d'essentialiser
01:23:08 ou de caractériser comme une écriture cinématographique féminine,
01:23:12 mais ce qui est certain en tout cas,
01:23:14 et c'est quelque chose qu'on observe aujourd'hui
01:23:16 beaucoup plus largement dans le champ de la pensée,
01:23:19 de la littérature, de l'art qui sont faits par des femmes,
01:23:23 c'est qu'il y a cette capacité et cette,
01:23:27 j'allais dire cette audace aussi,
01:23:29 parce qu'une fois encore je considère que ce sont des gestes très politiques,
01:23:32 de venir présenter au monde quelque chose
01:23:36 qui est de l'ordre de l'intime,
01:23:38 et quelque chose qui est immensément manquant,
01:23:41 c'est-à-dire qu'on ne figure jamais,
01:23:43 dont on ne parle jamais, qu'on montre encore moins.
01:23:46 Et ce n'est pas simplement soi,
01:23:48 c'est quelque chose de très intime en soi,
01:23:50 jusque au centre de ses règles, à son col de l'utérus,
01:23:53 à sa maladie mentale ou physique dans d'autres cas.
01:23:58 Et ça c'est un geste que je considère
01:24:01 comme une proposition contemporaine, très puissante,
01:24:06 et spécifiquement féminine, une fois encore,
01:24:08 au sens où il se trouve que jusqu'à présent,
01:24:10 ce sont les femmes qui ont osé faire ce geste.
01:24:13 - Yaminazuta, vous l'avez pensé comme un geste politique ?
01:24:18 On vous voit très peu à l'image,
01:24:21 mais évidemment il y a une parole au jeu,
01:24:24 en tout cas il y a une parole au jeu,
01:24:26 et il y a effectivement beaucoup de vous.
01:24:29 - Est-ce que vous ne voulez pas qu'on regarde l'extrait d'abord ?
01:24:33 Parce que ça me semblerait mieux expliquer comment je suis arrivée là.
01:24:39 - Pas de souci, on va regarder l'extrait.
01:24:41 - L'extrait permet de voir l'élan vert.
01:24:44 - L'élan vert et l'explication effectivement
01:24:47 de comment vous êtes arrivée à ce récit, précisément celui-ci.
01:24:52 - Merci.
01:24:54 [Musique]
01:25:18 - Mensonge.
01:25:23 10 février 1999, 10h40.
01:25:27 Le scatère d'État.
01:25:30 Il y avait beaucoup de controverses et des incertitudes.
01:25:35 Le savoir scientifique a hésité.
01:25:39 Le président de la cour.
01:25:43 On connaissait le risque d'une transmission du sida par le sang dès 1983.
01:25:50 [Bruit de coups de feu]
01:25:51 On disait "le procès du sang".
01:26:02 Comme si c'était le sang l'accusé.
01:26:07 [Bruit de coup de feu]
01:26:12 [Bruit de voiture]
01:26:15 [Bruit de voiture]
01:26:20 Je pars dans ce décor.
01:26:24 J'ai 28 ans.
01:26:27 Je suis chroniqueuse judiciaire.
01:26:29 Je travaille pour la télévision.
01:26:31 [Bruit de coups de feu]
01:26:40 Le procès du sang n'a pas été filmé.
01:26:44 Il ne reste que cette image, prise quelques minutes avant l'ouverture du procès.
01:26:49 Ce sont des hommes politiques.
01:27:00 Des juges.
01:27:11 Sur l'envers de mon carnet, j'ai noté "Alerte, évincé du procès du sang".
01:27:17 On me considère encore comme une petite fille.
01:27:20 Les chefs de la rédaction ne voulaient pas que je suive ce procès.
01:27:29 J'ai dû insister.
01:27:31 Alors on m'a donné cette consigne.
01:27:35 "Tu ne montreras pas de sang".
01:27:39 [Bruit de voiture]
01:27:42 [Bruit de voiture]
01:27:46 [Bruit de voiture]
01:28:13 Merci Yamina.
01:28:16 Merci pour le film "Chienne de rouge".
01:28:18 On va reparler des règles dans un instant.
01:28:20 Mais je voudrais d'abord qu'on parte de cette idée du procès,
01:28:25 de cette image si hallucinante de tous ces hommes.
01:28:30 Et de cette idée de ne pas montrer le sang.
01:28:35 C'est une image manquante du corps des femmes, à travers les règles.
01:28:38 Mais c'est une image manquante tout court.
01:28:43 Ce n'est pas tout à fait le début du film que je vous montre là.
01:28:47 Mais ça vient assez tôt.
01:28:50 Ce qui précède, c'est ce qui s'est passé au départ de ce projet.
01:28:56 Je me suis réveillée un matin, avec un désir qui m'a traversée,
01:29:00 qui s'est formulé en quelques mots.
01:29:02 "Je veux filmer du sang".
01:29:04 J'ai été très surprise par cette proposition que je me faisais à moi-même.
01:29:12 C'était en 2017.
01:29:13 Très vite, je l'ai associée à cet interdit
01:29:18 qu'on m'avait imposé quasiment 20 ans plus tôt.
01:29:23 Et 20 ans après, je me réveille avec ce désir.
01:29:27 Peut-être pour dépasser ce diktat, "tu ne montreras pas de sang",
01:29:32 qui dans sa formulation même, parce que je l'ai gardée gravée,
01:29:37 c'est la formulation exacte, c'est presque biblique.
01:29:41 C'est presque le 11e commandement.
01:29:43 Ça m'a vraiment incroyablement marquée.
01:29:47 Et donc, quand je me réveille ce matin-là,
01:29:50 très vite, il y a eu plein d'associations d'idées qui sont venues.
01:29:54 Et tout le film est traversé de vision de rouge,
01:29:57 en lien avec cette première émotion de se réveiller avec ce projet.
01:30:02 Mais la première association forte, disons, que j'ai faite,
01:30:07 c'est effectivement avec, au-delà de cet interdit,
01:30:10 ce procès que finalement j'ai pu suivre, qui a duré 9 jours,
01:30:13 et dont j'aurais aimé, si ça avait été possible,
01:30:17 si c'était possible de faire ça à la télévision,
01:30:20 parce que j'aurais aimé pouvoir le faire à la télévision,
01:30:23 j'aurais aimé rendre compte de ces 9 journées d'audience
01:30:27 avec une seule image, parce qu'on ne filme pas en France les procès,
01:30:32 vous le savez, on ne filme pas, du moins,
01:30:35 pour en rendre compte immédiatement, pour le diffuser en direct.
01:30:39 Et en plus, ce procès-là n'a même pas été filmé pour l'histoire,
01:30:42 alors que la loi de Robert Badinter, qu'il a faite passer au début
01:30:47 de son ministère à la justice, au début des années 1980,
01:30:53 aurait permis qu'on garde l'image de ce procès,
01:30:56 et qu'on puisse travailler à partir de cette image.
01:30:59 Cette image-là est manquante, effectivement.
01:31:01 Et moi, mon idée de récit à l'époque, donc en 1999,
01:31:06 jeune chroniqueuse, très jeune et très immature,
01:31:10 peu consciente et peu experte, j'avais quand même une idée
01:31:15 qui aurait été de rendre compte du procès en faisant un long travelling
01:31:19 à partir d'une poche de sang sur les tuyaux,
01:31:23 parce qu'il y a plusieurs tuyaux pour faire une transfusion,
01:31:26 et qui aurait emmené tout doucement jusqu'au bras du receveur.
01:31:30 Un travelling ultra-lent qui aurait permis, je pense,
01:31:35 d'embaisonner les mots qui étaient prononcés dans la cour de justice,
01:31:39 cour spéciale, faite pour juger des ministres.
01:31:42 J'ai pas pu faire ça.
01:31:44 "Tu ne montreras pas de sang."
01:31:46 Et j'ai participé, de ma place, à rendre ce procès totalement abstrait,
01:31:52 de sorte que personne ne s'en souvient aujourd'hui quasiment.
01:31:55 C'est-à-dire qu'à partir du moment où est née l'idée de l'évoquer
01:31:59 dans le film, le film ne traite pas que de cette dimension-là,
01:32:03 je me suis rendue compte autour de moi qu'on ne se souvenait pas
01:32:05 ni qui avait été jugé, ni quelles avaient été les décisions de justice.
01:32:10 On s'en souvient mal, en tout cas.
01:32:13 Et pour les plus jeunes, puisque c'est aussi dans cette direction-là
01:32:18 que je voulais adresser ce film, ceux qui sont nés après
01:32:22 connaissent très mal ce que ma génération, à moi,
01:32:26 a vécu très fort les années du sida.
01:32:29 - On le voit à la fin de l'extrait.
01:32:32 Vous montrez une femme dans un train qui a ses règles.
01:32:36 Comment on gère dans ce genre de documentaire sur le sang ?
01:32:39 Il y a d'autres... Ce sont les règles.
01:32:42 Il y a un autre passage qui n'a rien à voir, mais où on voit,
01:32:45 par exemple, un animal éventré.
01:32:48 On voit du sang, vraiment, effectivement, dans votre film,
01:32:51 à plein de niveaux.
01:32:53 Comment on gère l'implicite et l'explicite ?
01:32:56 Qu'est-ce qu'on montre ? Qu'est-ce qu'on ne montre pas ?
01:32:59 - Ce plan-là... Volontairement, le plan que vous...
01:33:04 D'ailleurs, c'était assez impressionnant pour moi,
01:33:06 parce que c'est la première fois positionné comme ça
01:33:09 dans l'espace de la salle de cinéma.
01:33:11 Je regardais vos visages découvrant la cuvette sanglante.
01:33:15 C'était très intéressant pour moi, parce que, évidemment,
01:33:18 je n'ai jamais ce point de vue au cinéma.
01:33:21 Mon film est sorti il y a un mois et demi.
01:33:23 Et j'aimerais plus souvent pouvoir me positionner de cette façon-là.
01:33:28 Donc, c'était très intéressant d'observer vos visages.
01:33:30 Alors, le plan, j'ai souhaité n'en montrer qu'un court extrait.
01:33:35 Donc, le plan dure plus longtemps.
01:33:38 Et il se passe d'autres choses durant ce plan-là.
01:33:40 Mais là, il ne s'agissait pas d'aller au bout du plan,
01:33:43 mais juste de vous donner le goût, si j'ose dire,
01:33:45 si vous m'autorisez l'expression.
