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Enquête sur Amazon, l'un des leaders mondiaux du E-Commerce. Malgré son succès, la société est dans l'obligation de détruire un nombre conséquent de produits invendus.
Réalisateur : CAHOUR Guillaume

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Transcription
00:00 C'est le cimetière de nos vieilleries.
00:07 Une déchetterie à Meudon, comme il en existe à côté de chez vous.
00:10 C'est dans cet endroit que nous allons mener une petite expérience
00:14 à laquelle nous avons convié quelques personnes venues se débarrasser
00:18 de leurs vieux objets.
00:19 - Qui aime le café? - Moi, je n'y ai pas non.
00:24 - Allez, machine à café, très bien.
00:27 Nous leur confions des objets du quotidien achetés sur Internet.
00:30 - Vous allez identifier ce que c'est?
00:32 - Une machine à popcorn.
00:34 - Une machine à popcorn, exactement.
00:36 Dites-moi un peu dans quel état c'est?
00:37 - Apparemment, en bon état.
00:40 - Vous pouvez la sortir qu'on voit un peu comment elle est?
00:41 - Là, l'apparence est neuve.
00:43 - D'accord, très bien.
00:44 Les jouets, là, ils sont encore emballés?
00:45 - Ils sont encore emballés.
00:45 - Exactement, c'est sorti du magasin.
00:49 Tout est neuf, mais nous leur demandons de faire quelque chose d'absurde.
00:54 - Alors, tous ces objets, je vais vous demander de les jeter.
00:59 - On va faire mal à coeur de jeter ça.
01:04 - Pourquoi? - Parce que c'est neuf.
01:06 - Madame... - Non, c'est pour le moment, non, parce que j'en ai l'usage.
01:11 - Moi, si je vous dis que nous, à Capital, on a décidé de jeter tout ça.
01:15 - Des couches, là.
01:16 - Madame, je le jette, là?
01:23 - Je le fais quand même.
01:24 Si nous jetons tous ces produits neufs devant ces Français interloqués,
01:29 c'est pour leur faire prendre conscience d'un scandale que nous avons découvert.
01:34 - Tous ces produits-là, c'est des invendus du e-commerce.
01:36 Au bout de six mois, si c'est pas vendu...
01:39 A la baine.
01:42 La machine à pop-corn, pas vendue.
01:44 C'est une poubelle.
01:47 Ça, vous en auriez l'usage, vous pensez ou pas?
01:48 - Je pense que ça serait vendu en déstockage, en grosse réduction.
01:53 - Pas vendu.
01:54 Poubelle.
01:56 - C'est choquant, surtout avec l'époque actuelle où il y a des gens
01:59 qui n'ont pas de quoi payer les cadeaux pour Noël.
02:01 On jette une tablette, des machines à pop-corn.
02:04 - Oui, c'est quand même vraiment du gaspillage, là.
02:06 Quand c'est neuf, c'est du gaspillage.
02:08 Des jouets, des couches, des objets neufs à la poubelle.
02:13 Cela vous paraît inconcevable.
02:15 C'est pourtant ce que fait un e-commerçant très connu.
02:19 24 millions de Français achètent sur son site Amazon.
02:23 Il a du succès, mais chaque jour, de nombreux produits ne se vendent pas.
02:28 Pour s'en débarrasser, le leader de la vente en ligne propose une solution radicale.
02:33 Il jette les invendus.
02:36 Pourquoi un tel gâchis?
02:38 Discrètement, pendant plusieurs semaines, nous avons observé,
02:42 décortiqué les procès d'Amazon.
02:45 Quels produits détruit-il et en quelle quantité?
02:50 Nous l'avons infiltré en nous faisant embaucher dans plusieurs entrepôts.
02:54 Nous avons retrouvé des salariés qui jettent sur ordre de la direction.
02:59 Des centaines de milliers d'articles à la benne.
03:03 Les chiffres confidentiels donnent le tournis.
03:06 Produire pour détruire.
03:10 Quel impact économique et écologique?
03:16 Nous avons percé l'un des secrets les mieux gardés du e-commerce.
03:21 Pour comprendre comment Amazon en vient à détruire des produits neufs,
03:35 il faut d'abord décrypter l'une de ses dernières trouvailles pour révolutionner le commerce.
03:40 - C'est pas mal.
03:42 C'est bien emballé.
03:45 Tout est compris.
03:46 Cédric s'est fait plaisir.
03:48 Il remplace son vieux banc de musculation par celui ci.
