• l’année dernière
Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:04 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
00:08 Place à la rencontre.
00:10 Aujourd'hui, notre invitée est historienne,
00:12 membre du laboratoire d'histoire à l'université de Rouen.
00:15 Après avoir travaillé sur la jeunesse,
00:17 mai 68, la commune, mais aussi les Champs-Elysées,
00:20 ça m'a interpellée.
00:21 Elle co-dirige un volume imposant sur la révolution,
00:24 ou devrais-je dire, les révolutions.
00:26 Bonjour, Lili Pimentini.
00:27 Bonjour, merci beaucoup de votre accueil.
00:29 Bienvenue dans les midis de culture.
00:31 Alors, "Une histoire globale des révolutions",
00:32 c'est le titre de cet ouvrage que vous avez co-dirigé,
00:35 Ludivine Bantini.
00:36 Avant de vous poser ma première question,
00:37 j'aimerais vous raconter une anecdote
00:39 qui m'est arrivée cet été, en famille.
00:41 Une discussion politique qui a dérapé,
00:43 comme souvent dans ce cadre-là,
00:45 le sujet, les émeutes qui ont eu lieu en juin dernier.
00:48 Alors d'un côté, il y avait ceux qui soudenaient
00:50 qu'il s'agissait des prémices d'une révolution.
00:53 De l'autre, ceux qui ont écarté cette éventualité
00:55 d'un revers de la main,
00:57 réduisant ça à du pur désordre.
00:59 Le point "révolution française" a donc été atteint
01:03 très rapidement.
01:04 Comment expliquez-vous, Ludivine Bantini,
01:06 qu'on en vienne souvent, pour ne pas dire toujours,
01:08 à ce point de l'histoire dès qu'on parle politique en famille ?
01:12 Parce que la révolution française est évidemment
01:15 un événement matriciel,
01:17 auquel on doit énormément en termes de droits,
01:19 de liberté, d'émancipation, de justice,
01:23 mais dont on retient, malheureusement à mon avis,
01:25 trop souvent la dimension de violence,
01:29 et en particulier de violence en révolution,
01:31 parce qu'il ne s'agit pas seulement de violence révolutionnaire.
01:33 Donc je compatis évidemment face à ce qui vous est arrivé,
01:36 bien sûr, sur la question tout simplement des rébellions,
01:41 des révoltes dans les quartiers populaires.
01:44 Évidemment, ce n'est absolument pas comparable
01:46 avec les mouvements révolutionnaires
01:47 que l'on a pu connaître, mais en revanche,
01:50 oui, qu'il y ait une aspiration à la dignité,
01:52 à la reconnaissance et à la justice,
01:53 ça me paraît évident.
01:55 - Comment vous expliquez, Ludivine Montigny,
01:57 ce paradoxe entre le fait de parler tout le temps
02:00 de révolution, d'en appeler tout le temps à ça,
02:02 de vouloir tout le temps le comparer,
02:03 de se poser tout le temps la question de
02:05 « S'agit-il d'une révolution ?
02:06 Est-ce qu'on va revivre la révolution de 1789 ? »
02:09 tout en disant « Mais non, ce n'est pas possible,
02:11 c'était une autre époque,
02:13 il y avait un soulèvement de tous et de toutes ».
02:16 Est-ce que vous comprenez comment on peut dépasser ça ?
02:19 Cet appel à la révolution,
02:20 et en même temps cette idée que ce serait impossible ?
02:23 - En fait, on peut le dépasser tout simplement par l'histoire,
02:25 c'est ce qu'on a tenté de faire dans ce livre
02:26 « Une histoire globale des révolutions »,
02:28 parce que l'analyse, l'enquête par les archives révolutionnaires
02:32 nous démontre que finalement,
02:33 l'événement révolutionnaire est à la fois grandiose,
02:37 mais banale dans l'histoire.
02:38 Puisqu'on a pu constater qu'y compris dans la seconde moitié du XXe siècle,
02:43 il y a eu une effervescence révolutionnaire
02:44 et de nombreuses révolutions.
02:46 Souvent on se dit que la révolution,
02:47 c'est une histoire de passé lointain,
02:48 comme vous venez de souligner en mentionnant justement
02:50 la révolution française.
02:52 On pourrait mentionner aussi,
02:54 tout aussi importante je crois,
02:55 la révolution haïtienne,
02:56 qui est englobée dans ces révolutions du XVIIIe siècle
03:00 et du début du XIXe siècle.
03:01 Révolution incroyable !
03:03 Mais voilà, on se dit,
03:03 ça renvoie à quelque chose de clos.
03:07 Et d'ailleurs, l'historien François Furet
03:09 n'avait pas manqué de dire,
03:09 mais finalement, la révolution est terminée.
03:11 Et ce faisant, quand il le disait en 1978,
03:14 c'était aussi une volonté,
03:15 que ce soit une sorte de prophétie autoréalisatrice.
03:18 On dit, la révolution est terminée,
03:20 donc elle est bel et bien terminée.
03:21 Mais la dernière constellation révolutionnaire
03:24 à laquelle on a assisté,
03:26 depuis la Tunisie, la Syrie,
03:29 l'Egypte bien évidemment, le Bahreïn,
03:31 jusqu'à l'Algérie,
03:34 bien sûr ce qui se passe en Iran actuellement,
03:36 qui est un véritable soulèvement révolutionnaire,
03:37 nous fait la démonstration à nouveau que non,
03:40 ce n'est pas une histoire close,
03:41 tout au contraire.
03:42 - Si on en appelle toujours à la révolution française,
03:44 c'est aussi parce que, vous l'avez dit,
03:45 c'est grandiose, mais banale,
03:47 mais c'est aussi que ça a été très souvent romancé.
03:49 On a beaucoup raconté cette histoire de notre imaginaire,
03:52 on coupe des têtes.
03:53 Et c'est ça qui selon vous, fait qu'on s'y réfère,
03:56 parce qu'on connaît ce moment de l'histoire.
