Quand on parle de la place des femmes au Moyen Âge, on peut facilement avoir le cliché de la princesse en tête, ou encore celui de la sorcière. Mais quelle est la réalité derrière ces idées reçues ? C'est ce thème que j'ai eu le plaisir d'aborder avec Michelle Bubeniceck, archiviste-paléographe, docteure en histoire et directrice de l’École nationale des Chartes pendant presque deux heures d'entretien passionnantes !
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Et retrouvez l'épisode que l'on a fait à son sujet : https://youtu.be/TDgy7TII734
Montage par V pour Valentin : https://www.youtube.com/Salveus
Sommaire :
- 00:00:00 : Introduction
- 00:01:21 : Définition et contextualisation
- 00:06:26 : Les choix d'études de Michelle Bubenicek
- 00:13:40 : Les ressources historiques sur les femmes au Moyen-Âge
- 00:30:29 : Les métiers des femmes au Moyen-Âge
- 00:33:06 : Pourquoi les femmes ont été réduites à des clichés a posteriori ?
- 00:41:21 : Le mariage au Moyen-Âge
- 00:48:19 : Les femmes répudiées
- 00:54:49 : Les femmes pouvaient-elles choisir leur mari ?
- 01:01:53 : Les violences envers les femmes et comment s'en protéger à l'époque
- 01:18:25 : Les femmes en tant que mères
- 01:28:27 : Les enlèvements par des commandos
- 01:30:26 : Les femmes de pouvoir et combattantes
- 01:34:03 : Quel jugement portaient les femmes sur Jeanne d'Arc ?
- 01:36:42 : A-t-il existé des régions où les femmes avaient davantage de pouvoir ?
- 01:41:46 : Étudier les femmes en tant que femme
- 01:46:49 : Bibliographie sélective
- 01:51:34 : Conclusion
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- 00:48:19 : Les femmes répudiées
- 00:54:49 : Les femmes pouvaient-elles choisir leur mari ?
- 01:01:53 : Les violences envers les femmes et comment s'en protéger à l'époque
- 01:18:25 : Les femmes en tant que mères
- 01:28:27 : Les enlèvements par des commandos
- 01:30:26 : Les femmes de pouvoir et combattantes
- 01:34:03 : Quel jugement portaient les femmes sur Jeanne d'Arc ?
- 01:36:42 : A-t-il existé des régions où les femmes avaient davantage de pouvoir ?
- 01:41:46 : Étudier les femmes en tant que femme
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ÉducationTranscription
00:00:00 Mes chers camarades, bien le bonjour, on se retrouve aujourd'hui pour une émission
00:00:05 spéciale sur la place de la femme au Moyen-Âge et nous allons recevoir Michèle Bubnissek
00:00:12 qui est docteur en histoire, archiviste, paléographe, directrice de l'école nationale d'Eschard
00:00:17 depuis 2016 après y avoir présenté en 1994 une thèse d'établissement sur Yolande
00:00:23 de Flandre.
00:00:24 Elle a également été directrice du département d'histoire de l'université de Franche-Comté.
00:00:27 Ses principaux axes de recherche sont concentrés sur l'histoire des femmes au Moyen-Âge
00:00:31 et leur relation avec les pouvoirs mais aussi sur l'histoire politique sous le premier
00:00:36 duc de Valois-Bourgogne, Philippe Lehardy.
00:00:39 Je sais que vous connaissez ce nom.
00:00:41 Elle a également publié en 2014 Meurtre au donjon, l'affaire Huguette de Sainte-Croix
00:00:46 dans lequel elle rouvre le cas et ce qui va permettre une enquête au sein de la noblesse
00:00:50 bourguignonne et leur rapport à l'autorité et à la justice.
00:00:54 Pour que tu te rappelles, on a déjà fait un reportage sur l'école d'Eschard il n'y
00:00:57 a pas très longtemps sur la chaîne YouTube.
00:00:59 N'hésitez pas à aller voir cette vidéo.
00:01:02 Ça vous donnera un peu une idée de l'école dans laquelle officie Michel.
00:01:07 Michel, bonsoir.
00:01:08 Bonsoir Benjamin.
00:01:09 Bonsoir Nota Bene.
00:01:10 Merci d'accepter cet entretien ce soir avec nous sur la place de la femme au Moyen-Âge.
00:01:19 Un très vaste sujet.
00:01:21 Très très vaste sujet.
00:01:22 Oui, tout à fait.
00:01:24 Alors au Moyen-Âge, c'est vrai qu'on parle là d'une très longue période.
00:01:28 Je vais peut-être commencer par quelques bornes chronologiques.
00:01:32 C'est vrai qu'on ne pourra pas tout aborder ce soir, mais j'espérais quand même de
00:01:39 donner des exemples relatifs à l'entièreté de la période, si j'ose dire, puisque donc
00:01:45 mille ans d'histoire tout de même entre la fin du cinquième siècle et la fin du
00:01:50 quinzième siècle, donc 476-1500, ce sont les bornes classiques du Moyen-Âge.
00:01:56 J'essaierais aussi de ne pas me cantonner au terrain, j'irais franco-français, parce
00:02:02 que c'est toujours intéressant d'avoir, même si mes exemples seront tirés la plupart
00:02:07 du temps effectivement de cas qui sont faciles à rapprocher de villes, de terrains qu'on
00:02:13 connaît un peu, d'avoir des points de comparaison avec d'autres aires géographiques, mais
00:02:20 qui seront quand même cantonnées à ce qu'on appelle actuellement l'Europe occidentale
00:02:24 ou l'Occident chrétien, puisqu'on a vraiment une unité religieuse culturelle, en particulier
00:02:33 sous le contrôle de l'évêque de Rome, du pape, contrôle qui garantit à cette
00:02:40 chrétienté latine une véritable unité culturelle, voire politique, et qui permet
00:02:46 donc de scruter la condition des femmes, leur statut sur des terrains à peu près équivalents.
00:02:53 Je crois qu'il est important déjà de préciser cela du point de vue des bornes
00:02:58 chronologiques et temporales.
00:03:00 Ensuite, 1000 ans d'histoire, c'est vrai qu'on a coutume de diviser le Moyen-Âge
00:03:07 en trois parties, c'est assez pratique, c'est vrai, de 466 du début de la période
00:03:14 à l'an 1000, c'est ce qu'on appelle le haut Moyen-Âge, les périodes hautes,
00:03:18 et effectivement cette première phase est intéressante parce qu'on assiste véritablement
00:03:24 à la naissance du Moyen-Âge occidental grâce à une symbiose entre le modèle romain,
00:03:32 le modèle aussi né des royaumes germaniques qui se sont installés sur les décombres
00:03:39 de l'ancien empire romain d'Occident.
00:03:41 Donc tout ça prend, la mayonnaise prend si j'ose dire, et donc on a des modèles
00:03:46 qui se cherchent y compris en matière de statut des femmes, on va y revenir, je vous
00:03:52 dirai quelques mots à tous tout à l'heure de la question du rapt, de l'enlèvement
00:03:56 des filles, qui est quand même une tradition germanique intéressante et qui se normalise
00:04:01 peu à peu pendant cette première période.
00:04:05 Et puis ensuite nous avons sur les 500 ans restants deux périodes, on pourra aborder
00:04:11 ce qu'on appelle le plus beau Moyen-Âge, le Moyen-Âge central, qui est une période
00:04:17 d'essor économique, social, politique, de prospérité aussi, de croissance démographique,
00:04:24 évidemment et pour les femmes aussi ça constitue tout de même une période de nette amélioration
00:04:29 de leur condition, en lien aussi avec une emprise de plus en plus forte de l'Église
00:04:35 sur la société, des révolutions, je dirais, majeures comme l'instauration du mariage
00:04:41 chrétien, qui est donc, instaure l'union matrimoniale, donc le mariage tel qu'on le
00:04:47 connaît aujourd'hui, c'est-à-dire donc unique, indissoluble, et avec consentement
00:04:55 mutuel des épouses, qui est un vrai progrès, on y reviendra, pour les femmes de cette période.
00:05:03 Et puis la période s'achève sur deux derniers siècles, les XIVe et les XVe siècles, qui
00:05:08 sont des siècles un petit peu plus difficiles au niveau de l'Occident, puisque ce sont
00:05:14 des périodes plus troublées par, alors on sort, on est toujours en période épidémique,
00:05:19 la période de la peste noire et de ses récurrences, période de guerre aussi interne ou à travers
00:05:26 l'Europe, je pense évidemment à la guerre de Cent Ans, qui n'a pas seulement mis aux
00:05:30 prises l'Angleterre et la France, mais aussi les puissances voisines qui se sont évidemment
00:05:35 mêlées aussi du conflit, conflit aussi à Éclipse, et puis une période aussi de repli
00:05:43 économique, de crise démographique, tout ça faisant de ces deux siècles, des siècles
00:05:48 un petit peu plus difficiles que les précédents.
00:05:51 Donc évidemment, c'est sûr que parler des femmes sur l'ensemble de cette période,
00:05:58 c'est très différent selon qu'on se situe au Moyen Âge, à l'époque carolingienne,
00:06:03 ou plutôt à la fin de la période, à la veille de la Renaissance.
00:06:04 Oui clairement, il y a eu une évolution, heureusement.
00:06:07 Il y a eu une évolution sur mille ans d'histoire évidemment.
00:06:10 Donc c'est vrai que c'est un beau sujet, on va essayer d'en aborder certains points,
00:06:17 et puis je suis tout à fait prête à revenir sur une thématique plus précise.
00:06:21 Et tu m'invites, tout de coup d'emblée.
00:06:25 Déjà, une question peut-être avant de rentrer dans le vif du sujet, comment est-ce que toi
00:06:30 t'en es venue à travailler sur les femmes au Moyen Âge ?
00:06:34 Ah oui, bonne question.
00:06:36 Alors je cherchais, c'était la première manière dont j'ai abordé le sujet, en fait
00:06:42 c'était dans le cadre d'une thèse d'école d'Escher, puisque dans la scolarité à l'école
00:06:46 d'Escher, pour le diplôme d'archéospatiographe, en fait on a ce bonheur de pouvoir choisir
00:06:51 un sujet de thèse en complète liberté, sans cadre imposé, sans thématique imposée.
00:06:57 Moi je savais que je ne voulais pas faire d'histoire religieuse par exemple, j'étais
00:07:03 assez attirée déjà par l'histoire politique.
00:07:05 J'étais attirée aussi par des personnages un petit peu hors normes, avec des réputations
00:07:12 pas forcément, le côté légende noire c'était quelque chose qui me fascinait, et pour justement
00:07:22 combiner l'approche légende noire, personnage un petit peu hors normes, et puis approche
00:07:26 du politique, je me suis intéressée à une comtesse du XIVe siècle qui s'appelle Yolande
00:07:33 de Flandres, qui était comtesse de Barres, dame de Cassel, seigneuresse de Cassel en
00:07:38 flanc de Maritime, et qui présentait l'intérêt, c'est comme ça d'ailleurs que le sujet
00:07:43 m'a un peu harponné, c'est le sujet qui m'a harponné, le personnage, en fait elle
00:07:47 avait laissé derrière elle une légende assez sulfureuse, aussi bien à l'époque
00:07:54 de son existence mouvementée, qu'ensuite au XIXe siècle lorsque le dossier avait été
00:08:00 si j'ose dire déterré par des savants érudits qui justement, voilà, aimaient bien reprendre
00:08:08 les sources à la lumière de dossiers un petit peu croustillants.
00:08:12 Donc cette double, je dirais, réputation, pas franchement, enfin assez, oui, la réputation
00:08:19 à la fois d'une forte femme, mais plutôt quelqu'un, une femme à problème, une femme
00:08:26 à mauvaise réputation, ça m'a attirée, et j'avais quand même compris, pour ce
00:08:33 que j'en avais lu, qu'elle avait eu des phases vraiment d'exercice de gouvernement,
00:08:38 de pouvoir, donc ça combinait un petit peu toute cette envie que j'avais de travailler
00:08:44 sur l'histoire du pouvoir mais d'une manière neuve, donc à travers un personnage féminin,
00:08:48 c'était un petit peu neuf, il fallait se poser, et là on était au début des années
00:08:53 90, la question de savoir s'il existait un pouvoir politique au féminin, c'était
00:09:00 vraiment une question qu'on pouvait se poser, qui n'était pas vraiment traitée
00:09:03 à l'époque, parce que l'histoire des femmes, ça me donne l'occasion de le dire,
00:09:09 était encore assez débutante en France, l'histoire des femmes c'est une discipline,
00:09:13 si j'ose dire, une thématique qui est née assez tardivement, à la faveur de la révolution
00:09:21 sexuelle et du féminisme dans les années 70, d'abord dans les pays anglo-saxons,
00:09:27 la Grande-Bretagne, aux États-Unis, un peu plus tardivement en France, à partir des
00:09:32 années 80-90 avec des grands noms comme ceux de Georges Duby ou d'Emmanuel Le Roy Ladurie
00:09:42 ou encore de Christiane Clapit-Gisbert, voilà, donc en fait on a commencé à s'intéresser
00:09:49 à ces femmes pour elles-mêmes, et pas seulement en tant que grandes figures, pendant très
00:09:55 longtemps, alors la mode des biographies en revanche c'est beaucoup plus ancien, les
00:10:00 grandes figures, les figures haut placées dans la hiérarchie sociale, ça, ça a toujours
00:10:04 intéressé en particulier au XIXe siècle, mais l'histoire des femmes, je dirais, toute
00:10:10 catégorie sociale confondue et puis sur des rôles peut-être moins attendus, effectivement
00:10:14 ça débute assez tardivement, donc dans les années 70-80, à la façon de l'histoire
00:10:22 dont on l'a fait à l'époque, c'est-à-dire nouvelle histoire, une histoire gérée globale,
00:10:26 qui est plus seulement attachée à l'histoire des événements politiques, mais qui s'intéresse
00:10:31 à la matérialité, qui s'intéresse à l'économique, qui s'intéresse à l'image, voilà, donc
00:10:39 on a une nouvelle façon de faire l'histoire et les femmes rentrent en fait dans ce mouvement-là,
00:10:47 et je crois qu'un des ouvrages majeurs, je vous mettrai une petite bibliographie ensuite
00:10:51 quand l'émission sera disponible en ligne, mais l'histoire des femmes en Occident, qui
00:10:57 est une synthèse dirigée en plusieurs tomes par Georges Duby et Michel Perrault, fait
00:11:02 encore autorité aujourd'hui, c'est un très très bel ouvrage, et qui paraît au
00:11:09 début de la décennie 90, 1990, le tome 2 étant consacré au Moyen-Âge, plus précisément,
00:11:16 voilà, il y a l'Antiquité, il y a le Moyen-Âge et l'époque moderne, et il y a l'époque
00:11:19 contemporaine, voilà, mais c'est vrai que du coup, au début des années 90, moi quand
00:11:27 je me suis posé la question de mon sujet, c'était encore, vous voyez, le tout début
00:11:31 de ces questionnements-là, et il n'y avait pas grand-chose, il faut bien le dire, à
00:11:36 part les biographies historiques de grands noms, comme Blanche de Castille ou comme Aliénor
00:11:40 d'Aquitaine, voilà, dont on considérait le parcours d'une manière globale, il n'y
00:11:45 avait pas grand-chose sur le rapport des femmes au pouvoir, les conditions qui permettaient
00:11:49 éventuellement d'exercer l'autorité, on pourra en reparler, parce que c'est un de
00:11:52 mes grands thèmes, évidemment, de recherche, et à travers cet exemple de Yolande de Flandres,
00:11:58 je me suis posé ces questions-là, voilà, comment est-ce qu'on arrive au pouvoir, est-ce
00:12:01 que c'est donné, est-ce que c'est facile, est-ce qu'il y a des obstacles, est-ce que
00:12:05 le droit aide à cela, est-ce que c'est un frein, voilà, quels sont, et puis comment
00:12:09 s'est vécu ensuite par les contemporains, et quels sont les obstacles à traverser,
00:12:17 c'était assez passionnant, puis j'ai eu la chance avec ce personnage d'avoir des
00:12:19 sources incroyables, parce que comme elle avait, elle a eu plusieurs terrains d'action
00:12:25 en tant qu'héritière, en tant qu'épouse, en tant que mère, en tant que régente, partout
00:12:30 elle a laissé des archives, donc mon bonheur ça a été d'avoir, on va en reparler si
00:12:34 vous voulez bien, un petit peu de la question des sources, même si je ne veux pas être
00:12:37 trop technique, mais quand même c'est important, parce qu'un historien ne fait pas de l'histoire
00:12:41 sans source, sinon...