03:52 - Par contre, la texture est de bonne qualité.
03:57 C'est déjà leur 36e colis Amazon en seulement trois mois.
04:02 L'entreprise satisfait tous les désirs de Cédric, Stéphanie et Victoria.
04:14 Tous livrés en un temps record.
04:16 - Chaque article, plus ou moins, c'est 48 heures au maximum.
04:21 - Ça, c'est un critère de décision?
04:22 - Tout à fait.
04:23 C'est ce sentiment de rapidité qui les incite à commander de plus en plus souvent.
04:29 - 55 euros.
04:31 Plus 69.
04:34 Tellement tentant qu'en trois mois, la note a flambé.
04:37 - 179.
04:39 - Ça devient inquiétant.
04:40 - 24.
04:43 - La liste, elle s'arrête ou quoi?
04:44 - Et 28.
04:44 - Il s'est coupé un total de 1229.
04:48 - Combien tu dis?
04:50 - 1229 euros.
04:52 - En trois mois, donc?
04:55 - Un peu plus de trois mois.
04:55 C'est énorme.
04:57 - On appelle ça le sabre au mame à zone.
04:59 - Le sabre au mame à zone, c'est que maintenant, avec le e-commerce,
05:04 la possibilité de se faire arriver en 24, 48 heures, c'est tentant.
05:10 Cédric et Stéphanie ont commandé le banc de musculation sur Amazon,
05:14 mais en réalité, ils l'ont acheté à une autre entreprise, E-Zestore.
05:18 En effet, Amazon est ce que l'on appelle une marketplace,
05:22 une sorte de grand marché.
05:24 Parmi les 300 millions de produits qu'ils commercialisent,
05:27 une grande partie vient de son propre catalogue.
05:30 Et il y a aussi de nombreux articles qui sont mis en ligne par des vendeurs indépendants.
05:36 Ils profitent de la fréquentation du site pour accéder aux nombreux clients.
05:40 Dans ce cas, Amazon n'est qu'un simple intermédiaire.
05:43 Le vendeur livre directement la commande au consommateur.
05:47 Et depuis quelques temps, Amazon propose aux vendeurs un nouveau moyen
05:53 de vendre encore plus.
05:55 Une promesse alléchante pour leur chiffre d'affaires,
05:58 mais qui génère aussi un immense gâchis.
06:00 C'est ce que nous avons découvert chez E-Zestore.
06:05 Le vendeur qui commercialise le banc de musculation de Cédric.
06:08 Dans son entrepôt à Compiègne, c'est le branle-bas de combat.
06:15 Le camion d'Amazon arrive dans une heure.
06:17 - Denis, c'est un palette par droite.
06:21 Celui-là, il faut refaire.
06:23 - Celui-là n'est pas droite ? - Il n'est pas droite.
06:25 L'entreprise de Julien Djean tourne à plein régime.
06:29 Un million et demi d'euros de chiffre d'affaires,
06:32 la moitié grâce aux clients du site de e-commerce.
06:35 En réalité, ce n'est pas son équipe qui poste directement les colis.
06:39 Amazon a inventé une solution ultra efficace.
06:45 - Nous, on envoie directement à Amazon.
06:47 C'est directement vendu aux consommateurs, aux clients.
06:49 Sauf que nous, on entrepose dans leur stock.
06:52 Comme ça, c'est eux qui l'envoient directement.
06:53 Trois fois par semaine, ils envoient donc leurs marchandises
06:59 aux entrepôts d'Amazon.
07:00 Car au lieu d'expédier les produits directement aux clients,
07:06 Julien confie son stock à Amazon.
07:09 C'est la multinationale qui se charge d'envoyer le colis.
07:12 Le client le reçoit en 48 heures maximum.
07:16 Un délai rapide et fiable qui rassure les consommateurs.
07:20 Julien peut en effet afficher le label "expédier par Amazon".
07:28 Grâce à cela, les ventes augmentent de 30% en moyenne.
07:32 En contrepartie, Julien paye une commission de 5 à 8% sur chaque commande.
07:40 - Tout ce stock, vous pensez le vendre en combien de temps ?
07:43 - Deux ou trois semaines.
07:44 Mais si cela a boosté son chiffre d'affaires,
07:50 il arrive néanmoins que certains produits aient moins de succès.
07:54 Et Amazon déteste les invendus.
07:57 - On va chercher les purificateurs.
07:58 Ça se trouve où ?
07:59 - C'est tout au bout, oui.