01:33:47 Il faut savoir rigoler aussi, je pense.
01:33:50 C'est très important.
01:33:52 J'en ai perdu la question sur l'implicite, l'explicite.
01:33:57 L'implicite, l'explicite et l'humour dans l'implicite et l'explicite.
01:34:00 Il y avait ce programme "Filmer du sang" qui m'obligeait,
01:34:05 qui m'a dépassée, c'est-à-dire qui m'a guidée,
01:34:07 qui était plus fort que moi.
01:34:09 Et il m'a semblé que je ne pouvais pas me dérober
01:34:12 et que donc, il fallait le filmer et pas juste l'évoquer.
01:34:16 C'est la première vraie image au début du film.
01:34:20 Et elle est, pour moi, l'aboutissement de ce procès,
01:34:26 le politique, parce que, donc, un des drames
01:34:30 de cette procédure judiciaire devant la Cour de justice,
01:34:34 qui existe toujours, tous les présidents de la République
01:34:37 disent qu'ils vont la supprimer, mais elle existe toujours
01:34:41 parce qu'elle rend service au pouvoir politique,
01:34:44 c'est qu'ils se jugent entre eux.
01:34:46 Ce sont des hommes politiques déguisés en juges,
01:34:50 véritablement, au premier sens du mot.
01:34:52 C'est-à-dire, je me souviens, la veille,
01:34:55 quand j'ai filmé les préparatifs avec mon équipe de reportage,
01:34:57 puisqu'à l'époque, je faisais du reportage,
01:34:59 il y avait toutes les robes alignées, préparées,
01:35:02 des robes comme si c'était des vrais juges.
01:35:04 D'ailleurs, le président avait voulu qu'elles soient rouges.
01:35:07 Et quand même, ils ont trouvé que ça poussait le bouchon un peu loin.
01:35:11 Donc, ils se sont rabattus sur des robes noires,
01:35:14 mais pour faire croire que c'était de vrais juges.
01:35:16 Donc, la nécessité de montrer le sang véritable
01:35:21 naît de cette colère.
01:35:24 C'est un sentiment, je ne sais pas, je pourrais dire indigné,
01:35:26 c'est plus élégant.
01:35:29 Mais non, il y a quand même une fondamentale colère au départ.
01:35:33 Et donc, moi, le sang que j'ai envie de montrer derrière ça,
01:35:36 20 ans après, puisque je n'en suis plus à chroniquer le procès,
01:35:39 eh bien, c'est un sang de femme.
01:35:41 Le sang, parce que, une des choses aussi qui m'a quand même mise très en colère
01:35:47 quand j'ai commencé à fabriquer le film,
01:35:49 c'est qu'en lisant les textes religieux,
01:35:53 je me suis rendue compte que dans tous les textes,
01:35:55 quelle que soit la religion,
01:35:57 il y a une unanimité pour décrire le sang de la femme
01:36:01 comme impur et sale.
01:36:04 Et il faut mettre la femme, certains moments du mois
01:36:08 et après l'accouchement, à part de la société.
01:36:11 Mais ça m'a juste révoltée.
01:36:13 C'est-à-dire, je n'en avais pas pris l'exacte mesure jusque-là,
01:36:16 mais je me suis dit, mais en fait, voilà sur quoi repose, par exemple,
01:36:21 la domination auxquelles on a été soumise pendant si longtemps
01:36:26 et qui commence quand même à se lever.
01:36:29 Et donc, ça rend possible aussi de faire des films comme ça aujourd'hui.
01:36:33 - On va continuer à parler du corps des femmes avec Marie Beautois,
01:36:37 qui attend depuis déjà un quart d'heure de...
01:36:41 Ça y est, c'est à vous Marie.
01:36:44 C'est drôle d'ailleurs, parce qu'avant qu'on voit un extrait
01:36:49 de ton travail sur "Le col de l'utérus",
01:36:52 il y a, quand on s'est eu au téléphone avant la table ronde,
01:36:56 tu m'as fait la même réflexion que Yamina, de dire,
01:37:01 quand on est dans une salle et qu'on regarde avec les gens
01:37:06 ce que l'on diffuse, qu'est-ce qui se passe ?
01:37:08 Mais ce n'était pas exactement la même réponse en l'occurrence.
01:37:11 - Tu veux que je réponde maintenant ? - Oui.
01:37:13 - Pour moi, dans mon cas, j'ai tourné ce film en 2019,
01:37:18 la première fois que je l'ai vu dans une salle avec des gens,
01:37:20 c'était en 2022.
01:37:22 Du coup, il y avait du temps qui était passé, j'avais eu le temps de...
01:37:25 J'ai développé moi-même les images aussi,
01:37:28 c'est moi qui ai fait le montage avec l'aide d'une amie monteuse,
01:37:32 mais c'est principalement moi qui les ai travaillées.
01:37:35 Du coup, j'avais eu le temps déjà d'accepter mon geste,
01:37:39 mon corps, mon image, et de la travailler pour en créer,
01:37:44 pour me transformer en personnage dans ce film.
01:37:48 Du coup, il y avait cette distance-là qui a fait que je n'ai jamais été gênée
01:37:53 de montrer le film, d'être dans la salle avec le public.
01:37:59 Après, je n'ai jamais été à cette position-là,
01:38:01 donc je vais regarder vos visages.
01:38:03 - On va découvrir ça tout de suite.
01:38:06 Le court-métrage de Marie, c'est le passage du col,
01:38:11 le col de l'utérus.
01:38:13 On s'est posé la question de...
01:38:15 Est-ce que l'on diffusait un extrait avec ce col de l'utérus ?
01:38:19 On a choisi de le faire.
01:38:21 Est-ce qu'avant qu'on le voit, tu peux nous expliquer pourquoi ?
01:38:26 - Parce que c'était l'image qui m'a manquée.
01:38:30 Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j'ai fait ce film, évidemment.
01:38:35 L'une d'entre elles, c'était de pouvoir fabriquer cette image
01:38:40 que je pense que vous n'avez en effet jamais vue.
01:38:42 Extrait donc.
01:38:44 - Vous êtes bien installée ? - Oui, ça va.
01:38:54 - Je vais juste relever la tête.
01:38:56 Ça va comme ça, avec le coussin ? - Oui, c'est bien.
01:38:58 - On y va ? - Oui.
01:39:00 - Ça va, Marie ? - Oui.
01:39:05 - Coupé.
01:39:09 - Ça va, Marie ? Je peux poser le spéculum ? - Oui.
01:39:11 - Donc ça va juste être un peu froid.
01:39:13 Là, ça va ? - Oui.
01:39:17 - Je l'ouvre. - Oui.
01:39:19 - Soufflez.
01:39:22 Je vois bien votre col et les fils du stérilet qui sont bien en place.
01:39:26 Super. - OK.
01:39:28 - Je vais enlever le premier stérilet avant de poser l'autre.
01:39:32 - D'accord. OK.
01:39:34 Coupé.
01:39:37 Coupé.
01:39:38 On va le refaire. C'est possible ou pas ?
01:39:43 - Je l'enlève ? - Si c'est possible, ce serait super.
01:39:46 - Ça va ? Attends, souffle.
01:39:48 - Il va être sale, du coup.
01:39:53 Enfin, sale, il va être un peu...
01:39:55 - Ça se voit. - C'est bon ? Ça se voit pas ?
01:39:57 - Ça se voit sur la vue, le volant.
01:39:59 - Oui, par contre, ça fait un peu...
01:40:01 - Je coule ? - Non, non, c'est bon.
01:40:03 - Non, c'est juste qu'elle était ouverte.
01:40:06 - Ah oui ? D'accord.
01:40:07 - D'accord, s'il vous plaît. Je touche.
01:40:11 - Vas-y, met-y.
01:40:13 OK. On refait, pareil.
01:40:16 - Respire, Marie. - Oui.
01:40:18 Moteur.
01:40:22 - Ça va, Marie ? - Ça va.
01:40:26 - Donc je vais vous poser le spéculum ? - Oui.
01:40:28 - Je peux y aller ? - Oui.
01:40:30 - Vous savez, juste être froid. J'ai mis un peu de gel dessus.
01:40:32 - D'accord.
01:40:35 - Ça va ? - Oui.
01:40:36 - Donc là, je vais l'ouvrir.
01:40:38 Soufflez.
01:40:40 OK, donc là, je vois bien votre colle et les fils du stérilet qui sont bien en place.
01:40:48 - Colle magnifique. - OK.
01:41:01 - Est-ce que tu peux dire "le colle, c'est le point noir qu'on voit" ?
01:41:04 - C'est pas un point noir.
01:41:06 Le... En fait, votre colle, c'est une sorte de... Comme une boule.
01:41:12 Et au milieu, il y a comme un petit trou où il y a les fils du stérilet qu'on voit sortir.
01:41:16 Vous êtes prêtes ? - Ça va.
01:41:26 - Moi, évidemment, c'est en lien direct avec les règles qu'on a vues tout à l'heure.
01:41:31 Ce sont évidemment soit des zones de notre corps, soit de ce que sécrète notre corps
01:41:38 que l'on ne voit absolument jamais et qui peuvent même nous heurter, même nous, en tant que femmes.
01:41:44 Je pense qu'il y a une forme de... Presque d'auto-censure,
01:41:48 ou en tout cas, on peut ressentir de la gêne en voyant ces images-là.
01:41:53 Et ça m'a frappée et je me suis posée la question, je ne sais pas si vous avez la réponse,
01:41:57 de pourquoi on est autant gênés en tant que femmes par nos corps de femmes ?
01:42:02 - Je pense qu'il y a une grande partie de la domination patriarcale
01:42:10 qui repose sur la fabrication de cette gêne.
01:42:13 Et le fait d'avoir... Enfin, moi, je sais que dans mon cas, en tout cas, personnellement,
01:42:18 le fait d'avoir eu honte de mon corps et de mon sexe, c'est quelque chose que,
01:42:23 en premier lieu, sans doute ma mère m'a transmis,
01:42:28 mais je ne vais pas lui faire porter la faute entièrement.
01:42:35 C'est la construction d'une société. Je sais que cette honte-là,
01:42:39 elle m'a empêchée de me défendre dans des situations où j'étais en situation de vulnérabilité,
01:42:45 face à un médecin ou face à une gynéco, parce que j'avais l'impression que,
01:42:50 déjà, cette personne prenait soin de cette partie de mon corps si honteuse,
01:42:56 je ne pouvais pas non plus m'opposer à elle et lui demander ce qu'elle était en train de faire.