00:12:42 Il colle des chartes, je veux dire...
00:12:45 Donc voilà, le bonheur c'était ça, c'était de se dire, bon d'abord j'ai des idées,
00:12:50 j'ai envie de creuser ces pistes-là, mais est-ce que j'ai des sources ? Et puis là
00:12:54 en fait le danger c'était plutôt d'en avoir trop, et d'arriver à les maîtriser,
00:12:59 et un des meilleurs conseils que mon directeur de recherche de l'époque, c'était Michel
00:13:04 Paris, décédé il y a peu de temps du Covid, paix à son âme, m'avait donné, c'était
00:13:10 Michel, cantonnez-vous bien à la sphère politique, parce qu'il y a tellement de sources,
00:13:14 il ne faut pas vous y perdre, je crois que c'était un des meilleurs conseils qu'on
00:13:16 m'ait donné, de ne pas vouloir tout traiter, de ne pas vouloir traiter, je ne sais pas,
00:13:21 Yolande, l'économie, les finances, le luxe, enfin voilà, de partir dans tous azimuts,
00:13:27 tellement les sources étaient vastes.
00:13:28 Et effectivement, je me suis, si j'ose dire, cantonnée, mais il y avait déjà pas mal
00:13:33 à faire à cette question de l'exercice du pouvoir, et ça a été un bonheur de recherche
00:13:39 bien sûr.
00:13:40 Ça signifie qu'à une période où justement, à cette femme, où est-ce qu'on a un petit
00:13:45 peu moins de sources quand on remonte dans le temps ? Parce que spontanément, enfin,
00:13:49 souvent on entend dans des émissions, oui, mais en fait, si on ne parle pas beaucoup des
00:13:55 femmes, c'est parce que, bah, il n'y avait pas grand chose sur elles, alors du coup,
00:13:59 ça explique pourquoi on n'en parle pas.
00:14:00 Alors c'est à la fois vrai et faux.
00:14:02 Alors je dirais qu'il faut revenir aussi sur la question de la temporalité, de où
00:14:07 on se situe au Moyen-Âge.
00:14:08 Moi, j'avais la chance de travailler sur un personnage du XIVe siècle, et c'est vrai
00:14:12 que d'une manière globale, il est quand même beaucoup plus facile de travailler sur
00:14:16 des thématiques touchant au milieu et surtout à la fin de la période par rapport à la
00:14:22 première moitié qui est celle du Haut Moyen-Âge.
00:14:24 Les sources sont quand même beaucoup moins abondantes, elles sont relativement connues,
00:14:30 je dirais que là il y a encore sans doute des découvertes à faire, mais moins que
00:14:33 sur le milieu et la fin de la période, où en revanche, l'avis aux amateurs, les
00:14:38 services d'archives et les bibliothèques patrimoniales sont pleines de fonds qui attendent
00:14:43 leur historienne, leur historien.
00:14:45 C'est ce que je disais, je dis volontiers aux jeunes, aux jeunes chercheurs, à ceux
00:14:50 qui ont envie de faire de la recherche, c'est que non, même sur des périodes comme le
00:14:54 Moyen-Âge, des périodes fortes, fortes anciennes et éloignées de la nôtre, tout
00:14:58 n'a pas été écrit, vu, lu, déchiffré.
00:15:01 Donc il y a plein de...
00:15:02 Ça, je voudrais vraiment insister là-dessus.
00:15:04 Plein de découvertes à faire encore dans ces archives, dans ces manuscrits-là.
00:15:11 Il faut vraiment en être conscient et plus on va dans le temps, c'est vrai en particulier
00:15:16 pour le Moyen-Âge, plus les sources sont abondantes.
00:15:18 Alors évidemment, attention, il faut nuancer entre un historien du contemporain aujourd'hui,
00:15:23 qui travaille sur le XXe ou le XIXe siècle, et puis un historien de la fin de la période
00:15:28 médiévale, ça n'a rien à voir en volume.
00:15:30 Mais on a quand même suffisamment à faire.
00:15:32 Il y a déjà des archives qui sont sérielles.
00:15:34 Par exemple, je pense à la comptabilité, on peut très vite s'y perdre.
00:15:38 On a des registres par dizaines.
00:15:41 Ça peut occuper quelqu'un toute une existence, voire plusieurs, j'ai envie de dire.
00:15:46 Voilà, donc ça, c'est une première chose.
00:15:48 Donc c'est vrai qu'il vaut mieux travailler plutôt sur la fin de la période.
00:15:53 Ensuite, alors il faut savoir de quelles sources on parle.
00:15:55 Et là, j'aimerais aussi apporter une petite précision.
00:15:59 Traditionnellement, quand on est historien, on fait la différence entre des sources dites
00:16:03 littéraires et ce qu'on appelle les archives.
00:16:07 Donc c'est deux choses très différentes.
00:16:09 Les sources littéraires du type chronique, récits d'auteurs, évidemment, il va y avoir
00:16:15 un parti pris éditorial, une volonté, je dirais, politique de faire passer des messages.
00:16:24 Et ces sources littéraires, elles sont, pour la période médiévale, essentiellement
00:16:30 masculines.
00:16:31 J'aimerais insister là-dessus.
00:16:33 Pourquoi ? Parce que là encore, il faut nuancer selon les périodes, mais quand même, grosso
00:16:37 modo, jusqu'au milieu de la période, c'est l'Église qui détient le savoir, l'ivresque,
00:16:45 la pratique de l'écrit, pour évidemment les besoins de la religion, mais aussi les
00:16:49 besoins du pouvoir.
00:16:50 Pendant très longtemps, les puissants gouvernent grâce aux clercs.
00:16:54 Il faut voir émerger des conseillers laïcs.
00:16:56 C'est assez tardif, les conseillers laïcs, qui ne sont plus des religieux.
00:17:00 Il faut attendre vraiment le XIIe, surtout XIIIe siècle, pour les voir arriver et s'imposer
00:17:08 véritablement auprès des puissants.
00:17:10 Donc ça vous donne une idée de la puissance de cette société qui est dominée par l'Église,
00:17:16 y compris dans les moyens de pouvoir, dans la pratique de l'écrit.
00:17:19 On voit heureusement les choses se nuancer un peu à partir de l'émergence de l'État
00:17:27 monarchique.
00:17:28 Les conseillers ne sont plus seulement des religieux, mais aussi des laïcs, mais tout
00:17:32 de même.
00:17:33 Cette maîtrise, qui est celle des clercs et de l'Église, de l'écrit, va avoir une
00:17:38 incidence sur l'histoire des femmes.
00:17:40 Pour ce qui est des sources littéraires, on a des auteurs qui sont, étant clercs,
00:17:46 très misogynes.
00:17:47 Ça paraît évident, mais il faut quand même le rappeler.
00:17:51 Ça va mieux en le disant.
00:17:52 Pourquoi ? À partir du moment où on a une religion dominante, qui est le christianisme,
00:17:57 qui interdit l'accès aux femmes pour les clercs, il ne faut pas oublier qu'à partir
00:18:05 de la réforme grégorienne, c'est-à-dire du XIe siècle, les années 1000, l'Église
00:18:13 réaffirme, impose le célibat, le refus du concubinage, et le célibat à tous les clercs
00:18:22 des degrés les plus inférieurs, aux plus puissants, c'est-à-dire les évêques,
00:18:26 le pape, on n'en parle évidemment même pas.
00:18:28 Ce célibat des clercs qui est imposé, réaffirmé lors de différents conciles, en particulier
00:18:35 le concile de Latran, ne pousse pas.
00:18:38 On a une totale séparation de la formation.
00:18:41 Les jeunes gens qui se destinent à l'Église, très tôt, sont séparés des femmes dans
00:18:45 les couvents, formés intellectuellement.
00:18:48 On leur apprend à se méfier des femmes puisqu'il ne faut pas y avoir accès.
00:18:51 C'est logique.
00:18:52 Donc, dans la manière de décrire ces femmes, on va avoir une écriture très misogyne.
00:18:59 On va décrire la femme de manière méfiante, en se basant évidemment sur les textes bibliques,
00:19:12 sur certains passages du Nouveau Testament, et ensuite sur l'interprétation qu'en
00:19:16 font les pères de l'Église, les grands théologiens fondateurs de la religion chrétienne.
00:19:25 C'est cette pensée-là qui est très prégnante, qui imprègne véritablement la société,
00:19:32 avec des affirmations qui peuvent nous paraître assez choquantes aujourd'hui.
00:19:36 Aussi bien à la fin de la période antique, où on voit le christianisme s'imposer,
00:19:42 que dans les premiers temps du Moyen Âge chrétien.
00:19:44 On est encore dans l'Antiquité tardive, mais Tertullien, évidemment avec la figure
00:19:52 d'Ève, qui est la porte du diable.
00:19:57 C'est évidemment l'allusion au fameux récit de la Genèse, la tentation dans le
00:20:02 jardin d'Éden, l'arbre de la connaissance, la pomme qu'Ève va donner à manger à
00:20:10 son mari, et qui chasse le couple du jardin du paradis, et fait naître la souffrance,
00:20:17 la mort, le travail, puisqu'en ayant voulu s'élever au niveau de Dieu, l'homme devient
00:20:25 mortel et s'expose à sa condition d'homme, c'est-à-dire souffrance et tentation jusqu'à
00:20:34 la mort.
00:20:35 C'est l'Ève tentatrice, qu'on représente d'ailleurs souvent en iconographie, sous
00:20:44 la forme de serpent de la tentation à une figure de femme.
00:20:49 Je trouve que c'est assez amusant, parce qu'il y a vraiment une assimilation de la
00:20:57 tentation.
00:20:58 Ce n'est pas l'homme qui est coupable, c'est la femme.
00:21:03 Saint-Ambrose de Milan le dit d'ailleurs, je crois que je n'ai plus trop la citation
00:21:07 exacte en tête, mais en fait la faute est venue par Ève pour Adam et pas l'inverse.
00:21:13 Tout ça, pour revenir à la base de la théologie de l'époque, ça ne pousse pas les clercs
00:21:22 à avoir en les femmes une vision très positive, même si j'y reviendrai, petit à petit
00:21:31 tout de même, des figures de sainteté, le culte aussi de Marie, mère du Christ, amène
00:21:37 à nuancer quand même très fortement à partir du XIIe siècle cette position-là,
00:21:43 puisque évidemment on va avoir des grands saints qui donnent en modèle aux femmes de
00:21:51 leur époque cette figure de Marie qui est la mère par excellence.
00:21:56 Évidemment, ça nuance les choses et puis il y a aussi des figures progressives de sainteté
00:22:01 féminine qui sont, on y reviendra éventuellement, offertes en modèle aux femmes.
00:22:07 Donc on nuance.
00:22:08 Mais disons qu'il faut quand même garder à l'esprit que l'écriture littéraire
00:22:14 étant aux mains des hommes, elle est assez souvent assez négative vis-à-vis des femmes.
00:22:22 Il faut attendre assez tardivement au Moyen Âge pour avoir une écriture féminine laïque.
00:22:30 Je pense évidemment à une grande auteure, Christine de Pisan, qui vit au tournant des
00:22:41 XIVe et XVe siècles, qui était la fille d'un immigré italien, si j'ose dire,
00:22:47 de l'époque, puisque son père était italien, Thomas Pisano, médecin et astrologue du roi
00:22:54 Charles V.
00:22:55 C'est là qu'elle a fait sa carrière en France, arrivé avec son père.
00:23:00 Enfin, je veux dire, son père est arrivé en France au service du roi et elle-même
00:23:06 s'est mariée en France.
00:23:07 Et là, elle a une carrière de femme de lettre laïque extrêmement importante, etant demeurée
00:23:16 veuve assez jeune, avec des enfants à charge.
00:23:19 Il a fallu qu'elle vive, qu'elle travaille pour vivre.
00:23:21 Et après avoir copié des manuscrits, c'était une tâche qui était volontiers féminine,
00:23:26 on reviendra sur les travaux des femmes et les types de métiers.
00:23:28 Mais après, elle s'est lancée, je dirais, elle n'a pas seulement copié les travaux
00:23:33 des autres, elle en a composé elle-même.
00:23:35 Et c'était à la fois capable de traiter de politique, de philosophie, de théologie,
00:23:41 de morale.
00:23:42 Et son œuvre est très impressionnante.
00:23:44 On est loin des clichés auxquels on peut s'attendre sur la femme Moyen Âge.
00:23:49 Oui, tout à fait.
00:23:50 Christine de Pizan, c'est vraiment la femme seule, avec enfant, qui travaille pour faire
00:23:55 vivre la maisonnée.
00:23:56 Enfin, ça force admiration.
00:23:57 C'est un portrait très, très moderne.
00:23:58 Et puis, le premier féminisme aussi.
00:24:01 Je sais que ce n'est pas forcément une opinion partagée par tous, parce que d'aucuns
00:24:06 vous diront, est-ce qu'on pouvait être féministe déjà au Moyen Âge ? Est-ce
00:24:10 qu'on pouvait même en avoir ?
00:24:11 Si, on a quand même des affirmations de Christine de Pizan qui sont, je trouve, très explicites.
00:24:18 On pourra y revenir.
00:24:20 Mais elle-même commence, il y a un de ses ouvrages, en disant finalement, je dois reconnaître
00:24:26 que parfois, j'ai regretté d'être née dans un corps de femme.
00:24:31 Voilà.
00:24:32 Parce qu'en fait, étant consciente de l'ensemble des limites que ça imposait finalement à
00:24:41 une intelligence, à une indépendance, à une liberté.
00:24:44 Et c'est vraiment, Christine de Pizan, c'est vraiment le champion des femmes, toutes catégories
00:24:49 sociales confondues, ce qui était aussi assez méritoire de sa part dans une société,
00:24:55 des sociétés qui sont quand même très normées socialement, très divisées, chacun
00:25:00 à sa place.
00:25:01 Il ne faut pas modifier l'ordre social.
