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Dans le cadre de l’Année du documentaire 2023, la Scam, ARTE et le CNC ont le plaisir de vous convier à la première session de la série de rencontres « Le Documentaire : matière à penser ».

« Je » et « Nous » : du singulier vers l’universel
Parfois le « je » est exactement ce qu’il annonce, la subjectivité assumée de la réalisatrice ou du réalisateur ; mais d’autres fois, il se dérobe, se déjoue, et la singularité de son adresse glisse, ou s’amplifie pour devenir un « nous ». Ce glissement s’opère dès que la spectatrice ou le spectateur commence à se reconnaître, malgré toutes les différences générationnelles, culturelles, sociales ou d’identité. Dans notre culture occidentale qui prône l’individualisme, nos sociétés fragmentées et notre attention parcellisée, écrire et reconstruire le « nous » n’est-il pas devenu une des formes nécessaires de l’engagement ?

Programme
11h00 : Introduction par Ovidie
11h30 : Dialogue entre Mohamed El Khatib et Karim Miské
14h30 : Étude de cas avec Alice Diop pour son documentaire Nous
16h30 : Table ronde avec Nina Faure, Gilles Perret, Marie Mandy et Jean-Pierre Thorn

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Transcription
00:00:00 Bien, on continue donc avec notre table ronde.
00:00:05 Marie va vous expliquer un petit peu le principe, la genèse.
00:00:08 Marie Mandy donc qui est autrice et qui a participé à l'organisation de cette journée.
00:00:14 Elle est également investie dans la Scam, puisqu'elle est notre trésorière, occupée, préoccupée par les questions d'argent.
00:00:18 Vous l'aurez compris. Je ne sais pas, on disait de gauche à droite, mais bon, ça peut être mal interprété.
00:00:25 Jean-Pierre me disait justement, ça dépend dans quel sens on se place.
00:00:30 Donc, Jean-Pierre Torme, ici présent, Nina Fort, Gilles Perret, Elodie Fon, et Marie Mandy à qui je passe le micro.
00:00:41 Elle n'en a pas besoin du mien.
00:00:43 Oui, voilà. En fait, en préparant cette journée, un petit peu la ligne éditoriale sur cette question du passage de l'intime à l'engagement,
00:00:52 on s'est dit qu'il était vraiment important aussi de mettre autour de la table des réalisateurs qui faisaient des films engagés,
00:00:58 se poser la question de comment le jeu trouve sa place dans la question de l'engagement.
00:01:02 Et donc, cette table ronde ici réunit trois auteurs réalisateurs qui ont fait des films sans la télévision.
00:01:11 Jean-Pierre, Nina et Gilles. Le mien a été coproduit par Deschenes.
00:01:17 Et pour animer cette table ronde, on a voulu faire appel à aussi une autrice de l'ASCAM, une autrice du répertoire de l'écrit,
00:01:26 Elodie Fon, qui est aussi autrice radio, donc répertoire sonore, qui est, outre le fait qu'elle soit journaliste,
00:01:33 aussi très connue pour ses pièces radio, ses podcasts. Notamment, je pense, le premier qui est à fait connaître,
00:01:39 c'est un podcast qui s'appelle "Coming in". Alors "Coming in", c'est le contraire de "Coming out",
00:01:43 c'est-à-dire qu'avant de faire un "Coming out" et dire à d'autres qui on est, il y a un moment où on doit d'abord se le dire à soi-même.
00:01:50 Et c'est la question que tu as traitée dans cette pièce qui est absolument magnifique et qui est justement au cœur du sujet de cette journée,
00:01:57 puisque c'est une pièce radio sur comment on passe du jeu, nous aussi, à partir de ton expérience personnelle.
00:02:02 Elodie a été chargée de programme chez Arte pendant un certain temps et elle est aujourd'hui chargée de programme chez HBO Europe.
00:02:11 Voilà. France. Donc voilà, je lui passe la parole et moi je reprends ma place cette fois-ci d'autrice,
00:02:17 parce qu'on aime aussi se remettre à sa place d'autrice réalisatrice.
00:02:21 Merci, merci Marie. Ravi d'être avec vous et de partager cette journée. Je trouve que c'est passionnant de réfléchir effectivement
00:02:29 sur ce passage du jeu au "nous", de ces histoires où on essaye qu'un mot, que quelque chose transparaisse
00:02:39 et que dans une histoire, on en raconte plusieurs, que dans les mots de quelqu'un, transparaissent tout un tas d'autres histoires
00:02:45 et comment le documentaire, avec ses jeux, avec ses "nous", peut être un engagement en soi, évidemment.
00:02:53 Alors on a de la chance aujourd'hui parce que... Les gens qui sont dans cette salle, peut-être que vous les connaissez tous déjà,
00:03:00 mais je vais quand même dire un mot sur chacun. Je trouve qu'on a de la chance parce que pour réfléchir à ce passage du jeu au "nous",
00:03:06 on a quatre documentaristes qui sont assez différents et qui réfléchissent peut-être ce passage différemment.
00:03:14 Donc je pense que la conversation va être riche, concrète, dense, en tout cas je l'espère.
00:03:20 Et j'espère que ça va nourrir aussi vos réflexions à vous de documentaristes en face de nous.
00:03:26 Ce qu'on va faire, c'est qu'on va discuter pendant environ une grosse heure et ensuite on prendra vos questions dans la salle
00:03:35 et on aura dans cette heure qui va venir les extraits de chacun des documentaires dont on va parler.
00:03:42 Évidemment, vous avez tous fait plusieurs documentaires, mais on en a choisi un pour chacun d'entre vous qui illustre cette thématique.
00:03:51 Donc il y a avec nous Nina For, tu t'apprêtes à sortir ton deuxième long, on peut déjà le voir là à Clichy ce soir par exemple,
00:04:01 en avant-première, mais il sort mercredi prochain. Et ton deuxième long s'appelle "We are coming, chronique d'une révolution féministe".
00:04:08 Nina, tu documentes, tu participes en même temps, le jeu au "nous", à plusieurs luttes féministes
00:04:15 et tu as aussi travaillé dans ta vie sur la précarisation du travail avec entre autres les films "Rien à foutre" et "Dans la boîte". Bonjour.
00:04:24 Nous sommes aussi avec Jean-Pierre Torn, faut-il le présenter ? Le premier long sorti en 1968, tourné dans une usine Renault,
00:04:33 une usine occupée à l'époque, "Osez lutter, osez vaincre". Le "nous" dans la lutte, dans les luttes comme Nina.
00:04:41 Tu as aussi été partie prenante de plusieurs luttes, tu as notamment travaillé de nombreuses années dans une usine Alstom en région parisienne
00:04:48 où tu as exercé des responsabilités syndicales. Ta filmographie est très longue, mais dans le film, dont on verra tout à l'heure un extrait,
00:04:57 "Lacre parfum des immortels", tu remontes le temps et de tes films, et d'une passion amoureuse. Je trouve que c'est magnifiquement fait. Bonjour Jean-Pierre.
00:05:07 J'ajouterais quand même une page importante qui est celle de la découverte de la culture hip-hop et en quoi elle suit l'engagement de mes copains d'usine.
00:05:19 Oui, c'est vrai que quand on a un parcours qui commence en 1968, c'est plus difficile de le résumer, quoi.
00:05:27 Sans vouloir être désagréable pour démarrer. Filmer les luttes collectives, évidemment ça vous l'avez en commun.
00:05:37 Entre autres, d'avoir filmé les Gilets jaunes, d'ailleurs vous avez filmé aussi tous les deux les Gilets jaunes. Nous avons aussi la chance d'être avec Gilles Perret.
00:05:44 Bonjour Gilles, réalisateur de films documentaires. Vous avez peut-être vu au cinéma, il y en a plusieurs qui sont sortis au cinéma,
00:05:51 "Debout les femmes" dont on va reparler aujourd'hui, qui raconte le combat de deux parlementaires, dont François Ruffin,
00:05:57 pour faire en sorte que les femmes qui travaillent dans les métiers du lien, puisqu'il s'agit principalement de femmes, c'est pour ça que je le dis comme ça,
00:06:03 soient davantage considérées et rémunérées. Gilles Perret qui a aussi réalisé "Les célèbres", "La sociale", "Je veux du soleil", "Les jours heureux", etc.
00:06:12 Et puis pour terminer cette présentation, Marie donc, Marie Mandy, qui a elle aussi une filmographie longue comme le bras.
00:06:20 Et tu as notamment été multi récompensé pour plusieurs de tes documentaires, dont "La vie sans la vue" et pour le film sur lequel on va se concentrer aujourd'hui,
00:06:30 qui suit ton combat contre le cancer du sein, si on peut le dire comme ça, qui s'appelle "Mai de sein, journal d'une guérison". Bonjour, re-bonjour aussi à toi.
00:06:40 Donc les présentations, on va entrer dans le vif du sujet. On va commencer avec un extrait du film de Marie.
00:06:48 Je te laisse l'introduire alors.
00:06:52 Je disais ça pour bloquer les projectionnistes au cas où ils l'en saient.
00:06:56 Non mais je voulais juste vous dire un petit mot, parce qu'on nous a demandé de choisir un extrait de cinq minutes, enfin quelques minutes.
00:07:03 Et moi, il me semblait intéressant de vous montrer les cinq premières minutes du film, parce que, évidemment, pourquoi faire un film sur la lutte contre cette maladie ?
00:07:15 En fait, moi, je n'avais pas du tout envie de parler de moi. Je voulais parler d'autre chose.
00:07:19 Et donc, quand je démarre mon film, je me dis, pour ne pas qu'il y ait un malentendu avec les spectateurs, il faut que je pose bien les enjeux dans les cinq premières minutes.
00:07:28 Et donc, vous verrez qu'en fait, tous les enjeux sont posés, je pense, vous me direz.
00:07:33 Et après, on peut rentrer dans le corps et le cœur du film, qui est tout le combat, alors combat politique contre la médecine, etc.
00:07:45 J'en parlerai encore après.
00:07:47 Allons-y.
00:07:54 Centre de radiologie, bonjour. Alors, vous avez besoin d'un bilan mammaire ?
00:08:00 Oui, alors, il faut faire une mammographie et une échographie du ptale.
00:08:05 C'est un examen qui se fait entre le huitième et douzième jour du cycle.
00:08:09 Moi, ça me fait mal à la tête. J'en peux plus, là, à la tête comme ça.
00:08:14 Pardon, vous voulez récupérer l'ambulance ?
00:08:17 Le plus vite possible serait quand même mieux.
00:08:21 Au niveau des rendez-vous, monsieur le complet, jusqu'au début décembre.
00:08:30 Oui, bon, alors, je vais essayer de vous trouver un rendez-vous un peu plus rapide pour vous rassurer.
00:08:37 J'ai essayé de ne pas y penser parce que si j'y pense, je sens que je commence à flipper.
00:09:02 Donc là, je ne pense pas à ce qui va se passer dans l'heure qui suit.
00:09:09 C'est une table sur laquelle vous allez être à plat ventre.
00:09:22 Oui.
00:09:23 Il y a un trou par lequel le sein est placé. On lève la table. En fait, vous êtes au-dessus de moi.
00:09:29 Le sein, on va immobiliser la zone via les calcifications comme une mammographie, un carré qui va permettre de cibler.
00:09:39 Dessous, j'ai un petit mammographe qui va vous faire un cliché à zéro degré, plus 15 degrés, moins 15 degrés.
00:09:45 Ça sort sur des consoles d'ordinateur.
00:09:47 Moi, avec ma souris, je clique sur vos calcifications, plus 15, moins 15.
00:09:52 Et c'est l'ordinateur qui calcule la profondeur à laquelle mon élève va se mettre.
00:09:56 D'accord, c'est lui qui le fait. Il calcule ça au millimètre.
00:10:00 Je vous fais une anesthésie locale, d'accord, comme ça, vous ne sentirez rien.
00:10:04 Une fois que j'ai introduit mon aiguille, vous allez entendre un claque.
00:10:08 Ça va ouvrir en fait l'aiguille qui va libérer une chambre de prélèvement.
00:10:13 Et sur mon pistolet, en fait, j'ai un petit ciseau qui avance, qui coupe la carotte qui est dans la chambre de prélèvement et qui me la ramène.
00:10:21 Je vais forer dans le sein.
00:10:23 Et chaque fois, ça me ramène une carotte.
00:10:26 Et c'est ces carottes-là qui seront analysées.
00:10:28 Une fois que j'ai terminé, je comprime bien.
00:10:31 Je vous mets un petit stéristripe, un pansement pour prendre la douche, un gros pansement compressif et une grosse bande sur tout le thorax.
00:10:40 Parce que ce qui fait mal, ce n'est pas le prélèvement, c'est l'hématome si on a un.
00:10:45 On a les résultats huit jours après.
00:10:47 Donc, cliniquement, mammographiquement, échographiquement, tout me fait dire qu'il y a des cellules cancéreuses.
00:10:54 À la minute où on te dit que tu as un cancer, tu bascules dans le clan des cancéreux.
00:11:06 Le lendemain de la première échographie biopsie, donc quand elle m'a dit qu'elle voyait sur les images médicales que c'était cancéreux,
00:11:16 je suis allée me promener en ville.
00:11:19 C'était un samedi, j'étais dans des rues très commerçantes.
00:11:23 Je voyais tous ces gens face à moi.
00:11:26 Je me sentais d'abord hyper seule face à tous ces gens.
00:11:29 J'avais l'impression qu'aucun ne pouvait comprendre ce que je ressentais.
00:11:33 Et en même temps, je me disais que peut-être qu'il y en a qui ont traversé ce que tu as traversé, mais je ne pouvais pas le savoir.
00:11:38 Il y avait une espèce de rapport comme ça.
00:11:40 C'est une maladie qui, dans un premier temps, t'isole du monde.
00:11:43 C'est ça.
00:11:45 Alors moi, ce que j'ai décidé, c'est d'en parler tout de suite.
00:11:52 Les gens me disent « ça va ? » Je dis « non, ça va pas, j'ai un cancer. »
00:11:55 Au moins, je veux dire, t'en parles et tu reviens dans le monde des vivants, puisque tu en parles.
00:12:00 Sinon, après, tu restes avec cette espèce de truc en dehors.
00:12:04 Tout a commencé en septembre 2007.
00:12:11 Depuis plusieurs mois, j'ai une boule à mon sein droit.
00:12:14 Je redoutais que ce soit un cancer.
00:12:16 Et j'ai mis du temps avant de m'en occuper.
00:12:18 J'espérais qu'elle disparaisse toute seule.
00:12:21 La personne qui partage ma vie m'a dit « démerde-toi pour guérir, tu pourrais en faire un film. »
00:12:28 Je suis malade, c'est vrai, mais je suis avant tout cinéaste.
00:12:32 Pourtant, l'idée de faire un film m'a d'abord effrayée.
00:12:40 Et si c'était une fuite qui m'empêchait de faire face à la maladie ?
00:12:44 « Là, il y a maman. »
00:12:46 « Là, c'est maman. »
00:12:48 « Ça, c'est maman. »
00:12:49 « Ça, c'est petit. »
00:12:51 Il faut que je vous dise que depuis longtemps, je pense que les maladies n'arrivent pas par hasard.
00:12:58 J'ai donc l'intuition profonde que ce cancer a du sens.
00:13:02 Filmer ce qui m'arrive pourrait même m'aider à le découvrir.
00:13:07 Je demande à Vincent, mon ami caméraman, de m'accompagner.
00:13:10 Les proches souhaitent ne pas apparaître sur les images.
00:13:15 On te suit dès le démarrage de tout ça.
00:13:21 Or, tu nous as dit juste avant, en fait, j'avais pas vraiment envie de parler de moi,
00:13:25 j'avais pas forcément envie de parler de tout ça.
00:13:27 Et je me demandais si tu avais fait ce film pour revenir dans le monde des vivants, comme tu le dis joliment.
00:13:34 Ça, c'est peut-être le sens caché.
00:13:36 En fait, qu'est-ce qui se passe ?
00:13:39 Disons qu'on est un mardi, je fais un premier examen,
00:13:44 et la scénologue me dit « bon, c'est cancéreux ».
00:13:46 Et le vendredi, j'ai un déjeuner prévu à France 2
00:13:50 pour leur parler de mon prochain film qui est un documentaire sur le suicide des adolescents.
00:13:54 Et donc, j'appelle mon producteur et je lui dis « le mardi, il paraît que j'ai un cancer,
00:13:59 je crois pas que je vais pouvoir parler du suicide des ados vendredi. »
00:14:02 Il me dit « mais c'est pas grave, on va aller au déjeuner et tu vas faire un film sur ça ».
00:14:07 Et donc, je réfléchis 24 heures et je me dis « mais en fait, c'est intéressant,
00:14:13 parce que moi je suis passionnée par la médecine intégrative,
00:14:16 donc en fait, la manière dont on peut se soigner avec tous les moyens,
00:14:22 et pas seulement la médecine allopathique occidentale,
00:14:24 et certainement pas uniquement la médecine militaire, industrielle, chimique occidentale.
00:14:29 Et donc, je me dis « c'est l'occasion ou jamais de faire un film là-dessus. »
00:14:32 Et donc, je peux devenir le cobaye de mon film, je peux donner mon corps au cinéma,
00:14:38 comme on le donnerait à la science, pour faire un film sur des choses qui m'intéressent vraiment.
00:14:44 Et même plus loin, moi j'ai l'impression que les maladies ont du sens, je le dis,
00:14:48 c'est pour moi la phrase la plus importante du prologue.
00:14:51 Et donc, pour parler de ça, c'est-à-dire faire une espèce d'enquête sur le sens des maladies.
00:14:55 Et alors, je raconte tout ça évidemment au déjeuner à France 2, le vendredi,
00:15:01 où est assis Fabrice Puchot, présent ici.
00:15:04 Je lui dis « donc je ne vais pas faire le film sur le suicide, mais je veux bien faire ça à la place. »
00:15:08 Et bon, ça se passe très bien, et donc France Télévisions me dit
00:15:13 « d'accord, on va mettre un développement pour que tu puisses commencer à filmer. »
00:15:16 Et donc, la semaine d'après, je vais chercher les résultats de ma biopsie,
00:15:21 et la biopsie a raté. Et donc la scénologue me dit « il faut en refaire une. »
00:15:26 Et je me dis « chouette, elle sera dans le film. »
00:15:28 Voilà, et c'est comme ça que je deviens schizophrène.