08:01 On les a rangés là parce que vu qu'il n'y en a pas beaucoup de ventes.
08:03 Ce purificateur d'air, par exemple, est un flop commercial.
08:08 - Ça touche à la santé et donc les gens ne connaissent pas notre marque.
08:11 Et donc, ils ne sont pas en confiance.
08:12 Et c'est pour ça que ça ne s'est pas vendu.
08:14 La marque, elle n'est pas assez connue.
08:15 On est trop nouveau dans ce marché là.
08:17 Ils se sont retrouvés avec 60 boîtes sur les bras.
08:21 Amazon leur a fait comprendre qu'il valait mieux renoncer.
08:24 - Simon, il n'y a aucune commande.
08:27 Donc, on a dû récupérer parce qu'il ne fonctionnait pas.
08:30 - Il n'y a pas le choix, il faut récupérer.
08:31 Pour un euro par produit, ils ont préféré les rapatrier.
08:36 Mais Amazon propose aussi à ses vendeurs une autre solution stupéfiante.
08:41 La destruction.
08:42 - Si ça ne vend pas, il faut revenir.
08:46 Ou détruire.
08:48 - Ça veut dire qu'Amazon vous propose de détruire vos produits ?
08:52 - Ça arrive, ça peut arriver.
08:56 C'est écrit sur le site destiné aux professionnels.
08:58 Vous pouvez demander que votre stock soit détruit.
09:03 Amazon détruit-il vraiment les marchandises de ses vendeurs partenaires ?
09:09 L'entreprise n'a pas souhaité nous répondre.
09:12 Alors, pour découvrir ce qui se passe vraiment dans ses entrepôts,
09:15 nous tentons de nous faire embaucher.
09:17 Ça tombe bien, en période de fête, elle recrute des centaines d'intérimaires.
09:21 On peut postuler en ligne.
09:24 Notre candidature est retenue.
09:26 Direction Saran, à côté d'Orléans.
09:28 C'est dans cet immense entrepôt de 70 000 mètres carrés
09:33 que sont stockés les produits d'Amazon
09:35 et aussi ceux de vendeurs français, européens, chinois,
09:40 coréens, américains, russes, du monde entier.
09:43 Ce badge vert d'intérimaire nous sert de tenue de camouflage.
09:48 Nous entrons dans une entreprise qui protège jalousement
09:53 ses secrets de fabrication et de destruction.
09:56 Ici, travaillent 3000 personnes en période de fête.
10:04 Nous mettons en paquet, 7 heures par jour,
10:10 les produits que vous commandez sur le site.
10:12 Ça prend beaucoup de temps et on n'est pas venu pour ça.
10:15 Nous devons profiter des rares pauses pour explorer l'équivalent
10:21 de 10 terrains de foot.
10:23 Finalement, isolé ici, au bout de l'entrepôt,
10:27 nous découvrons la zone de destruction.
10:31 Des caisses grises sont posées le long des allées
10:37 et un salarié nous met sur la piste.
10:51 Dans ce conteneur, il y a des produits électriques.
10:54 Dans celui-ci, des produits avec des moteurs.
10:58 Impossible de les ouvrir sans se faire repérer.
11:02 Dans l'allée voisine, nous allons assister à une scène incroyable.
11:08 Au sol, un panneau et une bande jaune délimitent clairement
11:13 des palettes dédiées à la destruction.
11:15 Sous nos yeux, une équipe arrive avec un chariot plein de produits.
11:22 Et regardez, ils les jettent à la poubelle.
11:26 Par exemple, ces machines à pop-corn, vendues 36 euros sur le site.
11:35 Les employés s'affairent.
11:39 Ils mettent des dizaines d'articles encore emballés à la benne.
11:43 Après leur départ, nous faisons un bref inventaire.
11:50 Il y a des livres, des couches vendues 33 euros sur le site.
11:56 Des boîtes de Lego à 128 euros.
12:00 Et plusieurs boîtes de Playmobil vendues 37 euros.
12:05 Il y a même cette télévision qui coûte plusieurs centaines d'euros.
12:10 La zone est sensible et notre présence devient douteuse.
12:19 - Bonsoir. - Tu cherches quelque chose ?
12:20 - Non, non, je me suis juste un peu perdu, en fait.
12:22 Je suis un peu fatigué, c'est tout.
12:23 - Non, mais parce que t'es toujours en train de crever dans la zone.
12:26 C'est incroyable, quoi.
12:26 Nous avons maintenant la confirmation qu'Amazon détruit des produits.