00:25:03 Christine, elle, elle écrit aussi bien pour des princesses, pour des reines, que pour
00:25:07 des bourgeoises, que pour des femmes issues de la paysannerie, parce qu'elle a vraiment
00:25:14 à cœur de défendre le sort, je dirais, global de ses consœurs et leur honneur, comme
00:25:21 elle le dit, rétablir l'honneur des femmes.
00:25:23 C'est un peu le but qu'elle s'est fixé.
00:25:27 Voilà.
00:25:28 Donc ça, c'est pour les sources littéraires.
00:25:31 Et puis à côté, il y a les sources qu'on appelle les archives, donc les sources où
00:25:35 de la pratique, c'est en fait tout ce qu'on produit, nous en tant qu'individus au Moyen-Âge
00:25:41 comme aujourd'hui, dans l'exercice de nos fonctions professionnelles ou de notre activité
00:25:46 privée, personnelle, donc la correspondance, un acte notarié quand on achète un bien.
00:25:52 Voilà.
00:25:53 Donc ça, c'est le volet source de la pratique.
00:25:56 Et là encore, plus on avance dans la période médiévale, plus on conserve ce type d'actes.
00:26:03 Pendant très longtemps, on ne les a pas forcément conservés, ils sont rares.
00:26:06 Il y a une invasion de l'écrit, une conservation des traces à partir du Moyen-Âge central.
00:26:14 Et puis à partir du moment aussi où les langues vernaculaires dont le français s'impose,
00:26:19 et à la fin de la période, c'est invasif.
00:26:20 Donc on a des registres notariés par dizaines, on a de la correspondance, même s'il faut
00:26:26 nuancer, la correspondance privée, c'est encore assez rare au Moyen-Âge.
00:26:30 C'est vraiment une rareté.
00:26:32 Moi, par exemple, pour le XIVe siècle, je peux compter les lettres conservées d'Iolande
00:26:39 de Flandre, des lettres où elle parle de la pluie du Mautent, sa parentale, des maladies,
00:26:44 elle exprime vraiment des sentiments et un quotidien sur les doigts des deux mains.
00:26:50 J'en ai très peu.
00:26:51 Il y a très peu en fait.
00:26:52 Au XVe siècle, ça devient un petit peu plus inflationniste.
00:26:55 C'est surtout à l'époque moderne qu'on a beaucoup de correspondances.
00:27:00 Au Moyen-Âge, ça reste encore assez peu conservé.
00:27:03 La pratique est moins fréquente aussi, sans doute, même s'il y a des destructions.
00:27:08 Donc voilà.
00:27:09 Donc c'est vrai que sur cette base des sources de la pratique, est-ce qu'on peut faire l'histoire
00:27:15 de toutes les femmes ou des femmes en général ?
00:27:17 Parce que c'est vrai que j'ai quelque chose que je n'ai pas dit non plus.
00:27:19 De quel type de femmes on peut faire l'histoire ?
00:27:22 Ça, c'est aussi une question qui est quand même assez débattue chez les spécialistes.
00:27:25 J'ai dit tout à l'heure qu'on avait eu tendance pendant longtemps à privilégier
00:27:31 les biographies de grands personnages, y compris féminins, parce qu'il y a des sources,
00:27:36 bien sûr.
00:27:37 Et d'aucuns encore aujourd'hui vont vous dire « oui, finalement, on peut faire l'histoire
00:27:44 de ces personnages uniquement parce qu'il y a des sources, pour les autres, il n'y
00:27:47 en a pas ». Il faut quand même nuancer.
00:27:48 C'est vrai qu'il y en a plus.
00:27:50 C'était plus facile pour moi de travailler sur Yolande de Flandre, qui est quand même
00:27:54 un très haut personnage, apparentée au roi de France, aux princes les plus importants
00:28:01 du temps.
00:28:02 C'était plus facile parce qu'il y avait beaucoup de sources.
00:28:05 Mais ça aurait été moins facile sur une femme de la moyenne ou de la petite noblesse.
00:28:11 Plus on descend dans l'échelle sociale, moins il y a des sources conservées.
00:28:14 Et ça, j'ai pu m'en apercevoir.
00:28:16 Quand j'ai travaillé par exemple sur Huguette de Sainte-Croix, pour le livre que tu as eu
00:28:20 la gentillesse de citer tout à l'heure, « Un meurtre au donjon », là, j'étais
00:28:25 dans un terrain social inférieur au niveau de l'hierarchie.
00:28:31 Et c'est vrai que cherchant ensuite à tracer les destins de comparse, petit nobles, et
00:28:38 là, j'avais vraiment beaucoup moins de sources et c'était beaucoup plus compliqué.
00:28:40 Il y avait des choses, mais c'était beaucoup moins compliqué.
00:28:43 Après, ça ne veut pas dire qu'on ne puisse pas faire l'histoire des autres, des femmes
00:28:47 qui ne sont pas nobles, des religieuses, mais surtout des femmes du tiers état, le troisième
00:28:53 état de la société, puisque je pense que tout le monde sait, mais se rappelle, parce
00:28:57 que ça, c'est quand même des choses qu'on sait, que nos professeurs dès, je crois,
00:29:03 l'enseignement primaire secondaire nous disent.
00:29:06 À juste titre, c'est que la société médiévale, elle est tripartite.
00:29:09 Il y a une hiérarchie, il y a ceux qui sont les plus proches de Dieu, puisque l'important,
00:29:13 c'est le salut dans une société croyante, très croyante.
00:29:16 Donc, les plus proches de Dieu, premier état, ce sont les clercs, évidemment, l'Église.
00:29:22 Juste après, on a ceux qui protègent l'Église, l'ensemble, qui versent l'impôt du sang,
00:29:28 les nobles.
00:29:29 Et puis ensuite, on a tous ceux qui ne sont, ce n'est pas forcément dépréciatifs, mais
00:29:33 ni du premier corps ni du deuxième, et donc le tiers état, le troisième état, c'est-à-dire
00:29:38 tous ceux qui, eh bien, n'y prient, dont la tâche n'est ni de prier, ni d'assister,
00:29:47 ni de guérir, parce qu'en fait, on verra à quel point il y a à peu près des compartimentages,
00:29:52 ni de guéroyer, mais de travailler, donc au chant, en ville, dans le commerce, etc.
00:29:57 Chacun ayant des privilèges, puisque chaque ordre ayant ses privilèges-là, notamment
00:30:05 celui par exemple de pouvoir faire fortune grâce au commerce, à partir du moment où
00:30:09 le commerce va devenir une affaire, si j'ose dire, avec les grandes fortunes marchandes
00:30:13 à partir des 11e, 12e siècle, c'est clair que bien des nobles étaient envieux des fortunes
00:30:21 acquises grâce au commerce, mais non accessibles, puisque ne relevant pas de leur catégorie
00:30:28 sociale.
00:30:29 D'ailleurs, il y a eu des femmes qui ont pu se mettre au commerce.
00:30:32 Tout à fait.
00:30:33 On a un film, "Les Piliers de la Terre" de Ken Follett, et dedans, il y a un personnage
00:30:37 justement féminin qui est très indépendante et qui fait fortune via le commerce.
00:30:42 On a des exemples comme ça de femmes qui...
00:30:44 Alors, on a des exemples.
00:30:46 C'est vrai que concernant les métiers, en fait, les femmes travaillent en Moyen-Âge,
00:30:53 elles ne sont pas du tout écartées de la sphère publique du travail, même si les
00:30:59 églises et les mœurs ont tendance à les cantonner à la vie familiale, donc à la
00:31:04 maisonner à l'espace clos, qui est soit celui du monastère, soit celui de la maison.
00:31:09 Mais le fait est quand même que, surtout à partir de la période d'expansion économique
00:31:14 de l'Occident, évidemment, les hommes ont besoin des femmes pour travailler.
00:31:18 Ce qui est intéressant, c'est qu'on a pu faire une petite analyse à la grosse, évidemment,
00:31:25 parce que tout ça, ce sont des estimations, mais qu'entre 30 et 50% des maîtres artisans
00:31:33 n'avaient pas forcément besoin de compagnons, c'est-à-dire d'un adjoint, dans leur atelier
00:31:38 parce qu'ils travaillaient en famille avec l'épouse, voire avec le fils et la fille.
00:31:43 Et donc, c'est quand même énorme.
00:31:46 30 et 50%, c'est un sur deux artisan qui travaille avec son épouse.
00:31:49 Et la preuve, c'est qu'ensuite, au décès éventuel du mari, c'est la femme qui reprend
00:31:55 l'atelier.
00:31:56 Donc ça, c'est assez courant.
00:31:57 Mais ceci dit, les femmes sont, au-delà de cet aspect général, assez spécialisées
00:32:04 dans des domaines précis qui sont le textile, le luxe, l'alimentation et le commerce de
00:32:12 détail.
00:32:13 Et c'est vrai que le grand commerce est quand même une exception, même s'il y en a.
00:32:18 Par exemple, on connaît au XIIIe siècle une certaine Mabilia qui faisait le commerce du
00:32:23 drap entre l'Allemagne et la Sicile.
00:32:26 Mais c'est quand même des personnages un peu exceptionnels.
00:32:29 Le quotidien, c'est plutôt le commerce du détail qui est lié à la production de
00:32:35 l'atelier d'artisan.
00:32:36 Le commerce au long cours, c'est moins.
00:32:39 Mais effectivement, ce sont des figures quand même qui existent, ou des marchands notamment,
00:32:44 surtout dans l'Empire et au nord de l'Europe.
00:32:49 Et puis cette exception en Italie aussi, quelques-unes.
00:32:53 Mais voilà, on a quand même des femmes qui sont plutôt dans les ateliers d'artisan
00:32:59 et dans le commerce, je dirais, de proximité, même si ça peut exister.
00:33:04 Et avant de rentrer dans le concret, justement, de la place de la femme au Moyen-Âge, c'est
00:33:12 vrai que quand on regarde de loin, on peut identifier trois archétypes de la femme au
00:33:20 Moyen-Âge.
00:33:21 On parle des princesses, souvent, d'ailleurs, qui est une image très répandue dans la
00:33:24 pop culture.
00:33:25 On a forcément la religieuse.
00:33:27 Et puis, dès qu'on a une femme indépendante, c'est un peu la sorcière qu'on met de côté.
00:33:32 Pourquoi est-ce qu'il y a une réduction à ces trois archétypes-là ? Et à partir
00:33:38 de quel moment peut-être il y a eu une bascule et finalement, le rôle de la femme a été
00:33:43 reconnu pour autre chose que ces trois archétypes-là ?
00:33:45 Alors, je pense qu'il faut revenir à nouveau vers le fond très, très religieux de la société
00:33:52 que j'évoquais et au destin finalement que l'Église fixe au départ aux femmes.
00:33:59 Finalement, on a l'idéal dans une société très croyante et chrétienne, que l'est
00:34:05 la société occidentale.
00:34:06 À la limite, c'est d'être le plus proche de Dieu.
00:34:09 Il faudrait que tout le monde soit en religion.
00:34:12 Ce n'est pas possible, mais c'est un petit peu ça.
00:34:14 C'est la raison pour laquelle l'Église est le premier état de la société.
00:34:18 Et de la même manière, on voit bien que les pères de l'Église proposent des modèles
00:34:24 qui sont hiérarchisés.
00:34:26 L'idéal pour une femme, ce serait de garder sa virginité, de se consacrer à Dieu, d'entrer
00:34:32 en religion.
00:34:33 Il y a quand même des impératifs sociaux.
00:34:36 Le deuxième état, c'est le mariage, qui est quand même nécessaire pour la procréation.
00:34:42 Comme disait saint Augustin, un premier but du mariage, c'est l'enfance, la procréation.
00:34:48 Il résumait le mariage en disant, c'était intéressant, "proles fides sacramentum",
00:34:53 donc proles descendance, fides la foi, donc la fidélité entre époux, et sacramentum,
00:34:58 le sacrement de mariage, j'y reviendrai.
00:34:59 Voilà, le sacrement que se donnent les époux entre le consentement.
00:35:04 Il y a une manière d'arriver à la sainteté au sein du mariage, mais c'est quand même
00:35:14 le rôle traditionnel assigné aux femmes, dans cette société traditionnelle du Moyen-Âge
00:35:20 comme dans d'autres sociétés.
00:35:22 Et puis, il y a quand même des moments où on peut échapper à cette dichotomie.
00:35:31 Soit on rentre en religion, soit on est épouse, la bonne épouse qui élève les enfants,
00:35:38 qui est dévouée à son mari, qui exerce, est honnête, ne regarde pas autour, sort
00:35:48 très peu de chez elle.
00:35:49 Il y a des poches où on échappe à cela, c'est effectivement le travail qui contribue
00:36:00 à faire sortir l'épouse de son rôle familial, qui est quand même un rôle clos.
00:36:05 C'est de la clôture, finalement, qu'on parle des femmes en religion ou des femmes
00:36:11 dans la maisonnée au sein du mariage.
00:36:13 On a tendance à les voir et à les assigner à des espaces clos, qui sont déjà les
00:36:19 cas dans l'Antiquité, mais au Moyen-Âge c'est aussi un petit peu la tentation.
00:36:23 Il y a deux manières d'en sortir.
00:36:27 C'est effectivement à partir du moment où on a cette expansion économique, le rôle
00:36:31 du travail, notamment pour les femmes du tiers État, et puis certains statuts aussi.
00:36:37 C'est-à-dire que ce n'est pas exclusif l'un de l'autre, notamment pour comment
00:36:42 on arrive éventuellement à s'émanciper de cette sphère domestique.
00:36:46 C'est d'une part le travail, le travail qui plus agirait quand on est veuve.
00:36:50 Ça me donne l'occasion de mentionner quand même, même si c'est effectivement au
00:36:57 détriment de l'union conjugale et du mari qui est décédé, le veuvage est un espace
00:37:04 de liberté.
00:37:05 C'est vrai, parce que ça permet par exemple à l'épouse de devenir complètement maître
00:37:10 de l'atelier d'artisan, ou à une femme noble de récupérer ses biens, d'administrer
00:37:17 ceux de son mari au nom des héritiers, et donc d'avoir un rôle, je dirais, politique
00:37:22 et administratif certain.
00:37:24 Le veuvage est une poche de liberté, mais en même temps, il ne faut pas non plus généraliser,
00:37:33 c'est aussi une situation de fragilité.
00:37:35 Ça, j'aimerais insister aussi là-dessus, parce que dans cette société traditionnelle,
00:37:40 je vais revenir sur le statut de la femme, la femme en fait, elle doit être accompagnée.
00:37:46 Elle doit avoir un protecteur, c'est d'abord son père, ensuite c'est son mari.
00:37:50 Lorsqu'elle est veuve, il y a le risque effectivement de… c'est la liberté, c'est
00:37:55 l'indépendance, mais d'être agressée.
00:37:58 Sans protecteur, il n'est pas simple de rester veuve, libre, indépendante dans cette
00:38:05 société médiévale.
00:38:06 Là, on en a de très multiples exemples, et quelle que soit la catégorie sociale,
00:38:11 même si évidemment pour les femmes des classes plus modestes, c'est encore plus compliqué,
00:38:19 bien sûr.
00:38:20 Mais même chez les fortunées, chez les puissantes, une femme seule, c'est une femme potentiellement
00:38:24 proie.