00:15:34 - Oui, c'est un peu... Mais est-ce que tu avais l'espace mental pour...
00:15:37 Parce que parfois, quand il nous arrive des choses très difficiles dans la vie,
00:15:40 on n'a pas forcément l'espace de se dire « tiens, je vais prendre ma caméra,
00:15:43 ou je vais prendre mon stylo, mon... »
00:15:46 À quel moment tu t'es dit « je vais y arriver » ?
00:15:49 Ou tu t'es pas posé la question ?
00:15:51 - Non, je me suis pas posé la question, parce que je me suis dit « en fait,
00:15:54 on va commencer par juste... Je vais me faire suivre par un caméraman
00:15:57 avec qui j'ai déjà beaucoup travaillé, donc j'ai une totale confiance,
00:16:00 et on va juste tout filmer, dans un premier temps,
00:16:03 et puis je vais réfléchir à ce que je vais faire avec ça. »
00:16:05 Et donc, comme c'est moi qui allais regarder les rushs,
00:16:07 j'avais aucune inquiétude, on pouvait tout filmer.
00:16:10 En plus, moi j'étais assez motivée par autre chose,
00:16:15 dont je n'ai jamais vraiment parlé souvent,
00:16:17 c'est que moi j'avais l'intuition que la guérison,
00:16:21 c'est vraiment une quête spirituelle.
00:16:23 Et que donc, ce qui m'intéressait, au-delà de l'histoire du combat
00:16:26 contre la maladie, contre la médecine, etc.,
00:16:29 c'était vraiment d'essayer de traduire ça.
00:16:32 Mais ça, je pouvais pas le dire, parce que je ne savais même pas
00:16:34 d'abord si j'allais survivre, et deux, si j'allais y arriver.
00:16:37 Mais c'était en fait mon agenda caché, on peut dire.
00:16:40 Moi, c'est ça qui me motivait le plus.
00:16:43 - C'était ta manière de passer du « je », « je suis malade »,
00:16:46 à un « nous ».
00:16:48 - Oui, et en fait, si tu veux, comme je m'utilisais...
00:16:51 En fait, je pense que mon « je », moi je faisais peu de cas de moi
00:16:56 dans ce truc, parce que j'étais tellement préoccupée par ma survie
00:17:00 que si tu veux, des situations, peut-être où quelqu'un d'autre
00:17:03 aurait eu de la pudeur, ou je sais pas quoi,
00:17:05 aurait été embarrassée, moi ça me dérangeait pas du tout.
00:17:08 Parce que j'étais dans un truc qui était passé de loin, ça.
00:17:12 Alors je sais pas, j'ai beaucoup réfléchi à cette question
00:17:14 de comment on fait pour développer un jeune non-narcissique,
00:17:19 comment on fait pour enlever l'ego de toute cette histoire.
00:17:22 Mais après, ça marche pour moi, c'est le métier aussi qui joue.
00:17:26 J'ai mis en place des dispositifs de distanciation.
00:17:30 Un premier, c'était que je ne m'occupais pas
00:17:33 de ce que filmait mon caméraman,
00:17:36 pour être entièrement présente à mes soins, on va dire,
00:17:40 et au dialogue avec les médecins, que je cuisinais comme une journaliste,
00:17:43 parce que derrière la maladie, il y avait quand même la réalisatrice.
00:17:47 Ensuite, je demandais à Vincent, mon caméraman,
00:17:50 de m'interviewer tous les jours.
00:17:53 Donc j'avais une espèce de ressenti,
00:17:57 de compte-rendu de mes ressentis en temps réel,
00:18:00 que j'allais pouvoir peut-être utiliser plus tard ou pas.
00:18:03 Et puis après, quand on est allé au montage,
00:18:06 j'ai travaillé avec une co-scénariste,
00:18:09 ce que je fais pas souvent, pour avoir quelqu'un
00:18:11 qui puisse me mettre les choses à distance.
00:18:13 Et puis surtout, on a nommé ce personnage à l'écran
00:18:17 d'un autre nom, Henriette.
00:18:20 Et donc, on racontait l'histoire d'Henriette, et donc c'était plus moi.
00:18:23 - Il y a un marché qui est bluffé comme ça.
00:18:26 - Je parlais de moi à la troisième personne.
00:18:28 Mais parce que ça me permettait...
00:18:31 Je vous dis ça, c'est un peu angoissant,
00:18:33 mais en fait, ça me permettait vraiment de...
00:18:36 Et donc, comme disait ce matin Ovidie,
00:18:39 je m'occupais pas de savoir si j'étais bien à l'écran, moche.
00:18:42 En fait, tout à coup, c'était quelqu'un d'autre.
00:18:44 Et je prenais des décisions de cinéaste
00:18:47 qui étaient des décisions de dramaturgie.
00:18:49 Est-ce que c'est bien pour le personnage ?
00:18:51 Est-ce que c'est mal pour le personnage ?
00:18:53 Et d'ailleurs, je terminerai là-dessus avant de céder la parole,
00:18:56 mais pour moi, le vrai passage du jeu au nous,
00:18:59 en fait, il se fait quand on se cogne au réel,
00:19:02 c'est-à-dire quand le corps se cogne au réel.
00:19:04 C'est-à-dire à partir du moment où je rentre en conflit avec mes médecins,
00:19:07 quand je leur raconte que je cherche le sang,
00:19:09 ils m'envoient balader,
00:19:10 quand je leur raconte que je vais prendre des huiles essentielles
00:19:12 et ils rigolent de moi,
00:19:13 je me dis que les gens vont me trouver ridicule,
00:19:15 je m'en fous, moi, ça, c'est mes convictions, donc j'y tiens.
00:19:17 Mais donc là, je me mets en fait en danger, en jeu,
00:19:21 je me jette à l'eau,
00:19:22 comme on dit en Belgique, je mouille mon maillot.
00:19:24 Mais c'est là que commence la dramaturgie,
00:19:27 parce que dès qu'il y a frottement, il y a récit.
00:19:29 Et le jeu devient un personnage,
00:19:31 donc devient quelque chose de partageable
00:19:33 et donc auquel on peut s'identifier.
00:19:35 Je crois que c'est ça la clé, c'est l'identification.
00:19:37 - Dès qu'il y a frottement, il y a récit,
00:19:39 je trouve que c'est exactement ce qui sous-tend ton film, Nina.
00:19:43 Toi, comment il est né ?
00:19:45 C'est un film au très long cours,
00:19:47 c'est un film que tu filmes pendant des années et des années et des années,
00:19:51 toi aussi, tu dois avoir beaucoup de rush.
00:19:53 Comment il est né ?
00:19:55 Non mais vraiment, si vous m'entendez là ?
00:19:59 Bon, ça va, parfaitement, on va très bien.
00:20:03 En fait, ce film,
00:20:05 le point de départ que j'aime bien prendre,
00:20:07 parce qu'il faut en trouver un,
00:20:09 c'est quand même la découverte en ligne en 2013
00:20:11 d'une vidéo avec l'anatomie du clitoris.
00:20:13 Et où tout d'un coup, je me dis,
00:20:15 ah ouais, c'est fait comme ça.
00:20:17 Et que surtout, je me mets à en parler autour de moi,
00:20:19 et que personne n'est au courant.
00:20:21 Alors là, on est en 2023, dix ans plus tard,
00:20:23 j'espère que ça va, vous levez la main,
00:20:25 que vous êtes au courant que c'est plus grand qu'un bouton,
00:20:27 tout ça. Mais c'est pour dire que
00:20:29 c'était vraiment une façon
00:20:31 de se propulser dans un questionnement sur la sexualité
00:20:33 à partir aussi d'une
00:20:35 méconnaissance du corps.
00:20:37 Et là, la question du jeu,
00:20:39 ou la question du
00:20:41 nous, déjà qui était assez
00:20:43 présente, à plusieurs, à se dire
00:20:45 quelle est cette arnaque
00:20:47 qui fait qu'on nous dit que tout est gagné,
00:20:49 que tout va bien,
00:20:51 que l'égalité des genres, des sexes est présente,
00:20:53 et qu'on ne connaît même pas
00:20:55 notre anatomie, et qu'il y a des écarts
00:20:57 énormes d'accès au plaisir.
00:20:59 Et pourtant, ça n'avait pas l'air
00:21:01 d'être un vrai problème nulle part.
00:21:03 Et la suite a prouvé
00:21:05 le contraire, parce qu'en fait, cette question
00:21:07 m'a propulsée dans une chronique
00:21:09 d'un mouvement féministe
00:21:11 en pleine montée. On a découvert
00:21:13 être des milliers,
00:21:15 des centaines de milliers, alors qu'on pensait être
00:21:17 cinq dans le coin d'une cuisine
00:21:19 au départ. Et c'est ça, cette
00:21:21 histoire qui s'est déroulée sur une dizaine
00:21:23 d'années. L'histoire
00:21:25 de cette montée en puissance pour
00:21:27 rebattre les cartes
00:21:29 et essayer de remettre à l'endroit
00:21:31 ce jeu biaisé qu'on nous avait
00:21:33 présenté comme égalitaire. - Mais tu te dis tout de suite
00:21:35 "je vais en faire un film documentaire"
00:21:37 ou ça vient au bout de
00:21:39 plusieurs années de tournage ?
00:21:41 - Non, alors en fait, le truc que je dis jamais, parce que normalement
00:21:43 dans les dossiers, il faut trouver un point de départ, son histoire
00:21:45 et tout. - Oui, mais en fait, ça fait... - Voilà, vu qu'on est
00:21:47 entre nous et que personne n'écoute, je peux le dire.
00:21:49 En fait, ça fait, mais
00:21:51 littéralement, beaucoup plus de temps que je me
00:21:53 dis qu'il faut faire des films là-dessus, mais parce
00:21:55 qu'en fait, depuis...
00:21:57 Un jour, j'ai découvert les films de Carole Rousseau-Poulos.
00:21:59 J'avais une vingtaine d'années,
00:22:01 c'était en plus en diffusion complètement
00:22:03 pirate dans un
00:22:05 infokiosque
00:22:07 toulousain et je me suis dit "ah non,
00:22:09 mais en fait, il y a des gens qui ont fait ça avant"
00:22:11 et je me suis dit "c'est ça qu'il faut
00:22:13 faire, c'est ça qu'il faut faire aujourd'hui"
00:22:15 et je trouvais que là, il y avait
00:22:17 une réalité sociale, il y avait
00:22:19 une puissance des
00:22:21 mobilisations et aussi
00:22:23 un espèce d'élan collectif que je trouvais très
00:22:25 peu dans ce que je voyais
00:22:27 et je me suis dit que
00:22:29 je voulais faire ça plus tard quand je serais
00:22:31 plus grande, mais
00:22:33 après, pendant dix ans, j'ai appris à faire des
00:22:35 films jusqu'à un moment où je me suis dit "là, est-ce que
00:22:37 je peux pas me lancer dans faire un long-métrage
00:22:39 moi seule,
00:22:41 sans la co-réalisation, le précédent
00:22:43 que j'avais fait était en co-réalisation avec Pierre-Carl
00:22:45 "On revient de loin" et
00:22:47 ça s'appelle "On revient de loin" en Corée à Deux,
00:22:49 c'est pour ça. Ça peut avoir un double
00:22:51 sens sinon.
00:22:53 Donc, non, "On revient de loin" en Opération Corée à Deux,
00:22:55 c'était très bien.
00:22:57 Mais voilà, à un moment, je me suis dit ça
00:22:59 et puis j'étais accompagnée par la productrice du film
00:23:01 pour l'écriture
00:23:03 de ce deuxième long-métrage.
00:23:05 - On va parler
00:23:07 maintenant de "Debout les femmes",
00:23:09 Gilles. Est-ce que
00:23:11 peut-être avant d'en discuter avec toi,
00:23:13 on peut regarder l'extrait ?
00:23:15 Alors pour le coup, c'est
00:23:17 trois passages
00:23:19 de ton documentaire
00:23:21 qu'on a mis bout à bout
00:23:23 et qui racontent, je trouve,
00:23:25 trois moments particuliers effectivement où il y a
00:23:27 du "je" et du "nous".
00:23:29 - Juste une précision,
00:23:31 la dame qu'on voit, Jeannette,
00:23:33 qu'on voit au milieu du film,
00:23:35 à la fin c'est la même, mais elle a juste changé de coiffure.
00:23:37 On le comprend si on regarde la totalité
00:23:39 du film, mais là, voilà. - Ah, quand même, je pense que...
00:23:41 Oui, vous allez voir, on est là
00:23:43 quand même, je pense.
00:23:45 - Envoyé.
00:23:47 - Voilà, la loi est partie,
00:23:49 donc maintenant on va voir, on va voir ce qu'il va se passer.
00:23:51 - Est-ce que tu t'attendais à faire ça avec moi ?
00:23:53 Ta première proposition.
00:23:55 Ton dépucelage. - Non, je m'attendais pas à faire ça.
00:23:57 C'était une grosse surprise.
00:23:59 Ceci dit, il y a une raison, je sais qu'il y a une raison,
00:24:01 on en a déjà parlé.
00:24:03 Cette raison, c'est que
00:24:05 j'ai eu une expérience de vie très particulière
00:24:07 chez mon petit garçon qui s'appelait
00:24:09 Balthazar, qui était un petit garçon
00:24:11 très handicapé,
00:24:13 et qui avait besoin d'assistance.
00:24:15 Et même si moi, je me suis beaucoup consacré
00:24:17 à lui, avec sa maman,
00:24:19 on a eu quelqu'un à la maison
00:24:21 et on a vu les conditions dans lesquelles
00:24:23 ces personnes travaillent.
00:24:25 Et j'ai eu l'occasion souvent de parler avec elle.
00:24:27 - C'est-à-dire que t'avais une auxiliaire de vie ? - J'avais une auxiliaire de vie,
00:24:29 qui avant de travailler
00:24:31 finalement un peu à plein temps pour mon fils,
00:24:33 parce qu'il était très handicapé, il avait une maladie
00:24:35 chronique, une maladie génétique
00:24:37 qui l'amenait à la mort, tranquillement.
00:24:39 Pendant quatre ans, elle s'occupait de lui
00:24:41 à temps plein.
00:24:43 - Florian Bachelier, tiens, il y a quelqu'un qui frappe à la porte.
00:24:45 La bonne nouvelle, c'est que ça serait une femme de ménage.
00:24:47 - C'est moi encore,
00:24:49 et c'est elle, Jeannette.
00:24:51 - D'accord. - Elle voulait vous voir, je sais pas quoi.
00:24:53 Qu'est-ce qu'elle veut ?
00:24:55 - Bonjour. - Bonjour.
00:24:59 - Allez-y, allez-y.
00:25:01 - Je veux pas rentrer. - Asseyez-vous si vous voulez.
00:25:03 - Merci.
00:25:05 - Il y a mes grands-sœurs, il y a mes copines qui me connaissent.
00:25:11 On vous a vu, comment vous parlez,
00:25:13 à la télé. Ils m'ont appelée,
00:25:15 "Jeannette, j'ai vu votre député
00:25:17 qui vous protège, les femmes de ménage."
00:25:19 Et je dis, "Oui,
00:25:21 c'est vrai, c'est vrai, c'est la vérité,
00:25:23 il faut aller."
00:25:25 Ce coup-ci, là, je suis venue vous dire que
00:25:27 on vous soutient.
00:25:29 Au cas où il y a des questions et tout,
00:25:31 je suis là pour répondre rien que la vérité.
00:25:33 Tout ce que vous dites,
00:25:35 c'est la vérité, c'est la réalité aussi.
00:25:37 Mais il y a beaucoup entre nous,
00:25:39 ils veulent pas répondre
00:25:41 ou se présenter
00:25:43 parce qu'ils ont peur pour
00:25:45 perdre leur boulot. - Et vous, vous avez pas peur ?
00:25:47 - Mais quoi ?
00:25:49 J'ai dit la vérité pour nous tous, hein.
00:25:51 Voilà. Bon ?
00:25:53 - On va encore essayer. - Eh oui, il faut aller.
00:25:55 Il faut pas laisser tomber.
00:25:57 On est toujours là. - Non, non, mais
00:25:59 je laisse pas tomber. Maintenant, c'est vrai que
00:26:01 si ça pousse pas dans le pays, si les femmes
00:26:03 de ménage, les agents d'entretien,
00:26:05 ils nous laissent pas duger... - Eh oui, si on laisse tomber,
00:26:07 la poubelle va monter jusqu'en haut, hein.
00:26:09 - Bonne journée. - A vous aussi, au revoir.
00:26:15 - Merci. - Merci pour votre courage.
00:26:17 - Nous allons achever l'examen
00:26:31 de la proposition de loi
00:26:33 métier du lien.
00:26:35 Par cet amendement,
00:26:37 nous demandons
00:26:39 le 13ème mois
00:26:41 pour toutes
00:26:43 les femmes de ménage
00:26:45 du pays.
00:26:47 Nous devons être
00:26:53 toutes ensemble les femmes debout.
00:26:55 - Nous qui sommes
00:27:01 sans passé, les femmes,
00:27:03 nous qui n'avons
00:27:05 pas d'histoire,
00:27:07 depuis la nuit
00:27:09 des temps, les femmes,
00:27:11 nous sommes le continent
00:27:13 noir.
00:27:15 Levons-nous femmes
00:27:17 esclaves
00:27:19 et brisons
00:27:21 nos entraves
00:27:23 debout,
00:27:25 debout.
00:27:27 Seules dans
00:27:29 notre malheur,
00:27:31 les femmes,
00:27:33 l'une de l'autre
00:27:35 ignorées.
00:27:37 Ils nous ont
00:27:39 divisé, les femmes,
00:27:41 et de nous
00:27:43 ça séparé.
00:27:45 Levons-nous femmes
00:27:47 esclaves
00:27:49 et brisons
00:27:51 nos entraves
00:27:53 debout,
00:27:55 debout.
00:27:57 - C'est le moment du film, c'est la fin,
00:27:59 où personnellement j'étais vraiment
00:28:01 en larmes.
00:28:03 Pour ceux qui ne l'ont pas vu, je vous le conseille,
00:28:07 c'est un film magnifique
00:28:09 et vraiment très, très...