12:32 Qui décide de les jeter ?
12:34 Sont-ils vraiment neufs ?
12:36 Et à qui appartiennent-ils ?
12:37 En interne, le sujet est tabou.
12:40 Seuls d'anciens salariés acceptent d'en parler.
12:43 C'est le cas de Julie, qui a dirigé en France une équipe
12:47 chargée notamment de la destruction.
12:49 Elle est partie l'an dernier, comme Vincent,
12:52 qui a longtemps travaillé dans cette cellule, ici, à Orléans.
12:56 Il triait toutes les semaines les produits à renvoyer aux vendeurs
13:00 et ceux à détruire.
13:02 - Quand on part pour aller chercher des articles à détruire,
13:07 on y va avec notre SCAD, on va aller chercher
13:08 dans les centaines de milliers d'armoires qu'il y a dans Amazon.
13:11 Et là, il y a des box de tri, et du coup, c'est trié dans des cartons.
13:18 Ces cartons que nous avons vus durant notre infiltration.
13:21 Mais après tout, et si ces articles étaient abîmés
13:26 par le transport ou par le stockage, ces produits sont-ils utilisables ?
13:31 - Vous avez tout, vous avez des produits neufs, oui.
13:37 Et c'est là où, d'ailleurs, même moi, dans mon travail de tous les jours,
13:41 pendant des années, ça m'a beaucoup perturbée, des aspirateurs.
13:45 On a pu jeter aussi des services à vaisselle neufs, absolument pas cassés.
13:49 On a pu jeter, effectivement, des téléphones, des caméras.
13:53 Ça en a avancé 70-80 %, ce qu'on jetait était vendable.
13:56 Vincent nous le confirme et se souvient d'un épisode
14:01 qui l'a particulièrement choqué.
14:02 - Oui, il y en a aussi, des produits neufs qui sont envoyés en destruction, bien sûr.
14:06 Comme des machines à café, il suffisait que la date de péremption
14:10 des capsules données avec la machine à café, toute neuve,
14:13 soit passer, ça passait à la trappe.
14:16 - Que les capsules ? - Non.
14:18 On n'a pas le temps de trier.
14:21 - Les capsules et la machine ? - Voilà.
14:23 Et ça, on en a passé des palettes en destruction.
14:26 Quel gâchis !
14:28 C'est incroyable, tout ça, parce que ça va être un coup d'enlever les capsules.
14:33 Puis ceux qui commercialisent les machines à café,
14:38 ils ne vont peut-être pas forcément reprendre les machines parce que
14:42 il y a le nouveau modèle qui est sorti, alors il est obsolète.
14:44 C'est un truc de fou.
14:46 Notre infiltration et ses témoignages en attestent,
14:50 Amazon jette des produits neufs.
14:53 Montélimar, Orléans, Amiens, Lille, Chalon,
14:57 les cinq entrepôts français sont concernés.
15:00 Mais combien de produits ?
15:03 Des centaines ? Des milliers ? Des millions ?
15:05 En nous rendant à Chalon, nous allons découvrir qu'il s'agit
15:10 d'un système de destruction massif.
15:12 Alain Jau et Antoine Delorme ont réussi à briser l'OMERTA.
15:20 - Sur le CE de la semaine prochaine, on va reposer des questions sur ce sujet.
15:26 Après deux ans d'obstination, les élus CGT ont enfin obtenu
15:30 les chiffres confidentiels.
15:31 La direction leur communique tous les mois le nombre de produits détruits.
15:35 - Si tu regardes le mois d'août 2018, on a quand même plus de 75 000
15:39 unités détruites.
15:40 Sur ce document officiel, la preuve par les chiffres.
15:44 Quasiment 300 000 objets jetés sur les neuf premiers mois de l'année
15:49 dans le plus petit des entrepôts français.
15:51 Révoltés, Alain et Antoine demandent ce tableau pour les quatre autres
15:57 sites sans succès pour le moment.
15:59 - Donc, si on fait l'équivalent pour les autres sites,
16:04 290 000 articles.
16:07 Alors, ils font leurs estimations.
16:10 - On arriverait sur une année complète à 3 250 000, ce qui est énorme.
16:15 3 250 000 produits auraient été détruits l'an dernier dans les
16:20 entrepôts français d'Amazon.
16:22 - Pour quelqu'un qui vit vraiment tous les jours en misère, là, c'est...
