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Extrait de la grande interview de Fabrice Epelboin "Comment les réseaux sociaux ont détruit la démocratie", par Olivier Berruyer pour Élucid.

Fabrice explique de manière très claire ce qu'est l'astroturfing, que l'on retrouve de plus en plus grands les grands évènements politiques mondiaux, et qui réinvente la pratique de la propagande...
Transcription
00:00 Alors, qu'est-ce que c'est que la strutterphine ?
00:02 C'est un concept flou,
00:04 qui est en pleine définition,
00:06 mais grosso modo, c'est l'évolution,
00:08 l'adaptation, la disruption
00:10 d'un vieux concept
00:12 qui est la propagande. La propagande telle qu'elle a été
00:14 formalisée par Edward Bernays au début
00:16 du XXe siècle. Edward Bernays, c'est
00:18 le type qui a fait lire Wilson
00:20 sur un programme pacifiste
00:22 de non interventionnisme,
00:24 et qui, en cours de
00:26 mandat de Wilson, a fait
00:28 basculer l'opinion publique américaine
00:30 pour la convaincre de s'impliquer dans la première guerre mondiale.
00:32 Très fort. Il a aussi fait
00:34 myriade de choses comme
00:36 convaincre les femmes que fumer, c'était cool.
00:38 Et il a doublé
00:40 mathématiquement le marché de la cigarette
00:42 pour les cigarettiers. Il a fait une myriade
00:44 de choses comme ça, et il a mis au point
00:46 ce qu'on appelle pudiquement les relations publiques,
00:48 et ce qu'on peut appeler de façon plus
00:50 cash, la propagande, la version
00:52 occidentale de la propagande.
00:54 Ça a très très bien marché,
00:56 et ça repose essentiellement sur ce qu'on
00:58 appelle le système politico-médiatique,
01:00 c'est-à-dire l'alliance entre des politiques
01:02 qui savent utiliser, avec plus ou
01:04 moins de complicité, un système médiatique
01:06 qui transmet leur message
01:08 auprès d'une population
01:10 qui, par la suite, vote,
01:12 approuve ou rejette.
01:14 Tout ça a merveilleusement bien marché, jusqu'à
01:16 l'arrivée des fameux réseaux sociaux, qui sont
01:18 finalement assez récents, ça fait dix ans
01:20 que c'est
01:22 omniprésent et qu'on les
01:24 utilise tous, et
01:26 c'est là qu'on a vu arriver,
01:28 avec ces réseaux sociaux, une nouvelle façon
01:30 de faire de la propagande, de manipuler
01:32 l'opinion publique,
01:34 qu'on appelle aujourd'hui astroturfing.
01:36 Et ça regroupe une myriade de techniques
01:38 plus ou moins sophistiquées,
01:40 qui consistent là encore
01:42 de la même façon qu'Edouard Bernays
01:44 le faisait, à manipuler l'opinion publique,
01:46 mais cette fois-ci en utilisant non pas
01:48 les médias traditionnels, mais
01:50 les capacités offertes par les réseaux sociaux,
01:52 qui sont des outils beaucoup plus complexes
01:54 que les médias traditionnels,
01:56 parce que non seulement
01:58 ils changent l'interaction
02:00 et la relation
02:02 en matière d'information entre des émetteurs
02:04 et des récepteurs,
02:06 mais également ils transforment tous les récepteurs
02:08 en émetteurs, alors qu'auparavant ils étaient
02:10 sagement assis derrière un poste de télévision
02:12 et ils ingurgitaient de façon assez passive
02:14 l'information qu'on déniait leur donnée.
02:16 Là, c'est devenu beaucoup, beaucoup,
02:18 beaucoup plus complexe, ils régurgitent
02:20 l'information, ils la rediffusent, ils la
02:22 transforment éventuellement, et puis on peut
02:24 manipuler
02:26 les algorithmes, ou tricher avec
02:28 les algorithmes qui font cette
02:30 intermédiation entre les gens, entre
02:32 les médias et les gens, entre les politiques
02:34 et les gens, tout ça est devenu
02:36 incroyablement plus complexe,
02:38 beaucoup plus amusant,
02:40 et a donné naissance à tout
02:42 un tas de technologies, tout un tas de techniques,
02:44 la plus connue étant sans doute Cambridge
02:46 et Anitika, qui ont permis de
02:48 manipuler tout un tas d'opinions publiques
02:50 dans tout un tas de pays.
02:52 Ça fait maintenant
02:54 près de
02:56 13, 14 ans
02:58 que c'est pratiqué à droite à gauche,
03:00 ça a été lourdement inspiré
03:02 par des techniques militaires de
03:04 psyops qui se sont reconverties
03:06 sur les réseaux sociaux, d'abord
03:08 parce que dans un premier temps,
03:10 ce sont ces mêmes psyops qui ont été utilisés,
03:12 la trace la plus ancienne que je connais,
03:14 c'est 2008, des opérations
03:16 de contre-insurrection au Yémen
03:18 qui utilisaient les réseaux sociaux.
03:20 Et là, c'était vraiment de la psyops
03:22 militaire transcrite. Et puis,
03:24 petit à petit, ça a été utilisé pour manipuler
03:26 tout un tas d'élections,
03:28 notamment, dans un premier temps en Afrique,
03:30 qui est devenu vraiment le terrain de jeu
03:32 préféré de l'astro-turfing, et puis
03:34 au bout d'un moment,
03:36 fatalement, c'est arrivé sur
03:38 des terres occidentales,
03:40 notamment avec l'affaire Cambridge et Anitika,
03:42 mais Cambridge et Anitika, avant de
03:44 se mêler des élections et
03:46 d'amener au pouvoir Donald Trump,
03:48 a
03:50 disrupté quelque chose comme 50 élections
03:52 dans
03:54 plusieurs douzaines de pays africains,
03:56 ainsi qu'en Asie du Sud-Est,
03:58 et ils ont fait leur classe
04:00 dans des enjeux
04:02 plus ou moins démocratiques, mais surtout
04:04 des pays beaucoup plus petits que les États-Unis,
04:06 avant de faire ce coup de maître
04:08 qui a été, coup sur coup, le Brexit
04:10 et l'élection de Donald Trump.