00:28:11 qui met très en colère par ailleurs.
00:28:13 Il y a une question que je...
00:28:15 enfin il y a plein de questions que j'ai envie de te poser Gilles,
00:28:17 mais il y a un moment, il y a le regard
00:28:19 de François Ruffin, donc dans la scène
00:28:21 du milieu avec cette femme de ménage,
00:28:23 et on sent qu'il regarde ta caméra
00:28:25 et qu'il est un peu interrogatif
00:28:27 et il y en a peu des moments comme ça
00:28:29 dans le film, et je me suis posé
00:28:31 la question du coup de si c'était un moment
00:28:33 spontané, s'il ne l'avait pas du tout vu venir
00:28:35 et qu'on sent qu'il se demande si c'est filmé
00:28:37 ou pas filmé et qu'il te jette
00:28:39 en même temps un regard.
00:28:41 Ton film c'est un mix
00:28:43 entre des moments qui semblent
00:28:45 spontanés et des moments plus mis en scène
00:28:47 évidemment comme cette fin.
00:28:49 Comment tu gardes
00:28:51 une écriture commune entre
00:28:53 ces différents
00:28:55 moments documentaires ?
00:28:57 Là en l'occurrence, ce n'était pas prévu du tout.
00:28:59 L'arrivée de la femme de ménage, je crois qu'on le sent.
00:29:01 Normalement j'essaie de filmer à peu près
00:29:03 droit.
00:29:05 Et en fait là,
00:29:07 Jeannette arrive et
00:29:09 effectivement on sent
00:29:11 la force du moment
00:29:13 et François, en général on ne se parle pas
00:29:15 beaucoup parce qu'on se connait bien, on a l'habitude de travailler
00:29:17 ensemble, donc voilà ce regard interrogatif
00:29:19 c'est pourvu que ça tourne.
00:29:21 Vous avez tous vécu ça j'imagine.
00:29:23 Donc voilà, c'est ça.
00:29:25 Après, on a pour
00:29:27 principe en général, sur les deux films qu'on a fait ensemble,
00:29:29 on ne refait rien.
00:29:31 En tout cas entre nous deux, tout est toujours
00:29:33 spontané, c'est presque un dogme,
00:29:35 alors c'est peut-être con, mais en tout cas, entre nous deux on ne refait
00:29:37 rien. Après par contre, ça n'empêche pas d'utiliser des formes
00:29:39 de narration différentes, ça n'empêche pas de travailler
00:29:41 en amont sur l'écriture,
00:29:43 sur quelles séquences on va
00:29:45 mettre pour raconter cette histoire là, pour qu'on
00:29:47 garde le suspense et qu'on soit
00:29:49 embarqué dans ce
00:29:51 mystère, savoir si ce projet de loi
00:29:53 va aboutir ou pas et tout, mais
00:29:55 par contre on essaye dans les scènes de vie de ne
00:29:57 rien faire. Après c'est sûr que le film bascule
00:29:59 dans une fiction, puisque
00:30:01 on n'a encore
00:30:03 pas une assemblée nationale de femmes,
00:30:05 mais en tout cas ça ne nous empêche
00:30:07 pas d'utiliser ces formes là.
00:30:09 En tout cas pour nous ça racontait,
00:30:11 parce que c'est vrai que
00:30:13 on parle beaucoup,
00:30:15 en fait on n'a pas parlé du "nous" aujourd'hui,
00:30:17 il y a une espèce de notion abstraite,
00:30:19 le "nous" depuis ce matin,
00:30:21 le "nous", le "nous", moi j'ai encore pas vu trop ce que ça voulait dire,
00:30:23 et en tout cas j'ai pas vu
00:30:25 la société, et pour moi le "nous"
00:30:27 c'est la société, c'est comment on est organisé,
00:30:29 comment on vit ensemble, comment on est structuré,
00:30:31 comment on fait des lois pour qu'on vive ensemble,
00:30:33 comment on partage des richesses,
00:30:35 et là, de créer ce...
00:30:37 Moi le "nous" il est
00:30:39 politique, et donc
00:30:41 là le fait de
00:30:43 faire cette mise en scène, ça montre aussi
00:30:45 à quel point, quand on passe du
00:30:47 "je" au "nous" en ce qui concerne Jeannette,
00:30:49 on voit à quel point elle est terrorisée, elle ne veut pas se faire
00:30:51 voir au début, quand on le voit elle a peur, parce qu'elle est
00:30:53 toute seule, elle bosse toute seule dans
00:30:55 des sous-sols de l'Assemblée Nationale, etc.
00:30:57 Donc elle a l'impression de subir seule
00:30:59 sa situation sociale et sa domination,
00:31:01 et dès qu'on commence à l'écouter,
00:31:03 dès qu'on lui donne la parole, c'est elle
00:31:05 à la fin qui arrange la foule et qui dit
00:31:07 "tout ensemble, les femmes debout", et Jeannette aujourd'hui
00:31:09 elle est avec nous partout,
00:31:11 sur les mobilisations, c'est devenue une militante
00:31:13 de folie, quoi, et donc ça
00:31:15 montre la force du groupe,
00:31:17 la force de la politique, quand t'as envie de porter
00:31:19 des idées, quand tu crées du groupe,
00:31:21 c'est pour servir à quelque chose, et moi c'est vrai que
00:31:23 la manière dont on construit
00:31:25 nos films, alors c'est peut-être prétentieux ce que je dis,
00:31:27 mais on a envie que ça serve à quelque chose, en tout cas
00:31:29 politiquement, et que le groupe ce soit pas une
00:31:31 notion abstraite et que le jeu
00:31:33 soit pas là, que ce soit un égotripe ou un truc,
00:31:35 mais que ça soit
00:31:37 quelque chose qui montre que le jeu,
00:31:39 quand on le groupe, il devient fort, il devient puissant,
00:31:41 il est capable de changer les choses.
00:31:43 - Dans ce film-là, tu parles
00:31:45 de quel jeu ? Est-ce que tu parles
00:31:47 d'une conversation que t'as avec François Ruffin ?
00:31:49 Comment...
00:31:51 Le jeu du point de départ, c'est quoi ?
00:31:53 - En tout cas, c'est pas moi,
00:31:55 en général on me voit pas dans les films,
00:31:57 mais j'utilise pas le jeu...
00:31:59 Bon, c'est pas une critique,
00:32:01 mais en tout cas,
00:32:03 je travaille pas comme ça, le jeu c'est
00:32:05 la personne, comment de l'individu, on passe
00:32:07 au groupe et on passe aux politiques, et comment
00:32:09 quand on fait nos films,
00:32:11 comment par les émotions,
00:32:13 par tout le ressenti,
00:32:15 par les rires, par les pleurs,
00:32:17 par le vécu individuel,
00:32:19 on est capable de faire un miroir
00:32:21 avec le spectateur pour que
00:32:23 cet individu-là, par ses émotions,
00:32:25 on emmène le spectateur
00:32:27 vers la conscience de groupe,
00:32:29 et cette envie, toi tu dis que t'as été énervé, tant mieux,
00:32:31 on l'emmène pour avoir
00:32:33 envie de changer les choses et de démontrer
00:32:35 ses injustices. Mais en tout cas, ça passe par
00:32:37 le...
00:32:39 Vous trouverez jamais dans mes films
00:32:41 ou dans ceux que j'ai fait avec François, des tirades
00:32:43 politiciennes ou des phrases
00:32:45 politiques toutes faites, on passe toujours par
00:32:47 les hommes, les femmes,
00:32:49 et par leurs ressentis, par les sentiments,
00:32:51 et jamais par
00:32:53 quelque chose de didactique,
00:32:55 de pédagogique, de chiant, parce qu'il y a
00:32:57 des tracts pour ça.
00:32:59 - Donc ça veut dire que quand tu commences tes films,
00:33:01 ça paraît bête quand je le dis comme ça,
00:33:03 mais ça veut dire que tu ne sais pas du tout vers où tu vas.
00:33:05 C'est-à-dire que là, par exemple, t'as aucune idée,
00:33:07 le point de départ du film, tu ne sais pas du tout vers où
00:33:09 tu vas l'emmener. - Il y a quand même un point
00:33:11 de départ qui est assez attrayant, c'est que
00:33:13 le point de départ du film, c'est qu'on voulait
00:33:15 faire ce film avec François, même avant de faire le film
00:33:17 de "Jouer du soleil sur les gilets jaunes" qu'on a fait
00:33:19 deux ans auparavant, parce qu'avec François, on se connaît
00:33:21 depuis une quinzaine d'années, quand même, mais on n'est pas...
00:33:23 Et on part faire ce film sur les gilets jaunes,
00:33:25 mais le... qu'on a tourné en six jours,
00:33:28 mais le projet de départ, c'était quand même,
00:33:30 pendant son mandat, de faire un truc à l'intérieur de l'Assemblée nationale,
00:33:32 qui nous permettent de raconter l'Assemblée nationale,
00:33:34 mais surtout qui nous permettent d'aller dehors,
00:33:36 de montrer la réalité des gens dehors,
00:33:38 et de les ramener à l'intérieur, et de les ramener
00:33:40 dans la vie politique. Donc il y avait comme...
00:33:42 Et quand on lui confie une mission d'information parlementaire
00:33:44 avec ce personnage que vous avez vu là,
00:33:46 donc Bruno Bonnel, qui est quelqu'un
00:33:48 qui est assez bien placé dans l'appareil macroniste,
00:33:50 eh bien, forcément, tu as un point de départ intéressant,
00:33:54 parce que tu vas avoir du conflit, du rire,
00:33:56 il y a le gros, il y a le petit, il y a toi,
00:33:58 il y a un truc qui fait que ça va te faire un...
00:34:00 Potentiellement, ça peut te faire un film.
00:34:02 Et donc après, où on allait, il y a tout ce parcours
00:34:04 de la loi qui est assez mystérieux.
00:34:06 Et effectivement, avec ce personnage de Bruno Bonnel,
00:34:10 on a du jeu au début, dans l'extrême,
00:34:12 mais il ne faut pas...
00:34:14 C'est pour ça que le jeu, il est piégeux,
00:34:16 parce qu'il ne faut pas se faire avoir par...
00:34:18 par l'idée assez attrayante qu'on voit souvent dans des documentaires,
00:34:22 où effectivement, il y a cette prise de conscience individuelle
00:34:24 de ce personnage, qui, parce qu'il a vécu,
00:34:26 à titre personnel, ce drame,
00:34:28 avec son enfant handicapé, tout d'un coup,
00:34:30 se rend compte que, finalement,
00:34:32 ces femmes, elles ne sont pas super bien payées,
00:34:34 et qu'il faudrait quand même améliorer le statut,
00:34:36 et tout ça.
00:34:38 Je ne sais pas si c'est pour ça que vous aviez choisi ce film,
00:34:40 et que vous aviez parlé du jeu,
00:34:42 et qu'il y avait ce jeu de Bruno Bonnel,
00:34:44 mais en tout cas, il ne faut pas se faire avoir par ça.
00:34:46 Parce qu'en fait, le résultat des cours,
00:34:48 c'est que quand tu n'es pas structuré politiquement,
00:34:50 et quand tu appartiens à un groupe politique
00:34:52 qui n'est pas préoccupé par ces questions sociales,
00:34:55 eh bien, tu as beau essayer de faire quelque chose,
00:34:57 en gros, il ne va servir à rien.
00:34:59 Donc, ce n'est pas parce que tu as un jeu
00:35:01 qui est assez attractif, comme ça,
00:35:03 par ce personnage qui, tout d'un coup,
00:35:05 a envie de s'en occuper,
00:35:07 qu'au final, il va servir à grand-chose,
00:35:09 et que ça amène quelque chose, en tout cas,
00:35:11 pour le "nous".
00:35:13 - Il y a le jeu de Ruffin qui est co-réalisateur du film.
00:35:15 - Oui, par ses engagements, et tout ça.
00:35:17 - Toi, Jean-Pierre,
00:35:19 j'imagine que ça te parle,
00:35:21 c'est un peu ce que tu dis,
00:35:23 j'imagine que ça te parle,
00:35:25 cette idée du "nous" collectif,
00:35:27 du "nous" qui fait bouger quelque chose.
00:35:29 - Oui, bien sûr.
00:35:31 Je suis un peu comme Gilles,
00:35:33 tous mes premiers films,
00:35:35 depuis 68,
00:35:37 appellent à créer un "nous"
00:35:39 qui renversera
00:35:41 la société bourgeoise
00:35:43 de l'exploitation.
00:35:45 J'ai filmé à flingue
00:35:47 les ouvriers de 68,
00:35:49 j'ai eu cette idée,
00:35:51 j'ai eu cette chance-là,
00:35:53 et ça a un peu
00:35:55 totalement modifié ma vie,
00:35:57 c'est qu'après, je considérais
00:35:59 que je trichais
00:36:01 en ne vivant pas le "nous"
00:36:03 avec les ouvriers.
00:36:05 Donc je me suis embauché
00:36:07 à une usine, à l'Alstom, à Saint-Ouen,
00:36:09 où il y a eu
00:36:11 à un moment donné
00:36:13 des grèves énormes,
00:36:15 et c'est les copains qui sont venus chez moi,
00:36:17 qui m'ont dit "Jean-Pierre,
00:36:19 il faut que tu filmes",
00:36:21 et je me suis dit qu'ils ont raison,
00:36:23 et donc j'ai filmé.
00:36:25 J'ai filmé, moi, ce que j'avais envie
00:36:27 de filmer, les contradictions
00:36:29 d'une lutte,
00:36:31 les gens que je trouvais beaux,
00:36:33 parce que c'est aussi un élément
00:36:35 important, et donc
00:36:37 c'était un jeu,
00:36:39 mais un jeu au service du "nous", je dirais.
00:36:41 Et...
00:36:43 En fait,
00:36:45 j'ai eu plein de problèmes.
00:36:47 J'ai eu un pétrage que j'ai mis 5 ans
00:36:49 à faire, qui s'intitule
00:36:51 "Jeter dans la peau",
00:36:53 et qui raconte... Alors là, c'est de la fiction,
00:36:55 mais j'ai fait jouer mes copines
00:36:57 ouvrières, et les copines
00:36:59 des commissions féminines.
00:37:01 Et l'héroïne
00:37:03 dont je raconte la vie
00:37:05 s'est fait éliminer par les
00:37:07 hommes de ses responsabilités,
00:37:09 et elle s'est suicidée.
00:37:11 Donc cette histoire a fait
00:37:13 énormément de bruit dans le mouvement
00:37:15 syndical, et elle est
00:37:17 aujourd'hui totalement oubliée.
00:37:19 Je tiens
00:37:21 toujours à le rappeler.
00:37:23 Et donc, je ne savais plus
00:37:25 trop où aller, et là, j'ai découvert
00:37:27 la culture hip-hop. Et je dis
00:37:29 la culture hip-hop, parce que
00:37:31 pour moi, c'est celle des enfants,
00:37:33 de ceux avec qui j'étais
00:37:35 à l'usine, c'est-à-dire
00:37:37 dans une inventivité,
00:37:39 dans une simplicité,
00:37:41 dans la peur de rien,
00:37:43 on va piquer
00:37:45 un truc chez les Américains,
00:37:47 nous, on va faire autre chose.
00:37:49 Mais,
00:37:51 tout le monde me disait,
00:37:53 donc j'ai fait plusieurs films,
00:37:55 que vous connaissez, "Faire kiffer les anges",
00:37:57 "On n'est pas des marques de vélo",
00:37:59 qui ont énormément tourné, parce que
00:38:01 tous ces films, en fait, grâce
00:38:03 au CNC, j'ai tiré des copies
00:38:05 de 35, et avec
00:38:07 plein d'associations,
00:38:09 on allait dans les banlieues, présenter,
00:38:11 dans le cadre d'un été
00:38:13 au ciné, et ça a été
00:38:15 des moments où j'ai vu mes copains
00:38:17 que j'avais filmés, prendre
00:38:19 conscience que
00:38:21 leur parole était importante.
00:38:23 Mais, bon,
00:38:25 après, "93, la belle rebelle",
00:38:27 "Allez, yallah", mais...
00:38:29 - Tu nous fais toute ta filmographie, là, Jo, d'accord.
00:38:31 - Oui, parce que... - Attends, parce que...
00:38:33 - Oui, d'accord. - On a plein de questions, quand même, encore.
00:38:35 - Parce que
00:38:37 mes copains, les gens
00:38:39 dont je suis proche, me disaient
00:38:41 "Mais toi, t'es où, là-dedans ?"
00:38:43 Et il m'a fallu
00:38:45 50 ans pour arriver à me dire
00:38:47 "Effectivement, je suis où."
00:38:49 Et du coup,
00:38:51 j'ai fait ce film où
00:38:53 aujourd'hui, qu'est-ce qu'il reste
00:38:55 de tous ces combats ?
00:38:57 De cette
00:38:59 rage, la rabia, comme disait
00:39:01 Pasolini, qu'est-ce qu'on
00:39:03 a fait de cette rage ? Est-ce qu'elle continue
00:39:05 à nous irriguer, ou
00:39:07 est-ce qu'on l'a oubliée ? Parce que j'ai
00:39:09 vraiment le sentiment que
00:39:11 toutes les luttes ouvrières sont oubliées,
00:39:13 étouffées. Enfin, peut-être que j'exagère,
00:39:15 mais c'est le sentiment qu'un
00:39:17 rouleau compresseur passe dessus.
00:39:19 Et il se trouve que
00:39:21 j'avais aussi une histoire
00:39:23 intime que j'ai cachée
00:39:25 pendant 50 ans, c'est quand même énorme,
00:39:27 de la mort
00:39:29 de ma copine, avec qui on a vécu
00:39:31 3 ans, et je me suis
00:39:33 dit
00:39:35 que je ne veux pas perdre la mémoire de cette femme
00:39:37 qui m'a construit, comme je
00:39:39 ne veux pas perdre la mémoire du mouvement
00:39:41 ouvrier. Et d'un seul coup,
00:39:43 quelque chose s'est
00:39:45 noué dans ma tête,
00:39:47 qu'en parlant d'elle, je parlais
00:39:49 de la Révolution, et inversement.
00:39:51 Et du coup, j'ai fait un film
00:39:53 où il y a deux films dans le
00:39:55 même film, qui sont en miroir,
00:39:57 soit avec elle, soit
00:39:59 avec les gens que je retrouve.