01:43:00 Je pense que vraiment, ça a parti, cette méconnaissance,
01:43:04 il y a la méconnaissance déjà du fait de très mal connaître son corps
01:43:08 et l'intériorité de ce corps-là qui n'est pas visible parce qu'il n'est pas externe.
01:43:14 Il y a ça, il y a cette ignorance, mais il y a aussi ce sentiment de honte,
01:43:19 d'impureté dont on parlait tout à l'heure. Même si l'impureté,
01:43:23 on est plus dans des termes moraux. La honte, c'est peut-être quelque chose
01:43:28 que j'ai pu ressentir et formuler de cette façon-là, de façon plus claire et intime.
01:43:34 Ça empêche de s'opposer, je trouve.
01:43:42 - Camille Frodométrie, c'est pour vous cette question.
01:43:45 - Elle est trop belle. Mais c'est vrai que le fil rouge, si je puis dire,
01:43:49 c'est effectivement cette question de la honte qui est pour les femmes
01:43:54 comme une espèce de fardeau immémorial puisque, comme l'a montré
01:43:57 une philosophe américaine qui s'appelle Sandra Lee Bartkey,
01:44:00 la honte est quasiment consubstantielle de toute existence féminine.
01:44:03 Elle la définit comme le sentiment permanent de son inadéquation.
01:44:09 C'est cette tare originelle qui frappe les filles au moment de la puberté,
01:44:13 au moment des premières règles, où on leur signifie de façon très claire,
01:44:17 c'est la tâche infamante que toute jeune fille a redouté d'arborer
01:44:22 malgré elle sur son pantalon, on leur signifie que désormais,
01:44:26 elles sont des corps sexuels, des corps reproducteurs,
01:44:29 et qu'elles ne sont quasiment que cela, qu'elles doivent apprendre
01:44:33 à entrer dans ce rôle d'un corps sexuel et maternel,
01:44:37 pour ceux qui regardent leur corps de façon complètement,
01:44:39 finalement presque contre-intuitive, c'est ce même corps qui devient
01:44:43 le tout de leur existence, qui cristallise ce sentiment
01:44:46 d'imperfection, d'insatisfaction, d'inadéquation, qui fait que
01:44:50 les filles et les femmes ne sont jamais en paix avec leur propre corps,
01:44:53 avec leur propre image, et un des grands enjeux des combats
01:44:57 féministes d'aujourd'hui consiste précisément, et je crois que vos films
01:45:01 l'ont déçu largement, à faire en sorte que la honte,
01:45:06 alors on dit beaucoup, c'est une formule féministe, que la honte
01:45:09 change de camp, mais au-delà de la formule, c'est vraiment cette question
01:45:12 de débarrasser les femmes de ce carcan patriarcal que constitue
01:45:15 l'assignation à une existence qui ne passe que par le corps,
01:45:21 et un corps qui doit souscrire sans cesse à des dictates,
01:45:24 quels que soient les domaines concernés, et dont on leur dit
01:45:27 en permanence qu'il n'est jamais ce qu'il devrait être,
01:45:30 ou jamais assez ceci, ou alors qu'il est trop cela, etc.
01:45:34 Et dans la séquence actuelle, qui a maintenant une petite dizaine d'années,
01:45:37 et quand j'entends les dates des différents films, pour moi c'est
01:45:40 comme des petits cailloux sur le chemin de cette lutte féministe
01:45:44 qui a été relancée au début des années 2010, qui a commencé d'ailleurs,
01:45:48 et ce n'est absolument pas anodin ni un hasard je crois,
01:45:51 par la question des règles, pour moi le sang menstruel c'est le marqueur
01:45:55 de l'infériorité féminine, c'est à la fois ce qui signifie
01:45:59 l'abomination à la fonction maternelle, mais c'est aussi ce qui signifie
01:46:02 l'impureté, et puis encore une fois l'imperfection.
01:46:07 Et au début des années 2010-2015 en France, on a les premières mobilisations
01:46:13 sur la question de la taxation des produits d'hygiène menstruelle par exemple,
01:46:17 et ce qui se passe depuis, c'est une espèce de dynamique exponentielle
01:46:23 où un à un tous les sujets corporels sont ressaisis par les féministes
01:46:28 par les artistes, par les réalisatrices, qui en font des objets légitimes
01:46:33 de discussion, de débat, de publicisation, d'exposition, enfin il y a quelque chose
01:46:39 qui n'est pas nouveau et c'est important de le dire aussi,
01:46:42 parce que dans tous ces films aussi résonnent je crois à des images
01:46:47 qui ont déjà existé dans les années 70.
01:46:50 L'extrait de votre film "Marie" m'a fait penser à "Histoire d'un"
01:46:56 de Marie Alice Hartel, c'était donc un film réalisé de façon clandestine
01:47:01 en 73 par des militants, militantes pour l'avortement,
01:47:05 et qui filmait donc un avortement, avec ce même plan d'entre les jambes, etc.
01:47:10 Et c'est un film qui avait une visée pédagogique, qui devait servir,
01:47:14 d'ailleurs le MLAC, le Mouvement de Libération de l'Avortement et de la Contraception
01:47:17 l'a largement diffusé, comme aussi un film permettant d'apprendre
01:47:22 la technique de la méthode Karmann de l'avortement par aspiration,
01:47:25 mais je pense aussi au film de Daniels Varda, de Delphine Sering.
01:47:29 Il y a eu un moment dans les années 70, où les femmes cinéastes, réalisatrices
01:47:34 ont documenté cette thématique du corps, par le documentaire ou par la fiction.
01:47:39 Il m'a semblé, vous allez me le confirmer, mais les images qu'on voit pixelisées
01:47:42 sur la façade du CNC, est-ce que c'est l'une chantre l'autre pas ?
01:47:45 Voilà, de Daniels Varda, qui est ce film de fiction sur l'avortement, mais voilà.
01:47:51 Et puis il y a eu une espèce de grand vide, de grand tunnel noir
01:47:54 pour les femmes, les années 80, 90, 2000, durant lesquelles nous avons dû,
01:47:59 je dis nous parce que, notamment ma génération, on nous a demandé
01:48:03 de devenir des hommes comme les autres, et donc voilà, on l'a fait,
01:48:06 on a fait des études, on a essayé de conquérir des bastions masculins,
01:48:09 on y est parfois parvenu, mais on l'a fait, enfin cette émancipation sociale
01:48:12 et professionnelle, elle a eu un prix, et ce prix c'était d'oublier nos corps,
01:48:17 et d'oublier comment nos corps dans nos vies, d'abord comment ils comptent
01:48:21 pour nous, comment ils comptent pour les autres aussi,
01:48:23 et toute la matérialité très incarnée de nos existences, nous avons dû
01:48:28 l'enfouir et la faire disparaître, et ce qui est en train de se passer
01:48:32 aujourd'hui, c'est qu'on revient, et donc on relance en fait le combat
01:48:37 de nos aînés, de ces femmes dans les années 70 qui avaient déjà commencé
01:48:42 à tenter d'affirmer que nous n'étions pas des corps-objets, mais nous étions
01:48:47 des corps-sujets, et bien c'est cette dynamique qui a été reprise
01:48:50 depuis une dizaine d'années, et c'est important de dire,
01:48:53 parce qu'on est à un moment un peu charnière, il y a 40 ans, 50 ans,
01:48:58 les choses se sont arrêtées, elles ont eu au bout d'une petite décennie,
01:49:01 et tout s'est figé pendant quasiment 4 décennies, on en est là aujourd'hui
01:49:06 je crois, est-ce que tout va à nouveau se figer, ou est-ce qu'on va pouvoir
01:49:10 continuer de montrer ces images ? On est dans un contexte,
01:49:12 personne ne l'ignore, où politiquement, des forces conservatrices,
01:49:15 et y compris dans des grandes démocraties, sont à l'œuvre,
01:49:18 et donc la force des images, des documentaires, elle est aussi
01:49:23 de maintenir visible en fait, cette question de nos corps-sujets.
01:49:28 - Marie, c'est exactement ce que vous faites dans le court-métrage,
01:49:33 vous y faites référence d'ailleurs.
01:49:36 - Oui, les images évoquées par Camille sont des images qui sont à l'origine
01:49:41 de ce film aussi, quand je faisais partie d'un collectif féministe
01:49:46 de femmes cinéastes, collectif en non mixité, qui était une émanation
01:49:52 d'un laboratoire de cinéma argentique qui s'appelle l'Etna à Montreuil,
01:49:55 et avec ce collectif, la Poudrière, qui s'est créée en 2016,
01:49:59 on a commencé à se filmer les unes les autres, à travailler sur la
01:50:05 question de nos corps en pellicule, en 16 mm, en super 8, c'est aussi
01:50:08 pour ça que mon film est en pellicule, et dans le cadre de ce collectif,
01:50:12 il y a une des membres du collectif, Anna Salzberg, qui était en train
01:50:16 de faire un film qui s'appelle "Le jour où j'ai découvert que Jane Fonda
01:50:18 était brune", et dans le cadre de ce film, elle a mené des recherches,
01:50:23 elle a trouvé des archives, qui étaient perdues, ou pas exposées,
01:50:30 ou cachées, qui étaient des images fabriquées par des femmes du Mlac
01:50:34 de jeunes villiers. Et ces archives qu'on voit dans son film,
01:50:38 c'était en fait des séances d'auscultation gynécologique,
01:50:44 de pose de spéculum, de stérilet, et des photographies aussi,
01:50:50 de col de l'utérus. Et donc la première fois que j'ai vu un col de l'utérus,
01:50:54 c'était une photographie issue des années 70, et je me suis dit,
01:50:58 j'avais déjà l'idée de faire un film qui propose une représentation
01:51:03 positive de ce que peut être un rendez-vous gynécologique,
01:51:05 parce que ça c'est l'autre représentation pour moi manquante,
01:51:09 c'est qu'on parlait beaucoup des violences gynéco-obstétriquelles,
01:51:12 et comme j'ai rencontré cette sage-femme qu'on voit dans le film,
01:51:15 j'ai eu envie de montrer que ça existait en fait.