04:12 Donc tout ça est
04:14 encore en pleine redéfinition,
04:16 tout ça est
04:18 alimenté par tout un tas
04:20 de technologies qui évoluent au
04:22 fil du temps, par tout un tas de nouveaux
04:24 réseaux sociaux qui apparaissent,
04:26 par tout un tas de règles
04:28 algorithmiques qui changent,
04:30 vous avez peut-être entendu parler du changement d'algorithmie de Facebook
04:32 en 2018, ça a eu un impact
04:34 sur ce business de l'astro-turfing,
04:36 et puis tout ça est supporté par
04:38 des dizaines d'entreprises
04:40 comme Génetica,
04:42 tout un tas d'États qui s'y sont mis,
04:44 les Américains s'y sont mis très très
04:46 tôt, on a des traces
04:48 d'opérations d'astro-turfing en Libye
04:50 en 2010, pour
04:52 accompagner ce qui allait être
04:54 la guerre en Libye en 2011,
04:56 et donc au passage,
04:58 une démonstration assez flagrante
05:00 à travers cette opération qui s'appelle Cyberdon,
05:02 que tout ça avait été préparé
05:04 bien avant le printemps arabe,
05:06 on a des traces
05:08 d'astro-turfing dans, je l'ai dit,
05:10 plusieurs dizaines de pays
05:12 africains,
05:14 et on a des traces
05:16 de plus en plus sophistiquées, le nec
05:18 plus ultra en termes de sophistication algorithmique,
05:20 c'est sans conteste qu'un budget à Ética,
05:22 mais
05:24 on n'est pas à l'abri de choses
05:26 encore plus incroyables
05:28 à venir dans de futures élections.
05:30 L'un des principaux
05:32 intérêts de ce domaine, c'est que c'est
05:34 en constante évolution, on est vraiment
05:36 au tout début, donc on est un peu
05:38 à la même période que
05:40 les années 20 pour la propagande
05:42 et les relations publiques, c'est la naissance
05:44 de ce concept, la mise au point
05:46 de ce concept,
05:48 on voit apparaître quelques
05:50 grandes puissances, on a
05:52 les russes avec la fameuse armée de trolls russes,
05:54 qui est une approche
05:56 pas forcément très subtile,
05:58 mais au final pas con du tout
06:00 étant donné les capacités de l'État russe,
06:02 on a une approche
06:04 américaine évidemment, ils y sont mis dès le départ,
06:06 les israéliens également,
06:08 ils y sont mis dès le départ, les anglais
06:10 s'y sont mis assez tôt,
06:12 les anglais ont développé des outils de type
06:14 comme le budget à Ética dès 2015,
06:16 et puis comme d'habitude, les français sont à la bourre,
06:18 on s'y est mis très très tard,
06:20 en grande partie parce qu'on a longtemps considéré que tout ça
06:22 était des théories conspies et que jusqu'à
06:24 ce que les russes se mêlent à l'élection de Donald Trump,
06:26 c'était officiellement des théories conspies.
06:28 Donc ça nous a fait prendre
06:30 un retard absolument considérable.
06:32 Au final, on doit avoir une douzaine
06:34 de nations dans le monde qui jouent à ce jeu-là,
06:36 et peut-être une centaine
06:38 d'entreprises qui proposent ce type de
06:40 service, et c'est le tout début début début.
06:42 Très rapidement,
06:44 on va trouver des milliers d'entreprises qui
06:46 proposent ce type de service, et tous
06:48 les États auront ce genre
06:50 de capacités sur leur population
06:52 ou sur la population du voisin.
06:54 Dernier détail, l'origine du terme
06:56 astro-turfing, qui fait une excellente conversation,
06:58 ça vient,
07:00 figurez-vous, de Monsanto.
07:02 Monsanto
07:04 s'est confronté à un problème
07:06 qui n'a absolument rien à voir avec l'astro-turfing,
07:08 qui était que
07:10 dans les stades de baseball,
07:12 on avait un énorme problème
07:14 avec le gazon. Le baseball est un sport
07:16 assez violent, et les
07:18 gazons étaient systématiquement détruits
07:20 après chaque match. Et donc,
07:22 un jour,
07:24 le stade de Houston leur a demandé
07:26 de concevoir un gazon synthétique qui pourrait
07:28 à la fois être un bon support
07:30 pour les matchs de baseball, mais également
07:32 supporter la violence des
07:34 matchs de baseball, de façon à ne pas avoir à refaire
07:36 le gazon entre chaque match.
07:38 Et ils ont sorti un gazon
07:40 synthétique, qui aujourd'hui est largement utilisé
07:42 en baseball et dans tout un tas d'autres domaines,
07:44 et on l'a appelé
07:46 astro-turf,
07:48 parce que l'équipe
07:50 de baseball de Houston, ce sont les
07:52 astros, ça donnait ce nom.
07:54 Et
07:56 l'astro-turfing vient de là
07:58 parce que les mouvements
08:00 d'opinion réels
08:02 qui viennent de la base, en anglais, ça se dit
08:04 grassroot. Et donc le faux gazon,
08:06 grass étant gazon,
08:08 est devenu astro-turfing.
08:10 Voilà, ça fait une petite anecdote
08:12 rigolote pour
08:14 commencer une conversation sur l'astro-turfing.
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