00:38:25 Et parfois, en fait, la veuve n'a d'autres choix justement pour demeurer tranquille
00:38:38 que de prendre un nouveau mari.
00:38:39 Ce n'est pas évident.
00:38:40 Alors au bout d'un certain temps, évidemment, comme elle n'est plus en capacité de donner
00:38:45 une descendance, elle devient moins intéressante, et là le veuvage devient vraiment un gage
00:38:49 de liberté.
00:38:50 Mais tant qu'elle est relativement jeune, qu'elle est fortunée et qu'elle est en
00:38:54 capacité d'assurer la descendance, de rester seule est très compliqué.
00:39:00 Les femmes sont véritablement une proie convoitée pour le rang, pour la fortune personnelle,
00:39:14 pour une descendance souhaitée.
00:39:15 Mais c'est vrai que ce sont un peu une constante de l'ensemble de la période.
00:39:27 Et les périodes de crise, de guerre, évidemment, favorisent cette fragilité liée au veuvage.
00:39:34 Je pense à la période de la guerre de Cent Ans, qui défait certaines fortunes, ou perd
00:39:43 certaines ruines, où là vraiment on voit bien que se refaire sa fortune en captant
00:39:51 une riche héritière, c'était parfois extrêmement souhaitable et souhaité.
00:39:56 Et donc il faut faire attention.
00:39:59 Une femme seule est en danger, si j'ose dire.
00:40:03 La notion de protecteur est très importante au Moyen Âge, un petit peu déjà comme dans
00:40:09 l'Antiquité tardive, on passe de la tutelle du père à celle du mari.
00:40:14 Et on voit très bien que les hommes qui font leur testament en laissant derrière eux une
00:40:20 jeune femme et des héritiers le prévoient, parce qu'il est assez rare dans les testaments
00:40:26 qu'un homme, je pense à l'académorie nobilière, laisse sa femme seule, si j'ose
00:40:32 dire, à bord, avec les enfants à gérer, la principauté.
00:40:35 Il prévoit généralement un entourage masculin, des cousins, un oncle, pour aider, ne serait-ce
00:40:41 que par le conseil, on prend le biais du conseil.
00:40:43 Mais voilà, il y a cette idée qu'il faut vraiment être protégé, il faut continuer
00:40:48 à être protégé pour pouvoir exercer une autorité quelle qu'elle soit.
00:40:52 Il y en a de nombreux exemples.
00:40:53 Alors ça n'empêche pas des femmes de caractère de s'émanciper tout de même et de repousser
00:40:57 les protecteurs qui sont pourtant, dont le nom est noir sur blanc, couchés sur le testament
00:41:03 du mari.
00:41:04 La femme de Flandre, c'est un bon exemple.
00:41:06 Notamment en 1344, elle n'avait que 18 ans et le testament de son mari ne l'avantageait
00:41:11 pas du tout.
00:41:12 Ça ne l'a pas empêché de prendre le pouvoir et de se battre pour le conserver au nom de
00:41:16 ses deux fils mineurs et de régenter la principauté qui était la leur.
00:41:20 On a l'impression que la place de la femme, du coup, au Moyen Âge, c'est une place
00:41:26 de transmission, finalement.
00:41:30 Et ça passe par le mariage, tu l'as dit tout à l'heure.
00:41:35 Est-ce que ça a évolué justement durant le Moyen Âge ?
00:41:38 Tu nous disais qu'il y avait une évolution entre l'hémérovingien et finalement la
00:41:44 fin du Moyen Âge.
00:41:46 Comment est-ce que ça a évolué ? Est-ce que cette place s'est renforcée ? Est-ce
00:41:50 qu'elle s'est affaiblie en fonction des périodes ?
00:41:52 Alors oui, c'est très, très...
00:41:54 On peut peut-être revenir d'ailleurs sur la question du mariage, tout bêtement, si
00:41:57 j'ose dire, c'est pas bête du tout d'ailleurs.
00:42:01 Avec ce que j'évoquais un peu en introduction, avec l'instauration du mariage sacrement
00:42:07 selon la doctrine canonique du mariage.
00:42:09 C'est ce qu'on appelle la doctrine canonique du mariage.
00:42:11 C'est la situation qu'on connaît encore aujourd'hui en version laïque.
00:42:16 C'est ça qui est assez frappant quand on va à la mairie et qu'on assiste à un mariage
00:42:21 civil.
00:42:22 On a une formule qui n'est pas si différente de l'échange des consentements tel qu'on
00:42:27 pouvait l'avoir évidemment dans un cadre autre, qui est bénédiction effectivement
00:42:30 par un prêtre, le cadre de l'Église.
00:42:34 Mais les engagements sont à peu près les mêmes.
00:42:38 Il y a une persistance très importante à travers les siècles de cette promesse que
00:42:44 se font l'un à l'autre les époux.
00:42:47 Et pourquoi est-ce que c'est un progrès le mariage sacrement, donc imposé au XIIe
00:42:52 siècle ? Parce que j'ai cité tout à l'heure la façon dont le Moyen-Âge se construit
00:42:56 en Occident avec une sorte de mélange d'agrégation d'une tradition à la fois antique, qui
00:43:03 imprègne la société, et puis des traditions dites barbares, des peuplades germaniques
00:43:10 et en particulier des traditions qui ne sont pas forcément…
00:43:13 Alors ça dépend, chez les Visigoths il y avait des conditions assez favorables, je
00:43:18 pourrais y revenir au sein du couple.
00:43:24 Mais par exemple une tradition comme celle du rapt, on enlève son épouse pour la contraindre,
00:43:32 contraindre la parenté de la femme au mariage, avec pas mal de violence, c'était quand
00:43:38 même pas une tradition des plus formidables, en tout cas pour les femmes elles-mêmes.
00:43:45 On enlevait une femme éventuellement fortunée, une fois qu'on avait profité de la fortune,
00:43:52 on s'en était lassé, on la répudiait, on en reprenait une autre, voire plusieurs
00:43:55 en même temps, et ça, époque chrétienne ou pas, dans les premiers temps du Moyen-Âge,
00:44:01 ça n'y faisait rien.
00:44:02 Je prends volontiers l'exemple de Charlemagne et de sa cour où on change d'épouse et
00:44:07 de compagne comme de chemise, si j'ose dire, et ça répudie à tout va.
00:44:11 Donc il y avait une espèce d'instabilité, pourtant dans des systèmes qui étaient déjà
00:44:15 tout de même imprégnés de religion, de christianisme, puisque dès le VIIe siècle,
00:44:20 on considère que l'ensemble des campagnes occidentales sont largement christianisées.
00:44:24 Donc tout ça pour dire qu'avant le XIIe siècle, avant l'instauration de ce mariage
00:44:31 chrétien, indissoluble, unique et avec consentement des deux époux, pas seulement l'homme
00:44:39 mais aussi la femme, pour les femmes l'union conjugale était très fragile et il y avait
00:44:49 toujours le risque de se faire chasser, répudier, de devoir vivre des situations de polygamie
00:44:58 de l'époux, de facto.
00:45:00 Le mariage chrétien, ça met fin à ça.
00:45:03 C'est-à-dire que l'Église a employé tous ses moyens pour sécuriser le couple
00:45:08 et la descendance issue du couple.
00:45:10 Et le premier que ça sécurise, la première si j'ose dire, c'est cette femme qui,
00:45:15 une fois qu'elle est épousée, ne se laisse pas faire si jamais, il y a des cas, on verra
00:45:23 assez célèbres, où l'époux va essayer de trouver des prétextes pour faire annuler
00:45:31 le mariage, se débarrasser de son épouse et en épouser une autre.
00:45:34 On pourra prendre par exemple l'exemple des différents mariages de Philippe Auguste,
00:45:40 avec… ça c'est une des grandes énigmes de l'histoire médiévale, j'y reviendrai
00:45:47 volontiers.
00:45:48 Mais c'est vrai que ce mariage chrétien, enfin ce sacrement de mariage, ce mariage
00:45:52 indissoluble, c'est pour les femmes véritablement un progrès.
00:45:56 Parce qu'en fait, c'est une union dite indissoluble.
00:45:58 Seule la mort sépare les époux.
00:46:01 Alors les époux peuvent ne pas s'entendre, l'Église peut décréter éventuellement
00:46:05 à un moment donné une séparation de corps, voire de biens également, si jamais l'homme
00:46:10 est vraiment trop violent avec sa femme et ses enfants, et on met l'épouse en sécurité.
00:46:14 Mais ça ne veut pas dire pour autant qu'on n'est plus mariés.
00:46:16 Il faut attendre le décès de l'un des conjoints pour mettre fin à l'union.
00:46:21 Donc ça c'est vraiment, pour les femmes, une garantie.
00:46:26 Et de ce point de vue-là, ça tempère un petit peu, effectivement, le côté un peu
00:46:33 misogyne que j'ai pu décrire tout à l'heure, de Claire, volontiers misogyne dans la description
00:46:42 qui se font des femmes.
00:46:43 Alors bien sûr, c'est un impératif d'ordre social, puisqu'il est tout à l'avantage
00:46:50 de l'Église qui veille à l'ordre social, que les couples soient stables, que les familles
00:46:58 ne volent pas en éclat.
00:46:59 Et c'est cette stabilité, finalement, de la société qui est encouragée à travers
00:47:04 cette doctrine du mariage.
00:47:05 Mais j'insiste, là encore, on a ce qui est...
00:47:10 Le mariage sacrement, ce n'est pas l'Église qui le donne, ce sont les époux qui se le
00:47:14 donnent.
00:47:15 C'est-à-dire qu'un mariage pourrait, à la limite, se conclure en secret, sauf que
00:47:21 sans témoin, il n'y a pas de preuve.
00:47:23 Donc pourquoi l'Église va exiger ce qu'elle appelle une union infatié-éclaisie, à la
00:47:29 face de l'Église ? Tout simplement pour des raisons de publicité, pour évoquer justement
00:47:33 ce qu'elle veut éviter, par exemple la bigamie, de se marier deux fois, ou les mariages clandestins
00:47:39 qui se feraient contre la vie des familles, qui étaient quand même aussi un danger éventuel.
00:47:44 Donc, le sacrement de mariage, les époux se le donnent l'un à l'autre, le consentement
00:47:49 il est non seulement celui de l'épouse, mais celui de l'époux, et puis le consentement
00:47:56 est échangé par les époux en présence d'un prêtre qui bénit l'union.
00:48:00 Mais ce n'est pas l'Église qui donne le sacrement, ce sont les époux qui se le donnent
00:48:06 l'un à l'autre.
00:48:07 Mais c'est vrai que c'est un vrai progrès, cette instauration du mariage, du sacrement
00:48:14 de mariage, à partir du XIIe siècle, comme étant vraiment un baccalauréat obligé.
00:48:19 Deux questions.
00:48:20 Avant ça, les femmes répudiaient ce qu'elles devenaient.
00:48:22 Et la deuxième question, est-ce que le fait d'instaurer ce consentement face à l'Église,
00:48:29 ça donne plus de pouvoir, ou en tout cas, ça donne un peu plus de possibilité à la
00:48:35 femme de choisir son mari, ou est-ce que c'est totalement illusoire ?
00:48:37 Alors, que deviennent les femmes répudiées ? Elles retournent généralement dans leur
00:48:43 famille, pas forcément d'ailleurs les biens, puisque souvent, une des raisons de la répudiation,
00:48:48 c'est qu'on garde souvent la fortune, on la dilapide, et puis on trouve une héritière
00:48:54 éventuellement plus fortunée ou plus jeune que la précédente.
00:48:57 Donc, on retourne généralement, l'épouse répudiée retourne dans sa famille.
00:49:04 Ce n'est pas forcément un triomphe, mais bon, comme la société l'y autorise, ce
00:49:11 sont des choses assez courantes.
00:49:13 C'est vraiment toutes situations qui ne sont plus possibles à partir du XIIe siècle.
00:49:19 Je prendrais peut-être, et je vais revenir ensuite sur la deuxième partie de ta question,
00:49:24 l'exemple du deuxième mariage de Philippe Auguste, qui était roi de France entre 1380
00:49:30 et 1223, veuve de sa première épouse.
00:49:34 Il n'y avait eu qu'un héritier mâle, et c'est vrai qu'à cette période-là,
00:49:39 d'avoir juste un héritier pour la couronne, il valait mieux en avoir plusieurs.
00:49:43 Il était jeune, il avait l'idée de se remarier avec une femme jeune aussi, qui
00:49:50 soit capable de lui donner d'autres héritiers mâles, d'autres garçons.
00:49:53 Et donc, il jette son dévolu en 193 sur Ingebürg de Danemark, qui est la fille du
00:49:59 roi de Danemark, apparemment une très jolie fille.
00:50:04 Il avait hâte de se marier, il se marie.
00:50:08 Le lendemain de la nuit de noces, catastrophe, il n'en veut plus.
00:50:14 Donc, il annonce son amour, mais le mariage est, je dirais, effectif et consommé.
00:50:19 Donc, manque de chance dans la doctrine canonique du mariage.
00:50:26 Eh bien, le dégoût, je dirais, éventuel de l'époux le lendemain de l'union n'est
00:50:32 pas un critère pour rompre cette union.
00:50:36 On ne sait pas ce qui s'est passé.
00:50:37 Les historiens se répandent en hypothèse.
00:50:40 Voilà, est-ce que, je ne sais pas, répulsion pendant la nuit de noces ?
00:50:44 Je ne sais pas, sort jeté ou mari ?
00:50:47 Enfin, toutes les hypothèses ont été livrées sur cet énigme.
00:50:52 Avis aux amateurs, celui qui trouve la clé de l'énigme de l'union d'Ingebürg,
00:50:59 de Danemark et de Philippe Auguste, voilà, après un papier sensationnel.
00:51:03 Donc, toujours est-il que le roi ne veut plus de son épouse.
00:51:09 Cette femme va passer 19 ans de couvent en couvent, donc éloignée de son mari, avant
00:51:18 que le roi ne consente à la reprendre, pressée par l'Église.
00:51:22 D'ailleurs, il va considérer que le mariage est annulé, il se remarie avec une autre
00:51:26 jeune femme qui s'appelle Agnès de Méranie, qui lui donne effectivement plusieurs héritiers,
00:51:33 qui sont légitimés après coup.
00:51:34 Et ça va être la guerre avec le pape qui, évidemment, voulant faire prévaloir dans
00:51:41 la noblesse, y compris au plus haut niveau, parce que là, on est quand même au niveau
00:51:44 royal, cette doctrine canonique du mariage, refuse que le roi annule comme ça, sur un
00:51:51 coup de tête, il en fait un exemple.
00:51:53 Donc, on va…
00:51:54 Alors, quelles sont les armes dont dispose l'Église à l'époque pour pousser les
00:51:58 nobles et en particulier les plus puissants d'entre eux à obéir ?
00:52:01 Il y a l'excommunication, donc la privation, on dirait, personnelle, l'accès aux sacrements
00:52:06 dans une société très croyante, ne plus pouvoir communier, se faire pardonner ses
00:52:10 péchés, c'est très mal vécu.