01:51:17 Donc il y avait cette partie-là aussi qui m'a poussée,
01:51:20 cette idée-là qui m'a poussée à faire le film.
01:51:22 Mais quand j'ai vu cette image du col, je me suis dit, c'est possible,
01:51:25 déjà un, c'est possible de faire une image du col.
01:51:28 Je ne savais même pas qu'on pouvait vraiment en faire une image.
01:51:32 Je ne savais pas qu'un objectif pouvait atteindre cette partie-là.
01:51:36 Et donc ça m'a confortée.
01:51:39 Et je me suis dit, j'aurais pu me dire juste,
01:51:42 il faut faire un film avec ces archives et les mettre en valeur et tout ça.
01:51:46 Mais je pense qu'il faut faire ça.
01:51:49 Anna Salzberg est en train de travailler sur ces archives.
01:51:52 Il y a plein d'autres personnes qui travaillent sur ces archives aujourd'hui.
01:51:55 Et c'est nécessaire.
01:51:57 Mais j'avais vraiment l'envie de performer cette représentation,
01:52:01 parce que ce qui est pour moi très important dans le film,
01:52:04 c'est pour ça que je me mets en scène moi-même et que je n'ai pas demandé à quelqu'un d'autre.
01:52:07 C'est que c'est la question de dénoncer le consentement de la personne
01:52:13 et que la personne qui est filmée et dont on voit le sexe,
01:52:17 qu'on comprenne que c'est elle qui décide de comment est montré son corps.
01:52:21 Et cette notion-là, à la fois, elle est évidemment consentante,
01:52:25 mais aussi elle est à l'origine de l'image.
01:52:29 C'était vraiment ce renversement des regards
01:52:32 et vraiment ce geste de réappropriation qui était aussi à l'origine du film.
01:52:37 - Mais c'est hyper intéressant de le soulever,
01:52:40 parce que dans le film de Diane et dans le film de Yamina,
01:52:44 c'est aussi le cas, je trouve, il y a une performance.
01:52:47 Il y a aussi une manière de raconter.
01:52:49 Diane, on a vu tout à l'heure, par exemple,
01:52:52 la manière de taper sur un clavier, que des mots apparaissent.
01:52:56 Parfois des mots apparaissent, ils disparaissent.
01:52:58 Il y a l'utilisation du noir,
01:53:01 l'utilisation de matériaux divers et variés qui racontent un récit qui n'est pas linéaire.
01:53:07 Et ça, j'ai trouvé que c'était très intéressant aussi,
01:53:09 parce que c'est une manière de raconter aussi l'image manquante.
01:53:13 Diane ?
01:53:15 - Oui, moi, c'est vrai que c'est un film un peu de collage.
01:53:19 Et il y a beaucoup de...
01:53:21 Enfin, le principe du...
01:53:23 Je n'avais pas envie de faire une voix off,
01:53:27 j'avais l'impression que le film était déjà...
01:53:29 Enfin, que, en un sens, lire un texte à l'écrit,
01:53:33 c'est une façon plus pudique de présenter, finalement, une pensée,
01:53:37 je trouve, qu'une voix off, que j'avais peur qu'il puisse amener du pathos ou autre.
01:53:43 En fait, il y avait tellement déjà beaucoup de choses et d'exhibitions,
01:53:46 en un sens, dans les images montrées,
01:53:50 que j'avais l'impression que l'écriture à l'écran
01:53:55 pouvait permettre de ramener de la pudeur, en un sens,
01:53:57 parce que c'était aussi un film sur un deuil,
01:54:02 sur un regard qui est porté sur un passé,
01:54:04 qui est ravivé par le film,
01:54:06 mais qui est aussi mis en récit par la personne qui monte,
01:54:14 des années plus tard.
01:54:16 Et, pardon, je crois que je n'ai pas vraiment répondu à la question.
01:54:21 - Si, si, c'était sur l'idée qu'au-delà des contenus,
01:54:24 puisqu'on parlait des contenus, de quelque chose de très incarné,
01:54:28 il y avait aussi la forme.
01:54:30 - Oui, oui, oui.
01:54:32 - Il y a une image manquante.
01:54:34 - En tout cas, c'est toujours important pour...
01:54:39 Moi, par exemple, la crainte que j'avais de parler,
01:54:43 le retour que j'avais quand je parlais de mon projet en cours,
01:54:47 c'était "Ah ouais, ça va être vachement thérapeutique",
01:54:50 et je me disais "Merde, c'est pas du tout...".
01:54:53 Je pense qu'un film finit toujours par l'être, d'une manière ou d'une autre,
01:54:57 mais je n'avais vraiment pas envie de...
01:54:59 Je voulais faire un film de cinéma, en fait.
01:55:03 Je n'avais pas envie de faire juste un témoignage.
01:55:06 Et donc, du coup, j'ai eu l'impression de chercher une forme
01:55:11 qui serait à même de proposer quelque chose de l'ordre de la mise en récit
01:55:21 et de la scène de l'archive et de comment on raconte justement les choses.
01:55:25 Et c'était aussi un enjeu de la question de...
01:55:30 La question de comment on montre quelque chose de transgressif,
01:55:35 même si ça ne devrait pas l'être, sans obscénité,
01:55:39 sans aller dans quelque chose qui gêne.
01:55:42 Et moi, par exemple, dans ton film,
01:55:44 je ne sais pas si tu te sais poser cette question-là comme ça.
01:55:48 Parce que j'avais eu des retours de montage parfois de H,
01:55:51 parce que là, on ne le voit pas, mais je veux dire,
01:55:53 il y a des moments où mon corps est vraiment nu et il y a une forme de...
01:55:56 Je ne sais pas si on peut dire d'exhibition, mais dans un moment comme ça,
01:56:01 le corps n'est pas un problème, en fait.
01:56:05 Et ensuite, quand on le voit, moi, je me rappelle une fois,
01:56:08 une personne m'avait dit dans une projection de montage en cours,
01:56:12 moi, je n'ai pas envie de voir ça, en fait.
01:56:14 Cette nuité-là, elle me met mal à l'aise, en fait.
01:56:17 Et du coup, je m'étais posé la question avec la montée à qui je travaillais.
01:56:21 Et en fait, on s'était dit, ben non, en fait,
01:56:23 pourquoi je cacherais un geste aussi sincère,
01:56:29 malgré un geste...
01:56:32 Est-ce que je devrais avoir honte ?
01:56:34 C'est pour ça que dans l'extrait qu'on met, je mets malgré la honte,
01:56:37 parce qu'effectivement, il y avait une honte de montrer tout ça.
01:56:40 Et en même temps, c'est...
01:56:42 - Et puis le regard des autres portés sur vous.
01:56:46 Les autres dans une salle, mais les autres aussi nos proches.
01:56:49 - Oui, aussi, ouais.
01:56:51 Mais c'est vrai qu'en tout cas,
01:56:53 en tout cas, je trouve ça intéressant,
01:56:56 ce que tu dis sur la...
01:56:58 ça me permet de te tutoyer,
01:57:00 sur le fait que c'est souvent des femmes qui font ça.
01:57:04 Parce que je ne m'étais jamais formulée,
01:57:06 mais effectivement, j'ai l'impression que c'est peut-être l'endroit
01:57:11 où on est peut-être aussi libre de s'emparer de ce manque-là
01:57:16 que les hommes ont peut-être pas su ou eu besoin de conquérir.
01:57:21 - Il y a quelque chose qui m'a marquée dans vos trois documentaires,
01:57:25 c'est qu'en fait, il y a des images que vous ne montrez pas
01:57:28 et qui sont des images que l'on montre d'habitude.
01:57:30 Par exemple, dans le passage du col,
01:57:32 on ne voit pas le moment où tu es en train de payer,
01:57:36 par exemple, la gynécologue.
01:57:38 Et puis là, on l'a vu d'ailleurs tout à l'heure,
01:57:40 il y a des moments où il pourrait sembler presque plus anodin
01:57:42 qu'on ne voit pas.
01:57:44 Et c'est le cas dans vos trois documentaires.
01:57:46 En l'occurrence, il y a des moments, soit qu'on ne voit pas,
01:57:50 soit qu'on voit des images mais qui racontent autre chose
01:57:53 ou en tout cas, quelque chose d'un peu avec un pas de côté,
01:57:56 alors qu'on s'attendrait plus à voir ces images-là
01:57:58 plutôt que les images que l'on voit.
01:58:00 Je ne sais pas si je suis très claire, mais il y a par exemple, Yamina,
01:58:03 dans ton documentaire, ce moment où tu tournes autour d'un hôtel,
01:58:08 on sent d'ailleurs que c'est, en tout cas, moi j'ai eu cette sensation-là
01:58:10 que c'est sans autorisation, on sent que si des hommes
01:58:14 qui sont à l'intérieur voient qu'il y a une caméra,
01:58:16 c'est potentiellement un problème, que c'est, si j'ai bien compris,
01:58:19 l'hôtel où il y a eu le procès, en tout cas, c'est le lieu
01:58:23 où il y a eu le procès.
01:58:25 Et donc, tu racontes à ce moment-là un entretien que tu as eu
01:58:28 avec une femme, on ne voit pas cette femme,
01:58:31 on ne voit pas un café, on ne voit pas ce que vous avez,
01:58:36 ce sont des images que l'on pourrait tourner d'une manière
01:58:38 à peu près texte dans ces cas-là.
01:58:40 Et non, on est vraiment en mode caméra cachée presque,
01:58:43 autour de cet hôtel, ce qui donne à la scène
01:58:46 quelque chose de très spécial.
01:58:49 Et j'ai trouvé ça très intéressant que dans vos manières de raconter,
01:58:52 il y ait parfois des choses assez anodines,
01:58:55 pas forcément dans le propos qu'il y avait, mais assez anodines
01:58:58 dans le fait de faire un entretien avec quelqu'un
01:59:00 et qu'il soit tourné d'une manière différente.
01:59:04 Cet hôtel, en fait, c'est un palace.
01:59:06 Le lieu où a eu, où s'est tenu ce procès
01:59:09 n'est pas le palais de justice.
01:59:12 Il n'y a pas eu des vrais juges, les victimes n'avaient pas leur place.
01:59:17 Et en plus, ça ne s'est pas tenu dans un lieu de justice,
01:59:20 mais dans un centre de conférence qui est dans le 16e arrondissement
01:59:23 et qui ensuite a été vendu au Qatar.