00:40:01 Et c'est la raison pour laquelle j'ai eu
00:40:03 tellement de mal à le faire,
00:40:05 parce qu'on me disait,
00:40:07 "Ah ben, Ossie-Hannessé, quand je suis passé à l'Avance,
00:40:09 en plus j'ai travaillé avec un scénariste
00:40:11 formidable, qui est Pierre Chausson,
00:40:13 on me disait,
00:40:15 "Ah, mais faites un choix, il y a deux films."
00:40:17 Mais j'ai dit, "Mais c'est mon sujet,
00:40:19 de voir le lien
00:40:21 qui est entre l'intime et le collectif."
00:40:23 Et donc,
00:40:25 deux fois de suite, j'ai été
00:40:27 sélectionné, donc il a fallu 6 ans
00:40:29 pour faire ce film. Je le dis
00:40:31 parce que c'est terriblement
00:40:33 difficile de
00:40:35 rester avec le désir
00:40:37 jusqu'au bout de
00:40:39 filmer.
00:40:41 - Ça c'est une vraie question de...
00:40:43 C'est une vraie question de...
00:40:45 Ça c'est vrai.
00:40:47 Quand on fait du documentaire, c'est vrai que c'est si long,
00:40:49 c'est si long quand même pour la plupart
00:40:51 des documentaires. Je vous propose qu'on regarde
00:40:53 un extrait du film de Jean-Pierre,
00:40:55 "Lacres parfums des immortels".
00:40:57 [Musique]
00:40:59 J'avance à travers les pins
00:41:01 d'une forêt d'élande,
00:41:03 et ce sont les premiers pas de ce film.
00:41:05 Derrière moi,
00:41:07 il y a des années de combat et d'illusion,
00:41:09 des années de rencontre
00:41:11 et de séparation.
00:41:13 Et il y a toi,
00:41:15 que j'avais ensevelie dans ma mémoire,
00:41:17 et que je cherche aujourd'hui
00:41:19 à retrouver, à travers toutes ces années
00:41:21 de rêve en marche.
00:41:23 Je me suis fait un peu de l'amour,
00:41:25 à travers toutes ces années de rêve en marche.
00:41:27 [Musique]
00:41:29 Vendredi matin,
00:41:31 avant de rentrer à Paris,
00:41:33 tu m'as dit que tu ne croyais pas à l'amour.
00:41:35 Qu'est-ce que ça veut dire?
00:41:37 L'amour,
00:41:39 ce n'est pas une chose comme Dieu
00:41:41 à qui on donne sa foi sans trop savoir pourquoi,
00:41:43 parce que les autres le font
00:41:45 et qu'ils ont l'air heureux.
00:41:47 L'amour est décision et force.
00:41:49 [Musique]
00:41:51 [Bruits de la télévision]
00:41:53 [Musique]
00:41:55 En écrivant cette lettre aujourd'hui
00:41:57 et en redécouvrant les tiennes,
00:41:59 je m'interroge.
00:42:01 Que reste-t-il de nos amours?
00:42:03 [Musique]
00:42:05 Que sont devenus nos rêves,
00:42:07 notre colère,
00:42:09 notre âge de changer ce monde?
00:42:11 Je cherche.
00:42:13 Je te cherche.
00:42:15 [Musique]
00:42:17 [Bruits de la télévision]
00:42:19 [Musique]
00:42:21 [Musique]
00:42:23 [Musique]
00:42:25 J'espère, moi j'espère que
00:42:27 ça pète un jour.
00:42:29 Sinon,
00:42:31 quand je m'explique, je dis que je donnerai
00:42:33 pas le premier coup de fusil mais le deuxième.
00:42:35 On est la génération grillée.
00:42:37 On est la génération qui s'est le plus rebellée
00:42:39 et qui a été le plus grillée.
00:42:41 [Musique]
00:42:43 [Musique]
00:42:45 [Musique]
00:42:47 [Musique]
00:42:49 Mon cadeau d'anniversaire.
00:42:51 Tu m'écris que tu as oublié mon visage,
00:42:53 mon corps, que tu les cherches
00:42:55 et que tu ne les trouves plus.
00:42:57 Mais je voudrais te dire,
00:42:59 ne me cherche pas.
00:43:01 Laisse-moi dans l'oubli.
00:43:03 Même si c'est douloureux.
00:43:05 Même si c'est douloureux.
00:43:07 Tu risquerais de me recréer
00:43:09 différente de ma réalité.
00:43:11 Je ne veux pas que quelque chose soit faux
00:43:13 dans notre amour.
00:43:15 Ne m'invente pas.
00:43:17 Ne m'invente pas.
00:43:19 [Musique]
00:43:21 A bientôt, monsieur Bagnes.
00:43:23 Monsieur Désir.
00:43:25 [Musique]
00:43:27 [Musique]
00:43:29 [Musique]
00:43:31 - Vous m'avez dit, avant qu'on voit l'extrait,
00:43:33 j'aimerais bien que vous puissiez
00:43:35 tous les trois
00:43:37 réagir. Il y a cette idée
00:43:39 que quand on fait un film
00:43:41 et que ça dure par exemple
00:43:43 six ans, mais que ça peut durer même plus
00:43:45 longtemps encore que six ans,
00:43:47 il y a l'idée parfois que le "je"
00:43:49 peut être une douleur, que c'est pas
00:43:51 simple de
00:43:53 mêler l'intime
00:43:55 et quelque chose
00:43:57 de plus global.
00:43:59 Et tu as prononcé aussi ce mot
00:44:01 "mentir", de ne pas vouloir
00:44:03 se mentir à soi. Et qu'est-ce qu'on fait
00:44:05 quand on est documentariste pour
00:44:07 trouver sa place ?
00:44:09 On en a parlé tout à l'heure avec Alice.
00:44:11 Il y a cette idée fondamentale,
00:44:13 je crois. Je ne sais pas si Nina,
00:44:15 je trouve que dans ce que vous
00:44:17 partagez beaucoup,
00:44:19 est-ce que, j'imagine
00:44:21 que tout ça, ça te parle beaucoup ?
00:44:23 - Oui, ça me parle à plein d'endroits.
00:44:25 Il y a, je dirais, deux choses
00:44:27 là. La première, c'est
00:44:29 que la souffrance du jeu
00:44:31 sur la durée, elle est quand même très
00:44:33 liée aux conditions matérielles de création
00:44:35 et que ce jeu ne serait pas
00:44:37 un fardeau
00:44:39 si en fait il y avait des réponses
00:44:41 des fois plus rapides ou plus soutenantes,
00:44:43 notamment quand il y a des enjeux aussi
00:44:45 forts que je pense documenter des luttes
00:44:47 en train de se faire, des gens sur le terrain,
00:44:49 des mouvements d'émancipation qui sont
00:44:51 hyper inventifs,
00:44:53 créatifs, historiquement importants,
00:44:55 parce que c'est notre histoire sociale en fait. Et je pense que
00:44:57 là, moi là où je retrouve, quand je regardais
00:44:59 ton film, c'est
00:45:01 ce côté,
00:45:03 le côté brûlant des choses en train de se faire,
00:45:05 le fait d'être sur le terrain et aussi
00:45:07 d'être sans moyens dans ces endroits-là.
00:45:09 Parce que moi je trouve qu'il y a une puissance cinématographique
00:45:11 très forte que je retrouve aussi dans les films de
00:45:13 Carole Rousseau-Poulos, de voir ces caméras
00:45:15 portées, ces micros qui parfois crépitent,
00:45:17 l'image où on voit
00:45:20 qu'il n'y a pas forcément d'équipe ou pas d'équipe
00:45:22 tout le temps, parce que c'est ça le jeu aussi,
00:45:24 c'est d'être seule avec sa caméra et son propos
00:45:26 à porter, et son propos et ses convictions
00:45:28 en plus qui sont dans un mouvement d'émancipation
00:45:30 et dans un mouvement
00:45:32 justement de lutte contre ces structures
00:45:34 qui nous appauvrissent. Et là, je pense
00:45:36 qu'il y a toute une histoire qui moi me touche
00:45:38 beaucoup souvent dans tout ce qui est
00:45:40 le cinéma social,
00:45:42 enfin je ne sais même pas
00:45:44 comment le décrire, c'est le cinéma dans lequel
00:45:46 je m'inscris qui est
00:45:48 très puissant.
00:45:50 Après je me disais aussi, il y a un truc
00:45:52 de terrible, quand on vient de faire 10 ans
00:45:54 à faire un film comme le mien, c'est que
00:45:56 forcément quand on part de questions
00:45:58 sur la sexualité, on finit par
00:46:00 découvrir que l'hétérosexualité
00:46:02 est un système politique d'oppression
00:46:04 et donc des lettres d'amour
00:46:06 ne deviennent plus du tout des lettres d'amour
00:46:08 et alors ça c'est terrible, je me regardais, je me disais
00:46:10 c'est fou parce que je pense qu'il y a des mots
00:46:12 que j'aurais pu ou que j'ai même pu dire
00:46:14 ou penser dans mon adolescence
00:46:16 des mots d'amour et qui en fait sont la
00:46:18 marque du départ, du moment
00:46:20 où on se désapproprie de soi-même pour se donner
00:46:22 à l'autre et se mettre au service d'eux
00:46:24 et je crois que ça c'est quelque chose aussi de très fort
00:46:26 dans les parcours, notamment des femmes
00:46:28 documentaristes qui est très
00:46:30 différenciée des parcours ou différenciée
00:46:32 du parcours je pense aussi d'hommes
00:46:34 documentaristes
00:46:36 c'est que le jeu il est aussi très seul
00:46:38 parce que souvent ça se fait contre notre entourage
00:46:40 alors que je vois beaucoup
00:46:42 de réalisateurs malgré tout qui vont
00:46:44 finalement avoir un entourage soutenant
00:46:46 et je dis un truc tout bête c'est que moi en festival je suis tout le temps
00:46:48 seule toute quoi, je suis là
00:46:50 salut, donc en fait et toutes les meufs que je vois
00:46:52 on est toutes seules et on est là comme ça
00:46:54 et les gars ils sont avec la famille, les compagnes
00:46:56 il y a souvent hein, et je suis là mais ça c'est
00:46:58 fou parce que ça veut dire quoi en fait
00:47:00 et ça veut dire ce truc que toi quand tu construis
00:47:02 une forme de carrière
00:47:04 tu t'isoles
00:47:06 parce que c'est pas le métier
00:47:08 que tu es censé faire
00:47:10 malgré tout, malgré ce qu'on dit
00:47:12 donc ça c'est une observation
00:47:14 - Marie j'imagine que ça te parle
00:47:16 parce que même je trouve que quand on regarde
00:47:18 ton film, alors tu dis
00:47:20 que les gens autour de toi n'ont pas souhaité
00:47:22 être filmés, on le voit dans le
00:47:24 démarrage de ton film, mais il y a cette
00:47:26 idée que ton jeu à toi
00:47:28 alors évidemment il est douloureux dans ton corps
00:47:30 mais il est aussi seul je trouve
00:47:32 - Tu vois
00:47:34 ça nous ramène de nouveau à cette question
00:47:36 de effectivement comment on met en scène
00:47:38 de l'intime pour que ce soit
00:47:40 partageable. J'avais
00:47:42 des scènes qui étaient filmées avec des visites
00:47:44 d'amis ou de la famille dans ma chambre d'hôpital
00:47:46 etc. Je les ai montées à un moment
00:47:48 donné, mais à un moment donné je regardais
00:47:50 ça je me disais "ben on dirait un mauvais film de famille quoi"
00:47:52 Mais non, et du coup ça n'est
00:47:54 plus du tout si tu veux
00:47:56 un documentaire qui aurait cette dimension
00:47:58 de pouvoir tout à coup
00:48:00 entraîner des spectateurs
00:48:02 à vivre une expérience, parce que qu'est-ce qui se passe
00:48:04 en fait, moi ce que je fais c'est que par les
00:48:06 choix de réalisation, de
00:48:08 construction que je fais, je colle le spectateur
00:48:10 dans mon dos et je lui dis
00:48:12 "ben non, hop, avec moi, tu vas
00:48:14 vivre ça" et de toute façon
00:48:16 on va tous vers notre mort, tous ici
00:48:18 on est d'accord
00:48:20 - Une belle ambiance - Ben oui c'est une question
00:48:22 et face à la mort on est tout seul de toute façon
00:48:24 et donc j'ai pensé que
00:48:26 en fait, incarner ça
00:48:28 dans le film c'était la meilleure manière en fait de créer
00:48:30 l'identification et de rendre le film
00:48:32 accessible à tout le monde, donc c'est vraiment
00:48:34 des choix de dramaturgie tu vois, à un moment donné
00:48:36 je regarde ma matière, je me dis "ben il y a plein de trucs
00:48:38 que je dois enlever parce que
00:48:40 ça ramène à du trop personnel, qu'est-ce qui
00:48:42 est partageable ?" Alors
00:48:44 plein de fois, l'égo en fait
00:48:46 c'est un terrible écran, parce qu'il me fait croire que tout de moi
00:48:48 est intéressant, ben ouais
00:48:50 Et donc comment je fais
00:48:52 pour me réduire moi à ma
00:48:54 plus singulière essence et pour toucher
00:48:56 à quelque chose de tellement
00:48:58 dépouillé et partageable et de pas du tout narcissique
00:49:00 qui fait qu'en fait je me transcende pour
00:49:02 devenir un personnage de film
00:49:04 pour moi c'était tout l'enjeu, donc je parle
00:49:06 de choses un peu techniques mais
00:49:08 - Oui mais pour le rendre partageable, toi tu as
00:49:10 donc - Donc j'enlève, je dépouille
00:49:12 - Tu dépouilles, et il y a
00:49:14 aussi ces conversations que tu as, souvent dans des
00:49:16 voitures d'ailleurs, mais pas que, dans des
00:49:18 appartements aussi, mais dans mouvement
00:49:20 en fait, à plusieurs reprises
00:49:22 avec la personne qui te filme
00:49:24 et donc avec nous, puisque
00:49:26 on est juste derrière la caméra
00:49:28 en train de
00:49:30 d'être dans la conversation
00:49:32 avec toi, et ça c'est quelque chose évidemment
00:49:34 qui se retrouve dans vos quatre films
00:49:36 être en conversation c'est
00:49:38 pour passer du jeu au
00:49:40 nous, évidemment
00:49:42 évidemment une technique
00:49:44 Nina, toi
00:49:46 dans ton film, t'es très régulièrement
00:49:48 en conversation avec
00:49:50 une de tes meilleures amies, ou ta meilleure amie, enfin on s'en fiche
00:49:52 mais qui apparaît à de
00:49:54 très nombreuses reprises, et vous êtes dans cette conversation
00:49:56 filmée, à vous poser
00:49:58 des questions sur
00:50:00 presque sur le film d'ailleurs
00:50:02 sur ce que vous êtes en train de vivre, mais sur le film
00:50:04 aussi, Gilles bien sûr tu filmes
00:50:06 deux protagonistes, deux parlementaires
00:50:08 qui sont en train de discuter entre eux, et
00:50:10 eux en conversation avec les autres, et
00:50:12 Jean-Pierre
00:50:14 c'est une conversation avec d'anciens
00:50:16 personnages de tes
00:50:18 documentaires, et une conversation avec
00:50:20 cette femme que tu as aimée et dont
00:50:22 on retrouve les lettres
00:50:24 est-ce que c'est un moyen
00:50:26 on ne peut pas passer outre
00:50:28 en fait la conversation pour
00:50:30 passer du jeu au nous, Jean-Pierre
00:50:32 enfin
00:50:34 j'ai écrit le film parce que
00:50:38 il me restait 120 lettres
00:50:40 qu'on s'est écrit pendant nos trois
00:50:42 années de vie commune
00:50:44 et je voulais
00:50:46 lui rendre hommage
00:50:48 à cette femme qui m'a
00:50:50 construit, donc
00:50:52 notre travail a été
00:50:54 avec Pierre Chausson de
00:50:56 délaguer, de couper
00:50:58 voilà
00:51:00 il ne restait que
00:51:02 ça, et
00:51:04 le truc le plus
00:51:06 difficile pour moi en fait ça paraît
00:51:08 étonnant, c'est la voix
00:51:10 c'est à dire je ne l'avais pas enregistré
00:51:12 et donc j'ai dû
00:51:14 inventer sa voix, j'ai vu plein de
00:51:16 comédiennes et ça me semblait
00:51:18 enfin c'est compliqué de
00:51:20 créer la voix de la
00:51:22 femme que tu as aimée, qui est toujours
00:51:24 vivante en toi, et
00:51:26 donc j'ai fait
00:51:28 d'un seul coup le choix
00:51:30 d'une chanteuse
00:51:32 en fait, qui s'appelle Mélissa Laveau
00:51:34 qui est une grande
00:51:36 dame de
00:51:38 la culture
00:51:40 afro-haïtienne
00:51:42 hip-hop
00:51:44 et très engagée dans le
00:51:46 féminisme, et
00:51:48 on a pu tous les deux
00:51:50 au début on lit
00:51:52 les lettres d'amour qui ont
00:51:54 été écrites par
00:51:56 Pichette, son grand poète
00:51:58 qui a été
00:52:00 lu jadis en 47
00:52:02 par Gérard Philippe
00:52:04 et par Maria Cazares
00:52:06 et donc
00:52:08 Joël m'avait envoyé
00:52:10 ce poème, sa première lettre
00:52:12 d'amour, et j'ai construit le film
00:52:14 sur ce poème.