16:27 - Quand on entend que des milliers d'enfants n'auront rien pour Noël,
16:32 par exemple, et qu'on voit qu'on est capable de jeter des millions
16:36 d'articles à la poubelle, mais c'est aberrant, quoi.
16:40 Les mois passent et la direction leur répond sans cesse la même chose.
16:45 Elle n'y peut rien.
16:46 - Si tu ressors le PV du mois de mai...
16:48 - Le 23 mai 2017, la direction indique que la plupart des articles
16:54 passés en destruction n'appartiennent pas à l'entreprise.
16:56 Ils sont la propriété des revendeurs, qui sont justement les
16:59 décisionnaires de ces destructions.
17:00 Elle renvoie la responsabilité sur les vendeurs qui stockent dans
17:05 ces entrepôts, comme celui que nous avions rencontré avec son
17:08 matériel de fitness.
17:09 À qui appartiennent réellement ces articles détruits ?
17:13 À Amazon ou à ses partenaires ?
17:15 Dans quelle proportion ?
17:17 La réponse se trouve dans l'entrepôt de Chalons, où nous
17:22 pénétrons discrètement.
17:23 Comme dans tous, il y a une zone dédiée aux produits à détruire.
17:34 Dans ces caisses noires, les articles à jeter, et nous
17:38 découvrons un document interne.
17:40 C'est un formulaire de destruction.
17:43 À gauche, les codes produits.
17:46 Les B, ce sont les articles d'Amazon.
17:48 Les X, ceux des vendeurs partenaires.
17:51 97% des produits sont ceux des vendeurs.
17:54 Sur le site, nous retrouvons certains de ces produits.
17:58 La plupart de leurs vendeurs se trouvent à l'autre bout du monde.
18:03 En Chine. Dans la région de Shenzhen.
18:09 Pour eux, vendre sur Amazon, c'est accepter le risque
18:14 d'éliminer leurs marchandises.
18:16 Nous avons retrouvé l'une de ces sociétés, une entreprise
18:20 de fourniture de bureaux.
18:21 Le patron, Monsieur Wen, 70 ans, a lancé son affaire il y a 20 ans.
18:32 - Qu'est ce que vous êtes en train de vérifier?
18:34 - Je vérifie qu'il n'y a pas de rayures et que tout est bien collé.
18:40 Il expédie ses produits aux entrepôts d'Amazon, aux Etats-Unis
18:45 et en Europe. Grâce à la multinationale américaine,
18:49 il a triplé ses ventes.
18:50 Mais le digital, ce n'est pas son truc.
18:55 Il compte sur Zhongguang Zheng.
19:01 - C'est le bilan des ventes? Tu as bien mis les quantités
19:05 pour chaque produit?
19:06 Le jeune homme, fraîchement recruté, doit doper les ventes
19:10 et limiter les pertes.
19:12 - C'est une brosse pour robot aspirateur.
19:17 Il y a deux mois, on a décidé de les détruire parce que
19:20 le produit ne se vendait pas.
19:22 70 pièces directement à la poubelle l'automne dernier,
19:28 dans un entrepôt américain d'Amazon.
19:31 Et le problème se pose à nouveau avec une centaine d'agrafeuses
19:34 stockées, quant à elle, en Angleterre.
19:36 - Si on n'arrive pas à écouler ces produits avec des promotions
19:40 d'ici février, nous les détruirons.
19:42 Car nous payons 80 euros de frais de stockage par mois
19:47 pour 100 agrafeuses. Du coup, on ne fait plus de bénéfice.
19:50 Ce qui le pousse à détruire, ce sont donc les frais de stockage
19:54 imposés par la firme.
19:56 Pas cher au début, 26 euros par mètre cube et par mois.
20:00 Il passe brutalement à 500 euros au bout de six mois
20:05 et 1000 euros au bout d'un an, comme une surtaxe.
20:08 Pour se débarrasser des produits qui se vendent mal,
20:11 Amazon propose alors à Zhongwang de rapatrier ses agrafeuses.
20:15 Mais là aussi, il est coincé.
20:17 - Ça nous coûterait 20 euros par agrafeuse de faire revenir
20:22 chaque produit en Chine.
20:24 Nous avons donc décidé de les détruire pour éviter les frais
20:26 de stockage d'Amazon.
20:28 Mais nous les abandonnons à contrecoeur.
20:31 Si nous avions le choix, on préférait les donner à des gens
20:36 dans le besoin.
20:36 Récapitulons, chaque agrafeuse est vendue 27 euros sur le site.