00:52:11 Et puis, quand ça ne suffit pas, c'était le cas pour Philippe Auguste, on va encore
00:52:15 plus loin, c'est-à-dire qu'on prive tout le monde des sacrements, c'est ce qu'on
00:52:18 appelle jeter l'interdit sur un pays, c'est-à-dire qu'on ne peut plus…
00:52:22 Il n'y a plus de sacrements, il n'y a plus d'extrême-onction, on ne peut plus
00:52:25 enterrer les morts, on ne peut plus se marier, on ne peut pas…
00:52:28 Donc, tout est bloqué, en fait.
00:52:30 Alors, évidemment, vous me direz, aujourd'hui, on voit ça d'un autre œil.
00:52:34 Bon, ben tant pis, on ne concubine pas, tant pis.
00:52:38 Non, mais à l'époque…
00:52:39 Le peuple avec son gilet jaune qui bloque…
00:52:42 Voilà, là, c'était quand même un petit peu différent comme contexte et ça suffisait
00:52:47 véritablement, déjà, à monter des populations contre leurs dirigeants, pour le coup, parce
00:52:51 qu'en fait, on prive de salut, on se prive non seulement de salut soi-même et sa descendance,
00:52:57 mais aussi de tous ces sujets.
00:52:58 Donc, c'est quand même très, très mauvais quand on est normalement responsable du salut
00:53:02 de ces sujets.
00:53:03 C'est un des engagements du serment du sacre.
00:53:04 C'est très peu tenable et donc, voilà, ça a donné lieu à pas mal de conciles tenues
00:53:12 par le pape pour faire céder Philippe Auguste, et où, au final, il est obligé de reprendre
00:53:16 son épouse avec laquelle il a fini par vivre d'ailleurs en assez bonne intelligence,
00:53:21 qui lui a survécu.
00:53:23 Mais on ne s'explique pas cette énigme de cette répudiation souhaitée, mais en tout
00:53:29 cas, ce qu'il faut en retenir, c'est cette indissolubilité du mariage qui est une protection.
00:53:34 Je reprends ça, c'est Inge Burge, à qui on demande…
00:53:38 Alors, qui parlait très mal latin et français, avait quand même savé se faire comprendre
00:53:44 des autorités ecclésiastiques en disant « non, non, non, mais moi, je souhaite rester
00:53:47 mariée, je suis mariée, je ne me laisse pas chasser ».
00:53:50 Elle savait, voilà, elle savait, elle en appelait au pape d'ailleurs, elle avait
00:53:53 une… papa, le pape, enfin voilà, elle avait suffisamment de connaissances, des langages
00:54:01 qui l'entouraient pour pouvoir faire appel à l'Église pour la défendre dans ce sacrement
00:54:06 dont elle savait le prix, finalement, de protection.
00:54:10 Mais de toute façon, en plus, cette question-là, elle sera l'origine de la répudiation et
00:54:15 du divorce finalement, elle va être au cœur de grandes scissions au sein de l'Église
00:54:19 en fait.
00:54:20 Tout à fait, exactement, d'une manière globale, c'est vrai qu'on en connaît
00:54:24 d'autres plus proches de nous, effectivement, ça c'est sûr, ça sera beaucoup plus tard,
00:54:30 et je pense évidemment à l'exemple anglais, une raison de la scission religieuse et de
00:54:36 la non-reconnaissance d'autorité du pape, évidemment, on connaît évidemment l'exemple
00:54:40 célèbre d'Henri VIII, qu'on ne cite plus.
00:54:44 Voilà, mais… et je ne sais plus, alors la deuxième partie de ta question…
00:54:48 La deuxième question, c'était, est-ce que le fait d'avoir obligatoirement le consentement
00:54:55 des deux époux fait que les femmes, peut-être, ont un peu plus le choix, ou en tout cas sont
00:55:00 un peu plus en position de force dans le choix de leur futur compagnon ou pas ? Est-ce que
00:55:06 c'est illusoire ? Est-ce que ça leur donne de nouvelles armes de ce côté-là ?
00:55:09 Oui, c'est une excellente question, parce qu'on pourrait évidemment, ce consentement,
00:55:14 il est nécessaire, il est quand même conditionné par l'entourage familial.
00:55:18 Là, je pense qu'il faut quand même être assez clair.
00:55:22 Au Moyen-Âge, pas plus qu'à l'époque qui suit, et jusqu'à des périodes encore
00:55:28 assez récentes aussi, dans l'époque contemporaine, le mariage est une affaire de clan familial,
00:55:34 de famille, quel que soit d'ailleurs le milieu social, attention, aussi bien pour
00:55:39 des raisons évidemment d'ajustement des patrimoines, des fortunes, d'alliance entre
00:55:45 familles, et qu'on soit par exemple issu de la noblesse ou de la paysannerie, de la
00:55:50 bourgeoisie, en fait, le but du clan familial, c'est d'agencer au mieux les patrimoines.
00:55:55 Il faut quand même le dire, les questions financières et de fortune sont primordiales,
00:56:02 et à tous les niveaux, c'est-à-dire qu'évidemment, au niveau princier, royal, ce qu'on va chercher,
00:56:07 à agrandir évidemment le domaine de la famille. Le domaine des rois de France est constitué
00:56:13 par mariage, uniquement par captation, très souvent grâce à la… c'est assez connu,
00:56:19 mais le petit domaine île-de-Francien des débuts, le domaine capétien, s'est peu à peu épaissi
00:56:24 grâce à la captation d'héritières de fiefs intéressantes, je pense, il y en a des tonnes,
00:56:31 des exemples, mais par exemple l'exemple de la Champagne, l'héritière de Champagne, Jeanne,
00:56:35 épousée par le futur Philippe Lebel, ça a réuni de manière définitive la Champagne au royaume de
00:56:41 France, il y en a beaucoup d'autres, le comté de Toulouse, etc. On a vraiment une politique,
00:56:45 une captation par les capétiens en particulier des héritières de fiefs pour arriver à faire
00:56:52 grossir un domaine qui était quand même assez modeste au départ. Donc ça, c'est vraiment
00:56:55 l'exemple solitaire, mais dans la bourgeoisie marchande ou dans la paysannerie aisée ou moins
00:57:02 aisée, il y a toujours quelque chose à gagner dans l'union, c'est-à-dire les chope voisines,
00:57:07 le prévoit, voilà. Donc il est très très rare que l'union soit une union de choix, c'est moins,
00:57:15 j'irais, le choix des individus que le choix des familles. Et alors tant mieux après si l'union
00:57:22 est harmonieuse, ça ne veut pas dire que parfois les élus ne s'entendent pas, on en a des exemples
00:57:28 assez précis, moi qui m'intéresse en particulier à la noblesse bourguignonne, je prendrai l'exemple,
00:57:33 tu as eu là aussi la gentillesse de citer l'étude que j'ai pu faire sur le pouvoir
00:57:40 princier de Philippe le Hardy, qui était premier duc valois de Bourgogne en Franche-Comté. Philippe
00:57:46 le Hardy, c'est aussi un, enfin je veux dire, a participé à cette politique de captation par la
00:57:53 dynastie royale française de patrimoine, puisqu'il a hérité, il a eu la chance d'épouser en 1369 une
00:58:02 héritière extrêmement convoitée, puisqu'on était en pleine guerre de cent ans par les Anglais,
00:58:06 à savoir Marguerite de Mâle, l'héritière du comté de Flandre, de la comté de Bourgogne,
00:58:13 de la Franche-Comté. Voilà, donc c'était un mariage complètement politique, voulu par Charles V,
00:58:20 le roi Charles V, qui était très content. Marguerite avait été financée plusieurs fois
00:58:24 autrement et en particulier à des princes anglais. Ça aurait été assez catastrophique de voir tomber
00:58:30 le comté de Flandre, qui est quand même une principauté stratégique entre la France et
00:58:34 l'Angleterre aux mains des Anglais. C'est donc une réussite diplomatique d'arriver à capter cette
00:58:40 héritière. C'est un mariage politique et c'est un mariage pourtant très emblématique des
00:58:45 mariages princiers de l'époque. Je reviendrai sur les fiançailles au gré des défaites et des paix,
00:58:49 pendant la guerre de Cent Ans. Mais ces petites filles, ces héritières, dès l'âge de 4-5 ans,
00:58:55 elles sont parfois fiancées une demi-douzaine de fois avant d'être vraiment de convolé en
00:59:02 juste noces, parce qu'au gré des alliances et des appétits de paix de leurs parents. Donc,
00:59:08 mariage politique s'il en est entre Philippe le Hardy et Marguerite de Mâle, et mariage qui est
00:59:15 pourtant assez heureux, parce que le couple s'est très bien entendu, en particulier en se partageant
00:59:21 l'autorité sur des domaines qui étaient très dispersés. Et donc, c'est un mariage réussi,
00:59:27 voilà, visiblement assez harmonieux, dû aussi à la fortune de l'épouse, qui savait bien sans doute
00:59:34 faire rappeler aussi au duc son époux les beaux et grands héritages qu'elle lui apportait. C'est
00:59:40 Jean Froissart, le chroniqueur de la guerre de Cent Ans, le célèbre chroniqueur, qui dit que oui,
00:59:45 oui, le duc avait beaucoup de respect pour son épouse, voilà, il se rappelait régulièrement
00:59:52 quand même tout ce qu'elle lui avait apporté dans la corbeille, voilà. Et elle, visiblement aussi,
00:59:57 ne se privait pas de rappeler, il y avait un fort rang, bien sûr, chez ces femmes aussi,
01:00:02 de ce qu'elles apportent à leur époux et ce qu'elles peuvent reprendre éventuellement,
01:00:07 ou réadministrer en cas de prédécès de l'époux. Donc voilà, tout ça pour revenir sur le fait
01:00:13 que même si il y a consentement, c'est quand même un consentement très encadré par les familles,
01:00:19 et préparé, c'est-à-dire qu'il n'y a pas forcément de grande autonomie de ces filles,
01:00:30 parce qu'elles sont élevées dans n'importe quelle strata de la société, dans l'idée que de toute
01:00:36 façon, sauf exception, à l'exception de la vocation religieuse, il y en a, ou disons,
01:00:40 dans le cas de fratrie nombreuse, suivant le rang de naissance, évidemment, certaines seront
01:00:46 plutôt dirigées vers des carrières religieuses, ne serait-ce que pour des questions de dotation,
01:00:50 mais elles sont élevées dans l'idée du mariage, et pas l'idée de choisir l'époux. Si ça se passe
01:00:57 bien, tant mieux, si ça ne se passe pas bien, ça fait partie, je dirais, des aléas de l'existence,
01:01:04 et il ne faut pas que ça aille trop trop loin jusqu'à la mise en danger de l'épouse ou de
01:01:10 ses enfants. Dans ces cas-là, je l'ai signalé, l'épouse maltraitée peut demander une enquête
01:01:16 auprès des tribunaux d'église, et si la maltraitance est avérée avec mise en danger,
01:01:22 l'église peut effectivement, alors ne rompt pas le mariage, puisqu'on a dit tout à l'heure qu'il
01:01:26 est indissoluble, mais peut mettre à l'abri, j'irais, l'épouse et ses enfants à travers ce
01:01:32 qu'on appelle, alors pas un divorce, puisque ce n'est pas une annulation du mariage, mais une
01:01:36 séparation de corps, c'est assez beau comme expression, c'est-à-dire on vit désormais à
01:01:43 part, et ça sécurise, si j'ose dire, l'épouse maltraitée par rapport à un mari potentiellement
01:01:51 violent. Justement, parlons-en, on reviendra peut-être après au rôle de la femme,
01:01:58 qui est surtout aussi celui d'une mère, si je comprends bien, mais parlons des violences justement
01:02:03 faites aux femmes au Moyen-Âge, puisque c'est vrai qu'on a la sensation, vu qu'elles sont dans une
01:02:08 position qui n'est pas dominante, elles peuvent être la proie de très nombreuses violences. Est-ce
01:02:16 que c'était le cas ? Et est-ce que, tu nous as un petit peu répondu là, à travers ces quelques
01:02:21 phrases, mais est-ce qu'il y avait des mécanismes justement pour les protéger ? Alors oui, on a
01:02:26 parlé de la question du protecteur. C'est vrai que l'élément central de la vie d'une fille,
01:02:32 d'une femme, dans ces sociétés traditionnelles, c'est le mariage, qui normalement est ordonné
01:02:38 dans le cadre familial. Je voudrais peut-être parler des violences liées au mariage, ou vers
01:02:48 le mariage. Alors peut-être revenir sur tout de même cette question des fiançailles précoces,
01:02:55 en particulier dans la noblesse, en particulier la haute noblesse. La guerre de Cent Ans,
01:03:01 donc c'est une guerre qui dure, enfin, en continue pendant cent ans, je crois que tout le monde le
01:03:07 sait, c'est-à-dire qu'il y a des périodes de trêve, d'accalmie, puis des périodes de campagne
01:03:12 militaire, mais en fait rien ne se résout avant Cent Ans. C'est pour ça que ça porte ce nom-là.
01:03:18 Donc pendant la guerre de Cent Ans, au gré des alliances, des paix qui sont signées,
01:03:27 en fait la garantie de la paix c'est souvent un mariage entre les familles, notamment entre
01:03:32 ses clans rivaux, en particulier évidemment le camp anglais, le camp français. Donc on va marier
01:03:41 très très jeunes ces filles, parfois qui sont, à partir du moment où elles sont fiancées,
01:03:46 elles ont la tradition, veulent que ces petites filles soient élevées dans la famille du futur
01:03:51 mari. Donc ça peut être extrêmement traumatisant parce qu'on peut voir partir des petites filles
01:03:57 de huit ou neuf ans dans une famille complètement étrangère où elles sont élevées dans l'idée de
01:04:02 cette union et puis finalement l'union, quelques années plus tard, est rompue parce que finalement
01:04:06 les parents ont conclu une autre alliance et donc on renvoie la petite fille et sa dot dans la famille
01:04:15 d'origine. Tu évoquais tout à l'heure que deviennent ces filles répudiées, c'est une semi-répudiation
01:04:19 finalement que ces fiançailles rompues. Je prendrais juste un exemple qui est assez célèbre et qui
01:04:25 alimente justement une haine politique assez intangible mais on comprend. Alors là, ce n'est
01:04:32 pas lié directement à la guerre de Cent Ans mais c'est dans la seconde moitié du XVe siècle,
01:04:37 c'est lié à la succession des dupes de Bourgogne et à la captation souhaitée de l'héritage
01:04:45 bourguignon par les rois de France. Donc la lignée des grands ducs d'Occident de Bourgogne
01:04:51 s'éteint en 1477, c'est l'épisode célèbre de la mort de Charles le Téméraire, le dernier des
01:04:56 ducs, grand duc de Valois de Bourgogne, sous les murs de Nancy. Il laisse comme unique héritière
01:05:04 une fille, Marie de Bourgogne, qui va épouser Maximilien de Habsbourg, une union qui est
01:05:11 promise à toutes les fortunes, mais Marie décède prématurément d'une chute de cheval en 1481.