04:00 - Oui, mais je trouve très regrettable
04:02 qu'on associe la révolution française,
04:04 qui a un moment d'une telle émancipation,
04:07 d'une telle conquête de droits,
04:08 avec une proclamation de droits universels.
04:11 C'est l'abolition de l'esclavage,
04:12 c'est la fin de ce système particulièrement violent
04:18 de monarchie absolue.
04:19 Il faut se rappeler, je relisais des éléments
04:21 sur les affaires Callas, les affaires du Chevalier de la Barre,
04:24 avec ces tortures atroces, ces mises à mort absolument terribles,
04:29 y compris dans la guillotine,
04:30 comme l'a très bien montré Sophie Vaniche,
04:32 mais aussi Jean-Clément Martin,
04:33 qui sont deux contributeurs et contributrices du livre.
04:36 Avec la guillotine, il s'agit y compris d'euphémiser la violence.
04:40 Il s'agit de calmer cette violence,
04:44 y compris par rapport à cette violence terrible
04:46 qui était celle de l'Ancien Régime.
04:48 Et qu'on oublie trop souvent.
04:49 Mais en tout cas, associer la Révolution à la seule guillotine,
04:52 ça me paraît terriblement réducteur,
04:54 et très difficile aussi à admettre
04:56 par rapport au courage considérable des protagonistes.
05:00 "Allons-y ! Feu partient !"
05:06 Ce soir-là, le Roi s'était couché
05:14 après avoir écrit dans son carnet 14 "rien".
05:19 Soudain, il est réveillé en sursaut.
05:21 Le grand maître de sa garde-robe,
05:23 le duc de la Rochefoucauld-Liancourt,
05:25 est là, à son chevet.
05:27 "Sire, la Bastille est prise."
05:29 "Prise ?"
05:30 "Oui, sire, par le peuple.
05:33 Le gouverneur a été assassiné.
05:34 On porte sa tête sur une pique par toute la ville."
05:36 "Mais c'est une révolte !"
05:37 "Non, sire, c'est une Révolution."
05:40 Alors voilà, on y revient à la Révolution de 1789.
05:43 Ludivine Ventini, avec cette célèbre réplique
05:46 de la Rochefoucauld à Louis XVI
05:48 dans La Nuit du 14 au 15 juillet 1789.
05:50 Ce n'est pas une révolte, c'est une Révolution.
05:53 Parlons d'abord définition,
05:54 puisque c'est quand même l'objet de cet ouvrage
05:56 imposant que vous avez co-dirigé, Ludivine Ventini,
05:58 Une histoire globale des Révolutions.
06:01 Quelle serait la définition à donner de la Révolution ?
06:05 Ou plutôt des Révolutions ?
06:07 "Je vais dire qu'étant donné le nombre de contributrices
06:09 et contributeurs dans cet ouvrage,
06:11 qui viennent du monde entier,
06:12 la définition peut avoir des déclinaisons,
06:14 mais il ne s'agit pas pour autant
06:15 de contourner la question de Churchill et de Chaplet,
06:17 donc je vais m'y essayer à cette réponse.
06:21 En fait, c'est un soulèvement populaire.
06:23 Donc pour qu'il y ait Révolution, il faut qu'il y ait du peuple.
06:25 Il faut qu'il y ait une fraction de la population,
06:28 au sens sociologique du terme, ou démographique,
06:31 qui devient politique,
06:32 qui devient une catégorie qui est autre,
06:34 qui est la notion de peuple,
06:35 au sens où cette catégorie devient politique
06:38 dans son action, elle est agissante,
06:41 elle a cette capacité d'agir,
06:42 et elle a aussi cet élan, cet enthousiasme.
06:44 Donc il faut qu'il y ait un protagonisme populaire.
06:47 C'est-à-dire des hommes et des femmes,
06:49 on va dire, ordinaires,
06:50 qui sont placés en situation extraordinaire,
06:52 et qui ont conscience de faire l'histoire.
06:54 Ça c'est un premier coup d'œil."
06:54 "Voilà, qui ont conscience."
06:55 "Qui ont conscience."
06:56 "Ça, ça m'intéresse, parce que c'est pas juste en fait des...
06:59 Pour revenir justement à l'idée, à la différence avec les révoltes,
07:02 ou avec les émeutes par exemple, dont on a parlé,
07:05 il faut qu'il y ait une conscience,
07:06 c'est-à-dire se dire, là, en fait,
07:08 on se soulève ensemble dans un but précis."
07:11 "Oui, mais je ne les opposerai pas, en l'occurrence.
07:13 Dans ces différentes circonstances et événements que vous mentionnez,
07:16 je ne les opposerai pas du point de vue de la conscience.
07:18 Parce que dans les révoltes,
07:20 donc on peut appeler émeutes,
07:22 mais je préfère le mot de révolte,
07:24 et je me souviens de ce que disait Victor Hugo
07:26 dans la différence entre ces deux termes,
07:27 en fait, émeute est souvent le mot des...
07:30 Voilà, de ceux qui veulent écraser,
07:32 donc qui entendent disqualifier et dénigrer les soulèvements populaires.
07:36 Donc en l'occurrence, dans les révoltes,
07:38 dans les soulèvements,
07:40 il y a une conscience.
07:41 Il y a une conscience active,
07:43 et une volonté, et des valeurs,
07:45 et une éthique.
07:46 Mais disons qu'il n'y a pas le deuxième critère
07:49 auquel j'allais venir pour définir la révolution,
07:50 c'est qu'il faut qu'il y ait un renversement radical.
07:53 Il faut qu'il y ait un renversement du pouvoir,
07:56 mais aussi, le plus souvent,
07:58 accompagné d'un bouleversement des rapports sociaux,
08:02 de la distribution des richesses.
08:03 Un bouleversement dans le rapport à la production.
08:08 - C'est pas qu'un parti, c'est un changement de régime politique.
08:10 - Un changement de régime.
08:11 - C'est pas seulement un parti qui en remplace un autre.
08:13 - Du tout, voilà, c'est ça.
08:14 Il faut qu'il y ait un changement de régime et d'institution,
08:17 mais également une modification radicale
08:20 des manières sociales et culturelles de vivre, en fait.