00:52:16 Après, bon
00:52:18 comment dire
00:52:20 c'est compliqué
00:52:22 par exemple, j'avais
00:52:24 des photos que j'aurais jamais
00:52:26 osé montrer
00:52:28 à qui que ce soit, même pas
00:52:30 à mes proches aujourd'hui
00:52:32 ça ne regardait que moi,
00:52:34 elle n'est plus là, et c'est
00:52:36 ma monteuse
00:52:38 qui est vraiment une fille géniale, qui s'appelle
00:52:40 Emma Augier, qui
00:52:42 m'a dit "mais Jean-Pierre"
00:52:44 parce qu'à l'origine je pensais
00:52:46 découvrir ces photos que dans la séquence finale
00:52:48 et Emma
00:52:50 m'a dit "elles sont très belles tes photos
00:52:52 elles sont pudiques, faut pas
00:52:54 te le refuser" et en gros
00:52:56 elle m'a foutu dehors de la salle de montage
00:52:58 pour les monter
00:53:00 et me dire "regarde"
00:53:02 et là j'ai accepté
00:53:04 mais des fois quand je passe
00:53:06 le film, je me fais attaquer par
00:53:08 des féministes, ça m'est arrivé
00:53:10 si si
00:53:12 non non, en me disant "vous n'avez pas
00:53:14 le droit de montrer la nudité
00:53:16 de la
00:53:18 femme que vous avez aimée"
00:53:20 je comprends
00:53:22 mais moi j'avais le
00:53:24 sentiment que plus
00:53:26 j'étais intime, plus
00:53:28 j'allais loin dans ma relation
00:53:30 avec elle, y compris
00:53:32 sur moi, à un moment donné
00:53:34 qui arrête de filmer en plein coeur
00:53:36 de l'action en 68, qui a que des images
00:53:38 noires dans le film
00:53:40 il fallait que j'ai cette
00:53:42 sincérité là pour que le film marche
00:53:44 et même encore
00:53:46 des copines que j'aime beaucoup
00:53:48 à Toulouse
00:53:50 à la Cinémathèque de Toulouse me disent
00:53:52 mais il fallait faire
00:53:54 jouer par un comédien
00:53:56 ta voix à toi
00:53:58 et moi j'ai dit "non
00:54:00 ça peut être que moi"
00:54:02 et voilà
00:54:04 donc c'est compliqué
00:54:06 mais j'avais le sentiment que
00:54:08 plus j'étais dans l'intimité
00:54:10 plus le film
00:54:12 sera universel
00:54:14 - La place du jeu dans la voix
00:54:16 évidemment, hyper
00:54:18 intéressante. Gilles, je trouve que
00:54:20 dans cette question de la conversation
00:54:22 tu réussis un petit tour de force
00:54:24 c'est à dire qu'il y a quand même
00:54:26 plusieurs séquences dans ton film qui sont tournées
00:54:28 donc c'est des tables très moches
00:54:30 dans des salles
00:54:32 très moches et
00:54:34 souvent je trouve que quand on pense un film
00:54:36 au démarrage, pour avoir
00:54:38 travaillé en chaîne, on se dit
00:54:40 à quoi le film
00:54:42 peut ressembler, c'est une question qu'on peut se poser
00:54:44 au tout démarrage et là
00:54:46 c'est censé être moche
00:54:48 et c'est beau quand même parce que
00:54:50 dans la conversation
00:54:52 leurs propos sont si forts
00:54:54 que je trouve qu'on oublie complètement ce qu'il y a derrière
00:54:56 elle.
00:54:58 - Je ne fais pas que des films moches
00:55:00 - Non pas du tout, ces extraits là
00:55:02 - Non mais je...
00:55:04 Non mais c'est parce que le centre d'intérêt
00:55:06 c'est quand même les gens qu'on filme
00:55:08 et moi je les aime bien ces gens, en général je filme que des gens
00:55:10 que j'aime bien sauf quelques ennemis
00:55:12 de temps en temps qui se glissent dans mes films
00:55:14 mais enfin globalement
00:55:16 et donc moi j'ai envie de les rendre belles
00:55:18 de bout les femmes
00:55:20 ou bout
00:55:22 et ça se ressent et effectivement peut-être
00:55:24 qu'on oublie le cadre, après on travaille quand même
00:55:26 aussi en étalonnage et tout ça pour
00:55:28 ramener ça comme il faut mais
00:55:30 je crois qu'elles rayonnent tellement et
00:55:32 le fait que, la fierté que ça donne d'être écoutée
00:55:34 par ces femmes
00:55:36 qui ne sont jamais écoutées, tous ces gens
00:55:38 qui sont oppressés
00:55:40 ou en tout cas à qui on ne donne jamais la parole
00:55:42 et tout d'un coup quand elles voient
00:55:44 qu'elles ont quelqu'un qui est en face d'elles
00:55:46 que ce soit François ou moi qui sont à l'écoute
00:55:48 et qui sont plutôt bienveillants
00:55:50 et qui sont surtout pas dominants
00:55:52 en faisant une analyse un petit peu
00:55:54 comme de temps en temps on peut voir que nous on ne va pas
00:55:56 mettre les mains dans le cambouis mais on va
00:55:58 donner un regard sur ça, on est plutôt
00:56:00 à leur échelle et du coup ça donne
00:56:02 de la beauté, de la sincérité
00:56:04 et de la force aussi dans les témoignages donc je pense que
00:56:06 ça amenuise un peu le côté moche des tables
00:56:08 de réunion. - Non mais, en fait
00:56:10 c'était un compliment mais ça a été
00:56:12 assez mal amené, c'est vrai qu'il faut que je
00:56:14 bosse la manière de faire
00:56:16 des compliments. Non mais il y a
00:56:18 l'idée de, non mais il y avait l'idée
00:56:20 je trouve dans ce que
00:56:22 disait Jean-Pierre tout à l'heure, je reviens sur cette idée
00:56:24 de ne pas mentir et je trouve
00:56:26 que dans tes films c'est quelque chose de très fort, c'est-à-dire
00:56:28 de toi ton point de vue documentariste
00:56:30 alors c'est pas forcément
00:56:32 de descendre
00:56:34 dans l'arène et d'être syndicaliste dans une usine
00:56:36 mais il y a quand même cette idée là
00:56:38 dans tes films. - Ouais après
00:56:40 pour mettre les mains dans l'arène moi je
00:56:42 pense qu'on a un devoir en tant que
00:56:44 documentariste, c'est pas le tout d'aller filmer des gens
00:56:46 c'est qu'il faut mettre les mains dans le cambouis, il faut mettre les mains
00:56:48 dans le cambouis, tu vois je veux dire
00:56:50 l'absence du monde de la culture
00:56:52 du monde du cinéma dans le
00:56:54 mouvement social aujourd'hui, il y a quand même
00:56:56 des occasions qui étaient belles pour se chopper les
00:56:58 ministres, des trucs comme ça, il n'y en a pas un qui l'ouvre parce que
00:57:00 tout le monde flippe, ou tout le monde s'en fout, j'en sais rien
00:57:02 c'est quand même assez dramatique
00:57:04 donc moi j'estime qu'on a, on
00:57:06 filme des gens et bien il faut aussi qu'on soit à leur côté
00:57:08 quand ils ont besoin de nous et que s'il faut mettre les mains dans
00:57:10 le cambouis et puis aller, ben on y va quoi
00:57:12 moi je suis quand même
00:57:14 assez parano de profession, je suis quand même
00:57:16 putain des fois on se sent quand même
00:57:18 bien seul en ce moment quoi alors
00:57:20 peut-être pas vous dans la salle hein mais en tout
00:57:22 cas globalement ceux qui ont
00:57:24 accès à la parole, qui ont accès aux médias
00:57:26 qui ont accès, qui ont des ministres en face
00:57:28 par des certaines occasions, qui ferment leur
00:57:30 gueule dans des situations comme ça
00:57:32 c'est quand même flippant sur ce que
00:57:34 quel est notre rôle dans la société, on est quand même là
00:57:36 mais ça me fait, excuse moi je réponds
00:57:38 pas tout à fait à ta question mais
00:57:40 ça me fait penser à un truc, c'est on est
00:57:42 enfin je sais pas, documentaristes, on nous dit
00:57:44 vous êtes un peu le cinéma du réel donc vous devez
00:57:46 montrer le réel et tout comme ça
00:57:48 je sors de deux
00:57:50 de deux expériences assez malheureuses
00:57:52 bon déjà d'habitude moi
00:57:54 c'est assez exceptionnel, on m'invite jamais dans ce genre
00:57:56 de colloque, de trucs, bon c'est
00:57:58 voilà je suis venu de Maroc-Savoie donc
00:58:00 mais il se trouve que là en l'espace de
00:58:02 trois mois on m'a invité, j'ai jamais été invité à un jury
00:58:04 documentaire, jamais été invité mais là
00:58:06 en l'espace de deux mois j'étais au festival de Luchon
00:58:08 et on m'a demandé aussi de participer à la sélection
00:58:10 des courts-métrages des Césars
00:58:12 comme on avait été nominé l'année dernière
00:58:14 bon ben l'expérience
00:58:16 est dramatique dans
00:58:18 qu'est-ce qu'on donne à voir aux gens quoi
00:58:20 c'est à dire que, courts-métrages,
00:58:22 documentaires, il y avait des gens de la Scam, il y avait toute une
00:58:24 des gens de un peu
00:58:26 enfin là la communauté là qui était autour
00:58:28 d'une table et tout comme ça, on a 24
00:58:30 films à voir, pas un film qui pose
00:58:32 la question, sur le monde du travail, pas un film
00:58:34 qui pose la question de l'organisation de la société
00:58:36 pas un film qui pose la question
00:58:38 du partage des richesses, du truc, je dis pas
00:58:40 qu'il faut faire que ça, sur 24 films, pas un
00:58:42 par contre, moi, mon psy
00:58:44 mes histoires parisiennes
00:58:46 mes problématiques sociétales, mon grand-père
00:58:48 ma grand-mère, mon truc, alors ça
00:58:50 alors avec des gens
00:58:52 qui se congratulaient autour de cette table en disant
00:58:54 oui mais enfin il y a quand même un geste cinématographique
00:58:56 qui est intéressant et tout
00:58:58 ouais ben oui il y a un geste cinématographique, mais il y a quoi derrière
00:59:00 et donc en fait je crois que malheureusement
00:59:02 c'est... - On a besoin des deux
00:59:04 - C'est ce que je te dis
00:59:06 il faut pas que ça, mais sur 24 films
00:59:08 merde quoi, toi, après
00:59:10 deuxième expérience un mois plus tard, Luchon
00:59:12 29 films, paf, rebelote, pas un film
00:59:14 sur le monde du travail, pas un truc, une sur-représentation
00:59:16 évidemment des CSP+
00:59:18 y compris sur des thèmes de société
00:59:20 où tu te retrouves toujours dans des beaux appart'
00:59:22 même quand on te parle d'enfant, c'est quand même des enfants
00:59:24 bien installés, même quand on te parle d'enfant handicapé
00:59:26 quand tu vois, quand tu vas dans les familles
00:59:28 tu vois où t'es, mais donc une
00:59:30 invisibilité de 80%
00:59:32 de la société, qui est quand même dramatique
00:59:34 et je parle de documentaire, on est censé
00:59:36 quand même documenter la société
00:59:38 être la vision du réel
00:59:40 et tout ça, donc...
00:59:42 - Ah tu vois
00:59:44 Donc invitez-le dans
00:59:48 les jurys de festivals
00:59:50 - Je suis très bien au savoir, tout va bien, c'est pas la question
00:59:52 mais en tout cas, et c'est vrai que
00:59:54 j'ai la chance, moi je travaille plus pour la télévision
00:59:56 ça fait 10 ans que, en gros
00:59:58 la télé veut plus trop de moi, mais moi ça va bien
01:00:00 je suis très heureux au cinéma et tout ça
01:00:02 mais ces expériences où à Luchon
01:00:04 je reviens pour regarder ce qui est produit en documentaire
01:00:06 j'ai vu le glissement
01:00:08 par rapport au...
01:00:10 sur le formatage et sur le jeu
01:00:12 justement, la présence du jeu
01:00:14 et je peux pas imaginer que
01:00:16 cette façon de faire où
01:00:18 on doit prendre la main et dire "je prends ma caméra
01:00:20 je vais rencontrer un thé" et tout comme ça
01:00:22 ça soit pas impulsé quand même à la fois
01:00:24 par les diffuseurs, à la fois pour les producteurs
01:00:26 et du coup j'ai peur que
01:00:28 les réalisatrices et réalisateurs
01:00:30 se conforment dès l'écriture
01:00:32 à ce qu'on attend d'eux
01:00:34 et je crois qu'on rentre dans ce truc là
01:00:36 et la question du groupe, la question de la politique
01:00:38 alors là, moi, tu vois, en plus j'ai fait un film sur Mélenchon
01:00:40 donc tu vois, t'as le boulet
01:00:42 donc en fait
01:00:44 la question politique
01:00:46 est systématiquement évacuée
01:00:48 parce qu'on veut se recentrer sur des sentiments
01:00:50 et sur du jeu
01:00:52 - Oui, j'avais envie de réagir là-dessus
01:00:54 parce que, en fait
01:00:56 il y a des échos dans ce que vous dites
01:00:58 là, avec moi, les derniers retours
01:01:00 que j'ai pu avoir, enfin, sur un projet
01:01:02 d'écriture où je parle à la fois de
01:01:04 l'exploitation domestique de ma mère
01:01:06 en fait, qui est quand même ce que vivent
01:01:08 beaucoup de femmes des classes populaires
01:01:10 voilà, enfin, au foyer
01:01:12 et raconter
01:01:14 un peu des mouvements qui permettent
01:01:16 de sortir de ça ou de penser une organisation sociale
01:01:18 de la vie domestique et les retours
01:01:20 que j'ai pour l'instant sur les
01:01:22 lectures, c'est
01:01:24 "mais tout ça, ça pourrait être
01:01:26 vous et votre mère dans votre maison
01:01:28 en train d'en parler" moi je suis là "mais c'est pas ça
01:01:30 en fait, c'est pas ça le film" et les retours sur
01:01:32 "We are coming", j'ai des retours de commission
01:01:34 "mais oui, mais vous faites deux sujets différents"
01:01:36 enfin voilà, le CNC n'a pas soutenu
01:01:38 le film, on est là dans une
01:01:40 super précarité au moment de la sortie, je dis pas
01:01:42 ça pour me plaindre parce que je sais que ça arrive à plein de films
01:01:44 mais parce que quand même, les retours que j'ai
01:01:46 eu en commission dans la période actuelle, j'en cite
01:01:48 trois, bon, le classique c'est pas du
01:01:50 cinéma, ça je pense que tout le monde l'a au moins une fois
01:01:52 dans sa vie, même si on n'arrive pas
01:01:54 toujours à établir c'est quoi les critères et qu'il n'y a pas
01:01:56 une grille très claire parce que d'un film à l'autre, les
01:01:58 mêmes trucs qui sont reprochés ne pas être du cinéma
01:02:00 ben ça change quoi
01:02:02 non mais honnêtement, parce que là
01:02:04 vous l'avez eu pour une fois, vous l'avez eu sur
01:02:06 "Debout les femmes", l'avance sur recettes après réalisation
01:02:08 si je me trompe pas, et voilà
01:02:10 et alors voilà, donc ça c'est du cinéma mais pas les
01:02:12 autres alors que ceux d'avant c'était pas du cinéma
01:02:14 donc t'as trouvé comment faire du cinéma entre
01:02:16 temps, je te félicite, mais
01:02:18 mais moi non, et du coup
01:02:20 il y a ça, mais j'ai aussi eu
01:02:22 "Pourquoi il n'y a pas d'homme dans le film"
01:02:24 et aussi
01:02:26 alors ça c'était à l'avance sur recettes
01:02:28 avant réalisation, c'était mais
01:02:30 en fait votre film n'est pas représentatif
01:02:32 des femmes parce qu'il y en a quand même qui aiment
01:02:34 la soumission au lit
01:02:36 et je me disais
01:02:38 je me disais en fait
01:02:40 là on touche à quelque chose
01:02:42 qui est quand même le point politique
01:02:44 de la question, c'est à dire que j'aimerais bien
01:02:46 comprendre comment dans la période actuelle
01:02:48 ça peut être des retours
01:02:50 et en fait c'est des retours qui à mon avis sont
01:02:52 problématiques parce qu'ils révèlent une
01:02:54 méconnaissance du terrain
01:02:56 et de la société à un moment
01:02:58 enfin on peut pas dire des choses comme ça, et même alors
01:03:00 la plus grave de l'histoire quand même du cinéma
01:03:02 au 20ème siècle parce que
01:03:04 franchement on pourrait se faire 50 ans de
01:03:06 films avec 100% de meufs
01:03:08 on rattraperait toujours pas les conneries qui ont été
01:03:10 faites avant, meufs et minorité de genre
01:03:12 parce que dans le genre caricature etc
01:03:14 enfin voilà, donc vous avez
01:03:16 compris quoi
01:03:18 voilà, moi qui me bat
01:03:20 souvent pour dire mais où sont les femmes plutôt
01:03:22 dans les films ?
01:03:24 On est un peu sorti de la question
01:03:26 On est totalement sorti de la question mais il y a un public
01:03:28 Mais pas tant, pas tant
01:03:30 Je voudrais compléter
01:03:32 L'engagement, non mais non
01:03:34 Est-ce qu'on peut juste regarder l'extrait
01:03:36 de Nina ?