20:42 Il compte sur 3 euros de marge.
20:45 Mais comme elle ne se vend pas, Amazon lui propose deux solutions.
20:49 La rapatrier en Chine, ce qui lui coûterait 20 euros par unité
20:53 ou une option plus économique à 15 centimes, la destruction.
20:57 Et pour jeter des kilos de marchandises, rien de plus simple
21:01 dans le monde digital d'Amazon.
21:03 Comme lorsque vous mettez un élément dans la corbeille
21:05 de votre ordinateur.
21:06 Zhongwang n'aura qu'à cliquer sur la case destruction
21:13 et à l'autre bout du monde, le stock d'un vendu sera détruit.
21:21 La politique d'Amazon a de quoi surprendre.
21:23 Pourquoi incite-t-il ses vendeurs à détruire leurs marchandises ?
21:27 Il a refusé de nous répondre.
21:29 Alors, nous sollicitons l'ancien vice-président Europe,
21:34 qui a quitté l'entreprise il y a seulement un an.
21:36 Philippe Emard connaît parfaitement la stratégie.
21:39 Ces tarifs de stockage exorbitants seraient parfaitement assumés
21:45 par la firme.
21:45 - Amazon veut vendre des produits.
21:50 Donc, en fait, on vous incite à ne pas stocker,
21:53 ce que j'appelle même archiver vos produits,
21:55 parce que dans le commerce, des produits qui ont six mois
21:57 ou un an de stockage, ça commence à être très vieux.
22:00 C'est des produits qui ne tournent pas.
22:01 Et Amazon, ça n'intéresse pas Amazon, simplement de stocker.
22:04 Amazon veut mettre des produits disponibles pour les clients
22:07 et que les clients les achètent.
22:08 Donc, si vous mettez sur le marché des produits qui ne marchent pas,
22:11 on vous incite à les retirer, en fait.
22:13 - C'est un tarif dissuasif.
22:14 - C'est un tarif dissuasif, exactement.
22:16 Selon lui, la destruction de produits neufs ne serait pas
22:20 un problème pour Amazon parce que ce sont de faibles volumes
22:23 comparés aux chiffres d'affaires global.
22:25 A chalons, les produits éliminés ne représentent que 3%
22:29 des articles vendus.
22:30 - On réagit sur le nombre, en fait.
22:33 Et vous voyez, donc, c'est la quantité ramenée aux quantités traitées.
22:37 Ce n'est pas choquant.
22:39 - Vous voulez dire par là que, dans l'esprit Amazon,
22:41 c'est une goutte d'eau par rapport au volume qui...
22:43 - C'est aujourd'hui, oui.
22:45 Ils relativisent, mais les destructions augmentent
22:48 de manière spectaculaire.
22:49 Rien qu'à Chalons, elles ont été multipliées par 4,5 l'an dernier.
22:53 Amazon est une entreprise où tout fait l'objet d'un process.
22:59 C'est le cas aussi pour débarrasser les entrepôts.
23:03 Retour à Orléans.
23:05 Il nous reste à traquer le parcours des invendus.
23:08 Pendant plusieurs semaines, nous allons observer avec ruse
23:12 et discrétion.
23:14 Lorsque nous avons travaillé quelques jours ici,
23:16 nous sommes venus avec des trackers GPS poursuivre des objets à distance.
23:21 Au fond de l'entrepôt, nous les avons placés dans deux
23:29 baines grises destinées à la destruction.
23:32 Et un matin, les trackers se sont mis à bouger.
23:38 Nous les avons suivis sur l'écran du smartphone.
23:43 Un camion a transporté les caisses à 11 kilomètres de là,
23:46 dans cette entreprise de tri de déchets industriels où l'accès
23:50 nous est interdit.
23:51 - Oui, bonjour, j'ai une société de e-commerce.
23:56 Nous appelons le service commercial en nous faisant passer pour un
23:59 client qui aurait des invendus à détruire.
24:01 - Alors, j'ai des coques de téléphone, des machines à café,
24:06 des vieux modèles, des chaussures de sport, des t-shirts.
24:09 J'ai aussi un petit peu d'électronique, par exemple,
24:11 des vieilles tablettes obsolètes.
24:12 Vous les prenez ?
24:13 - Tout à fait, oui, oui.
24:14 - D'accord.
24:15 - Je peux vous dire, on a un très gros client qui s'appelle Amazon.
24:18 On s'occupe également de tous leurs produits qu'ils veulent détruire.