08:22 Il y a une modification importante
08:24 de l'ordre de la métamorphose des formes de vie et d'existence.
08:28 - Mais alors sur le renversement,
08:30 à quel moment on se dit que c'est renversé ?
08:34 Vraiment, que tous les rapports sociaux sont modifiés ?
08:37 À quel moment ?
08:38 Peut-être que je vais un peu trop vite, Ludivine Manthi,
08:39 mais à quel moment ça se finit ?
08:42 - Oui, alors, en fin de ronde, à la fin,
08:43 on peut parler de processus.
08:45 - On peut dire que le renversement est le but.
08:48 - Oui, mais...
08:49 - Ou un moment.
08:50 - Alors, Blanqui, Marx, Rosa Luxembourg,
08:53 puis Trotsky, on est parlé de révolution permanente.
08:55 Et donc, avec l'idée qu'il y a un processus en spirale
08:59 qui n'a pas véritablement d'achèvement
09:02 si on veut poursuivre la révolution
09:04 dans un sens d'une justice la plus étendue possible.
09:07 C'est ce que voulait aussi Baboeuf
09:09 au cœur de la Révolution française,
09:11 c'est-à-dire faire en sorte que cette révolution soit aussi sociale,
09:13 accorde des droits en termes sociaux,
09:15 en termes de rapport au travail,
09:17 en termes de distribution des richesses.
09:19 Mais disons que, justement, les temporalités sont superposées,
09:23 elles sont emboîtées, elles sont entremêlées.
09:25 On ne peut pas imaginer juste une révolution comme un grand soir.
09:28 Ça, je pense qu'il faut en finir avec cette mythologie du grand soir.
09:31 Il y a des temporalités diverses,
09:33 y compris, par exemple, à propos de la Révolution française,
09:35 même si, encore une fois, notre livre essaie de décentrer le regard.
09:38 - On va dépasser ce cas-là.
09:40 - Je n'en doute pas.
09:41 Mais quelqu'un qui n'était pas soupçonné de gauchisme,
09:43 à savoir François René de Châteaubriand,
09:46 disait à propos de la Révolution française
09:48 qu'elle était déjà terminée au moment où elle a surgi.
09:51 Qu'est-ce qu'il voulait dire par là ?
09:51 C'est qu'en fait, il y avait eu une révolution des structures sociales,
09:54 des structures économiques,
09:56 en l'occurrence, une sorte de prise de pouvoir socio-économique de la bourgeoisie,
09:59 en tant que catégorie sociale, voire de classe sociale,
10:03 qui a permis le surgissement, en termes d'éruption,
10:07 en termes d'événement, je dirais presque d'événementialité.
10:10 Et souvent, dans les révolutions, il y a de ça.
10:11 Il y a, d'une part, un bouleversement progressif des manières de vivre.
10:17 Par exemple, avant la Commune de Paris,
10:20 ce sont les coopératives, les mutuelles, les associations populaires,
10:24 les chambres syndicales, les grèves.
10:26 Et puis, tout à coup, il y a un moment révolutionnaire.
10:28 Mais ça, ce n'est pas forcément conscientisé.
10:30 Par exemple, pour la Révolution de 1789,
10:33 le fait qu'il y ait une demande de plus d'égalité,
10:37 ou même, par exemple, qu'on se passe de formes aristocratiques,
10:41 que les régimes commencent un petit peu à s'effriter,
10:44 fait que ça, ce n'était pas vraiment conscientisé, là, pour le coup.
10:47 Non, mais cette Révolution l'Atlante, elle est presque imperceptible.
10:50 Imperceptible ou impalpable, mais il y a quand même des idées qui circulent.
10:53 Et dès lors, des valeurs.
10:54 On est, bien sûr, au cœur des Lumières.
10:57 On est au cœur de tout un travail d'émancipation,
11:01 un travail de mise au jour de nécessité de liberté, d'égalité,
11:06 de liberté de conscience, de liberté de pensée.
11:09 Et ça, ça infuse, en fait, de beaucoup de manières
11:12 dans le peuple protagoniste du mouvement révolutionnaire.
11:14 - Ça veut dire que les personnes qui sont en train,
11:16 le peuple qui est en train de se soulever peut dire
11:20 "Nous sommes en train de faire la Révolution",
11:22 ou alors on ne peut définir ce qu'est une Révolution qu'a posteriori.
11:26 - Alors, ça dépend vraiment des moments.
11:28 Et justement, pendant la Révolution française,
11:30 ce qu'il y avait de tout à fait particulier,
11:31 c'est que le mot a quasiment été inventé.
11:34 Alors, j'exagère évidemment, mais je vais préciser ma pensée à ce moment-là.
11:37 Et donc, il n'y avait pas d'exemples antérieurs.
11:39 Alors, nous, on essaie de poser justement la question des Révolutions
11:42 avant le mot de Révolution,
11:43 c'est-à-dire avant l'acception moderne de la notion de Révolution.
11:47 C'est-à-dire, Révolution, ce n'est plus un retour au même.
11:51 Ce n'est plus de l'ordre de l'astronomie,
11:54 d'un retour cyclique des choses.
11:57 Mais c'est bel et bien un événement quasiment perpendiculaire
12:01 au temps tranquille et linéaire,
12:03 et qui vient briser l'ordre des choses et l'ordre dominant.
12:06 Et donc, sur la conscience, à cette époque,
12:08 c'est vrai que c'est difficile de se dire "Nous sommes en Révolution".
12:10 C'est pour ça que le mot de la Rochefoucauld, lui, en cours,
12:12 est probablement apocryphe.
12:14 Mais peu importe.
12:14 Mais justement, ce que, y compris l'extrait que vous avez passé et vos questions,
12:18 me font penser à un magnifique livre, qui est celui d'Éric Vuillard, 14 juillet.
12:22 À quel moment on se dit que ça a basculé ?
12:25 Et donc, il rend compte de cette journée du 14 juillet,
12:28 en écrivain, en romancier, mais aussi, il a fait un vrai travail d'archive.