01:05:20 Elle laisse une petite héritière qui va être donc fiancée à l'héritier de la couronne de France,
01:05:32 le futur Charles VIII, et donc cette petite fille est emmenée, elle a neuf ans, à la cour de France,
01:05:41 pour être élevée comme dauphine et elle apporte à son mari la comté de Bourgogne, en particulier
01:05:48 donc la Franche-Comté et le comté d'Artois. C'était quand même deux principautés tout à
01:05:53 fait conséquentes. Donc 1482, traité d'Arras, voilà, donc le roi jure que le dauphin l'épousera,
01:06:02 etc. L'âge venu, elle est encore trop petite, elle est pas nubile. Elle est élevée pendant
01:06:07 plusieurs années, presque dix ans, donc dans l'idée de ce mariage. Et en 1491,
01:06:15 eh bien une autre héritière, si j'ose dire, se présente, donc c'est Anne de Bretagne. Et donc,
01:06:23 pour réunir la Bretagne à la France, c'est finalement Anne que l'héritier au trône épouse,
01:06:31 et la petite Marguerite est renvoyée avec sa dot dans sa famille. On imagine le traumatisme de
01:06:41 cette petite fille et la haine qui sera la sienne vis-à-vis de la France. Donc là, il s'agit
01:06:51 vraiment de violences morales, en ce sens qu'on dispose véritablement des filles comme de véritables
01:06:57 objets qu'on renvoie, qu'on épouse, qu'on renvoie à sa guise au gré des alliances, des alliances
01:07:04 politiques en particulier. C'est assez traumatisant, on peut l'imaginer. Alors,
01:07:11 l'affaire du mariage, c'est aussi, j'irais, une occasion de violence en général pour obtenir
01:07:19 justement l'épouse qu'on souhaite. J'évoquais en fait tout à l'heure, dans les premiers moments
01:07:25 de cet échange, la question du rapt, qui constituait à finalement enlever l'épouse qu'on
01:07:33 veut avoir. Pendant la guerre de Cent Ans, on en a pas mal d'exemples, j'évoquais les femmes seules,
01:07:40 il s'agit souvent soit de petites filles, soit de veuves justement jeunes encore et qu'on souhaite
01:07:47 forcer au mariage. Le rapt de filles à marier ou de jeunes veuves est quelque chose d'assez courant,
01:07:54 comment on le sait ? On évoquait tout à l'heure les sources. On le sait en particulier par les
01:07:58 sources judiciaires, les procès en fait, qui ensuite documentent, c'est notamment les plaintes
01:08:05 de la parenté de ces femmes qui s'opposent justement à l'homologation, si j'ose dire,
01:08:12 d'une union qui est contractée par la force. Et ça, les archives des tribunaux, en particulier
01:08:20 du Parlement de Paris sont pleines de ces affaires. On voit en particulier ces nobles,
01:08:25 je dirais de moyenne condition, voire de petite condition, assez désargentés, qui de cette
01:08:32 manière-là captent une héritière finalement. Donc ils enlèvent la fille et puis après l'honneur
01:08:37 de la jeune fille ou de la petite fille étant entachée, la solution, c'est une manière de
01:08:43 pousser évidemment la famille pour ne pas perdre l'honneur du clan, c'est une manière de pousser
01:08:49 le fameux clan à accorder la fille ou la jeune veuve en mariage. Donc on a vraiment un chantage,
01:08:55 je dirais à l'honneur du clan, qui n'est pas autant celui de la fille que celui du clan,
01:08:58 c'est ça. Et ce qui est frappant dans ces affaires de rapte, c'est qu'effectivement c'est ça qui est
01:09:03 mis en avant, c'est l'honneur du clan et pas tellement la volonté de la fille, qui évidemment
01:09:07 n'est pas là parce que la pauvre elle s'est faite enlever avec violence, ensuite éventuellement
01:09:13 violée, mais bon ça on n'en dit pas grand chose. Ce qui est surtout mis en avant c'est l'honneur des
01:09:19 familles, c'est-à-dire qu'on n'a pas demandé leur consentement, on a forcé la volonté du clan pour
01:09:27 ce mariage et c'est ça qui est condamné. Et l'attitude de l'Église est parfois un petit peu
01:09:35 un petit peu choquante parce que dans ces affaires d'enlèvement, pour préserver en fait la cellule
01:09:42 familiale même s'il est arrivé, s'est formé par la contrainte, par la violence, on encourage
01:09:48 au mariage après coup finalement, alors que normalement le mariage, si on l'a dit tout à
01:09:53 l'heure, un consentement des deux époux, et quel consentement peut donner une petite fille de 8 ans
01:09:59 qu'on enlève contre son gré à quelqu'un de beaucoup plus âgé, là il est évident qu'il n'y en a pas.
01:10:06 Mais pour préserver la cellule née de cette circonstance violente et éventuellement les
01:10:12 enfants qui en êtrent, à la fois la société, l'Église, les pouvoirs sont relativement
01:10:20 indulgents si le ravisseur, effectivement, ensuite homologue l'union contractée par la force
01:10:33 de manière plus officielle. C'est vraiment ça, c'est assez choquant de voir que,
01:10:39 en fait, mais ça c'est très médiéval, c'est le collectif qui prime sur l'individu, je crois
01:10:46 que c'est quelque chose qu'il faut vraiment avoir en tête, la volonté personnelle, en particulier
01:10:50 celle des femmes, est relativement peu prise en compte, en revanche la volonté et l'opinion du
01:10:55 clan est primordiale, on est vraiment dans le collectif, que ce soit le collectif du village,
01:10:59 de la communauté, de la famille, et la volonté de l'individu pèse peu en fait à cette époque,
01:11:04 par rapport au collectif, qu'il soit familial ou communautaire ou social, enfin, ça c'est vraiment,
01:11:14 l'émergence en fait de la liberté individuelle est quelque chose de très progressif et encore
01:11:21 relativement peu abouti au Moyen-Âge, il faut bien le reconnaître malheureusement.
01:11:26 Ça veut dire que d'un point de vue judiciaire, leur parole ne vaut rien ?
01:11:29 Alors non, non, parce que quand même elle est prise en compte, alors ça me donne l'occasion,
01:11:34 c'est une bonne question, de remarquer tout de même, non, non, parce que bon, dans ces affaires
01:11:41 par exemple matrimoniales, si je reviens, il y a deux, et ça me donne l'occasion d'ailleurs de
01:11:45 faire un petit focus sur qui rend la justice en matière finalement de mariage et d'affaires
01:11:52 familiales, c'est qui le juge des affaires familiales au Moyen-Âge ? C'est une question
01:11:55 qu'on peut se poser. Alors pendant très longtemps c'est l'Église, puisqu'effectivement il s'agit,
01:12:01 on l'a dit, du sacrement de mariage, voilà, et qu'il y a des questions de serment, tout ça
01:12:08 c'est prêté sur les évangiles ou d'autres objets de type rovinguin, donc c'est l'Église qui est
01:12:14 garante en fait de ses engagements, mais, parce que c'est très lié évidemment à la religion,
01:12:21 mais petit à petit les pouvoirs en fait laïcs s'en emparent et je dirais,
01:12:26 évidemment l'autorité en particulier laïque, celle du roi, devient de plus en plus invasive,
01:12:33 parce qu'on considère, le roi considère que ces affaires finalement de mariage, d'héritage,
01:12:37 ce ne sont pas seulement des affaires liées à la cellule familiale et à la religion,
01:12:45 mais ça met en cause des héritages, donc l'ordre social, donc la paix je dirais d'une société,
01:12:52 et à ce titre-là, le roi considère qu'il s'agit de domaine mixte, on est sur un domaine mixte,
01:12:57 qui relève à la fois de la religion et de l'ordre social, et donc tout ce qui a ce caractère mixte,
01:13:04 le roi va prendre ce prétexte pour intervenir en disant "bah oui certes, il y a un mariage,
01:13:10 il y a un consentement, il y a un sacrement, oui mais il y a aussi des héritages, et ça les
01:13:15 héritages contemporains, c'est moi qui l'administre, puisque je suis le garant de l'ensemble des
01:13:19 propriétés de mon royaume, de la façon dont c'est agencé, dont les gens peuvent s'entreposer ou pas
01:13:25 pour mettre la main sur telle ou telle possession, donc je suis aussi partie prenante. Donc on a en
01:13:31 fait dans ces affaires de mariage, de fiançailles, d'abord l'Église au nom du sacrement et des
01:13:37 serments prêtés, et puis de plus en plus l'autorité laïque, en particularité l'autorité
01:13:42 royale. Et la parole des femmes, elle est prise en compte. Par exemple, dans ces affaires notamment
01:13:47 de fiançailles et de mariage conclues, ce que j'ai oublié de dire tout à l'heure, c'est assez
01:13:52 intéressant, c'est qu'on l'a vu à travers les quelques exemples politiques que j'ai pu donner,
01:13:57 le mariage se fait en deux temps. On a d'abord ce qu'on appelle les fiançailles, c'est très joli
01:14:02 en latin, ça s'appelle les paroles de futurs, c'est-à-dire les paroles de futurs, "wer bad"
01:14:05 et des futuros. Et puis le mariage tel qu'il est célébré, aujourd'hui devant monsieur le maire,
01:14:12 mais à l'époque béni par un prêtre, c'est les paroles de présent, "wer bad" et "presenti". Il
01:14:17 y a deux phases, les fiançailles, le mariage lui-même, donc infatié, ecclésié. Un homme
01:14:26 qui s'engagerait sur la première phase, mais qui ne voudrait pas aller au-delà, alors que la fille
01:14:34 en face compte sur lui, sa famille éventuelle, peut se voir traîner, si j'ose dire, devant le
01:14:39 tribunal de l'évêque, l'officialité, pour aller jusqu'au bout. C'est-à-dire que voilà,
01:14:45 on a dans les registres d'officialité, on a pas mal d'affaires de ce type. Alors il fallait,
01:14:50 on pouvait parfois faire un sérial lover qui promettait les fiançailles à plusieurs jeunes
01:14:56 femmes en même temps, mais c'était compliqué pour lui à gérer parce qu'il pouvait se retrouver
01:15:00 devant l'officiel, donc le juge de l'évêque, à devoir se justifier de ses promesses qu'il avait
01:15:08 faites à une ou plusieurs jeunes femmes, avec la tâche pour le tribunal d'église de déterminer
01:15:14 laquelle était la première finalement, et laquelle avait priorité sur les autres pour aller jusqu'au
01:15:20 bout. Et là, la parole de la fille, elle est prise en compte. C'est-à-dire que vous avez des récits,
01:15:24 on a des récits qui sont incroyables, où on voit en fait sur quoi aussi se fait l'engagement. Parfois,
01:15:30 ça nous paraîtrait complètement anecdotique aujourd'hui, c'est la remise d'un objet,
01:15:34 un petit cadeau qui est accepté, qui est donné, en fait ça vaut engagement. C'est comme une bague
01:15:39 de fiançailles, des détails qui nous paraîtraient aujourd'hui du flirt plutôt, sont vraiment pris au
01:15:45 sérieux à l'époque parce que chaque geste compte. C'est une société où les gestes, tout ce qui est
01:15:52 du domaine du visuel, la gestuelle, est très importante et aucun geste n'est anodin. Je
01:15:56 reviendrai éventuellement sur les questions de violence, même la violence symbolique. Elle
01:16:00 suffit parfois d'aider une fille, autant qu'un acte beaucoup plus violent, comme le viol. Par
01:16:06 exemple, porter la main à une coiffe, parce que les femmes sont évidemment coiffées, on ne se
01:16:11 balade pas, on ne se promène pas, comme on dirait dans les romans du 19e siècle en cheveux. On a
01:16:17 une coiffe, quand on est une femme respectable, qu'on soit paysanne ou noble. Le fait de porter
01:16:24 la main sur cette coiffe, soit de la faire tomber, mais même de la toucher, vaut agression et atteinte
01:16:32 à l'honneur de la femme. Là encore, on a des témoignages assez explicites. Et s'il n'y a pas
01:16:41 réparation de cette atteinte par un homme du clan, l'honneur de la femme peut être entamé, la femme
01:16:48 du coup réputée diffamée, et être passée dans le camp des femmes permises et agressable
01:16:55 sexuellement. C'est très compliqué. Il faut faire très attention à la question de l'honneur
01:17:01 des filles, et c'est vraiment une question assez importante au Moyen-Âge, on peut travailler là-dessus.
01:17:07 C'est assez passionnant. Il faut qu'il y ait réaction. S'il n'y a pas de réaction d'un protecteur,
01:17:14 il y a des gestes qui ont une valeur performative, qui sont aussi graves finalement qu'une agression
01:17:20 plus fondée. Le deuxième juge pour les affaires familiales, de mariage, de fiançailles,
01:17:27 c'est l'autorité séculière, et en particulier la justice royale, qui, c'est assez passionnant,
01:17:34 renforce son emprise sur la société, sur l'ensemble de ces sujets, à travers aussi la défense de ces
01:17:41 sujets. Et donc ça, c'est quand même assez intéressant à remarquer. On a, même si l'adultère
01:17:52 de l'homme est très rarement punie, alors que celui de l'épouse est très hautement condamnable,
01:17:57 ne serait-ce que pour des questions de légitimation de la descendance, mais la question du rap,
01:18:05 de l'enlèvement, de la violence, est de moins en moins tolérée au fur et à mesure qu'on va vers
01:18:10 la fin du Moyen-Âge. Et donc il y a une certaine, quand même, protection du prince qui s'instaure
01:18:18 vis-à-vis de ces sujets. Et ça, c'est plutôt quand même un progrès aussi.
01:18:24 On peut peut-être revenir sur le rôle de mère, finalement. Et tout à l'heure,
01:18:30 on a parlé brièvement d'éducation. Justement, est-ce que, pour le commun des mortels,
01:18:37 on va dire, c'était la femme qui était responsable de l'éducation des enfants ? Est-ce que,
01:18:43 comme aujourd'hui, la femme du Moyen-Âge pouvait parfois encore cumuler des doubles journées ?
01:18:50 Tu vois ce que je veux dire ?
01:18:52 Oui, tout à fait. La femme responsable de l'éducation des enfants, et en particulier des
01:18:56 filles au sein de la maisonnée, et aussi des femmes éducatrices au-delà. Je pense qu'il faut,
01:19:01 c'est important de rappeler… Alors déjà, elles sont particulièrement éducatrices,
01:19:07 des filles, évidemment. Il y a un certain savoir, notamment lié à la tenue du ménage,
01:19:15 du foyer, à la santé, je dirais, de la famille. Des connaissances qui sont semi-médicales,
01:19:21 qui se transmettent par les femmes. Ça, c'est important. Et puis, il y a une première éducation,
01:19:25 effectivement, qui est donnée au sein du foyer, qui est en particulier une éducation religieuse.
01:19:29 C'est vrai que c'est, je dirais, peut-être l'un des moments où la parole féminine est valorisée,
01:19:37 parce que là encore, dans la tradition de Saint-Paul, apôtre et dépère de l'Église,
01:19:43 la femme est réputée, agitée, bavardée un peu à tort et à travers. Il faut canaliser la parole
01:19:50 féminine. Ça, c'est quand même… Là, on connaît la fameuse lettre de Paul à Timothée qui dit,
01:19:57 voilà, les femmes se taisent dans les assemblées. Elles n'ont pas à prendre la parole. Il faut
01:20:02 faire très attention. Il faut que la parole leur soit donnée, généralement, le mieux,
01:20:07 et qu'elles se taisent. Donc, cette parole, elle est très contrôlée, mais au sein du foyer,
01:20:12 là, elle peut s'exprimer en particulier pour l'éducation, l'éducation à la piété,
01:20:16 la figure véritablement de la mère qui éduque pieusement ses enfants à la religion et qui
01:20:25 aussi convertit son mari. C'est aussi quand même un modèle qui est très encouragé au Moyen-Âge.