24:21 On travaille aussi avec Amazon.
24:23 C'est le même genre que les produits que vous avez chez vous.
24:26 - Et qu'est-ce que vous en faites alors ?
24:28 C'est recyclé, tout ça ?
24:29 - On traite quand même une bonne partie des déchets, mais malheureusement,
24:32 ils sont souvent incinérés.
24:35 Après, tout dépend de ce que c'est comme produit.
24:37 C'est-à-dire que non, il n'y a personne, il n'y a pas des petites mains
24:39 qui vont déballer vos machines à café.
24:43 Non, pas possible.
24:43 C'est détruit.
24:44 - Détruit toute la machine et brûlé ?
24:47 - Oui.
24:47 Et vous allez voir que nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
24:52 Selon la commerciale, d'autres produits sont envoyés à 10 km de là,
24:57 où ils mettront des années à se décomposer dans la forêt orléanaise.
25:01 Caché derrière les arbres, un site d'enfouissement.
25:06 Certains invendus sortis des entrepôts d'Amazon arrivent dans cette décharge
25:10 à ciel ouvert, où sont traités en toute légalité les déchets non recyclables
25:15 du département.
25:16 Produire pour détruire.
25:19 Selon Alma Dufour, militante pour l'ONG Les Amis de la Terre,
25:24 l'impact sur l'environnement est catastrophique.
25:27 Des produits neufs en parfait état de marche sont noyés dans cet amas
25:33 de détritus broyés par ce tracteur aux roues métalliques crantées.
25:37 Ils sont recouverts de terre en attendant qu'ils se dégradent.
25:42 Nous lui présentons les produits que nous avons vus partir
25:47 à la destruction dans les entrepôts d'Amazon.
25:50 Comme ces jouets en plastique.
25:52 De la fabrication à la destruction, ils coûtent cher à la planète.
25:57 - Fabriquer ces jouets là, ça consomme beaucoup d'énergie.
26:02 Ça va être fabriqué souvent en Chine, dans des usines qui utilisent
26:05 du charbon, donc qui contribue lourdement au réchauffement climatique.
26:09 Et en plus, s'en débarrasser comme ça dans un trou, en fait,
26:12 le problème, c'est que le plastique rigide, comme ça, ça peut mettre
26:14 jusqu'à 1000 ans avant d'être complètement absorbé par la nature,
26:17 par les écosystèmes.
26:18 Voilà pour le plastique.
26:21 La facture écologique d'objets comme la télévision que nous avions
26:26 découverte lors de notre infiltration est encore pire.
26:31 - C'est un des produits qui a l'impact écologique le plus lourd.
26:34 Et c'est notamment dû au fait qu'il faut beaucoup, beaucoup
26:37 de métaux différents pour sa fabrication.
26:39 Et c'est des métaux dont certains, comme le tantal en fait,
26:43 et le cobalt, alimentent des guerres civiles en Afrique
26:46 depuis une vingtaine d'années.
26:47 Il y a aussi des métaux qui créent des grosses pollutions
26:50 comme les terres rares en Chine.
26:52 - Donc cette logique de produire avec une finalité qui est la destruction.
26:56 Quelle conclusion vous en tirez-vous ?
26:58 - En fait, ce qui se passe, c'est qu'il y a une surproduction
27:01 Aujourd'hui, c'est 11 équipements électroniques par habitant,
27:05 par français qui sont mis sur le marché.
27:07 Et donc cette surproduction, elle est folle.
27:10 Elle ne correspond pas aux besoins des gens.
27:12 On a des acteurs comme Amazon qui font jouer la concurrence
27:15 et qui prennent tous les vendeurs et les incitent à aller vendre,
27:18 et vendre, et vendre.
27:19 Et c'est une machine qui est devenue folle.
27:21 Et c'est pour ça qu'on se retrouve avec des produits qui ne devraient
27:23 pas du tout avoir leur place dans des centres d'enfouissement
27:26 ou dans des incinérateurs.
27:27 Et que tout ça a un impact climatique, écologique et humain
27:30 qui est désastreux.
27:31 C'est choquant et pourtant, la destruction de produits neufs
27:37 n'est pas illégale.
27:38 Éliminer environ 3 millions d'objets par an est-il une fatalité ?
27:42 Probablement pas.
27:44 S'ils proposent à ces vendeurs de détruire leurs invendus,
27:49 en ce qui concerne ses propres produits,
27:52 Amazon a trouvé d'autres solutions que la destruction.