12:31 Et c'est au moment, par exemple, où le pont-levis de la Bastille s'abaisse,
12:37 et où, tout à coup, derrière soi, il y a un autre espace.
12:41 Et c'est un autre espace-temps, c'est derrière soi, il y a l'Ancien Régime.
12:44 Et tout à coup, au bout de l'avenue, il y a autre chose.
12:46 Il y a un futur nouveau qui se dessine, un horizon des possibles,
12:50 qui est en train de se dessiner là, et avec la conscience,
12:53 évidemment, que quelque chose de radical se produit.
12:55 Cette évolution du terme en France et en Europe,
12:58 donc du terme "révolution", Ludivine Mantini,
13:00 est-ce qu'on le retrouve, puisqu'on va dépasser ces frontières-là, à l'échelle mondiale ?
13:05 Oui, alors, ce qu'on a essayé d'étudier, notamment,
13:07 ce sont les évolutions de ce mot, et même les révolutions du mot "révolution".
13:12 Je prendrai deux exemples rapidement.
13:15 Le premier, c'est celui de la notion chinoise de "Jaming",
13:19 qui est bouleversée au XXe siècle.
13:23 Je m'explique. "Jaming", en fait, ça veut dire plutôt un renversement de nature céleste,
13:28 donc divin, métaphysique, en fait.
13:31 C'est le fils du ciel, l'empereur, qui apparaît comme, véritablement,
13:37 un messager d'une puissance divine.
13:42 Et "Jaming", à partir de la révolution chinoise de 1911,
13:46 voit son sens se transformer, en descendant, finalement, dans la sphère terrestre,
13:52 et en s'inspirant, justement, d'autres mouvements révolutionnaires,
13:55 pour dire qu'en fait, la révolution, elle est désormais faite,
13:58 non pas par des puissances métaphysiques,
14:01 mais par des hommes et des femmes qui en sont les protagonistes.
14:05 Et c'est un peu la même chose pour le mot de "Torah".
14:07 Alors, je le prononce sans doute mal, mais il y a un mot arabe qui, à l'origine, veut dire "surrection".
14:12 C'est une sorte de soulèvement, par exemple, du sable dans le désert au passage des chevaux.
14:17 Et donc, il y a vraiment l'idée de "diruption", de soulèvement.
14:20 Et c'est le mot, finalement, qui a été le plus utilisé,
14:22 qui désormais veut, bel et bien, dire "révolution",
14:25 qui a été le plus utilisé pendant la séquence révolutionnaire,
14:28 que nous, ici, nous avons plutôt coutume d'appeler "les printemps arabes",
14:32 mais le terme lui-même, là-bas, est un peu contesté.
14:35 D'abord, parce que ça serait cacher le fait qu'il s'agit, bel et bien, de révolution,
14:40 et pas seulement de printemps.
14:41 Et puis, "printemps arabe", ça renvoie aussi au printemps des peuples davantage européens.
14:46 Et il ne s'agit pas, justement, de calquer, il ne s'agit pas de se dire qu'on imite l'Europe.
14:50 Pas du tout. Et c'est le sens aussi de notre livre.
14:52 C'est de décentrer le regard, y compris par rapport à l'Europe,
14:54 même si elle reste présente, évidemment.
14:56 - Mais justement, est-ce qu'il n'y a pas une uniformisation de la révolution ?
14:59 C'est-à-dire que, voilà, on pourrait, non pas appliquer un modèle d'un pays à l'autre,
15:04 mais vraiment, en fait, se dire "la révolution, elle aussi, a subi une forme de mondialisation".
15:11 Et donc, elle s'est répandue à travers la planète.
15:15 - Alors, il y a de fait une mondialisation de la révolution,
15:18 par effet de circulation révolutionnaire, y compris de fraternité entre les peuples.
15:24 Alors, on pourrait ajouter d'ailleurs la notion de sororité, parce que les femmes y sont très présentes.
15:27 Mais il reste, bien sûr, des singularités, je dirais même,
15:31 des singularités plus locales que strictement nationales,
15:34 parce que le cadre national n'est pas toujours tout à fait pertinent pour parler de mouvements révolutionnaires.
15:39 Et ce qu'on essaie de montrer, c'est que derrière un certain schématisme
15:43 de ce que l'on voit en général sur les processus révolutionnaires,
15:45 eh bien, il y a vraiment des spécificités locales
15:49 qui, parfois, s'appuient beaucoup sur des formes de spiritualité
15:53 que nous ignorons un peu trop en Europe.
15:55 - Par exemple, comment ?
15:56 - Je citerai, par exemple, deux cas.
15:58 Le premier, c'est la révolution haïtienne, que j'ai déjà mentionné,
16:00 mais qui me semble très essentielle d'évoquer, à partir de 1791,
16:06 puisque c'est un soulèvement, c'est une révolution d'esclaves et d'anciens esclaves
16:11 qui mettent en place la première république noire.
16:14 Donc, c'est un mouvement à la fois décolonial, anti-impérialiste, c'est gigantesque.
16:19 Et qu'aujourd'hui, parfois, on ne connaisse même pas tout ça, l'ouverture,
16:24 alors qu'on devrait le connaître tout autant qu'Aurobesquie a peut-être un problème.
16:27 Mais dans cette révolution haïtienne, il y a des spiritualités,
16:30 notamment des spiritualités vaudous, qui sont réellement présentes.
16:35 Et si on se place peut-être à l'autre bout de la chaîne chronologique,
16:38 je mentionnerai un cas que nous étudions dans le livre, qui est celui du Mozambique,
16:42 donc une révolution au Mozambique contre la domination coloniale portugaise en 1975.
16:49 Et là, on a aussi des formes de spiritualité qui renvoient à un certain rapport au passé et à la temporalité.
16:55 C'est-à-dire qu'on a un grand respect des ancêtres.
16:58 Et les ancêtres sont comme des spectres, comme des fantômes qu'il s'agit de respecter.
17:03 C'est une pensée spirituelle qu'on retrouve par exemple aussi chez le révolutionnaire Martiniquais Frantz Fanon,
17:10 qui parlait justement de cette dimension spirituelle dans la révolution.