01:03:38 Parce que là, on a envie, là elle nous a bien
01:03:40 chauffé donc on a
01:03:42 envie de voir ces femmes et cette
01:03:44 soumission apparemment
01:03:46 Non mais pour le coup toi tu nous proposes la bande annonce
01:03:48 de ton film
01:03:50 Je peux dire que c'est grâce à ces filles là
01:04:02 avec qui j'habitais que le féminisme
01:04:04 est vraiment entré dans ma vie
01:04:06 C'est aussi là qu'on s'est rencontré avec Yélena
01:04:08 Elle et moi et plein d'autres
01:04:10 En fait on avait vécu presque
01:04:12 une révolution
01:04:14 Les moments où on a l'impression le plus d'avoir
01:04:16 volé le patriarcat c'est quand on est en vacances
01:04:18 entre meufs
01:04:20 On s'est mise à organiser des groupes de paroles
01:04:32 J'étais plus
01:04:34 investie dans leur plaisir que dans le mien
01:04:36 Je ne savais pas comment c'était
01:04:38 parce qu'on en a jamais parlé
01:04:40 Mais s'il n'y a pas pour les femmes, il y en a pour les hommes
01:04:42 c'est méchant
01:04:44 Yélena était super enthousiaste
01:04:46 mais elle se demandait si mieux connaître nos corps
01:04:48 ça allait suffire à résoudre tous les problèmes
01:04:50 qu'on avait commencé à soulever
01:04:52 La différence sexuelle c'est une idéologie
01:04:54 C'est tout le mode de production
01:04:56 qui s'assoit
01:04:58 sur le travail gratuit des femmes
01:05:00 En fait ça me perturbait un peu
01:05:02 Oui on déplace nos corps
01:05:06 quand on n'a plus peur d'être avec certaines personnes
01:05:08 on peut laisser tomber aussi
01:05:10 un tout un nombre de masques
01:05:12 Je bagarre, tu bagarres
01:05:14 nous bagarrons
01:05:16 une petite basson
01:05:18 pour finir la journée
01:05:20 Si on n'a pas les armes, on peut faire croire qu'on les a
01:05:22 Mais oui on les a
01:05:24 et on sait très bien ce qu'il nous reste à faire
01:05:26 parce que notre plan est fin prêt
01:05:28 Le 22 en salle
01:05:30 il est en avant première ce soir à Clichy
01:05:32 demain à Bagnolet
01:05:34 à partir du 22 à l'espace Saint-Michel
01:05:36 on fait plein de projections
01:05:38 et projections débats
01:05:40 ça va être bienvenu, ça va être chouette
01:05:42 Avec toi toute seule apparemment
01:05:44 pour le présenter
01:05:46 Moi toute seule et plein d'autres meufs
01:05:48 qui font du ballet
01:05:50 et qui font du ballet
01:05:52 et qui font du ballet
01:05:54 et qui font du ballet
01:05:56 Alors moi toute seule et plein d'autres meufs
01:05:58 qui font du travail gratuit avec moi
01:06:00 On en revient toujours à ça en fait, à cette idée de travail gratuit
01:06:04 et c'est vrai d'ailleurs qu'on s'éloignait pas tant du sujet
01:06:06 tout à l'heure
01:06:08 parce que dans ce jeu, dans ce nous
01:06:10 il y a évidemment cette idée
01:06:12 de s'engager
01:06:14 d'engager son corps, d'engager ses pensées
01:06:16 d'engager qui on est
01:06:18 et sinon on fait pas ce travail là
01:06:20 j'imagine
01:06:22 et toi, non seulement t'engages ton temps
01:06:24 t'engages ta vie
01:06:26 et t'engages aussi ton corps
01:06:28 d'ailleurs puisqu'on te voit à l'image
01:06:30 C'est venu à quel moment d'ailleurs
01:06:32 de ta réflexion autour de ton film ?
01:06:34 Bah en fait
01:06:36 déjà merci à Ovidie ce matin qui a rappelé
01:06:38 que j'avais déjà engagé mon corps
01:06:40 "N'en paye pas ton gynéco"
01:06:42 C'est flouté, c'est pas mon orteil qui cache mon sexe
01:06:44 pour les gens qui étaient là ce matin
01:06:46 "N'en paye pas ton gynéco" c'est flouté
01:06:48 Mais c'est chouette qu'elle ait cité ce film là
01:06:50 parce qu'en fait il y a une continuité là-dedans
01:06:52 mais moi mon corps je
01:06:54 je reconnais les démarches aussi
01:06:56 de l'intime parce que
01:06:58 en tout cas de témoigner des violences
01:07:00 sociales reçues par nos corps
01:07:02 parce que je pense que particulièrement à mon endroit
01:07:04 de la société j'en reçois pas mal
01:07:06 mais surtout oui
01:07:08 ta question c'est
01:07:10 tu peux me redire ta question ?
01:07:12 Il y a plein de choses que je trouve très intéressantes dans ton film
01:07:14 mais il y a cette idée qu'on te voit à l'image
01:07:16 mais
01:07:18 je vais compléter ma question
01:07:20 mais on a pas grand chose
01:07:22 de ton intimité
01:07:24 alors ouais en fait
01:07:26 c'était pas le plan
01:07:28 le plan au départ
01:07:30 je pense que ça a été
01:07:32 difficile parce que vous avez vu dans le film
01:07:34 il y a pas mal de groupes de paroles
01:07:36 et il y avait tout cet enjeu d'arriver
01:07:38 à ce qu'on puisse assumer collectivement une parole
01:07:40 sur la sexualité ce qui est quand même assez difficile
01:07:42 à faire face à la caméra
01:07:44 quand t'es là est-ce qu'il faut flouter ? Est-ce qu'il faut qu'on ait les voix comme ça ?
01:07:46 J'ai pas d'orgasme !
01:07:48 Je pensais que ça allait aller contre
01:07:50 le propos du film qui était justement
01:07:52 de s'affirmer un peu aussi
01:07:54 collectivement et donc en fait
01:07:56 une des façons de construire ce récit
01:07:58 collectif ça a été Yélena
01:08:00 Aperet qui participe au film et moi-même
01:08:02 de participer aux discussions
01:08:04 et vraiment de reprendre cette méthode du livre
01:08:06 "Notre corps, nous-mêmes" que vous avez vu brièvement
01:08:08 et qu'on a réécrit sur la même période
01:08:10 de partir de soi, de ses expériences
01:08:12 pour construire ce récit collectif avec
01:08:14 de plus en plus de monde sachant que
01:08:16 on a tous et toutes des expériences situées
01:08:18 donc là l'idée c'était de partir de nous mais
01:08:20 ensuite de créer un panel
01:08:22 quand même très vaste et de travail de terrain
01:08:24 justement pour représenter plein d'endroits
01:08:26 de la société avec différentes
01:08:28 orientations sexuelles, origines
01:08:30 classes sociales
01:08:32 classe sociale qui entre guillemets je trouve aussi
01:08:34 une thématique de
01:08:36 domination qui disparaît un peu parfois
01:08:38 quand on commence à penser le croisement des dominations
01:08:40 enfin j'essaye toujours de fonctionner
01:08:42 avec le triptyque sexe race classe
01:08:44 comme on dit, race bien sûr n'existant
01:08:46 pas autrement que socialement mais
01:08:48 je pense que c'est hyper important même dans des
01:08:50 journées comme ça, parce que
01:08:52 ton travail le lit et tout
01:08:54 et en fait
01:08:56 il y a une phrase dans ton film
01:08:58 moi qui m'émeut
01:09:00 énormément, c'est quand tu
01:09:02 racontes que tu poses la caméra
01:09:04 pour courir, pour arrêter
01:09:06 un bus plein de
01:09:08 casseurs de grève en fait
01:09:10 et tu as cette phrase, tu dis à ce moment
01:09:12 là, et donc je pensais que l'action
01:09:14 était plus vitale que le film que je faisais
01:09:16 ça vraiment
01:09:18 je sais pas, ça me touche
01:09:20 très fort cette phrase
01:09:22 parce que je pense qu'à l'endroit où je suis en tout cas
01:09:24 du cinéma, c'est permanent
01:09:26 comme question, c'est à dire que
01:09:28 je ne sais jamais si dans un groupe de
01:09:30 paroles je dois laisser tomber le dispositif
01:09:32 pour aller, être
01:09:34 présente en soutien à la personne qui vient de
01:09:36 livrer son récit, est-ce que je dois
01:09:38 arrêter de filmer pour être là
01:09:40 parce qu'en fait oui, il y a de la répression
01:09:42 policière, est-ce que
01:09:44 et c'est que des
01:09:46 minis exemples mais vous voyez à quel moment
01:09:48 on arrive à être persuadé que
01:09:50 les objets cinématographiques concrets
01:09:52 sont plus importants que participer
01:09:54 soi-même à ces luttes là
01:09:56 c'est une tension permanente
01:09:58 et je te remercie de l'avoir formulée aussi clairement
01:10:00 parce que je ne me l'étais pas dit pour moi-même
01:10:02 j'avais envie de te poser cette question
01:10:04 sur la mémoire de ce qui va rester
01:10:06 après le documentaire, comment
01:10:08 toi tu fais pour qu'on
01:10:10 voit ces images là 15 ans plus tard alors que j'imagine
01:10:12 que c'est quand même très extérieur à toi
01:10:14 et sur cette idée de
01:10:16 je vais la formuler autrement
01:10:18 c'est une question qui m'est très chère parce que
01:10:20 alors je vais vous
01:10:22 parler juste de moi 20 secondes
01:10:24 c'est que dans Coming In, pour ceux qui l'ont
01:10:26 écouté ou peut-être lu
01:10:28 c'est donc le récit, un récit personnel
01:10:30 et j'ai l'impression maintenant
01:10:32 quand je réfléchis à
01:10:34 ce qui m'est arrivé dans ma vie, j'ai l'impression d'avoir
01:10:36 les mots de Coming In dans ma tête
01:10:38 et que ça a transformé ma mémoire
01:10:40 à moi et je trouve que
01:10:42 c'est une question aussi quand on fait des films intimes
01:10:44 c'est comment ça questionne aussi
01:10:46 notre mémoire à nous
01:10:48 je l'ai mieux formulée là et peut-être ensuite Jean-Pierre pourra en dire
01:10:50 un mot. - Alors ce que je peux
01:10:52 dire par rapport à ça c'est que
01:10:54 en fait moi
01:10:56 ce film n'aurait jamais pu
01:10:58 exister comme il est aujourd'hui si je ne l'avais pas
01:11:00 testé avec des publics
01:11:02 parce que j'étais incapable de
01:11:04 dire, enfin moi je ne savais pas si
01:11:06 quand j'avais fini un premier montage je me leurrais pas
01:11:08 sur la quantité
01:11:10 partageable d'histoire
01:11:12 qu'il y avait dans ce film et donc je l'ai montré
01:11:14 à un public choisi, quelques femmes
01:11:16 qui étaient concernées par la question des
01:11:18 cancers du sein, quelques amis et tout
01:11:20 et à la fin du premier visionnage
01:11:22 j'ai eu des très mauvais retours
01:11:24 notamment de femmes qui disaient
01:11:26 "mais ce film nous culpabilise" et tout ça, je disais "ah mais j'ai raté tout
01:11:28 alors, c'est pas ça que je voulais faire" et donc
01:11:30 je suis retournée en montage et
01:11:32 j'ai réécrit le film en me disant
01:11:34 il faut que j'arrive à être tout à fait
01:11:36 honnête
01:11:38 et
01:11:40 que je ne me trahisse pas et que j'arrive
01:11:42 à exactement exprimer ce que je veux exprimer
01:11:44 sur tout ce chemin, cette quête
01:11:46 et donc en fait j'ai réécrit
01:11:48 le film quatre fois
01:11:50 parce que quatre fois je l'ai montré à des publics et chaque fois
01:11:52 j'essayais d'entendre ce qu'on me disait
01:11:54 pourquoi ça fonctionnait et ça fonctionnait pas
01:11:56 et je pense que quand on travaille avec de l'intime
01:11:58 en fait on a besoin de ce regard de l'autre
01:12:00 parce qu'en fait on veut devenir un autre
01:12:02 mais on a besoin de l'autre pour
01:12:04 se retransformer soi
01:12:06 et donc moi, si vous voulez, en fait on sait aussi
01:12:08 que quand on crée, en fait quelque part
01:12:10 quand on crée on est dans un état de conscience modifié
01:12:12 qui
01:12:14 en fait
01:12:16 va parfois plus loin que
01:12:18 là où on en est réellement dans notre pensée
01:12:20 et donc moi j'avais un décalage entre ce que je vivais
01:12:22 et ce que je racontais dans le film et donc il fallait que j'arrive
01:12:24 à mettre ça en accord, je sais pas si je l'explique
01:12:26 bien, mais donc voilà
01:12:28 et donc
01:12:30 aujourd'hui quand je revois le film
01:12:32 au début je détestais le revoir
01:12:34 comme il est toujours montré régulièrement
01:12:36 pour des débats, c'est pour ça d'ailleurs que je l'ai proposé
01:12:38 ici parce que c'est un film qui continue à vivre
01:12:40 parce qu'on en parlait au début
01:12:42 en fait je pense que quand on fait des films engagés
01:12:44 c'est parce que quelque part on veut se rendre utile aussi
01:12:46 à travers les films qu'on fait
01:12:48 et donc ce film sert énormément
01:12:50 dans beaucoup de groupes de
01:12:52 paroles, des femmes, il est montré
01:12:54 il y a même des femmes qui me disent "moi si j'ai un cancer du sein
01:12:56 je sais exactement ce que je vais dire au médecin
01:12:58 et je sais exactement ce que je dois faire"
01:13:00 bon, voilà parce que
01:13:02 c'est rigolo parce qu'il y a vraiment
01:13:04 - donc c'est plus facile de le voir aujourd'hui
01:13:06 - oui donc voilà et je l'ai revu pour une
01:13:08 présentation il y a deux mois
01:13:10 et j'avais plus de plus longtemps
01:13:12 et en fait je me suis dit que j'en changerais pas une virgule aujourd'hui
01:13:14 donc je me suis dit "bon bah alors
01:13:16 bon bah tant mieux"
01:13:18 il a sa vie, après ces films là
01:13:20 ils vivent loin de nous, c'est ça, ça devient quelque chose
01:13:22 de détaché de nous, mais après
01:13:24 ce que le film m'a transformé, oui
01:13:26 parce que faire ce travail m'a évidemment transformé
01:13:28 - ouais
01:13:30 Jean-Pierre avant les questions du public peut-être
01:13:32 mais en quelques...
01:13:34 - je voulais ajouter un point
01:13:36 aussi que justement
01:13:38 c'est dommage que le CNC
01:13:40 n'investisse pas, mais si
01:13:42 je vais expliquer pourquoi
01:13:44 c'est parce que je pense que souvent dans le documentaire
01:13:46 c'est là qu'il y a les recherches
01:13:48 les plus
01:13:50 enfin qui font avancer le cinéma
01:13:52 dans son ensemble
01:13:54 je pense à Patricio Guzman
01:13:56 je pense à des gens comme ça
01:13:58 et je pense que
01:14:00 mon dernier film
01:14:02 en toute modestie
01:14:04 aide à montrer qu'on peut raconter
01:14:06 une histoire en ayant
01:14:08 deux points de vue
01:14:10 en faisant parler une morte
01:14:12 et le fait
01:14:14 de chercher des formes
01:14:16 devrait être pris en compte
01:14:18 par les institutions
01:14:20 et ce que j'ai vu c'est que le documentaire est un vrai
01:14:22 lieu d'expérimentation et de recherche
01:14:24 et de forme de plus en plus hybride
01:14:26 et malheureusement l'hybridité aujourd'hui
01:14:28 elle est extrêmement difficile à financer
01:14:30 parce que tout est vu en termes de cases
01:14:32 et donc l'hybride rentre jamais
01:14:34 dans aucune case et le mélange des genres non plus
01:14:36 moi je suis confronté à ça aussi
01:14:38 c'est des questions évidemment dont on peut discuter
01:14:40 encore à d'autres occasions
01:14:42 - merci Marie
01:14:44 (applaudissements)
01:14:48 alors j'imagine qu'après
01:14:50 une conversation aussi riche
01:14:52 j'imagine que vous avez
01:14:54 soit des questions
01:14:56 peut-être pas des questions mais des questions
01:14:58 des remarques, oui je vois des mains
01:15:00 - je veux bien que vous vous présentiez
01:15:02 quand vous posez une question
01:15:04 et voici Françoise Romand
01:15:06 réalisatrice
01:15:08 - merci
01:15:10 Jean-Pierre Torne
01:15:12 il est magnifique ton film et en le voyant
01:15:14 je me disais
01:15:16 la voix elle est formidable
01:15:18 vraiment bravo et je suis contente que tu en aies parlé
01:15:20 parce que c'est un très bon choix
01:15:22 et je comprends que tu l'as très travaillé
01:15:24 et d'autre part je voulais dire
01:15:26 par rapport à "Debout les femmes"
01:15:28 j'étais
01:15:30 choquée de
01:15:32 François Ruffin qui
01:15:34 qui dit, qui s'adresse
01:15:36 à l'autre député en lui parlant de dépucelage
01:15:38 je me dis
01:15:40 un, est-ce que le réalisateur
01:15:42 il a conscience de ce qui se dit là
01:15:44 parce qu'en tant que femme ça me choque
01:15:46 cette conception
01:15:48 de dépucelage
01:15:50 et deux, est-ce que le réalisateur
01:15:52 s'il a conscience, qu'est-ce qu'il fait, il le supprime
01:15:54 ou pas et pourquoi
01:15:56 - vous avez déjà
01:15:58 la réponse à la deuxième question
01:16:00 puisque c'est dedans
01:16:02 après
01:16:04 il faut voir le film dans la
01:16:06 totalité, c'est peut-être pas
01:16:08 très adroit, après nous
01:16:10 on revendique ce côté
01:16:12 on refait pas, c'est comme ça
01:16:14 et c'est envoyé comme ça
01:16:16 après vous jugez comme vous voulez, franchement j'ai pas
01:16:18 c'est les propos de François, si vous voulez lui demander
01:16:20 vous lui demandez, mais j'ai pas
01:16:22 je sais pas quoi vous dire là-dessus
01:16:24 vous savez on est
01:16:26 je sais pas
01:16:28 je me suis confronté à ça aussi
01:16:30 sur la dernière fiction
01:16:32 enfin la dernière, je vais pas me la péter, j'en ai fait qu'une
01:16:34 sur "Reprise en main"
01:16:36 avec Marion
01:16:38 c'est quand on veut être des fois
01:16:40 on est en fiction, quand on veut être
01:16:42 moi je vis dans un milieu plutôt très populaire
01:16:44 en tout cas populaire
01:16:46 quand on veut être le plus fidèle possible à ce qui se raconte
01:16:48 aux propos, si tu veux faire un film hyper réaliste
01:16:50 parfois il y a des propos
01:16:52 qu'on peut plus tenir aujourd'hui, il faut faire vachement
01:16:54 gaffe, on se situe là-dedans
01:16:56 et moi j'essaye de m'en sortir comme je peux
01:16:58 avec ça, voilà
01:17:00 en ayant quand même les choses en tête
01:17:02 et en ayant conscience de tout ça
01:17:04 - Maud Guillemin, réalisatrice
01:17:08 vous avez une question pour Marie Mandy
01:17:10 vous l'avez un tout petit peu expliqué
01:17:12 mais est-ce que vous pensez que vous auriez pu faire
01:17:14 un film aussi intime
01:17:16 sans la maladie ?
01:17:18 vous avez dit que justement
01:17:20 vous aviez l'impression de complètement dépasser
01:17:22 l'égotripe, parce que vous étiez dans quelque chose
01:17:24 où le "nous" pouvait vraiment s'exprimer
01:17:26 à travers le "je"
01:17:28 est-ce que...