01:59:26 Et c'est devenu un palace.
01:59:29 Donc, le luxe absolu qui a fait que j'ai m'assemblé
01:59:33 que je ne devais pas entrer dedans
01:59:35 et que ma place était de rester dehors
01:59:38 pour raconter, encore une fois, ce procès.
01:59:41 C'est un petit peu le point d'aboutissement dans le film
01:59:44 où après on va passer à une autre dimension du sang.
01:59:47 Mais j'ai voulu restituer ces journées d'audience devant ce lieu.
01:59:52 Il fait nuit et effectivement, je tourne autour de ce lieu,
01:59:57 je dirais, sublime de Clinquant.
02:00:01 Et je peux faire trois façades.
02:00:04 Et il n'y a pas de... Comment dire ?
02:00:07 Je n'ai pas demandé d'autorisation. On est dans l'espace public.
02:00:10 Il faut arrêter de devoir demander des autorisations
02:00:13 pour filmer dans un espace public.
02:00:16 Evidemment, s'il y avait eu des personnes à l'écran, c'était autre chose.
02:00:19 Là, je filme des murs.
02:00:22 Et donc, je le fais sans me cacher non plus, justement.
02:00:25 Je suis là, présente, bien présente, avec mon matériel.
02:00:30 Les gens ne me demandent rien, en fait.
02:00:32 Ils sont dedans, effectivement, mais un peu claquemurés.
02:00:35 Il y a deux mondes.
02:00:38 Pour moi, c'est le plein du champ, du film.
02:00:43 Mais effectivement, hors champ, il y a toute cette discussion
02:00:49 avec cette femme dont le fils a été transfusé
02:00:54 par une poche de sang contaminée.
02:00:58 - Merci, monsieur Camus.
02:01:00 Sur la question de savoir où on est aujourd'hui
02:01:04 et ce qui va se passer dans les années qui viennent.
02:01:07 C'est une bonne transition, je trouve, vers l'extrait
02:01:11 du documentaire "Les mâles du siècle"
02:01:14 qui a été réalisé par Laurent Métry
02:01:17 et sur lequel tu es la conseillère scientifique.
02:01:21 Je vous propose de regarder cet extrait,
02:01:24 puis on en parle après.
02:01:28 Les féministes visionnaires ont toujours su
02:01:30 qu'il était nécessaire de convertir les hommes.
02:01:33 Nous savons que même si toutes les femmes du monde entier
02:01:36 deviennent toutes féministes, mais que les hommes restent sexistes,
02:01:40 notre vie s'en trouvera toujours diminuée.
02:01:43 La guerre des gens sera toujours la norme.
02:01:46 Les militantes féministes qui refusent d'accepter les hommes
02:01:50 comme camarades de lutte ont malencontreusement contribué
02:01:55 à la méfiance et au dédain du public envers le féminisme.
02:01:58 Ces militantes craignent de manière totalement irrationnelle
02:02:02 que tout avantage tiré par les hommes qui participent au combat féministe
02:02:06 soit une perte pour les femmes.
02:02:09 Et parfois, les femmes qui détestent les hommes
02:02:13 préfèrent empêcher l'évolution du féminisme
02:02:16 plutôt que d'affronter les problèmes qu'elles ont avec eux.
02:02:19 Il est urgent que les hommes prennent la bannière du féminisme
02:02:24 et qu'ils contestent le patriarcat.
02:02:26 La sauvegarde et la poursuite de la vie sur cette planète
02:02:29 exigent la conversion des hommes au féminisme.
02:02:52 Je suis heureux pour ce qui s'est fait depuis une cinquantaine d'années,
02:02:55 on va dire, c'est sûr.
02:02:58 Mais je ne suis pas féministe, je ne crois pas.
02:03:03 Je ne crois pas.
02:03:05 Qu'est-ce que je pense des hommes qui sont féministes ?
02:03:08 Ce n'est pas une histoire de place.
02:03:19 Parce que la place, on peut soutenir des choses.
02:03:22 Pourquoi ils le font ?
02:03:27 Pourquoi ils le font ?
02:03:29 Il y a deux catégories de mecs féministes.
02:03:32 Je dirais qu'il y a les...
02:03:35 les mecs qui sont assez radicaux sur le féminisme et tout ça,
02:03:40 qui reprennent le discours de féminisme,
02:03:42 mais qui, pour moi, ne sont pas du tout légitimes
02:03:45 dans le sens où ils ne savent pas ce que c'est qu'être une femme.
02:03:48 Ils ne sauront jamais.
02:03:49 Ils peuvent en apprendre, ils peuvent lire des bouquins,
02:03:52 ils peuvent discuter, ils peuvent aller dans les cercles,
02:03:56 voire même plus ou moins politiser tout ça du féminisme,
02:03:59 mais ils ne seront jamais femmes.
02:04:02 Donc, quelque part, non.
02:04:04 Cela, je suis, on va dire, un peu dubitative.
02:04:10 Par contre, il y a la deuxième catégorie de tous ceux qui ne se voient pas,
02:04:17 qui ne s'entendent pas,
02:04:18 parce qu'ils n'aiment pas forcément la voix là-dessus,
02:04:21 mais qui essaient de prendre en compte les femmes, leurs besoins,
02:04:26 qui essaient de les écouter, qui essaient de s'adapter, sans le dire.
02:04:30 Ceux-là, pour moi, sont les vrais féministes.
02:04:33 Je trouve que ça rejoint complètement la conversation qu'on avait déjà
02:04:40 avec ce texte d'abord de Bellewix,
02:04:43 qui date des années dont on parlait tout à l'heure,
02:04:47 mais aussi de ce qu'on fait maintenant.
02:04:50 Bien sûr que si les hommes ne s'emparent pas avec nous
02:04:54 de ces images manquantes,
02:04:56 le chemin sera d'autant plus signeux.
02:04:59 - Oui, et ce que je trouve raisonner aussi avec nos discussions
02:05:05 dans cet extrait, c'est cette première partie,
02:05:10 où on voit cette femme qui dit un extrait d'un texte de Bellewix,
02:05:13 dont vous aurez remarqué qu'elle suggère la nudité.
02:05:18 On voit ses épaules, puis ensuite il y a un très très lent zoom avant,
02:05:23 et donc elle disparaît.
02:05:25 Ça, c'est quelque chose qui nous a beaucoup été renvoyé.
02:05:27 Et je voudrais en parler parce que parler d'images manquantes,
02:05:31 ça veut dire aussi parler de toutes ces images, en revanche,
02:05:33 qui ne manquent pas du tout, mais qui sont, comment dire,
02:05:37 omniprésentes, qui sont les images de corps de femmes
02:05:40 filmées par des hommes, dans les films de fiction,
02:05:42 mais aussi dans les documentaires.
02:05:44 Et là, on a travaillé sur la possible représentation
02:05:48 de ce qu'on pourrait peut-être appeler un nu féministe,
02:05:51 c'est-à-dire qu'en fait, oui, c'est une femme nue,
02:05:55 alors évidemment qu'elle ne l'était pas au moment du tournage,
02:05:58 ça, ça va de soi, mais elle le suggère.
02:06:00 Mais c'est un nu qui pense, et c'est un corps sujet qui est nu,
02:06:03 parce qu'un corps sujet aussi peut être nu.
02:06:06 Et on montre cette image, mais immensément manquante,
02:06:10 des femmes qui pensent, des femmes qui agissent,
02:06:15 mais des femmes aussi qui pensent le monde dans lequel on vit.
02:06:18 Et là, en l'occurrence, qui le pensent pour dire aussi
02:06:21 qu'elles ont besoin des hommes.
02:06:23 Alors, ce n'est pas exactement ces termes,
02:06:25 ce n'est pas tellement une question de besoin,
02:06:27 mais moi, c'est quelque chose dans la pensée de Baouks
02:06:29 avec quoi je suis tout à fait d'accord.
02:06:31 C'est moi qui ai choisi les extraits, donc évidemment.
02:06:34 Mais là, il s'agit de dire qu'une des raisons
02:06:36 pour lesquelles la deuxième vague des années 70 a reflué si vite,
02:06:40 c'est parce que les hommes n'y ont pas pris leur part.
02:06:43 C'était une étape importante.
02:06:45 La non-mixité est d'ailleurs toujours quelque chose d'important aujourd'hui.
02:06:49 Mais le fait que les hommes se soient tenus à distance
02:06:52 a permis aussi qu'ils puissent tenir longtemps à distance
02:06:57 aussi des enjeux de société, toutes ces questions.
02:07:00 Et aujourd'hui, qu'il est question précisément de nos corps,
02:07:03 et notamment de nos corps sexuels, de violences sexuelles,
02:07:05 eh bien, si les premières personnes concernées,
02:07:09 parce qu'ils en sont les auteurs,
02:07:11 ne prennent pas leur part de responsabilité,
02:07:13 laquelle passe d'abord par le simple fait d'écouter, d'apprendre,
02:07:17 de croire et de faire ce que dit la deuxième personne qui intervient,
02:07:22 c'est-à-dire dans son quotidien, de façon invisible et discrète,
02:07:26 mais être là, à l'écoute et engagée aussi dans son quotidien d'homme
02:07:30 sur ces questions-là,
02:07:32 c'est évidemment hyper important.
02:07:34 Et ça me permet de dire aussi que parmi les images
02:07:38 qui restent sans doute aujourd'hui cruellement manquantes,
02:07:42 il y a celles qui concernent la question des violences faites aux femmes,
02:07:45 qu'elles soient conjugales, ou sétricales, ou sexuelles,
02:07:49 c'est-à-dire comment faire pour représenter un phénomène
02:07:52 qu'en tant que féministes, nous avons à tenir
02:07:55 face à une espèce de vague sans cesse nourrie et augmentée
02:08:01 d'incrédulité, de déni, de refus et d'invisibilisation.
02:08:08 C'est-à-dire, un des enjeux du documentaire,
02:08:11 fait par des femmes ou des féministes,
02:08:13 c'est de mettre des images sur des mots pour contribuer
02:08:17 à ce que ces mots soient entendus et qu'enfin, ils soient plus qu'entendus,
02:08:21 écoutés et crus.
02:08:22 - Et il y a d'ailleurs ce passage qui moi, personnellement,
02:08:25 m'a bouleversée de cet homme qui raconte avoir étranglé son ex-femme,
02:08:30 alors que c'est un homme, depuis le démarrage du documentaire,
02:08:34 c'est vraiment quelqu'un de très sympathique dans ses propos, etc.