17:15 Des fantômes qui nous hantent, mais pas forcément de manière pesante ou négative.
17:20 - C'est une dimension qu'on travaille peu, par exemple, dans l'histoire française,
17:24 cette dimension spirituelle des mouvements révolutionnaires.
17:28 Même actuellement, quand on peut parler de révolution ou de révolte,
17:32 cette dimension-là, elle est très peu présente. Comment vous l'expliquez ?
17:34 - On devrait le faire parce qu'il y a toujours une forme de spiritualité au fond.
17:38 Même quand on laïcise la notion, il y a des valeurs de justice, de liberté, d'universalisme, d'égalité,
17:46 de revendication de droits et de biens, et d'une vie bonne et d'une vie juste.
17:50 - Qu'on invoque en vertu d'un passé ?
17:53 - Ça peut l'être aussi. Je trouve qu'il y a aussi une figure qui hante un peu.
17:57 Je ne voudrais pas dire le livre, parce que je ne veux pas trop parler non plus au nom de tous mes coauteurs et coautrices,
18:03 mais c'est celle du philosophe allemand Walter Benjamin, qui montrait que la révolution,
18:08 c'est aussi une manière de rendre grâce au passé et à toutes les figures vaincues du passé,
18:14 mais pour les faire revivre dans la victoire.
18:17 Donc, c'est aussi une question de dignité.
18:20 Et par exemple, une forme révolutionnaire aujourd'hui, qui nous est contemporaine dans le chapas mexicain,
18:27 la révolution néo-zapatiste, donc la rébellion néo-zapatiste, qui est véritablement un processus révolutionnaire,
18:33 mais s'inspire aussi d'une spiritualité très liée au respect des ancêtres, du vivant.
18:37 Donc, c'est aussi une révolution très importante sur le plan environnemental, mais aussi féministe.
18:44 Donc, cette spiritualité, justement, aujourd'hui, elle est interrogée, elle est regardée de plus en plus
18:50 par celles et ceux qui se battent pour une vie meilleure, dans le sens aussi d'un respect du vivant dans son ensemble.
18:56 C'est aussi une forme de spiritualité.
18:58 Nos camarades, c'est que vous tournez.
19:00 [Applaudissements]
19:03 Pour la première fois, depuis le contact des deux continents, Europe-Afrique,
19:09 un peuple met fin à la domination.
19:12 [Cris de la foule]
19:14 Castro, je vois Castro, il est juste devant moi.
19:18 Il va s'arrêter, il dit quelque chose, je crois.
19:20 La foule crie plus fort.
19:22 Vous entendez, je vois des soldats qui, vers le ciel, pointent leurs armes.
19:27 Ce sont quand même des tireurs à billes.
19:29 Ils dirigent tous là, vers le ciel.
19:30 Et Castro continue sa marche et s'avance.
19:33 Ah, celui-là est parti pas loin.
19:35 Il leur apprend comment faire une révolution sans violence,
19:40 de la part d'une personne âgée, comme Mao Zedong, qui a 72 ans.
19:45 De donner le pouvoir aux jeunes, c'est vraiment quelque chose de très fantastique.
19:49 Et c'est vrai qu'on a beaucoup entendu le nom de Roménie.
19:52 Il est escandé par des centaines de milliers de personnes,
19:55 hommes et femmes en tchador noir.
19:57 Rendissant son portrait géant, certains manifestants ont chanté "Roménie est grande".
20:03 [Cris de la foule]
20:06 Les portraits de Médali sont jetés par les fenêtres de ce bâtiment du RCD.
20:12 La population écrase, piétine le portrait de l'ex-président tunisien.
20:18 [Cris de la foule]
20:21 La Guinée en 1958, Cuba en 1959, la Chine en 1966, l'Iran en 1979 et enfin la Tunisie en 2011.
20:31 Voilà plusieurs cas de révolution ailleurs qu'en Europe, ailleurs qu'en France.
20:36 Qu'est-ce qui vous semblait important de dégager de ces différentes formes de révolution,
20:41 Ludivine Mantini, sans pour autant oublier l'idée quand même
20:45 qu'il fallait distinguer un schéma particulier de révolution ?
20:50 Ce qui est intéressant, c'est justement la singularité de chaque révolution
20:54 et en même temps les manières d'influence, d'inspiration.
20:58 Il y a comme un trésor de la révolution qui se transmet sans qu'il y ait de modèle.
21:06 Ça c'est intéressant, il y a quelque chose qui se transmet sans modèle.
21:08 Oui, parce que par exemple la révolution cubaine, ça s'est très bien montré par Eugénia Paleraki,
21:13 par Rafael Pedemonte dans l'ouvrage et dans leurs travaux en général.
21:17 C'est que bien sûr Cuba, puisqu'on l'a mentionné, on l'a entendu,
21:20 Cuba est une sorte d'étincelle révolutionnaire qui va servir de creuser aussi d'espoir,
21:28 notamment dans une perspective très internationaliste, très transnationale,
21:32 avec des initiatives liées à la tricontinentale, l'Amérique du Sud, l'Afrique et l'Asie.
21:38 Mais en même temps, ce que montrent Eugénia Paleraki et Rafael Pedemonte,
21:41 c'est qu'il ne s'agit pas d'imiter Cuba ailleurs, en Uruguay, au Nicaragua, en Argentine.
21:48 Il ne s'agit pas d'imiter par exemple la forme du foco, c'est-à-dire du foyer de guérilla.
21:54 Il ne s'agit pas de se dire que nécessairement, par exemple, la paysannerie sera la classe révolutionnaire.
21:59 Il peut y avoir des formes beaucoup plus urbaines, beaucoup plus prolétariennes, ouvrières de la révolution.
22:03 Donc il n'y a pas de schématisme, il n'y a pas de volonté d'imitation passive, en quelque sorte, servie à la forcerie.
22:14 - On ne peut pas imiter parce qu'il n'y a personne qui décide "on va faire la révolution,
22:19 on va la faire comme ceci, on va appliquer tel modèle ensuite".