01:17:30 la maladie c'était tellement important et ça peut tellement toucher
01:17:32 tout le monde que vous avez pensé que ce "nous"
01:17:34 il pouvait s'exprimer, est-ce que vous pensez
01:17:36 que vous auriez pu faire un film aussi intime
01:17:38 sur un autre sujet où là
01:17:40 vous auriez eu l'impression... est-ce que ça vous étiez déjà
01:17:42 venu un tout petit peu l'idée de faire un film un peu
01:17:44 comme ça, où c'est vraiment la maladie
01:17:46 qui dépassait tout ?
01:17:48 - En fait mon tout premier documentaire
01:17:52 était sur ma grand-mère
01:17:54 mais c'est incroyable à dire parce que
01:17:58 c'est un film que j'ai vraiment fait
01:18:00 avec des ateliers sur le côté, avec des tout petits
01:18:02 financements, et il a été acheté
01:18:04 par France 2, et c'est ça qui a lancé
01:18:06 ma carrière, et j'en reviens
01:18:08 toujours pas d'ailleurs.
01:18:10 Donc, pour moi, en fait
01:18:12 il n'y a jamais de limite, on peut toujours faire des choses
01:18:14 ou intimes ou très collectives
01:18:16 pourvu que, je ne sais pas, le film touche
01:18:18 après moi j'ai pas...
01:18:20 j'ai fait une trentaine de films, j'ai pas
01:18:22 une appétence vraiment pour
01:18:24 faire des films à partir de moi
01:18:26 donc j'en ai fait que deux.
01:18:28 Mais...
01:18:30 voilà, donc je
01:18:32 ne peux pas vraiment répondre à la question parce que
01:18:34 je ne sais pas si j'en ferai d'autres, je pense qu'il faut
01:18:36 vraiment avoir un bon sujet, des bonnes raisons
01:18:38 et
01:18:40 vraiment avoir quelque chose à partager
01:18:42 de fondamental
01:18:44 je pense, sinon autant faire autrement.
01:18:46 Ovidie disait très bien ce matin
01:18:48 tous ces réalisateurs qui se mettent
01:18:50 à l'écran pour être les passe-plats
01:18:52 elle le disait, d'une
01:18:54 séquence à l'autre, ou pour faire avancer
01:18:56 l'action, ben, je veux dire
01:18:58 ce sont des dispositifs
01:19:00 assez cheap
01:19:02 finalement, et qui n'ont rien à voir
01:19:04 avec ce que c'est vraiment
01:19:06 de se mettre en danger dans un film
01:19:08 pour essayer de partager une vision du monde.
01:19:10 - Un, deux...
01:19:22 - Il y en a plein au fond aussi.
01:19:24 - Oui, alors moi je voulais parler
01:19:28 du jeu et de la...
01:19:30 revenir sur le jeu et le "nous" que l'on porte en nous
01:19:32 à savoir quand on fait des films
01:19:34 sur nos proches, comme
01:19:36 pas mal d'entre vous, forcément
01:19:38 ils rentrent dans nos
01:19:40 films et ils rentrent dans notre psyché
01:19:42 mais plus encore les gens qui ne sont
01:19:44 plus là, les gens qui sont morts
01:19:46 et je m'adresse surtout à vous, Jean-Pierre Torn
01:19:48 je trouve qu'il y a un certain
01:19:50 courage à se dire "la personne
01:19:52 n'est plus là, mais je vais essayer de parler
01:19:54 à sa place, et je vais essayer de me mettre dans son prisme
01:19:56 mental, de la...
01:19:58 donc pas de la ressusciter
01:20:00 parce que je la porte en moi nécessairement
01:20:02 et je voulais vous entendre là-dessus
01:20:04 parce que le jeu est multiple
01:20:06 en quelque sorte, puisque le jeu, bien sûr
01:20:08 c'est nous, mais c'est tous les gens qui nous
01:20:10 accompagnent
01:20:12 vivants ou morts, et peut-être
01:20:14 plus encore les morts.
01:20:16 - C'est difficile de vous répondre
01:20:20 effectivement, c'est ça
01:20:22 moi qui étais mon
01:20:24 moteur interne, c'est de parler
01:20:26 à quelqu'un qui n'est plus là
01:20:28 et donc
01:20:30 les paroles d'aujourd'hui
01:20:32 sont dites par moi
01:20:34 et les paroles où elle interroge
01:20:36 mon présent sont lues
01:20:38 à partir des lettres
01:20:40 et...
01:20:42 c'était extrêmement...
01:20:46 enfin
01:20:48 je me suis demandé si j'avais le droit de le faire
01:20:50 bien sûr
01:20:52 et...
01:20:54 je l'ai fait parce que
01:20:56 il fallait que
01:20:58 j'ai le courage
01:21:00 de...
01:21:02 j'ai rien fait au moment de sa mort
01:21:04 puisque j'étais effondré
01:21:06 et j'ai pas réagi
01:21:08 et je trouvais
01:21:10 que
01:21:12 à l'âge que j'ai, il était important de le faire
01:21:14 avant que moi-même je ne sois plus là
01:21:16 pour lui rendre hommage, voilà.
01:21:18 Alors, fort de ça, bon, j'ai repris
01:21:20 ses lettres et je trouve
01:21:22 une écriture superbe
01:21:24 et je suis
01:21:26 content de la faire
01:21:28 vivre après
01:21:30 et comme je le disais tout à l'heure, j'ai pris la voix
01:21:32 d'une autre pour
01:21:34 ce qui était très... ça a été
01:21:36 d'ailleurs tout le long, ce problème de la voix
01:21:38 était un vrai problème
01:21:40 parce que la première "Avance sur O7"
01:21:42 j'avais pas mis une voix
01:21:44 de femme, c'était la mienne
01:21:46 qui disait toutes
01:21:48 les lettres et là j'ai compris
01:21:50 donc ça sert à quelque chose quand même
01:21:52 ces refus de l'avance
01:21:54 ça m'a obligé à m'interroger
01:21:58 sur le fait qu'il fallait
01:22:00 que je prenne de la distance
01:22:02 et qu'il fallait que je mette une voix
01:22:04 autre qui me résistait
01:22:06 et c'est précisément pourquoi je suis allé voir
01:22:08 Mélissa qui est
01:22:10 une battante, elle est drôle
01:22:12 elle est jamais dans
01:22:14 le pathos et du coup
01:22:16 elle me résiste très bien
01:22:18 il y a des petits rires aussi que j'ai tout gardé
01:22:20 à tel point que
01:22:22 on avait fait une première prise
01:22:24 de...
01:22:26 d'enregistrement
01:22:28 de la voix off
01:22:30 qui servait au montage, après on a
01:22:32 élagué au montage et on devait
01:22:34 faire un deuxième enregistrement
01:22:36 après et je trouvais
01:22:38 que les...
01:22:40 la voix de Mélissa
01:22:42 était tellement formidable
01:22:44 drôle, légère
01:22:46 que je lui ai dit "non écoute j'aime mieux
01:22:48 même s'il y a des imperfections" parce qu'on
01:22:50 l'avait fait au son
01:22:52 chez Périphérie
01:22:54 c'était pas des conditions top
01:22:56 mais il y avait cette...
01:22:58 par contre le plus
01:23:00 dur, ça a été ma voix
01:23:02 parce que
01:23:04 je ne supportais pas
01:23:06 il y avait un côté lugubre
01:23:08 je ne vivais pas cette histoire
01:23:10 comme une belle histoire
01:23:12 et j'ai embauché
01:23:14 une amie comédienne
01:23:16 qui était derrière moi, ça a pris
01:23:18 trois jours pour enregistrer ma voix
01:23:20 pour me fouetter,
01:23:22 "non mais ne sois pas triste comme ça, c'est formidable"
01:23:24 et
01:23:26 de façon à ce que j'arrive
01:23:28 à dire ce texte
01:23:30 parce que sans ça j'avais toujours
01:23:32 un sanglot dans la voix
01:23:34 et c'était redondant par rapport
01:23:36 à l'histoire et puis
01:23:38 d'autant plus que pour moi
01:23:40 le film est l'histoire d'une résurrection
01:23:42 je la fais vivre à la fin
01:23:44 dans la danse de Nash
01:23:46 et c'est un plan séquence magnifique
01:23:48 qui dure 4 minutes
01:23:50 où Nash, comme danseuse
01:23:52 crump, vit
01:23:54 la danse de la
01:23:56 renaissance, elle part
01:23:58 dans des mouvements
01:24:00 comme est souvent le crump
01:24:02 très douloureux et elle s'ouvre
01:24:04 au monde et moi j'ai juste
01:24:06 à la fin je dis "coupé"
01:24:08 et voilà, elle
01:24:10 revit grâce
01:24:12 à ces artistes qui m'ont
01:24:14 accompagné, qui ont tout compris
01:24:16 mais c'est pas facile
01:24:18 - Tu vois Jean-Pierre
01:24:20 moi ce que je dirais de ton film
01:24:22 qui m'a beaucoup touché, c'est que pour moi c'est un film de réparation
01:24:24 et ça rejoint une question que
01:24:26 tu m'as posé au début, c'est à dire que
01:24:28 ces films qui sont intimes évidemment
01:24:30 je ne sais pas jusqu'à quel point
01:24:32 ils ne viennent pas aussi réparer des choses en nous
01:24:34 en les faisant et du coup
01:24:36 permettent aussi de construire une mémoire
01:24:38 voilà, Alice
01:24:40 tout à l'heure elle parlait aussi du fait
01:24:42 d'essayer de retrouver les images
01:24:44 manquantes des gens décédés
01:24:46 et que finalement
01:24:48 c'est toujours cette histoire de la construction d'une mémoire
01:24:50 - Oui
01:24:52 - Parce que
01:24:54 c'est une sorte d'autobiographie filmée
01:24:56 où tu reparcours toute ta filmographie
01:24:58 tout en
01:25:00 peut-être réparant cette histoire d'amour
01:25:02 - Mais pas seulement parce que
01:25:04 je ne répare pas l'histoire de la révolution
01:25:06 qui a échoué
01:25:08 - Oui, Yves Jolanche
01:25:18 réalisateur, Gilles Perret
01:25:20 disait tout à l'heure qu'il était
01:25:22 plus à l'aise avec le "nous" qu'avec le "je"
01:25:24 et qu'il préférait
01:25:26 les films qui
01:25:28 disons
01:25:30 plus ouverts sur la société que sur le nombril
01:25:32 et je me demandais
01:25:34 si finalement le seul film
01:25:36 où il a un peu manié le jeu
01:25:38 c'était paradoxalement
01:25:40 un film de fiction
01:25:42 son film de fiction
01:25:44 son premier film de fiction
01:25:46 - Oui, tu as raison
01:25:48 après il n'y a que ceux qui me connaissent bien
01:25:50 qui peuvent savoir qu'il y a une bonne partie
01:25:52 de ma vie et de mes origines
01:25:54 sociales et tout dans ce film là
01:25:56 mais effectivement oui c'est ce qui a
01:25:58 irrigué l'écriture et c'est
01:26:00 une partie de beaucoup de bonnes séquences
01:26:02 d'autobiographie mais il n'y a pas que la mienne si tu veux
01:26:04 dans "Reprise en main"
01:26:06 il y a le monde dans lequel j'ai grandi
01:26:08 les usines dans lesquelles j'ai travaillé
01:26:10 les lycées où je suis allé
01:26:12 où nous sommes allés
01:26:14 il y a beaucoup
01:26:16 d'histoires de copains et nous on tenait
01:26:18 vraiment avec Marion qui est là
01:26:20 même si c'est une fiction
01:26:22 c'est une fiction hyper documentée
01:26:24 donc tous les lieux de tournage, les bistrots
01:26:26 où on va boire des coups, les falaises
01:26:28 c'est là où on grimpe, les usines c'est là où on va
01:26:30 où j'ai des copains qui travaillent encore
01:26:32 et donc tout est, si c'est une fiction
01:26:34 mais qui est hyper documentée donc effectivement il y a
01:26:36 beaucoup de moi là dedans, après est-ce qu'on le sent
01:26:38 ou est-ce qu'on le sent pas, j'espère qu'on le sent
01:26:40 dans la précision, dans la justesse des choses
01:26:42 c'est en tout cas ce qu'on a essayé de faire dans les dialogues
01:26:44 et dans le côté qui peut paraître trash
01:26:46 par moment mais en tout cas
01:26:48 voilà c'est
01:26:50 ce côté là mais
01:26:52 j'espère que les gens qui ne connaissent
01:26:54 pas forcément ma vie, tout ça
01:26:56 vont regarder ce film sans se dire
01:26:58 que c'est le réalisateur
01:27:00 qui parle
01:27:02 mais t'as raison
01:27:04 ceci dit sur le constat c'est certainement
01:27:06 le film où il y a le plus de moi dedans
01:27:08 - Bonjour, Eve de Sautel, j'accompagne des écritures
01:27:12 notamment dans le cadre de l'association
01:27:14 du script doctor qui s'appelle EDOC
01:27:18 Écriture Documentaire
01:27:20 il y avait
01:27:22 d'abord une remarque
01:27:24 c'était intéressant
01:27:26 que vous pointiez du doigt le fait de
01:27:28 cette injonction d'aller vers
01:27:30 de l'intime et en même temps
01:27:32 à chaque fois que j'entends
01:27:34 parler des refus
01:27:36 de commission
01:27:38 je remarque aussi souvent, notamment dans les
01:27:40 accompagnements d'écriture, qu'il y a un
01:27:42 problème de communicabilité
01:27:44 notamment quand il y a deux sujets en même temps
01:27:46 parfois au stade de l'écriture
01:27:48 ça peut être une histoire très intéressante
01:27:50 mais on ne comprend absolument pas comment les choses s'imbriquent
01:27:52 et effectivement il y aurait besoin
01:27:54 d'accompagnement peut-être plus en amont
01:27:56 de trouver de nouveaux cadres pour
01:27:58 accompagner ce qui est encore au stade de la recherche
01:28:00 sinon vous avez en partie répondu
01:28:04 à ma question
01:28:06 en parlant de la vertu plus ou moins
01:28:08 thérapeutique des films à la première personne
01:28:10 mais effectivement je me demandais
01:28:12 si c'était un moteur de se dire que
01:28:14 faire un film à la première personne
01:28:16 qui allait ramener vers le "nous"
01:28:18 allait vous changer
01:28:20 est-ce qu'un des buts c'est qu'un bon film
01:28:22 si vous considérez que c'est un bon film
01:28:24 c'est que quelque part ça vous change
01:28:26 ça c'était une des questions
01:28:28 et j'ai une autre question
01:28:30 pardon, c'est un peu long du coup
01:28:32 qui n'a pas tout à fait rapport avec le jeu et le "nous"
01:28:34 mais peut-être qui est encore plus
01:28:36 forte quand on fait un film à la première
01:28:38 personne, c'est que quand on
01:28:40 expose des personnes, des personnages
01:28:42 à être filmés
01:28:44 c'est un risque pour eux de montrer leur image
01:28:46 et est-ce qu'il y a
01:28:48 une grosse charge mentale
01:28:50 après que le film ait été fait
01:28:52 et quand il circule
01:28:54 de voir ce qui
01:28:56 comment les personnes qui ont participé
01:28:58 au film évoluent, comment elles vivent
01:29:00 la diffusion du film, comment elles subissent
01:29:02 la chose par la suite
01:29:04 - Il ne faut pas que j'oublie
01:29:08 la première question, parce que la deuxième
01:29:10 est intéressante aussi
01:29:12 sur l'accompagnement à la fin
01:29:14 en tout cas pour finir
01:29:16 je voulais finaliser quand même cette démarche
01:29:18 que j'expliquais tout à l'heure au niveau du tournage
01:29:20 les 200
01:29:22 personnes qui apparaissent
01:29:24 différentes de près ou de loin dans le film
01:29:26 je les ai avertis
01:29:28 qu'elles y étaient en catégorisant
01:29:30 un peu, tu apparais furtivement
01:29:32 tu as une séquence où tu parles
01:29:34 et en leur laissant la possibilité de me demander à voir
01:29:36 et ça c'était vraiment
01:29:38 sur la dernière semaine de tournage, donc là j'ai très
01:29:40 mal dormi, en me disant
01:29:42 s'il y a quelqu'un qui à ce moment là, parce qu'en fait
01:29:44 on me déconseillait de faire ça, c'est pas une bonne idée
01:29:46 je vous le conseille pas, mais n'empêche que je n'arrivais pas à faire autrement
01:29:48 parce que c'était un lien proche
01:29:50 que j'avais avec toutes ces personnes
01:29:52 et ça m'a quand même permis d'identifier
01:29:54 2-3 plans qui posaient soucis
01:29:56 et que j'ai pu changer une fois que
01:29:58 même la post-production était finie
01:30:00 donc je pense que maintenant je suis assez
01:30:02 soulagée de ça, parce que les personnes
01:30:04 pour qui c'était important ont pu voir
01:30:06 celles qui m'ont dit "vas-y, je suis sereine"
01:30:08 et j'ai aussi organisé des projections
01:30:10 spécifiques à des endroits pour montrer
01:30:12 les séquences avant qu'elles soient diffusées plus largement
01:30:14 donc il y a vraiment tout ça, sachant que
01:30:16 encore une fois, je le redis parce que c'est très
01:30:18 important, je le fais sur mon temps libre
01:30:20 et sans financement et je me paye les billets de train
01:30:22 et tout, donc c'est vraiment un truc
01:30:24 où je me dis, c'est presque
01:30:26 de l'expérimentation, quand on parlait des expérimentations
01:30:28 documentaires, mais c'est de l'expérimentation
01:30:30 que j'inviterais à presque être
01:30:32 déployée, généralisée, ou une réflexion
01:30:34 qui pourrait se poursuivre, y compris dans les écoles
01:30:36 de cinéma ou les écoles
01:30:38 documentaires, et donc j'ai oublié la première
01:30:40 question, évidemment. - Est-ce que nos films nous transforment ?