02:08:38 Et je trouve que la manière dont il le dit, dont il raconte
02:08:41 le choc que ça a procuré à son ex-femme et le divorce qu'il a suivi,
02:08:46 mais aussi à lui et comment il a ensuite évolué.
02:08:50 Et juste derrière, il y a un garçon beaucoup plus jeune
02:08:54 qui raconte une scène où il a forcé un baiser.
02:09:01 Et la difficulté qu'il a, lui, de raconter cette scène
02:09:05 et dans ses multiples hésitations, la manière dont il prend des détours
02:09:10 extrêmement longs pour raconter cette histoire,
02:09:13 je trouve que ça dit aussi beaucoup de cette difficulté, de ce récit-là.
02:09:17 - Oui, parce que "Les Maldiaques", ce n'est pas tant un film sur
02:09:20 ce que pensent les hommes et encore moins sur leurs émotions,
02:09:23 leurs sentiments.
02:09:24 C'est un film sur ce que le féminisme a fait aux hommes,
02:09:27 ou pas, on a rajouté "ou pas" à l'issue du film,
02:09:31 parce que de fait, ces hommes, disons de 18 à 90 ans,
02:09:35 moi j'étais partie avec l'hypothèse de recherche qu'on allait repérer
02:09:38 la première génération d'hommes féministes de l'histoire de l'humanité.
02:09:41 A l'évidence, moi je m'étais dit que c'était les trentenaires,
02:09:46 j'avais cette espèce d'hypothèse espoir.
02:09:50 Et en fait, les récits restitués nous ont montré un peu autre chose.
02:09:55 Mais dans cette question de la possibilité, et ça c'était un peu
02:09:59 la chance du réalisateur dans ces entretiens qui étaient très très longs,
02:10:05 qui duraient parfois jusqu'à deux heures, dans une relation de confiance
02:10:08 et de face à face, il n'y avait vraiment qu'une personne
02:10:10 qui s'occupait de l'image, du son et qui menait l'entretien,
02:10:13 donc Laurent Métry et puis tous ses hommes.
02:10:16 Et ça a donné parfois ces moments-là où tout d'un coup,
02:10:19 un homme accepte de lâcher et de dire.
02:10:23 Et alors ce qui a été compliqué, évidemment, après, c'est d'obtenir,
02:10:27 enfin voilà, cet homme a accepté qu'on maintienne.
02:10:31 D'abord il y a eu un moment où en fait il s'est rendu compte
02:10:34 de ce qu'il avait dit et là c'était un peu la panique.
02:10:37 Et puis ensuite, dans une discussion avec le réalisateur,
02:10:42 il a réfléchi, il a dit, voilà, si cet aveu peut servir la cause,
02:10:48 parce qu'ensuite c'est quelqu'un qui a repris des études
02:10:51 pour faire des études de genre, enfin c'est quelqu'un
02:10:53 qui a été bouleversé en fait par son propre parcours
02:10:55 d'homme totalement patriarcal.
02:10:58 Et puis celui qu'on voit à l'écran, c'est celui qui est en train
02:11:01 de faire ce chemin. Et donc il a accepté qu'on laisse
02:11:04 ce récit de violence. Et c'était évidemment précieux
02:11:07 parce que ça, parmi les images manquantes, c'est sans doute peut-être,
02:11:11 on a parlé tout à l'heure de cette question des violences,
02:11:13 mais ce qui nous manque cruellement, c'est à la fois la parole
02:11:16 et puis les images des auteurs de violences.
02:11:19 Et c'est sans doute ce qu'il y a de plus difficile à restituer.
02:11:22 - Avant de vous laisser la parole, je voudrais poser cette question
02:11:26 justement à vous trois aussi. Quelle image, selon vous,
02:11:31 manque le plus aujourd'hui ?
02:11:34 J'aurais peut-être dû vous préparer.
02:11:40 - Oui. Diane ?
02:11:42 - Je ne sais pas parce que c'est toujours très dule quand on dure
02:11:47 de penser à un seul truc.
02:11:50 Moi, en tout cas, je n'ai pas une...
02:11:53 Je ne sais pas si ma cinéphilie est assez grande pour dire ça,
02:11:58 mais moi, j'ai l'impression en tout cas que moi, grandissant,
02:12:03 je me sentais complètement aissellée face à la question du désir féminin.
02:12:09 C'est-à-dire que je ne voyais que des images que je devais manipuler
02:12:14 dans mon cerveau pour comprendre ce qui se passait en moi
02:12:17 parce que ça montrait des femmes. J'ai l'impression que la question
02:12:20 du regard, en tout cas, d'une image qui manque, ça serait une image
02:12:27 qui peut aussi faire en sorte qu'on puisse découvrir quelque chose
02:12:31 de soi grâce à des films. En tout cas, moi, c'est peut-être...
02:12:38 Je penserais à autre chose, mais là, c'est ce qui me vient
02:12:40 parce que, je ne sais pas, on parle un peu de...
02:12:43 Quand on grandit, on n'a aucune clé. Il n'y a vraiment rien qui nous...
02:12:48 Après, je ne sais pas, j'ai 38 ans, je suis peut-être un peu un dinosaure,
02:12:51 je ne sais pas, mais peut-être qu'aujourd'hui, il y en a.
02:12:53 Mais en tout cas, moi, quand j'ai grandi, je n'ai pas eu du tout l'impression
02:12:56 de... En fait, être une femme, ça m'était étranger.
02:12:59 Je ne savais même pas ce que ça voulait dire tellement je ne recevais rien
02:13:04 en tout cas dans la culture mainstream qu'on peut avoir
02:13:08 quand on est peut-être un peu plus jeune.
02:13:10 Mais voilà, moi, je dirais ça comme ça.
02:13:13 - Moi, je n'ai pas une réponse non plus. Je pense qu'il y en a énormément.
02:13:18 Aujourd'hui, c'était "Femmes, les récits manquants".
02:13:22 On pourrait dire aussi "Trans, les récits manquants".
02:13:27 Il y a plein, plein de récits manquants.
02:13:31 Quand on prend les... Quand on regarde le monde
02:13:34 avec une grille lecture intersectionnelle, il y a énormément d'images,
02:13:37 d'images de récits manquants.
02:13:39 Après, parce que je pensais un peu à cette question-là,
02:13:44 l'image manquante en tant que chef monteuse.
02:13:47 Je travaille sur des longs métrages documentaires principalement.
02:13:50 Et en fait, les films que je monte et qui m'intéressent le plus,
02:13:55 ce sont des films qui racontent et qui partent d'une nécessité
02:14:00 de combler un vide.
02:14:02 Que ce soit un récit qui parle de l'histoire d'un afghan
02:14:10 qui a perdu un membre et qui a un membre fantôme.
02:14:12 Et le film parle de ça.
02:14:14 Je pense au film "Zou" de Claire Glorieux.
02:14:16 Je pense au film de Malorie Hélois-Peslet
02:14:20 qui va passer au Réel dimanche prochain à 21h.
02:14:24 Je vous invite vraiment à le voir.
02:14:26 C'est un film qui s'appelle "L'homme vertige".
02:14:29 Et il y a des images qui manquent.
02:14:30 On parle de point tapitre.
02:14:32 Elle nous montre la Guadeloupe qu'on n'a jamais vue au cinéma.
02:14:35 J'en ai plein en tête parce que j'ai la chance de travailler
02:14:40 sur des films hyper intéressants qui partent tous de cette nécessité-là.
02:14:45 - C'est bien, on a du travail pour toute une vie.
02:14:48 Est-ce qu'il y a quelque chose ?
02:14:50 - Juste brièvement, ce qui m'a traversée quand vous avez posé cette question,
02:14:56 c'est ma mère.
02:14:58 Je me dis qu'il y a tellement de récits manquants et d'images manquantes
02:15:03 qui parfois ne sont pas transmises par nos propres mères.
02:15:07 En tout cas, c'est mon cas.
02:15:09 Par exemple, dans "Chienne de rouge",
02:15:11 elle me fait une révélation à un moment donné
02:15:13 sur mon histoire personnelle avec le sang
02:15:15 que j'ignorais totalement et qui m'a complètement transformée.
02:15:20 Finalement, nos propres mères, parfois...
02:15:27 Le corps, finalement, ce n'est pas facile à mettre en mots.
02:15:31 Il y a cette question de la pudeur dont tu parlais, Diane, par exemple.
02:15:35 Il y a tellement de choses.
02:15:37 Finalement, qu'est-ce que nos mères ont aussi à nous dire ?
02:15:40 Il y a beaucoup de récits manquants de ce côté-là, j'ai l'impression.
02:15:43 - Qu'est-ce que nous dirons à nos enfants, pour celles qui en ont ?
02:15:46 Il y a-t-il des questions ?
02:15:48 - Ça marche ? - Oui.
02:15:56 - Merci pour ces interventions très intéressantes.
02:15:58 La journée s'était ouverte ce matin avec l'idée
02:16:01 qu'il y avait des images qui ne devraient pas être montrées,
02:16:04 notamment des images violentes,
02:16:06 parce qu'elles sont immontrables
02:16:09 ou qu'elles provoqueraient de la sidération qui bloque la pensée.
02:16:12 Du coup, je me demandais comment on peut penser
02:16:16 les images de la violence masculine
02:16:18 qui intègre la violence gynécologique dont il a été rapidement question.
02:16:22 Ce n'est pas exactement ce que vous proposez, justement,
02:16:25 mais c'est un peu l'envers de ce dont vous discutiez.
02:16:29 Est-ce qu'à votre avis,
02:16:31 ces films qui contiennent ces images devraient être faits ?
02:16:35 Et comment adresser cette question ?
02:16:38 Des images documentaires.
02:16:41 - Marie ou Camille ?
02:16:43 - Je ne me sens pas tout à fait à ma place
02:16:47 pour répondre d'un point de vue,
02:16:49 qui serait celui d'une réalisatrice.
02:16:53 Je pense que c'est des choses qui sont...
02:16:55 On voit bien avec ces trois films et toutes ces réflexions
02:16:58 que ce sont des parcours d'exploration
02:17:02 qui sont tous, d'une certaine façon,
02:17:05 disruptifs, inventifs.
02:17:09 Il s'agit vraiment de réinventer quelque chose.