22:23 Enfin, je veux dire, ce n'est pas une décision d'une seule personne qui dirait
22:27 "il faudrait appliquer tel modèle ou un autre modèle".
22:31 - Bien sûr, mais il existe des organisations révolutionnaires,
22:35 et de plus en plus des partis révolutionnaires et des internationales,
22:39 qui, sans forcément parler de manuels, certains peuvent signer des manuels de guérilla,
22:48 mais il y a quand même une volonté de dessiner une analyse des rapports de force,
22:58 une conscience de ce qui peut être fait, et donc de tracer des voies.
23:02 Et c'est vrai que la question de l'avant-garde révolutionnaire, elle est aussi interrogée dans l'ouvrage,
23:06 parce que ces partis révolutionnaires se sont longtemps considérés comme une avant-garde
23:12 qui avait en tout cas plusieurs voies pour mener la révolution.
23:18 Mao, par exemple, était marxiste très tôt et communiste très tôt,
23:24 mais dès le début des années 1920, il avait compris qu'en Chine,
23:28 la révolution ne serait pas respectueuse de l'analyse marxiste des classes sociales,
23:34 que ce ne serait pas le prolétariat urbain d'abord qui ferait la révolution.
23:37 Donc à chaque fois, on retrouve cette singularité du local et des régions spécifiques.
23:43 - Alors justement, Ludivine Mandivia, est-ce qu'il suffit de se dire révolutionnaire pour l'être,
23:49 pour la faire cette révolution ?
23:50 Est-ce que les partis, les organisations révolutionnaires dont vous parlez,
23:55 elles permettent cette révolution-là ou au contraire, en fait, elles n'ont de révolutionnaire que le nom ?
24:00 - Alors il y a des révolutionnaires sans révolution, ça c'est l'évidence.
24:03 Il y a plusieurs générations de révolutionnaires sans révolution
24:06 et qui en souffrent sans doute ou en ont souffert parce que toute leur vie a été tournée,
24:13 parfois jusqu'au sacrifice, vers des révolutions qui n'ont pas eu lieu,
24:17 vers un espoir de révolution.
24:20 On ne peut pas non plus se contenter de dire qu'on est révolutionnaire pour l'être
24:24 au sens où, par exemple, nous avons exclu des régimes
24:28 tels la Révolution Nationale de Philippe Pétain.
24:31 Voilà, c'est bien la révolution, mais c'était dans un sens de retour du même,
24:35 justement dans un sens très réactionnaire.
24:37 Finalement, l'acception astronomique initiale du terme,
24:40 les régimes nazis et fascistes qui se sont réclamés de la révolution,
24:44 mais qui étaient contre-révolutionnaires parce que
24:46 ils voulaient justement, d'ailleurs, nier tout l'héritage de la Révolution française
24:50 en termes de droits, de droits humains, de droits universels,
24:53 de justice, d'égalité et d'émancipation.
24:54 Donc, évidemment, l'autodésignation comme révolutionnaire
24:57 ne suffit pas à faire des révolutionnaires ou des révolutions.
24:59 - Et comment vous avez fait pour gérer, Ludivine Mantini,
25:02 le présupposé idéologique autour de la révolution ?
25:07 C'est-à-dire que pour certains, elle serait forcément bonne,
25:10 alors que pour d'autres, elle serait forcément mauvaise
25:12 parce que synonyme de violence, de renversement de pouvoirs
25:16 qui ne sont pas forcément dans l'égalité.
25:20 Est-ce que vous avez écarté toute cette dimension morale
25:23 ou est-ce que quand même, pour travailler sur la Révolution,
25:25 il faut quand même penser que c'est quelque chose de bien ?
25:27 - Alors, les deux, mon capitaine !
25:31 C'est-à-dire qu'on a essayé de résoudre cette aporie,
25:35 dépasser la dichotomie dont vous parlez,
25:37 cette espèce de binarité par l'histoire, tout simplement,
25:41 et par l'objectivation que l'histoire...
25:42 - Ce n'est pas forcément bon en soi, une révolution ?
25:45 - Bien sûr.
25:46 Je crois, alors j'espère, encore une fois,
25:49 ne pas tromper la confiance des co-auteurs et co-autrices de ce livre
25:53 en disant qu'il y a quand même une forme d'empathie
25:57 à l'égard du courage des hommes et des femmes
26:01 qui décident de changer la vie, pour reprendre l'expression de Rimbaud,
26:04 qui décident d'aller dans le sens de ce que disait Brecht
26:08 sur la fin, la fin F.I.M. des joies de la vie.
26:12 Parce qu'il y a aussi cette dimension de joie dans la révolution,
26:15 l'idée qu'on va renverser les puissants, la domination,
26:19 les formes d'exploitation, d'écrasement, etc.
26:21 Et donc, on est en empathie à l'égard de ces espoirs
26:26 et de ces pratiques qui ont été souvent courageuses.
26:28 Mais pour autant, nous l'avons fait en historien et historienne.
26:31 Et donc, en essayant, selon l'expression qu'on utilise dans le livre,
26:33 et je dois rendre à César ou plutôt à Boris Gobi ce qui lui appartient,
26:37 c'est-à-dire "ni livre rouge, ni livre noir".
26:40 C'est l'expression que Boris Gobi, qui a co-dirigé cet ouvrage,
26:44 a trouvé et que nous mentionnons.
26:46 Ça me paraît assez juste.
26:48 C'est-à-dire qu'en effet, ce n'est pas un livre noir de la révolution,
26:50 certainement pas, parce que ce serait justement disqualifier la révolution,
26:56 alors qu'encore une fois, l'histoire des révolutions
26:59 est d'un apport considérable dans les droits auxquels nous avons accès aujourd'hui.
27:03 Mais ni livre rouge non plus, évidemment,
27:05 ce n'est pas un bréviaire révolutionnaire.
27:08 - Est-ce qu'on peut dire que la révolution est forcément violente ?
27:13 Est-ce qu'on peut aussi avancer dans une révolution,
27:16 sans, on disait tout à l'heure, couper des têtes,
27:18 mais sans que cette notion de violence soit là présente ?