01:20:32 Il y a des figures de sainteté féminine qui sont assez célèbres. Je pense à la mère de
01:20:37 Saint-Augustin, à Monique. Ça peut être la voie vers le salut d'avoir une mère, je dirais,
01:20:43 particulièrement pieuse. Et c'est encouragé. C'est déjà cette première éducation. Dans
01:20:49 une société très croyante, c'est une éducation religieuse. Il faut le savoir.
01:20:53 Bon, alors ensuite, effectivement, pour les filles, ça peut continuer sur des domaines un
01:21:01 petit peu plus laïcs, tenue du ménage, etc. Voilà, éducation morale. On a aussi un rôle des femmes
01:21:12 dans l'éducation, je dirais, tout court. Et là, c'est lié évidemment aux femmes entrées en
01:21:18 religion ou en semi-religion. Je m'explique, les novices dans les monastères reçoivent une
01:21:26 certaine éducation qui est d'ailleurs essentiellement, effectivement, biblique, religieuse,
01:21:31 mais aussi avec des apprentissages de métiers qui peuvent être très techniques. J'évoquais tout à
01:21:37 l'heure la tradition de la copie de manuscrit. Il faut savoir que cette copie de manuscrit,
01:21:43 c'est un métier qui est à la fois masculin et féminin. Et on connaît des moines copistes. En
01:21:49 fait, il y a pas mal de moniales copistes aussi. Et puis, il y a des copistes aussi laïcs de plus
01:21:55 en plus à la fin du Moyen Âge, des enlumineuses. C'est intéressant parce que ce n'est jamais
01:22:00 représenté en fait. Non, non, non, ça c'est vrai. C'est vrai. On voit la figure du moine copiste,
01:22:05 mais la femme, effectivement, il faudrait vérifier. Mais effectivement, j'ai peu d'exemples en tête
01:22:10 de miniature montrant. Alors, on voit des femmes avec un livre, mais ça, des femmes lisant notamment
01:22:16 en fait des livres d'heures. C'est la femme en prière finalement. Effectivement, sur ces travaux
01:22:21 spécifiques qui sont pourtant très, très mixtes, il y a peu d'exemples visuels. En tout cas,
01:22:27 dans l'iconographie médiévale, dans mon souvenir, il faudrait... Et même dans le cinéma plus
01:22:33 contemporain. C'est vrai que quant à des évocations du Moyen Âge, on voit souvent un moine avec une
01:22:38 plume. Mais on ne voit jamais une femme tenir une plume. Non, non, tout à fait. Alors que c'était
01:22:44 le cas. Christine de Pizan, que j'évoquais tout à l'heure, a commencé à gagner sa vie comme ça.
01:22:48 En fait, comme le livre est un objet de luxe, c'est à la fois un objet intellectuel, mais c'est aussi
01:22:53 parce qu'il est copié sur parchemin, que le parchemin est très cher, que chaque feuille,
01:22:59 enfin chaque parchemin en tant que tel a un coût, qu'elle est parfois richement ornée,
01:23:05 enluminée. La profession d'enlumineur ou de peinte, c'est la même. Ce sont les mêmes,
01:23:09 les mêmes artistes qui à la fois pratiquent l'enluminure ou le portrait ou le retable.
01:23:15 Donc, ça fait de ces objets des livres de grand prix. C'est assez bien rémunéré. Et c'est comme
01:23:20 ça que Christine de Pizan a commencé par gagner sa vie avant de devenir auteure elle-même. Voilà.
01:23:27 Mais pour en revenir à l'éducation, oui, donc une éducation dans les couvents, éducation aussi
01:23:32 dans les petites écoles. Par exemple, à Paris, en 1380, on sait que, alors je crois que, je
01:23:40 répète, je ne vais pas dire de bêtises, mais il y avait 42 mètres d'école recensées pour les
01:23:45 garçons et une vingtaine pour les filles. Donc, on a des maîtresses d'école. Donc, voilà,
01:23:50 là encore une profession finalement, qui, voilà. Et puis, des écoles qui n'étaient pas forcément
01:23:58 réservées, je dirais, aux plus fortunés. Je pense à l'exemple de ces communautés de femmes qui
01:24:06 sont semi-religieuses, parce que je vais m'expliquer les Béguines, les fameuses Béguines, les Béguinages,
01:24:11 très connues dans les provinces d'Ordre, les Flandres. On en a encore des très, très beaux
01:24:17 aujourd'hui à Bruges, à Gans, etc. Donc, ce sont des communautés de femmes qui vivent entre elles,
01:24:25 donc autour d'une pratique religieuse évidemment attestée. Donc, en communauté, ce qui les
01:24:32 protège, on revient à la question de la protection. En fait, vivre seul, c'est dangereux, vivre en
01:24:37 communauté, en revanche, on est sous la protection de l'évêque et des autorités municipales. Là,
01:24:42 en revanche, c'est tout à fait souhaitable, bien vécu. Qui, dans la journée, quittent le Béguinage
01:24:49 pour aller travailler. En fait, ce sont des femmes qui travaillent. Alors, dans quoi ? Et bien,
01:24:54 dans l'enseignement, on vient de le dire, dans les hôpitaux aussi, en particulier évidemment,
01:25:01 qui sont essentiellement religieux à l'époque, parfois récognitionnés par les autorités
01:25:08 municipales en période de peste, de force, d'autorité, par les autorités municipales.
01:25:13 On sait très bien qu'un des gros soucis pendant la peste noire et ses récurrences, c'était de
01:25:20 voir fuir parfois les professionnels de santé et jusqu'aux confesseurs, qui en avaient compris,
01:25:26 au bout d'un certain temps, que c'était dangereux d'aller administrer les derniers sacrements à un
01:25:33 malade atteint de la peste. Donc, au bout d'un certain temps, effectivement, c'est déploré par
01:25:38 les chroniqueurs. En fait, il n'y a plus de solidarité, plus personne ne fait son travail,
01:25:41 plus personne n'a envie d'être forcément atteint du mal suprême. Donc, voilà. Et on a des exemples
01:25:49 de béguines réquisitionnées pour aller visiter les malades et leur porter secours. Mais pour
01:25:58 revenir à l'éducation, effectivement, ces béguines participent aussi à l'enseignement des plus pauvres
01:26:03 au sein de ces villes médiévales. Donc, ça fait partie de métiers un peu mixtes qui sont pratiqués
01:26:12 dans une sphère semi-religieuse, puisque la béguine ne fait pas de vœux de chasteté et de célibat à
01:26:25 vie. En fait, elle est célibataire et en état de chasteté le temps qu'elle est au béguinage,
01:26:30 mais elle peut le quitter. Il n'y a pas le côté définitif de l'entrée en religion, d'une entrée
01:26:35 au monastère. Et puis, ce n'est pas tout à fait la même catégorie sociale aussi, parce que l'entrée
01:26:42 au monastère est plutôt réservée à des fiches de catégorie sociale, plus favorisées en particulier
01:26:51 les jeunes nobles, qui peuvent apporter une dote. La dote est aussi exigée à l'entrée au couvent.
01:26:55 Pour le béguinage, il n'y a rien de tel. Donc, effectivement, on a des femmes d'un rang social
01:27:02 qui n'est pas tout à fait le même. Et c'est une garantie véritablement de protection aussi,
01:27:08 que de vivre entre femmes, travailler et vivre entre femmes, sous la protection des autorités
01:27:13 ecclésiastiques et municipales. Et ça me donne l'occasion de souligner à quel point la clôture
01:27:20 en fait médiévale, que ce soit celle du couvent ou du béguinage, qui est une clôture choisie quand
01:27:25 même la plupart du temps, apparaît comme une protection. Je pense qu'il faut évidemment
01:27:30 là encore regarder les choses d'une manière globale. Alors, tout le monde n'a pas forcément
01:27:37 la vocation, mais c'est très fréquent d'ailleurs dans les récits de vie de saintes, le fait que,
01:27:44 pour avoir la paix finalement, pour échapper à la convoitive des hommes, ou à un énième mariage,
01:27:50 ou à un mari violent, finalement le couvent c'est un refuge. Et c'est vrai que pour échapper à ces
01:27:55 affaires de rapte, pour vivre tranquille sans protecteur, le fait de vivre entre femmes ça peut
01:28:01 être une solution. C'est très pratiqué dans les pays du Nord et dans l'Empire aussi, en Allemagne,
01:28:09 on a au XIVe siècle, au XIIIe, au XIVe siècle, des centaines de béguinages qui fonctionnent très
01:28:17 très bien. Les femmes ont trouvé ce moyen finalement de travailler, de se préserver entre
01:28:23 elles, sans protecteur, finalement, masculin. Avec quelques tristes exceptions, je vous inviterais à
01:28:30 aller voir tous la vidéo sur la chaîne YouTube Nota Bene qui s'appelle "Sobrement meurtre à l'abbaye".
01:28:36 On revient sur une histoire qui s'est passée à l'abbaye de Fontaine-Guerra ou justement un noble
01:28:42 qui battait sa femme. Elle était partie justement se réfugier dans une abbaye qui était féminine,
01:28:52 et lui avait envoyé un commando pour la zigouiller parce qu'il se retrouvait bloqué,
01:28:57 et lui était encore marié, il ne pouvait rien faire. C'était une histoire assez tragique.
01:29:03 Oui, mais la question du commando est intéressante parce que j'évoquais la question des enlèvements.
01:29:08 En fait, ces enlèvements sont rarement perpétués par un homme seul. Il y a une sorte de petite
01:29:14 bande, si j'ose dire, de commando. C'est le cas parce qu'en particulier chez ces nobles,
01:29:20 mais c'est le cas aussi éventuellement dans la... On agit en groupe en fait. Il y a quand même
01:29:30 cette tradition que le Moyen-Âge n'arrivera pas à éradiquer l'époque moderne non plus,
01:29:36 en fait, pour les nobles, de se faire justice soi-même, et on se fait justice pas tout seul,
01:29:42 mais en fait en groupe, en clan, avec les alliés de la famille, effectivement, et ses expéditions,
01:29:48 pour enlever en particulier une fille. On en a des exemples aussi dans les... C'est très bien
01:29:56 décrit dans les procès, en particulier du Parlement de Paris, une source que je connais un petit peu.
01:30:01 C'est carrément du film, c'est-à-dire qu'on a ces histoires effectivement de portes forcées,
01:30:06 de... En particulier les sources judiciaires sont tellement précises qu'effectivement,
01:30:13 on peut en faire facilement une adaptation cinématographique ou autre. Les sources ne
01:30:20 manquent pas. Avis aux amateurs, c'est ce que je disais tout à l'heure. Il y a encore plein de
01:30:23 sources aussi belles que celle-là qui... - C'est pas le premier appel du biais de la soirée.
01:30:28 Voilà, si vous avez envie de vous lancer sur ces thématiques, vous savez qu'il y a de la matière.
01:30:31 Bon, en tout cas, pour résumer, on pourrait dire que sans fantasmer une femme libre au Moyen-Âge,
01:30:38 elles ont un rôle quand même beaucoup plus pluriel que ce qu'on peut imaginer de prime abord.
01:30:44 - Ah oui, tout à fait. Et puis c'est vrai qu'on n'a pas... Voilà, c'est pour ça,
01:30:48 il va falloir que tu m'invites pour revenir. - Mais oui, quand tu veux.
01:30:52 - Ou une autre pour... Voilà, on n'a pas eu trop le temps d'aborder en particulier la question des
01:30:57 femmes de pouvoir que j'ai commencé par là avec Yolande de Flandre. Et c'est vrai que c'est une
01:31:01 question assez fascinante que celle effectivement de l'exercice réel d'une autorité sur un pays,
01:31:08 une région, grâce à cette qualité d'héritière de FIEF qui est celle de certaines de ces femmes,
01:31:16 et qualité qu'elles récupèrent généralement dans des circonstances précises, en particulier le
01:31:22 veuvage, et qui leur permettent vraiment d'être en situation d'autorité, de signer des traités,
01:31:28 déclarer la paix et la guerre, d'administrer des terres, de mener éventuellement des troupes,
01:31:33 armées... Voilà. Donc on a vraiment des situations d'autorité qui sont tout à fait semblables à
01:31:40 celles détenues, je dirais, de manière courante par les hommes, mais qui ne sont pas des exceptions,
01:31:45 qui sont quand même des situations assez fréquentes au Moyen-Âge, contrairement à ce
01:31:50 qu'on pourrait penser, assez bien documentées aussi par les sources, et qui valent le fait
01:31:58 qu'on s'y intéresse, parce que la question est, est-ce qu'il y a un pouvoir spécifiquement
01:32:05 féminin différent de celui des hommes ? Je ne suis pas sûre, parce que le modèle, c'est le
01:32:12 pouvoir masculin. Donc une femme qui gouverne, elle le fait de la même manière, pour être
01:32:16 crédible. D'ailleurs, elle se conduit comme un homme, elle a "coeur d'homme", comme dit Froissart,
01:32:22 "coeur d'homme, courage de lion". Voilà, donc le modèle du gouvernant, c'est quand même l'homme
01:32:30 qui mène ses troupes, c'est l'homme au combat, et c'est ces qualités-là qui sont aussi adoptées
01:32:36 par les femmes en situation de pouvoir. Voilà. Aussi, il y a une sorte de phénomène d'imitation.
01:32:42 Là, évidemment, ça ne correspond pas forcément à l'image que l'Église souhaite faire prévaloir,
01:32:49 celle très liée à la sphère privée, qui est celle de la mère, de l'épouse pieuse, dévote,
01:32:58 recluse dans l'espace familial et domestique. Là, on est vraiment sur des sphères publiques,
01:33:04 extérieures, éventuellement de violences qui ne sont pas du tout celles a priori autorisées,
01:33:10 mais ce sont des situations réelles tout de même, dans cette société médiévale.
01:33:14 Et puis, au-delà des femmes de pouvoir, on n'est pas dans une société de valkyrie non plus,
01:33:18 mais il y a eu des femmes combattantes. Oui, tout à fait. Le grand exemple,
01:33:22 évidemment, c'est Jeanne d'Arc, mais pas qu'elle. En particulier pendant la guerre de Cent Ans,
01:33:30 des femmes nobles et non-nobles se sont illustrées de manière très éclatante sur le terrain
01:33:37 militaire. Je pense à la guerre de succession de Bretagne, par exemple, qui est aussi appelée
01:33:41 la guerre des deux Jeannes, puisque chaque compétiteur avait une femme particulièrement
01:33:47 combative et qui n'hésitait pas à prendre pied sur le champ de bataille pour appuyer les droits
01:33:54 de son mari. Donc, il n'y a pas que les hommes qui mettent le pied sur le champ de bataille. On
01:34:00 en a pas mal d'exemples, effectivement. Ça me fait une belle transition vers les questions
01:34:05 justement du public. Il y en a pas mal. On a Le Mag qui nous dit, concernant Jeanne d'Arc,
01:34:12 est-ce qu'on a une idée un petit peu de l'opinion des femmes à son sujet, à la même époque ?