01:30:42 - Ah oui, oui, oui, ah mais est-ce qu'un
01:30:44 bon film, c'est un film qui nous transforme ou qui
01:30:46 me transforme ? Bah en fait, moi j'ai l'impression
01:30:48 en tout cas, moi, les films que je préfère, j'ai l'impression
01:30:50 qu'ils transforment le monde, en fait, vraiment, donc
01:30:52 qu'ils transforment
01:30:54 et j'ai l'impression que dans certains films
01:30:56 enfin, il y a toujours ce débat, oui
01:30:58 est-ce qu'un film, ça permet de
01:31:00 faut arrêter de croire que les films, ça change le monde
01:31:02 etc., mais moi je pense qu'il y a des films
01:31:04 qui ont changé mon monde à moi
01:31:06 et qui ont changé pas que mon monde, qui ont changé le monde
01:31:08 de plein de gens autour et je pense que ça peut être
01:31:10 des puissants éléments de
01:31:12 transformation sociale, de la même façon
01:31:14 qu'en fait, on met toujours le miroir du
01:31:16 côté des films engagés
01:31:18 mais moi je pense que des films,
01:31:20 en fait, c'est juste qu'on invisibilise
01:31:22 l'axe gauche-droite
01:31:24 en fait, dans la question du cinéma, enfin, tout simplement
01:31:26 ne sont qualifiés d'engagés que des
01:31:28 films classés à gauche, moi je vois énormément
01:31:30 de films classés à droite qui sont très engagés
01:31:32 qui sont aussi des films de défense du
01:31:34 système patriarcal par exemple, ou de films
01:31:36 racistes, enfin, j'en sais rien
01:31:38 on dit jamais "ah vous avez fait un film raciste
01:31:40 engagé" mais non, parce qu'en fait, tout ce qui est réactionnaire
01:31:42 et conservateur, on l'invisibilise
01:31:44 en fait, et on attribue pas ce mot
01:31:46 sachant qu'on en parle souvent, le mot
01:31:48 "engagé" est très discréditant, moi si j'arrive
01:31:50 Nina For réalisatrice engagée, on dirait
01:31:52 que voilà, j'ai mon couteau suisse dans mon sac
01:31:54 et que je sors des films
01:31:56 de Xigbertov, limite, non mais je vous jure
01:31:58 c'est un truc très
01:32:00 daté et je pense que c'est un argument
01:32:02 c'est un argument
01:32:04 c'est presque quelque chose que
01:32:06 j'ai envie de contre-attaquer
01:32:08 systématiquement en disant
01:32:10 tout film est engagé en fait
01:32:12 tout film est engagé, maintenant ce qui compte c'est quelle analyse
01:32:14 politique des films on fait
01:32:16 et est-ce qu'on éduque notre regard
01:32:18 à repérer à quel endroit ça se situe
01:32:20 politiquement, et moi c'est ça
01:32:22 je dis ça parce que du coup j'ai décidé, j'ai proposé
01:32:24 il y a quelques années, et je le fais depuis
01:32:26 7 ans maintenant, de donner un cours
01:32:28 à l'université Paul-Valéry en cinéma
01:32:30 qui s'appelle "Sexe, race, classe au cinéma"
01:32:32 et du coup on fait des analyses des films sur ces axes
01:32:34 des rapports de domination et de la construction
01:32:36 des personnages pour aller au bout de cette
01:32:38 démarche, donc en fait je suis vraiment convaincue qu'un film
01:32:40 peut nous transformer et qu'un
01:32:42 bon film même transforme le monde
01:32:44 forcément du côté qui moi m'intéresse, après ça
01:32:46 c'est une question de rapport de force dans la société
01:32:48 - Mais on sent d'ailleurs aussi dans ton film
01:32:50 qu'il t'a transformé toi aussi
01:32:52 tu le dis d'ailleurs - Ah bah oui oui, non mais
01:32:54 complètement - Parce que la question était aussi celle-là, non ?
01:32:56 de ta transformation personnelle
01:32:58 - Oui oui, non mais enfin
01:33:00 complètement
01:33:02 complètement, mais peut-être
01:33:04 voilà, on a beaucoup parlé, vous pouvez
01:33:06 venir le voir
01:33:08 - Et le fait qu'aujourd'hui l'acteur a un
01:33:10 petit peu changé ?
01:33:12 - En tout cas moi sur le retour des gens
01:33:14 qu'on a interviewés, c'est sûr que c'est une
01:33:16 angoisse de savoir comment ils vont regarder les choses mais non seulement
01:33:18 c'est une angoisse mais enfin moi je crois que
01:33:20 j'arrêterais de faire des films si les gens que j'ai filmés
01:33:22 avec qui j'ai toujours des
01:33:24 relations très proches et très intimes et
01:33:26 qu'on s'est toujours bien bien compris dans ce qu'on voulait faire
01:33:28 s'il y avait un blocage avec ces gens-là
01:33:30 surtout si c'est des gens de peu quoi
01:33:32 donc ça c'est, mais le jour où ça m'arrivera
01:33:34 je pense que je ferai autre chose
01:33:36 donc pour l'instant ça m'est pas arrivé, par contre j'ai aucun problème
01:33:38 avec les gens, les puissants ou en tout cas les gens qui ont
01:33:40 les moyens de se défendre, quand il y a des ministres qui sont
01:33:42 mis en porte à faux, des notables
01:33:44 qui ont toujours table ouverte, qu'on entend
01:33:46 à longueur d'année partout déballer leurs
01:33:48 trucs et que là ils sont mis en porte
01:33:50 à faux, alors là j'en ai rien à foutre, ils ont les moyens
01:33:52 de se défendre et tout, que faire ça à des
01:33:54 gens qui n'ont pas les moyens et
01:33:56 qui n'ont pas l'environnement et pas les connaissances
01:33:58 qui leur permettront de se défendre
01:34:00 on va pas s'amuser à ça, c'est sûr
01:34:02 et c'est vrai que sur le terme "engagé" c'est quand même un vrai problème
01:34:04 c'est que moi systématiquement quand on me reçoit
01:34:06 on reçoit le réalisateur
01:34:08 militant, machin et tout comme ça
01:34:10 et donc tu mets déjà deux minutes en disant
01:34:12 "mais comment ça, pourquoi vous me traitez de militant
01:34:14 en reprenant à peu près les mêmes arguments que toi
01:34:16 est-ce que vous dites à Guillaume Canet qu'il est militant
01:34:18 pour ses copains bobos du Cap Ferret
01:34:20 non, enfin pourtant
01:34:22 c'est quand même, dans le cinéma français, c'est quand même
01:34:24 ce monde là qu'on voit ultra majoritairement
01:34:26 mais c'est pas ma vie, c'est pas la vie de mes voisins
01:34:28 c'est pas la vie de beaucoup de gens
01:34:30 c'est vrai que c'est quand même pas un petit problème ce terme
01:34:32 et qui est utilisé à dessein
01:34:34 si bien que moi, en plus je viens pas souvent à Paris
01:34:36 comme ça, quand je viens
01:34:38 il y a des gens qui me disent
01:34:40 "en gros, finalement il est gentil quand même"
01:34:42 "il arrive pas avec un couteau entre les dents"
01:34:44 et tout ça, donc il continue
01:34:46 - Sur la question des personnages
01:34:48 bon, évidemment, vous avez pas vu
01:34:50 la suite du film, mais je suis tout le temps en contact
01:34:52 avec des médecins et des soignants
01:34:54 de différentes obédiences, on va dire des médecins
01:34:56 et des gens aussi beaucoup plus perchés
01:34:58 et toute la question
01:35:00 était de savoir
01:35:02 moi je prends rendez-vous
01:35:04 et puis je dis à la secrétaire "écoutez, je fais un petit film"
01:35:06 "pour moi, vous savez, mais je vais débarquer d'une caméra"
01:35:08 "donc vous le direz au docteur"
01:35:10 donc j'arrive
01:35:12 parfois le docteur est prévenu, parfois il est pas prévenu
01:35:14 donc je dis au médecin "écoutez, je fais un petit film"
01:35:16 "donc est-ce que ça vous dérange d'être filmé ?"
01:35:18 alors il y en a qui me disent "oui, non"
01:35:20 je dis "non"
01:35:22 ceux qui me disaient "oui, ça me dérange" je dis "c'est pas grave, je me mets derrière vous, on vous verra pas"
01:35:24 et donc c'était filmé que sur l'axe vers moi
01:35:26 et puis ceux qui acceptaient
01:35:28 je leur ai dit "écoutez, si jamais ce film un jour"
01:35:30 alors je savais déjà que c'était pour France 2
01:35:32 mais je le racontais pas
01:35:34 je dis "si jamais ce film est utilisé un jour"
01:35:36 "je vous promets que je vous enverrai la séquence"
01:35:38 "et vous pourrez"
01:35:40 voilà, et donc j'ai dû couper le film en séquence
01:35:42 et toutes les personnes qui étaient concernées
01:35:44 ont vu leur séquence
01:35:46 parce que je trouvais que je leur devais bien ça
01:35:48 par rapport au fait qu'ils avaient accepté de jouer le jeu
01:35:50 donc j'ai jamais eu de problème
01:35:52 et j'ai pas eu de demande de changement d'ailleurs
01:35:54 de quoi que ce soit
01:35:56 - Oui, bonsoir
01:36:06 je suis Raymond Macherel, cinéaste
01:36:08 je pensais à vous, Jean-Pierre Thorne
01:36:10 parce qu'on a besoin
01:36:12 dans ce moment de se donner un peu de courage
01:36:14 de se dire que tout est pas foutu
01:36:16 il y a quelqu'un qui disait
01:36:18 qu'il y avait cette différence
01:36:20 entre faire un cinéma politique
01:36:22 et faire politiquement du cinéma
01:36:24 il se trouve que pour ceux qui font du documentaire
01:36:26 aujourd'hui, faire politiquement du cinéma
01:36:28 c'est faire des films sans un rond
01:36:30 Nina le disait très bien
01:36:32 Gilles l'a expérimenté en son temps
01:36:34 et toi-même
01:36:36 tu as vu ce qu'il en coûtait
01:36:38 finalement de faire des films sans un copec
01:36:40 c'est à dire
01:36:42 faire bosser des copecs
01:36:44 faire bosser des copains
01:36:46 avec des bouts de ficelle
01:36:48 faire un film en 8 ans alors qu'on pourrait le faire en 3
01:36:50 et finalement ne pas faire non plus de films
01:36:52 j'ai eu l'occasion
01:36:54 aux états généraux du cinéma de dire
01:36:56 qu'ils s'appelaient états généraux
01:36:58 et qu'en effet on pouvait dire
01:37:00 j'étais d'accord avec eux qu'il y avait une aristocratie
01:37:02 du cinéma, il y avait un clergé
01:37:04 du cinéma qui décidait
01:37:06 de qui allait accéder
01:37:08 à l'argent
01:37:10 et puis il y avait les prolétaires du cinéma
01:37:12 et nous on est vraiment
01:37:14 les prolétaires du cinéma
01:37:16 et on doit se débrouiller
01:37:18 alors qu'en plus
01:37:20 on est sensible
01:37:22 au fracas du monde
01:37:24 on est sensible
01:37:26 à l'idée de la révolution
01:37:28 et on voudrait
01:37:30 faire ces films qui nous aident
01:37:32 alors on ne va pas changer le monde
01:37:34 mais on voudrait que le geste de cinéma
01:37:36 dont on parlait tout à l'heure
01:37:38 ce soit un geste révolutionnaire
01:37:40 ah tout d'un coup il y a du son
01:37:42 (rires)
01:37:44 ah
01:37:46 j'ai l'impression que c'est le clergé
01:37:48 du cinéma qui me parle, ça résonne
01:37:50 c'est à dire
01:37:52 que moi je pense
01:37:54 et politiquement Jean-Pierre
01:37:56 dans les années 70
01:37:58 on faisait un cinéma
01:38:00 qui était un cinéma révolutionnaire
01:38:02 parce que le fait même
01:38:04 d'aller au contact de ceux qu'on filmait
01:38:06 c'était participer au changement
01:38:08 qu'on voulait voir naître
01:38:10 et qu'on voulait mettre en oeuvre
01:38:12 peut-être qu'on avait des illusions
01:38:14 peut-être qu'on n'a pas tout réussi
01:38:16 que la rabia dont tu parlais de Pasolini
01:38:18 elle n'a pas pu tout bouleverser
01:38:20 mais moi je pense qu'aujourd'hui il n'y a pas de petit geste révolutionnaire
01:38:22 et je voulais un peu
01:38:24 te rendre optimiste Jean-Pierre
01:38:26 et te dire que je pense que
01:38:28 le verrouillage que Nina dénonce
01:38:30 il est à la hauteur
01:38:32 de la peur
01:38:34 énorme qu'ils ont
01:38:36 de donner à voir ce monde
01:38:38 qui bouillonne
01:38:40 et que cette peur là
01:38:42 elle ne va pas pouvoir tenir
01:38:44 longtemps. Gilles rappelle
01:38:46 souvent que à la télévision
01:38:48 et au cinéma 2%
01:38:50 des personnages représentés
01:38:52 dans les films sont des ouvriers
01:38:54 des employés alors qu'ils représentent plus de
01:38:56 30% de la population
01:38:58 donc on a une invisibilisation
01:39:00 dans la société qui est terrible
01:39:02 et donc je pense qu'il n'y a pas de petit geste
01:39:04 et qu'on est à la veille
01:39:06 de grands bouleversements.
01:39:08 Merci.
01:39:10 On va peut-être
01:39:12 Jean-Pierre tu veux dire deux mots ?
01:39:14 Je veux en répondre.
01:39:16 Je ne vais pas répondre dans ton sens
01:39:18 je vais te dire que j'ai
01:39:20 décidé d'arrêter de faire du cinéma
01:39:22 à cause justement
01:39:24 de... c'est infernal
01:39:26 de voir comment
01:39:28 on a affaire à une élite
01:39:30 qui ne veut pas qu'on
01:39:32 fasse ses films.
01:39:34 Et donc j'ai qu'une vie
01:39:36 je paye en ce moment par ma santé
01:39:38 de tous
01:39:40 ces refus qu'il y a eu
01:39:42 parce que si j'ai mis 6 ans
01:39:44 à faire Lacre Parfum
01:39:46 c'est principalement, heureusement
01:39:48 que j'ai trouvé une productrice
01:39:50 qui s'appelle Anne-Catherine Witt
01:39:52 qui est une nana géniale qui m'a aidé
01:39:54 à trouver des câbles
01:39:56 trouver des...
01:39:58 parce que le problème c'est pas qu'on n'est pas payé
01:40:00 c'est pire que ça. Si tu vas dans des
01:40:02 coins, je vais à Longoui, on a loué une caméra
01:40:04 j'aimerais rester
01:40:06 deux jours de plus et je ne peux pas
01:40:08 parce que la production
01:40:10 me dit non, on doit
01:40:12 rendre la caméra lundi.
01:40:14 C'est de ça
01:40:16 qu'on souffre. C'est de pas
01:40:18 faire les films les mieux
01:40:20 que l'on voudrait parce qu'on a
01:40:22 un système qui
01:40:24 nous considère comme étant des
01:40:26 parias ou je sais pas
01:40:28 quoi dire. - Jean-Pierre, il y a une proposition
01:40:30 qui est tout à fait intéressante
01:40:32 et un peu amusante
01:40:34 la réalisatrice Brigitte Rouen
01:40:36 avec qui on parlait récemment
01:40:38 nous suggérait
01:40:40 de demander au CNC une aide au dernier film
01:40:42 pour toute une série de réalisateurs
01:40:46 - On peut prendre de l'aide au dernier film
01:40:48 - On s'est dit... - Mais peut-il y avoir un dernier film
01:40:50 après le dernier film ? - Alors il y a l'aide
01:40:52 au premier film et l'aide au dernier film, après on se débrouille
01:40:54 entre les deux mais...
01:40:56 - C'est peut-être une demande qu'on peut relayer
01:40:58 tu en feras encore un alors !
01:41:00 - Je voulais vous remercier tous les quatre
01:41:04 dire deux trois mots aussi si vous permettez
01:41:06 Gilles tu disais
01:41:08 tu étais pas souvent invité mais que finalement
01:41:10 tu étais un gars gentil. Je voudrais revenir
01:41:12 à l'origine du mot gentil, c'est généreux gentil
01:41:14 et je pense que effectivement
01:41:16 vos films sont d'abord généreux
01:41:18 Je voudrais dire aussi que
01:41:20 on peut ne pas être d'accord avec ce que vous dites
01:41:22 parce que parfois on pourrait en discuter
01:41:24 on pourrait en débattre, nous en avons déjà débattu
01:41:26 et que parfois, oui, vous pouvez
01:41:28 être tenté de forcer le trait sur certains
01:41:30 et alors, cette maison
01:41:32 elle est là pour exprimer ça, c'est une maison
01:41:34 d'échange. Je voudrais aussi rendre hommage
01:41:36 à un qui n'était pas toujours d'accord
01:41:38 avec ce qu'il se disait et qui est à l'origine
01:41:40 de l'organisation de ce jour-là
01:41:42 mais malgré tout il est là et toujours là
01:41:44 et même qu'il va même parler
01:41:46 qui est Fabrice et puis
01:41:48 de même Anne
01:41:50 qui était là aussi pour représenter le CNC
01:41:52 et qui n'entend pas toujours des choses très agréables à entendre
01:41:54 mais, oui, c'est comme ça, c'est la vie
01:41:56 on est là pour causer
01:41:58 et ça aide à penser, je crois que
01:42:00 voilà, en tout cas
01:42:02 je voulais vous remercier pour la manière
01:42:04 dont vous dites les choses et vous remercier pour votre passion
01:42:06 et que cette maison est la vôtre
01:42:08 de même que c'est celle d'Alice
01:42:10 Voilà, merci
01:42:20 Une dernière chose
01:42:22 parce que peut-être que vous n'étiez pas tous là ce matin
01:42:24 c'est aussi vous dire que
01:42:26 ce n'est que le premier épisode d'une série de 4
01:42:28 pour le moment, donc nous nous retrouvons
01:42:30 le 19 avril
01:42:32 pour le second épisode
01:42:34 de cette matière à penser
01:42:36 qui sera consacré au personnage, fortune et infortune
01:42:38 du personnage documentaire
01:42:40 Voilà, une autre journée
01:42:42 pour réfléchir ensemble
01:42:44 et puis deux autres journées suivront
01:42:46 après l'été
01:42:48 dont on vous parlera plus tard
01:42:50 (...)

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