02:17:12 Je crois que c'est dans le faire, tout simplement,
02:17:15 que sans doute la réponse à cette question se manifesterait.
02:17:20 Revenir à cette question, qu'est-ce qu'on garde, qu'est-ce qu'on montre,
02:17:22 qu'est-ce qu'on ne montre pas ?
02:17:24 Et en effet, ça m'a beaucoup frappée aussi,
02:17:26 ces noirs qui restent et qui viennent,
02:17:29 et qui viennent dire quelque chose de ce qui ne peut pas se montrer
02:17:32 ou ce que l'on ne veut pas montrer.
02:17:34 Et dans cette recherche formelle,
02:17:36 et dans cette inventivité formelle aussi,
02:17:39 il y a plein de réponses.
02:17:41 - J'ai découvert une réalisatrice qui s'appelle Nina Els.
02:17:47 C'est un pseudo.
02:17:49 Quand on a subi des violences telles qu'elle,
02:17:52 elle les a subies, on ne peut pas parler en son nom.
02:17:54 On ne peut pas dévoiler son identité
02:17:58 parce qu'elle risquerait des poursuites.
02:18:00 Elle a été victime de violences conjugales pendant 14 ans.
02:18:03 Et elle a fait ce film qui s'appelle "Il faut que ça sorte", je crois.
02:18:07 C'est un film très court qui dure 3 ou 4 minutes.
02:18:11 Elle filme ses mains, je crois qu'il mange une orange.
02:18:15 Juste ses mains.
02:18:18 Et ses voix.
02:18:19 Après ce film, j'ai dit, pourquoi t'as arrêté à 3 minutes ?
02:18:23 C'était le premier geste.
02:18:25 Et là, elle est en train d'écrire un film plus long.
02:18:27 Et elle va passer par l'animation.
02:18:29 Parce que c'est le moyen qu'elle a trouvé
02:18:32 pour pouvoir mettre en scène ce qu'elle a vécu.
02:18:34 Mais aussi parce qu'elle aimerait
02:18:39 pouvoir montrer ce film
02:18:43 à des enfants, à des jeunes.
02:18:47 Et donc l'animation permet aussi ce biais-là.
02:18:51 - Je peux ajouter juste un petit mot.
02:18:53 Je pense aussi que le réel nous offre mille possibles.
02:18:59 Par exemple, moi dans mon film,
02:19:02 je voulais aborder une autre question de violence
02:19:04 qui est les attentats.
02:19:07 Comment représenter les attentats
02:19:10 qu'on a vécus en 2015 ?
02:19:13 Le Bataclan, les terrasses.
02:19:16 Je voulais absolument que ça apparaisse dans le film.
02:19:18 Parce que moi, je viens du tabou du sang.
02:19:21 Puisqu'on m'a dit, tu ne montreras pas de sang.
02:19:23 J'ai besoin de montrer.
02:19:25 Au risque de l'assidération peut-être.
02:19:27 Mais il me semble important de montrer.
02:19:29 Et dans le réel, j'ai trouvé la solution.
02:19:32 Il ne s'agissait évidemment jamais
02:19:34 de montrer des images véritables
02:19:36 de telle violence.
02:19:38 Mais j'ai découvert en cherchant.
02:19:41 Quand on cherche, on finit toujours
02:19:45 par trouver quelque chose dans le réel.
02:19:46 Il faut lui faire absolument confiance, je crois.
02:19:48 J'ai découvert qu'il y a des exercices,
02:19:52 des formations pour les soignants et les pompiers.
02:19:56 Grandeur réelle, organisée même par l'armée.
02:19:59 Des sessions où on fait jouer des scènes d'attentats
02:20:05 avec du grimage, du faux sang,
02:20:08 vraiment à grande échelle.
02:20:10 C'est ça que j'ai filmé.
02:20:13 C'est du faux, puisque c'est une formation,
02:20:16 mais qui produit une sensation véritable très puissante.
02:20:21 Le réel nous offre beaucoup de possibles.
02:20:24 - Après, il y a aussi des images manquantes des hommes.
02:20:28 On parle de la violence,
02:20:30 mais pour heureusement aimer beaucoup d'hommes
02:20:34 qui sont des très belles personnes,
02:20:37 à mon avis, ils en souffrent moins que les femmes
02:20:41 parce qu'ils sont quand même des hommes avant tout.
02:20:43 Mais il y a forcément aussi des choses à faire
02:20:47 sur leur représentation à eux.
02:20:51 - Avant de continuer à vous poser,
02:20:55 enfin à prendre vos questions,
02:20:57 il y a une question que je m'étais posée
02:20:59 et que je n'ai pas eu le temps de poser jusqu'ici.
02:21:01 C'est peut-être Camille.
02:21:03 Qu'est-ce que ça changerait dans nos vies
02:21:06 si on avait tous ces récits ?
02:21:09 Si on n'avait pas à les produire et les produire encore,
02:21:11 si on avait à disposition ces images
02:21:16 qui nous manquent sur nos corps, entre autres,
02:21:18 mais sur nos intimités, sur nos désirs,
02:21:21 et plus largement, effectivement, dans le monde.
02:21:24 Ce serait une question de bien-être,
02:21:27 ce serait une question de moins de souffrance.
02:21:30 Là, on fait Madame Irma.
02:21:32 Mais je me suis posée la question,
02:21:34 en préparant cette table ronde,
02:21:36 si on les avait, toutes ces images ?
02:21:38 - Oui.
02:21:39 Peut-être qu'elles deviennent nécessaires,
02:21:41 parce qu'en tout cas, ce que j'observe,
02:21:43 c'est que les mots ne suffisent pas.
02:21:45 Je vais prendre un thème dont on parle beaucoup en ce moment,
02:21:47 qui est celui de l'inceste.
02:21:49 Ça fait 10, 15 ans qu'à échéance régulière,
02:21:51 un livre sort qui suscite un énorme émoi,
02:21:53 qui suscite une immense mobilisation.
02:21:55 Voilà, un livre de Camille Kouchner,
02:21:57 Vanessa Springora, Neige Sinau, plus récemment.
02:22:00 Et j'observe aussi que,
02:22:02 passé les 3, 4 mois d'ébullition,
02:22:04 tout retombe comme un énorme soufflet
02:22:07 et tout s'enfouit à nouveau.
02:22:08 Et la fois d'après,
02:22:10 on a le sentiment qu'on redécouvre
02:22:12 comme si rien n'avait été écrit jusque-là,
02:22:14 comme si personne n'avait encore pris la parole sur ces sujets.
02:22:16 Et donc, cette étrange force de résistance
02:22:20 que la société patriarcale oppose à ses récits,
02:22:23 donc simplement aux mots, aux mots des femmes,
02:22:25 aux mots des personnes victimes de violences, etc.
02:22:27 Peut-être qu'elle peut être vaincue, cette résistance,
02:22:30 par la force des images, parce qu'il y a quelque chose...
02:22:33 C'est une phrase que j'entends souvent à la maison,
02:22:37 "Une image vaut mille mots",
02:22:39 parce qu'on a cette tension entre moi,
02:22:41 je suis du côté des mots, bien sûr,
02:22:43 et puis, l'orométrie du côté des images,
02:22:45 et parfois, il y a une forme d'incompréhension.
02:22:47 Et il m'oppose souvent cet argument
02:22:49 que je n'ai encore pas très bien compris,
02:22:51 mais que je commence peut-être à comprendre.
02:22:53 Une image vaut mille mots,
02:22:55 qu'est-ce que l'image permet que les mots ne permettent pas ?
02:22:57 Elle permet peut-être quelque chose de l'ordre du silence,
02:23:00 où là, les choses se comprennent aussi.
02:23:02 Je ne sais pas si vous avez remarqué que le temps,
02:23:04 assez long, après le petit extrait du texte féministe,
02:23:07 il y a une espèce de quelque chose qui résonne,
02:23:09 mais ce choix du silence, il était volontaire
02:23:11 pour laisser le temps aux mots d'infuser,
02:23:14 et laisser les personnes qui les entendent surtout,
02:23:17 élaborer leur propre réaction, leurs propres mots.
02:23:20 Et donc, il y a quelque chose...
02:23:22 Voilà, il y a sans doute quelque chose
02:23:24 que l'image rend possible,
02:23:26 auquel les mots ne suffisent pas.
02:23:30 Mais je suis mal placée pour essayer de trouver ce que c'est.
02:23:33 Je crois que c'est pour ça qu'on est toutes ensemble aujourd'hui.
02:23:35 - Pour la question sur la violence des images,
02:23:44 moi, je suis toujours un peu mal à l'aise
02:23:46 quand on dit à des femmes que leurs images sont violentes,
02:23:50 parce que je trouve quand même que le corpus des images,
02:23:52 proposé, on va dire, par l'imaginaire patriarcal
02:23:58 depuis des décennies,
02:24:00 c'est quand même des images de guerre extrêmement violentes,
02:24:02 je veux dire, produites aussi la guerre,
02:24:04 qui est quand même principalement faite par les hommes.
02:24:06 Et ça, c'est OK, on peut voir,
02:24:08 on peut bombarder sur les réseaux, partout.
02:24:10 Mais quand une femme produit une image
02:24:12 qui parle de quelque chose d'intime,
02:24:14 c'est vite dit de nous dire que c'est violent.
02:24:16 Et alors, on a tendance, nous, à tout de suite se rétracter.
02:24:19 Mais non, on peut montrer ces images au même titre.
02:24:22 Je pense que c'est important
02:24:24 de ne pas tomber dans le piège de Stalibi.
02:24:27 Est-ce que vous avez des questions ?
02:24:33 Aucune question ?
02:24:39 On vous a fait peur ?
02:24:41 Est-ce que vous aviez quelque chose à dire, vous,
02:24:44 à quoi ressemblerait la vie si on avait ces images ?
02:24:48 Qui nous manquent ?
02:24:50 Non, il faut juste continuer à les tourner.
02:24:56 C'est assez inimaginable.
02:24:57 Peut-être que ce serait un ennui total, j'en sais rien.
02:25:00 Au moins, là, on a quelque chose à...
02:25:03 Il y a un combat.
02:25:05 Merci finalement.
02:25:07 Merci cette société.
02:25:09 On peut continuer ainsi, dans le déni.
02:25:11 Non, mais c'est très difficile d'imaginer.