27:22 - Pas du tout.
27:23 En fait, on récuse un peu toute idée de fatalisme ou de malédiction.
27:28 Donc, il n'y a pas de nécessité.
27:30 D'ailleurs, il y a des révolutions qui se mènent sans verser une goutte de sang.
27:33 On pourrait penser à la révolution des œillets,
27:35 qui est traitée dans le livre par Victor Péreira, en 1974.
27:39 Révolution assez extraordinaire, parce qu'elle est composée de deux grands protagonistes
27:44 qui, en général, peuvent s'affronter.
27:47 C'est-à-dire, d'une part, l'armée,
27:49 qui rejette désormais le régime colonialiste de la dictature au pouvoir.
27:54 Et puis, le peuple auto-organisé.
27:57 L'auto-organisation populaire est tout à fait fondamentale.
27:59 Donc, la révolution des œillets, on pourrait citer bien d'autres révolutions.
28:02 Je mentionnerai le cas des Philippines, en 1986.
28:06 Ce qu'on a observé, du coup, c'est que, finalement,
28:09 les révolutions sont de moins en moins violentes.
28:15 Peut-être parce qu'à certains moments, les régimes s'effondrent eux-mêmes
28:18 devant la capacité et la puissance, encore une fois, d'organisations populaires.
28:23 Mais je citerai aussi une révolution que je connais bien,
28:26 c'est la Commune de Paris, qui n'était pas violente.
28:29 Et justement, qui récusait la violence.
28:31 Qui s'est retrouvée bombardée, massacrée dans les pires conditions.
28:35 - Il y a quand même l'épisode de la semaine sanglante.
28:36 - Oui, mais elle n'était pas violente.
28:37 Et justement, pour avoir refusé globalement d'être violente,
28:41 y compris, il y a eu une guillotine qui a été brûlée symboliquement
28:44 pendant la Commune de Paris.
28:47 Souvent, on dirait, il y a eu les deux généraux qui ont été tués le 18 mars 1911.
28:51 Mais ce n'était pas du tout la Commune, ils n'étaient pas proclamés.
28:52 C'était par leurs propres soldats qu'ils ont été tués.
28:55 Mais justement, la Commune de Paris se voulait non violente.
28:57 Il n'est qu'à lire ce peintre quand même assez exceptionnel,
29:00 Gustave Courbet, qu'on connaît comme peintre,
29:02 mais qu'on peut connaître aussi comme révolutionnaire,
29:05 qui disait "Nous ne sommes pas des plagiaires de la Révolution française".
29:09 Et justement, nous récusons toute forme de violence politique.
29:12 - Non, Volfi, pas ça.
29:15 Pas ça.
29:18 Je ne veux plus que tu travailles là-dessus.
29:24 Plus jamais.
29:25 J'en ai décidé un si.
29:30 Ce n'est pas son écriture.
29:31 - Non, c'est la mienne.
29:33 Il voulait que je l'aide.
29:35 - Plus question qu'il continue à travailler là-dessus.
29:37 C'est ça qui le rend malade.
29:39 - Je crois que ...
29:41 - Je regrette, il n'y a pas de valet pour vous reconduire, Herr Salieri,
29:47 mais respectez mon voeu, allez-vous-en.
29:48 Volfi!
29:50 Volfi!
29:51 Volfi!
29:56 Volfi!
30:00 Volfi!
30:03 Volfi!
30:07 Volfi!
30:08 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
30:23 Nicolai Herbeau, Géraldine Mosnassavoy.
30:26 - Amadeus, le film de Miloš Forman qui date de 1984.
30:32 Vous nous avez dit "Lui divinementi, je ne vois pas le rapport avec les révolutions".
30:35 C'est vous, Ludivine Montigny, le rapport, puisque c'est en voyant ce film
30:39 que vous avez une sorte de révélation sur l'histoire, c'est ça ?
30:43 - Oh là là, mais vous m'avez bien lu.
30:45 Vous ne pouvez pas imaginer le bonheur et l'émotion que vous suscitez en moi
30:48 en passant cet extrait.
30:49 Mais voilà, je vais essayer de surmonter cette émotion.
30:52 Oui, en effet, c'est un film bouleversant.
30:55 Et cette scène en particulier avec le Lacrymosa du Requiem de Mozart.
31:00 Alors, le rapport, il existe peut-être quand même,
31:02 parce que justement, Mozart est à la fois un musicien qui n'est pas révolutionnaire
31:08 au sens où il vit dans son époque.
31:10 C'est ce qu'a très bien montré Norbert Elias dans "Mozart, sociologie d'un génie".
31:14 Mozart est tenu par les contraintes de son temps.
31:17 Et notamment par les contraintes de cet absolutisme qui règne encore,
31:21 même sous la forme d'un despotisme éclairé.
31:23 Donc il est tenu de rester dans les contraintes esthétiques et artistiques de son temps,
31:27 qu'il va pousser le plus loin possible, essayer de les subvertir.
31:30 Mais à la différence de Beethoven, par exemple,
31:32 il n'a pas les moyens véritablement d'être absolument révolutionnaire dans sa musique.
31:36 En revanche, un peu plus tôt dans le film,
31:39 on voit une scène où Mozart discute avec Joseph II.
31:42 Et il essaye de lui expliquer pourquoi il veut adapter en opéra
31:46 le mariage de Figaro, ce qui deviendra les "Nos de Figaro".
31:49 Et en fait, il y a bien sûr chez lui, quand même une influence
31:53 de cet esprit des Lumières et de la rébellion et de la révolte contre l'ordre établi,
31:58 dont il a beaucoup souffert lui-même.
32:00 - Donc la révolution pénètre aussi les arts, les manières de créer,
32:03 les figurations, l'intime.
32:05 Ludivine Montigny, est-ce que pour faire la révolution,
32:08 pour bien la faire, même peut-être pour la réussir,
32:11 il faut forcément avoir fait de l'histoire ?
32:13 - Oh, non, ce serait trop restrictif.