27:55 Dans l'un des cinq entrepôts français, il y a deux ans,
28:00 la colère est montée.
28:01 L'équipe de Julie, chargée de jeter la marchandise,
28:05 s'est révoltée.
28:06 - Je vous garantis qu'il y a des fois où vous serrez les dents
28:11 et vous dites "c'est pas possible, je peux pas, c'est pas possible,
28:14 je peux pas faire ça".
28:14 Et là, effectivement, on a beaucoup crié, on a beaucoup râlé.
28:17 On a même parfois refusé d'exécuter les ordres.
28:20 Mes supérieurs ont entendu ce qu'on a dit.
28:22 Cette marchandise-là n'a pas été jetée.
28:24 Et il a été mis en place, effectivement, derrière toute une
28:28 série de donations sur le long terme.
28:30 Amazon envoie désormais une partie de ses propres invendus,
28:35 soit chez des soldeurs.
28:37 Nous avons vu des caisses pleines lors de notre infiltration,
28:40 soit à des oeuvres sociales, comme ces écrans donnés à Emmaüs.
28:45 Mais ces dons semblent anecdotiques.
28:48 C'est ce que nous ont affirmé plusieurs associations,
28:54 notamment le Secours populaire, pourtant habitué à recevoir
28:57 des invendus du e-commerce.
28:59 À quelques jours de Noël, une livraison de sapins offert
29:03 par des magasins qui ne savent plus quoi en faire.
29:05 - Avec les garnitures, ça vaut une centaine d'euros.
29:08 Il y en a pour 8000 euros de marchandises.
29:10 Rien d'exceptionnel pour Christian Kos, le responsable des partenariats.
29:14 - C'est pas des nappes, c'est des...
29:16 Comment ça s'appelle ?
29:17 Des settes de table.
29:17 Plusieurs centaines d'entreprises donnent régulièrement
29:21 leurs excès de stocks.
29:23 De l'électroménager et des matelas partent justement vers Carcassonne
29:28 pour les sinistrer des inondations.
29:30 - Tu en mets un maximum, il faut la charger au-dessus du camion.
29:34 On va les mettre au-dessus du matériel dans le camion.
29:37 - Oui, oui, il faut que les palettes soient...
29:38 - Voilà, c'est ça.
29:39 C'est de la vente par correspondance.
29:40 Vous savez, aujourd'hui, on peut acheter par correspondance,
29:43 essayer, et si ça ne plaît pas, on a un délai pour envoyer.
29:45 Mais c'est ça.
29:46 Donc plutôt que de détruire, les sociétés nous font ces dons-là,
29:48 on récupère et on peut proposer à des gens qui n'ont pas les moyens
29:51 de pouvoir bénéficier d'une bonne litre.
29:54 Il y a quelques années, Amazon aussi a donné au secours populaire.
29:57 - Il y a eu par le passé quelques contacts de choses
30:01 qui nous ont été données, mais c'était très occasionnel.
30:03 Et ça restait des petites quantités.
30:05 On comprend que le géant du e-commerce n'est pas le plus généreux.
30:09 Et quand on lui montre les images des produits jetés
30:13 dans les entrepôts d'Amazon, il regrette de ne pas pouvoir en profiter.
30:17 - Je trouve désolant qu'on ne puisse pas les utiliser
30:22 et les récupérer.
30:23 Il aimerait que le site propose à ses vendeurs partenaires de donner
30:28 plutôt que de détruire leurs invendus.
30:30 - La logistique que nous avons, nous sommes avant tout
30:33 une association de collecte.
30:34 Donc on est dans la capacité de pouvoir absorber ces dons,
30:37 de pouvoir les diffuser et les amener jusqu'à la distribution
30:42 à des personnes qui en ont besoin.
30:43 En attendant de recevoir peut-être ces précieuses marchandises,
30:47 nous lui avons apporté les produits que nous avions fait semblant
30:51 de jeter à la déchetterie.
30:52 - C'est des produits qui sont très difficiles à collecter aujourd'hui.
30:57 Et on est parfois obligé d'acheter pour pouvoir donner aux familles.
30:59 Ils serviront eux aussi à quelques sinistrés de l'aude.
31:03 Peut-on espérer qu'Amazon change de pratique ?
31:07 C'est ce que souhaitent plusieurs associations humanitaires
31:10 et environnementales qui militent aujourd'hui auprès du gouvernement
31:14 pour qu'ils rédigent une loi afin d'interdire la destruction des invendus.
31:20 [Musique]

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