02:25:14 Non, bien sûr.
02:25:16 Ce qui compte, c'est le cinéma, c'est-à-dire donner forme.
02:25:19 Il ne suffit pas d'avoir des images...
02:25:21 Ça ne veut rien dire.
02:25:25 Il faut leur trouver ce qu'elles racontent,
02:25:30 même sans les mots, effectivement.
02:25:32 Parce que l'image, c'est d'une puissance incroyable.
02:25:35 Ça fait appel à tous nos sens.
02:25:37 On voit bien, dans les images qu'on a proposées,
02:25:41 il y a l'oreille, le nez, tout qui entre en...
02:25:47 Je ne sais pas.
02:25:49 C'est un engagement, vraiment, pour chacune de vous ?
02:25:53 Quand on s'engage, quand on raconte l'intimité,
02:25:56 quand on raconte ces images manquantes,
02:25:58 c'est un engagement.
02:26:00 C'est même un engagement d'en parler au téléphone,
02:26:02 de quelque part même, au service du documentaire,
02:26:07 de recréer presque sa propre mémoire.
02:26:09 Je sais que j'ai écrit un podcast et un roman graphique
02:26:14 qui s'appelle "Coming in",
02:26:16 et qui raconte comment j'ai accepté mon orientation sexuelle
02:26:19 et comment j'ai eu du mal à l'accepter.
02:26:22 J'ai l'impression maintenant que ce sont ces mots-là,
02:26:27 dans ma mémoire, qui racontent qui j'ai été pendant des années.
02:26:32 Il faut aussi mesurer,
02:26:34 quand on parle de toutes ces images manquantes,
02:26:37 que quand on fait ce travail-là,
02:26:39 c'est un travail qui nourrit, certes,
02:26:44 mais qui est aussi, je ne sais pas trop comment le formuler,
02:26:47 mais qui transforme.
02:26:50 - Oui, parce que quand même,
02:26:52 dans ces films, il y a une grande prise de risque,
02:26:56 mais en même temps, j'ai l'impression que c'est un peu
02:27:00 ça qui donne de la force aux gestes.
02:27:06 C'est ce que disaient les ristes en l'âge d'homme,
02:27:09 quand ils lui avaient écrit comme s'ils frôlaient la mort
02:27:13 comme un théoréro.
02:27:15 Il y a aussi quelque chose de ça qui est fort
02:27:17 dans les propositions de ce genre.
02:27:19 C'est quand même des propositions, tu vois,
02:27:21 vraiment risquées quand même.
02:27:24 J'imagine, quand tu as fini ton film,
02:27:26 je ne sais pas à quel point tu mesurais la force de ton geste,
02:27:30 mais moi, je trouve ça super.
02:27:34 Et oui, en un sens, c'est une forme d'engagement.
02:27:37 Et j'ai l'impression que là, d'ailleurs,
02:27:39 le fait de s'engager totalement, en général,
02:27:42 même s'il peut y avoir des fragilités dans les films et autres,
02:27:46 c'est un truc qui est évident d'un geste qui a été au bout,
02:27:49 allé au bout de son geste de manière générale en art.
02:27:53 C'est quand même la quête.
02:27:57 - Et c'est toujours sur l'intimité.
02:27:59 C'est drôle parce que quand je regarde le passage du col,
02:28:02 ce n'est pas tant ton corps que ton souffle.
02:28:05 Et dans ce souffle-là, moi, j'ai l'impression que ça parle
02:28:08 de toutes les femmes qui se sont retrouvées un jour
02:28:10 dans un cabinet de gynéco.
02:28:12 J'ai l'impression d'entendre ce souffle.
02:28:15 Ce souffle, ce n'est quand même pas très agréable.
02:28:17 Et donc, voilà, dans le souffle, je trouve qu'il y a quelque chose
02:28:19 de très intime.
02:28:21 Il y avait une question, non ? Non, j'ai halluciné.
02:28:24 - C'est marrant parce que ce souffle, il est très construit.
02:28:29 On a fait une prise de son sol à la fin du tournage et on a dit
02:28:32 OK, on prend du silence, on prend du souffle et je l'ai monté.
02:28:35 Mais vraiment, au moment où ça bouge, les mains,
02:28:38 dans le noir, je l'ai monté.
02:28:40 C'est vraiment construit.
02:28:43 - Oui, c'est très dit.
02:28:44 Je sens une grande complicité entre nos deux films,
02:28:47 même s'ils ne sont pas du tout avec la même matière à l'origine
02:28:51 parce qu'il y a quelque chose de très improvisé dans tes images
02:28:55 et très sur le vif.
02:28:57 Et ensuite, j'imagine que le montage a été assez long.
02:29:00 Et c'est là où tu as recréé aussi.
02:29:02 - Le montage, il y avait plus le geste dans un sens...
02:29:05 - C'est effectivement, oui.
02:29:07 Par exemple, dans ton film, tu dis "coupé".
02:29:11 C'est vraiment...
02:29:12 En un sens, c'est performatif, mais c'est...
02:29:15 Tu dis "coupé", tu sais quels sont tes angles, etc.
02:29:17 Moi, c'est vrai que c'est le montage qui vient créer
02:29:20 cette horde dans le chaos, mais ce n'est pas au tournage que ça se fait.
02:29:24 C'est la particularité de ce geste-là qui, je pense,
02:29:28 que je ne ferai peut-être jamais d'ailleurs.
02:29:31 Mais c'est ce que je trouve beau dans ce film-là
02:29:36 qui me rappelle effectivement des gestes des années 70
02:29:40 et je trouve que la filiation, il y a de quoi être fière,
02:29:45 je pense, plutôt que de se dire "ça a déjà été fait".
02:29:48 Moi, je trouve qu'au contraire, c'est beau de voir que ça renaît maintenant.
02:29:54 - Il y a une question, puis je pense qu'on va finir par cette question.
02:29:57 - Je voulais parler d'une expérience que j'ai eue très concrète.
02:30:01 De fait, ma mère a été amputée quand j'avais deux ans.
02:30:04 C'est quelque chose qui a vraiment bouleversé ma vie très profondément.
02:30:09 J'avais un manque absolu,
02:30:11 puisque j'avais ma mère avec jambes et ma mère sans jambes.
02:30:15 Mon frère, qui avait six mois, n'a jamais connu ma mère avec sa deuxième jambe.
02:30:22 Il y a quelques années, je vois un film qui s'appelait "Le théâtre des opérations".
02:30:27 C'est un film suisse.
02:30:29 Pendant une heure, il y a une amputation de la demi-jambe comme ma mère.
02:30:36 Les amputations se font pendant la Première Guerre mondiale à l'assis.
02:30:39 C'était une expérience qui, pour moi...
02:30:44 Tout à coup, cette abstraction de jambes est devenue quelque chose de très concret et de très précis.
02:30:50 C'est un peu le pouvoir aussi du cinéma.
02:30:53 - Merci pour ce témoignage.
02:30:57 Est-ce que l'une de vous peut réagir ?
02:31:01 Non, le témoignage était assez fort en lui-même.
02:31:05 Merci beaucoup.
02:31:06 Merci d'être ici et merci à toutes les quatre, bien sûr.
02:31:09 - Je voulais d'abord toutes vous remercier.
02:31:28 Je suis Rémi Lainet, je n'étais pas là ce matin.
02:31:30 J'ai le grand plaisir de présider la SCAM, de réaliser des films aussi de temps en temps.
02:31:35 D'abord, vous remercier d'être là.
02:31:37 Je n'ai pas assisté à tous les débats, donc c'est compliqué de conclure.
02:31:40 De toute manière, conclure, c'est toujours un peu ridicule, donc il vaut mieux s'abstenir.
02:31:43 Quand je voyais, par exemple, le film de Marie, la même impression m'était venue avec "Ma Télégravitante".
02:31:50 Un film assez puissant, c'est le moins qu'on puisse dire, de Pauline et son pénichou.
02:31:56 Merci Marie.
02:31:58 On a toujours un truc, une option, si jamais les images nous embêtent, c'est de fermer les yeux ou de regarder ailleurs.
02:32:03 Je trouve que vous, vous élargissez le périmètre de ce que l'on montre.
02:32:07 C'est formidable, c'est puissant, d'autant que c'est pensé derrière.
02:32:14 Je ne vais pas trop m'étendre, juste vous dire, vous remercier, et puis vous dire qu'on va continuer ces séances, au moins une à la rentrée.
02:32:21 On ne sait pas encore, on se dit peut-être sur le thème "Fiction-réalité", peut-être la comédie documentaire aussi, ce sont des thèmes qui nous intéressent.
02:32:30 Une autre séance qui cette fois-ci se tiendra à la FEMIS, qui a tenu à rentrer dans le partenariat aux côtés de Arte.
02:32:37 Je remercie Odile Delacroix, je ne sais pas si vous avez déjà remercié les gens qui sont derrière.
02:32:42 Non, non, alors on ne l'a pas fait.
02:32:45 Donc Odile Delacroix pour Arte qui est là-bas derrière.
02:32:48 Louise et Anne pour le CNC, évidemment.
02:32:56 Juliette, pardon, je viens de Sérimania, où là aussi l'image manquante, c'est ce que je voulais vous dire.
02:33:03 Comme le temps est long dans les séries doc, on a un peu tendance à, quand il n'y a pas d'image, on reconstitue.
02:33:10 Je trouve ça d'une pauvreté un petit peu navrante.
02:33:13 Mais bon, ça c'est un avis personnel.
02:33:15 Marie Mandy, elle a parlé, on est contents.
02:33:17 Fabrice Puchot, qui était là et qui a animé ce matin, ou il n'est peut-être plus là d'ailleurs, on lui rapportera.
02:33:24 Bref, qui est-ce que j'ai oublié ? Christina Campodonico, qui gère avec Anne-Sophie Le Goff pour le compte de l'ASCAM, ses rencontres.
02:33:32 Qui est-ce que j'ai oublié Marie ?
02:33:34 Racha, Racha Salti, qui est partie aussi parce qu'elle aussi venait de Berlin, enfin retournée à Berlin plus exactement.
02:33:41 Enfin bref, vous remercier toutes et tous.
02:33:44 Et puis je crois que pour fêter ça, on va aller boire un verre et puis continuer la discussion, si tant est que ça intéresse quelqu'un.
02:33:49 Merci beaucoup.
02:33:51 (Applaudissements)