32:15 Heureusement que non, parce que sinon il n'y aurait pas de révolution
32:18 si on devait nécessairement être passé par l'histoire pour la faire.
32:21 En revanche, je répondrai à votre question sous l'angle de la conscience historique, quand même.
32:25 Il ne faut pas nécessairement, bien sûr, avoir fait de l'histoire ou connaître très bien l'histoire.
32:29 Mais de toute façon, cette histoire, cette mémoire se transmette d'une manière ou d'une autre.
32:35 On a vu, il ne s'agissait pas d'un mouvement révolutionnaire,
32:37 mais il a été question de beaucoup de révolutions.
32:39 Dans le soulèvement populaire des Gilets jaunes, l'histoire était présente,
32:43 y compris la référence à la Révolution française,
32:45 mais aussi à la Commune de Paris, mais aussi au Front populaire ou à 1968.
32:49 Donc, il y a une forme d'historicité, je dirais ça, mais avec un mot un peu lourd,
32:53 mais au sens d'une conscience historique.
32:55 Comme je disais tout à l'heure, il y a la conscience de faire l'histoire,
32:58 mais il y a aussi la conscience de rendre hommage aux révolutions du passé
33:01 et à renouer avec elles, en quelque sorte, renouer la chaîne des temps,
33:04 mais cette fois d'un point de vue révolutionnaire.
33:06 Est-ce que ça ne permet pas d'être un peu plus lucide, peut-être,
33:09 d'être plus attentif à ce qui se produit actuellement ?
33:13 C'est-à-dire de se dire, là, il y a quand même des frissons, des prémices de révolution.
33:19 Vous l'avez dit, Ludivine Mantini, la révolution, ça se produit,
33:22 on la définit quand même par le renversement d'un État dans ses rapports sociaux, économiques, politiques,
33:28 mais est-ce qu'on ne peut pas avoir des frémissements de révolution autour de nous,
33:33 indépendamment du fait qu'il y ait un renversement qui interviendra quelques années plus tard ?
33:37 Est-ce que là, on peut le dire, et l'historien n'est pas le plus à même de pouvoir le percevoir ?
33:41 - En tout cas, nous ne sommes pas des prophètes, mais en tout cas, c'est vrai que l'histoire nous indique la révolution.
33:46 - Non mais des voyants ! - Oui, oui, des voyants comme Rimbaud ! Soyons des voyants !
33:51 En tout cas, le dernier mot du livre est le verbe "persister", "persister", la révolution persiste, ça c'est une évidence.
33:57 Et alors là, en tout cas, je ne veux pas parler au nom de l'ensemble des auteurs de l'ouvrage,
34:03 mais disons qu'on peut imaginer que des processus révolutionnaires auront cours dans les prochaines années.
34:09 C'est une évidence étant donné le niveau de violence auquel on assiste, des violences structurelles,
34:14 des violences sociales, politiques, de manière générale, et oui, en France en particulier,
34:19 et là je parle en mon nom propre, je le précise, mais je pense qu'on assiste vraiment à un durcissement
34:24 que je nommerais autoritaire, et je le nommerais une sorte d'autoritarisme du capital,
34:29 parce que c'est aussi un système économique, et ce qui est intéressant, c'est que ce système économique, structurel,
34:34 il est quand même de plus en plus interrogé, critiqué, voire mis en cause radicalement,
34:38 et que, y compris en termes d'histoire environnementale, François Jarry signe un très beau chapitre dans l'ouvrage,
34:43 on parle désormais de capitalocène, de plus en plus, et pas seulement d'anthropocène.
34:48 Donc cette conscience-là, elle se diffuse de manière très large.
34:52 Etienne Balibar, dans l'un des textes qui clôt le livre, nous dit que finalement, au fond,
34:58 c'est toujours en dernière analyse contre le capital que les révolutions se mènent,
35:03 contre l'inégalité dans la distribution des richesses, cet abîme qui existe entre les conditions sociales,
35:09 et on le voit de plus en plus, et la conscience en est de plus en plus aiguisée.
35:12 Merci beaucoup Ludivine Ventini, de vous, on peut donc lire l'ouvrage que vous avez co-dirigé,
35:17 vous avez donné leur nom, car je ne l'ai pas fait au début, avec Quentin Deluyer-Moz, Boris Gobi,
35:21 Laurent Jean-Pierre et Eugénia Palierka.
35:24 C'est une histoire globale des révolutions, c'est aux excellentes éditions de La Découverte,
35:28 et je signale aussi Que Faire, votre livre Que Faire, stratégie d'hier et d'aujourd'hui,
35:32 pour une vraie démocratie, aux éditions 10-18.
35:35 Pour finir, Ludivine Ventini, vous avez le choix entre une chanson sur la révolution,
35:39 ou une chanson sur le rêve. Rêve ou révolution ?
35:43 Allez, je vais dire rêve, parce que les deux sont mêlées.
35:46 À qu'il est joli le pays, le pays du rêve,
35:54 On dirait un vrai paradis, quand le jour se lève,
36:02 Tout le monde se dit bonjour, le sourire lève,
36:09 Là-bas, on y vivrait toujours.
36:17 Oh, au printemps, ah ah, le ciel est bleu,
36:24 Oh, tout le monde est très heureux,
36:33 Un air de paix est dans les cœurs,
36:40 Qui apporte ses rêves les meilleurs.
36:49 À qu'il est joli le pays, le pays du rêve,
36:57 On dirait un vrai paradis, quand le jour se lève,
37:05 Tout le monde se dit bonjour, le sourire lève.
37:08 Et un grand merci à l'équipe des Midis de culture qui sont préparées tous les jours
37:12 par Aïssa Touendeuil, Anaïs Hisbert, Cyril Marchand, Zora Vignier, Laura Dutèche-Pérez et Manon Delassalle.
37:18 À la réalisation Nicolas Berger, prise de son Ludovic Auger.
37:21 Pour réécouter cette émission, rendez-vous sur le site de France Culture,
37:24 à la page de l'émission ou sur l'application Radio France.
37:28 Merci Nicolas, vous claquez bien les doigts !

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