01:34:19 Comment est-ce qu'elle la voyait ? Je pense que là, il faudrait vérifier ça dans le détail,
01:34:26 mais Jeanne, avant d'être un chef de guerre, et c'est ce qui lui permet d'ailleurs d'être un chef
01:34:31 de guerre en échappant totalement à sa cognition de femme, issue de la paysannerie aisée, des
01:34:38 marges du royaume de France, c'est le fait que c'est une prophétesse. On a fait un épisode là-dessus.
01:34:43 Voilà, exactement. C'est ce qui permet de l'accepter. C'est-à-dire que c'est le prophétisme,
01:34:49 c'est-à-dire être la voix de Dieu, qu'on soit enfant, qu'on soit femme ou homme. C'est ce qui
01:34:55 permet cette liberté de ton, de parole qu'on n'accepterait pas autrement. Et cette inversion
01:35:02 aussi des rôles complètement particuliers qu'on n'accepterait pas autrement. Jeanne, elle n'était
01:35:08 pas faite pour chevaucher, pour guider des troupes. Pourquoi est-ce qu'on a accepté ça ? Pourquoi est-ce
01:35:13 que des chefs de guerre réputés ont accepté son autorité, du moins pendant un temps ? C'est
01:35:18 parce qu'elle venait pour Dieu. Elle était envoyée par Dieu. Et à partir du moment où le roi et son
01:35:24 entourage, le dauphin d'abord, ensuite le roi, Charles VII, ont été convaincus de ça, le fait
01:35:29 qu'ils avaient affaire à une messagère divine, on pouvait accepter un peu n'importe quoi, si j'ose
01:35:38 dire, dans les critères de l'époque, et en particulier d'être menée au combat, d'être
01:35:42 dirigée par une femme. Et c'est ça, je pense qu'en Jeanne, on va voir, elle est examinée par des
01:35:48 matrones, les femmes, à partir du moment où cette persuasion qu'elle arrive à opérer sur le roi et
01:35:54 son entourage, et aussi sur les femmes, dont font partie les femmes, c'est ça. C'est une fille qui
01:35:59 parle, il y en a divers exemples au Moyen-Âge, mais c'est la voix de Dieu. Et donc c'est ça,
01:36:05 je pense, qu'on voit au-delà. Après la condamnation du fait d'endosser un habit
01:36:15 masculin, c'est pas une condamnation, évidemment les juges sont des hommes, c'est difficile,
01:36:20 mais ça vient plutôt, effectivement, d'éclairs qui vont la juger, qui vont en faire un prétexte
01:36:28 pour la condamner. Donc je pense que pour l'ensemble de la société de son époque, Jeanne est d'abord
01:36:36 une envoyée de Dieu, et c'est ce qui permet d'accepter cet itinéraire complètement hors
01:36:41 normes qu'est le sien. On a Sœur Guillemane, qui, je pense, faut savoir où est-ce qu'elle veut aller.
01:36:48 Y a-t-il des sociétés en Occident où le rapport hiérarchique entre les sexes est inversé,
01:36:53 ou qui donne plus de pouvoir à la femme ? Plus de pouvoir, non, mais plus d'égalité, oui.
01:36:58 Notamment, je pense par exemple à la Catalogne, à la paysannerie de Catalogne, qui a été assez bien
01:37:05 étudiée par Pierre Bonassi, où on voit justement, il y a un vieux fond visigothique, plus égalitaire,
01:37:13 où on voit... Alors c'est vrai que j'ai pas eu le temps, parce que, nécessairement, il y avait
01:37:17 tellement de choses que j'aurais voulu vous dire et que j'ai pas eu le temps de dire, mais dans le
01:37:21 droit, j'irais, coutumier, un peu général de l'époque, le mari, on dit que le mari est le bail
01:37:28 de sa femme, il est le chef de sa femme, il est le gardien de sa femme. Le vocabulaire, d'ailleurs,
01:37:35 c'est le vocabulaire, on dit aussi qu'il est le baron de sa femme, donc le seigneur. C'est amusant,
01:37:40 on transpose sur les rapports du couple le vocabulaire de la fédéralité avec un rapport
01:37:46 de hiérarchie. Mais ça veut dire ce que ça veut dire. Ça veut dire qu'en fait, cette femme,
01:37:50 en fait, quand elle épouse son mari, c'est bien à elle, passe l'autorité du mari qui
01:37:54 administre le tout, c'est bien à lui et il est bien de sa femme, et en fait, elle les récupère
01:37:58 uniquement quand il est à son décès. Tant que le couple est stable, et en vie, les deux, c'est
01:38:04 l'homme qui administre, et j'ai dit tout à l'heure qu'effectivement, la fille passait de l'autorité
01:38:09 du père à l'autorité du mari, c'est le mari qui donne l'autorisation à sa femme, par exemple,
01:38:15 de plaider en justice, de faire des démarches, qui prend les décisions écrites, enfin voilà,
01:38:21 et elle signe éventuellement à côté. Mais on a vraiment une mainmise, je dirais, de l'homme,
01:38:27 de l'épouse, sur l'ensemble des actions du couple. Et bien en Catalogne médiévale, en particulier
01:38:34 dans cette catégorie sociale précise de la paysannerie, on a plus d'égalité, et on sait,
01:38:43 par exemple, ça a été bien montré, que cette paysanne catalane, elle peut aller plaider en
01:38:52 justice toute seule sans demander l'autorisation à son mari. Les biens dans les familles sont
01:38:57 répartis à égalité entre filles et garçons, il n'y a pas de préférence, enfin voilà. Donc,
01:39:01 il y a effectivement des poches de droits liés à certaines régions, par rapport à des destins,
01:39:08 je dirais, particuliers. Là, on sait que c'est l'influence du droit visigothique dans cette
01:39:16 région qui, visiblement, est responsable de ce traitement un peu particulier. Voilà. Selon,
01:39:21 en fait, c'est difficile de dire, il existe un droit des femmes à un endroit donné, parce qu'il
01:39:26 y a des mélanges, il y a des superpositions. Le système de droit, c'est effectivement plusieurs
01:39:30 systèmes qui cohabitent. J'ai évoqué le droit canon, le droit de l'Église, mais il y a aussi
01:39:35 le droit coutumier, qui est donc, je dirais, les usages. Il y a ensuite la législation royale,
01:39:42 qui commence à se superposer à tout cela. Et en fait, on voit très bien en procès que le juge
01:39:49 va commencer à considérer tout ce substrat-là et à essayer de l'agencer et à prendre la meilleure
01:39:54 décision en fonction. Et ce n'est pas forcément simple selon les régions, qu'on ait en pays de
01:39:59 droit romain, de droit écrit, de droit coutumier, qu'on a un substrat visigothique ou germanique
01:40:06 plus prégnant ou pas. Donc, tout ça, c'est une excellente question. Non, pas de société de
01:40:16 matriarcat véritablement, mais des régions où certaines traditions font que la femme est davantage
01:40:23 légale que l'homme, que dans d'autres endroits. Puis des périodes aussi privilégiées. Alors,
01:40:30 ça c'est une théorie intéressante, le fait que pendant la grande période d'expansion de l'Occident,
01:40:36 entre le XIe et le XIIIe siècle, la prospérité qui s'installait, le fait aussi qu'on a toujours,
01:40:42 ça c'est un fait démographique et constaté, on a toujours une légère… comment dire, il n'y a
01:40:49 pas d'infanticide véritablement pratiqué de manière globale, mais toujours plus de naissances
01:40:55 de garçons, un petit peu plus de naissances de garçons que de filles. C'est une réalité biologique
01:41:02 observée. Les filles sont en position un peu de force, ça a été constaté pendant cette grande
01:41:10 période de l'expansion démographique, et sont quand même en capacité de choisir un peu plus
01:41:18 leur mari, de se faire désirer, éventuellement de prendre des amants. C'est Robert Fauscier,
01:41:23 le grand historien de l'économie médiévale, qui disait, qui comparait en fait la situation
01:41:28 du XIIe siècle à celle du XIXe siècle en disant que c'était le siècle de l'adultère. Mais bon,
01:41:34 je ne sais pas si c'est… Voilà, en fait, mariés ou pas, il y avait quand même une certaine liberté,
01:41:40 en particulier pour les femmes, d'aller voir ailleurs, en dehors d'un mariage arrangé.
01:41:45 Il y a une question que je trouve particulièrement intéressante et qui,
01:41:49 et qui finalement ne se rapporte pas au sujet qui nous intéresse, mais en fait à toi. C'est-à-dire
01:41:55 que quand on est une femme et qu'on étudie un sujet comme ça, est-ce qu'on est considérée
01:42:04 comme une féministe, comme une militante ? Et est-ce que du coup, ça peut discréditer ton boulot ?
01:42:11 Question intéressante. Ouh là là, il faudra que tu m'imites un peu peut-être pour y répondre.
01:42:15 Oh bah écoute…
01:42:16 Oui, alors bon, ceci dit, je dirais là aussi, c'est pareil, c'est à apprécier la réponse et je
01:42:23 dirais à nuancer selon l'époque à laquelle j'ai fait mes recherches, si tu veux. Quand j'ai
01:42:30 commencé, effectivement, j'ai soutenu ma thèse d'école des chars en 1994 et après j'ai passé,
01:42:36 j'ai soutenu une thèse à Paris 1, une thèse de doctorat d'histoire, à peu près sur le même
01:42:43 sujet. Enfin, j'ai augmenté entre-temps le corpus, mais le sujet était du même type. C'est vrai que
01:42:50 ce fait de marier l'histoire des femmes et l'histoire politique était quand même encore
01:42:56 assez peu… Enfin, ce n'était pas des terrains très empruntés. De faire de l'histoire des femmes,
01:43:03 d'ailleurs, tout de suite, oui, déjà, c'était un marqueur en fait. Même à l'école des charts,
01:43:08 même de façon, je dirais, classique, appuyée sur les sources, en traitant beaucoup de questions
01:43:13 juridiques, parce que c'est aussi… On ne peut pas traiter de toute façon d'histoire sociale
01:43:19 et d'histoire politique sans avoir des connaissances solides en droit, ça, ce n'est pas possible.
01:43:23 Même sous cet angle-là, complètement séparé, je dirais, des polémiques ou des débats de
01:43:30 société adjacents, effectivement, oui, je crois que je peux le dire. Enfin, certains ironisaient
01:43:38 sur la mathèse, sur le pouvoir au féminin. Ça faisait sourire un peu à l'école des charts,
01:43:45 en particulier au milieu des années 90. Et puis après, ensuite, au cours de ma carrière,
01:43:53 au moment justement où j'ai pris des rênes de l'école des charts, il y a eu un petit frémissement
01:44:01 en disant « tiens, quelqu'un qui s'intéresse aux femmes de pouvoir qui ont le pouvoir à l'école
01:44:06 des charts ». Enfin, il y a eu des petits jeux de mots un petit peu, bon, gentils, pas forcément
01:44:09 méchants, mais vite effacés quand même. Voilà, donc oui, il y a toujours un… Bon, après,
01:44:18 je pense que cette histoire des femmes telle qu'on la pratique, et moi en particulier,
01:44:23 mais je ne suis pas la seule, il y a de plus en plus d'hommes et de femmes qui s'intéressent
01:44:27 d'ailleurs à ces questions, en plus de filles, c'est vrai. Je pense que la façon dont on l'a
01:44:32 fait, cette histoire en Europe, et en particulier en France, est beaucoup plus dépassionnée en fait
01:44:40 que sur d'autres terrains, et en particulier le terrain anglo-saxon où c'est très, très lié.
01:44:47 Enfin, il y a beaucoup de… Au risque d'ailleurs de l'anachronisme, et ça décrédibilise à mon
01:44:53 sens un peu les choses. Voilà, je crois qu'il faut savoir se pencher sur ces questions avec
01:45:00 la distance nécessaire, voilà, au risque vraiment de commettre des contresens et des anachronismes,
01:45:06 et que l'histoire des femmes telles qu'on la pratique en Europe, en Allemagne, en France,
01:45:11 et je dirais, des passionnés et très scientifiques, et qu'on échappe à ça, il me semble. Après,
01:45:19 il y aura toujours des gens pour trouver que ce ne sont pas des sujets sérieux,
01:45:22 ça les moins aujourd'hui. C'était un petit peu ça. Après, comme la thèse était très juridique,
01:45:32 justement, comme il s'agissait d'histoire politique, j'avais traité beaucoup de statuts,
01:45:38 c'était parfois très très ennuyeux, ces questions de juridiction, de statut juridique,
01:45:41 de conflits de juridiction, de sources du droit, donc ça calme très vite. Voilà, c'est vrai.
01:45:47 J'étais sur un terrain, celui du gouvernement, de la politique, qui permettait peut-être déjà
01:45:58 des passionnés, peut-être l'appréciation qui aurait pu être celle de mon travail, mais voilà.
01:46:05 Je ne l'ai pas fait pour ça, je l'ai fait parce que c'était des sphères qui m'intéressaient,
01:46:08 en fait. J'avais vraiment envie. Je ne dis pas que le reste ne m'intéresse pas,
01:46:11 j'ai travaillé sur le bijou, le luxe, mais toujours d'ailleurs dans un rapport quand même
01:46:16 d'exercice du pouvoir, c'est ça qui m'intéressait. J'étais moins attirée par d'autres domaines,
01:46:22 même si forcément tout m'intéresse, mais voilà, j'avais ce trophisme-là, ce biais-là,
01:46:28 et la preuve, c'est qu'après, j'ai fait autre chose, et j'intéresse aux politiques en général,
01:46:33 et à l'acceptation de ce politique. Il y a d'autres sujets aussi, mais c'est vrai que c'est
01:46:40 par ce biais-là que je suis venue aux femmes. Je n'ai pas regretté parce qu'il y a beaucoup à dire
01:46:45 et encore beaucoup à faire aujourd'hui encore, vous l'aurez compris.
01:46:48 Est-ce que tu aurais peut-être une sélection de livres à conseiller aux gens qui nous écoutent,
01:46:54 s'ils ont envie de rentrer dans ce sujet complexe qu'est la femme en winage ?
01:47:01 Oui, j'ai toute une petite bibliographie que je pourrais éventuellement te passer pour la
01:47:07 mettre en fin d'émission quand elle sera disponible, je pense en ligne éventuellement. J'évoquais tout
01:47:14 à l'heure les synthèses. Il y a pas mal de monographies aujourd'hui. C'est vrai qu'on n'est
01:47:19 plus dans la tradition des biographies, mais on est quand même maintenant dans des études parfois
01:47:26 effectivement régionales ou liées tout de même à des figures données, en particulier pour cette
01:47:34 question du pouvoir des femmes. Sur les grandes synthèses, il y a quand même cette histoire des
01:47:39 femmes en Occident qui reste un grand classique. Je pense qu'on peut rentrer par l'histoire des
01:47:44 femmes à travers cette synthèse en quatre volumes qui date de la décennie 90. Elle reste très
01:47:52 actuelle et on a les meilleurs spécialistes, direction Georges Duby et Michel Perrault,
01:48:01 qui est vraiment une très belle synthèse. En regardant cette question de la bibliographie,
01:48:07 je me disais qu'il faudrait peut-être mettre ça à jour. Ça pourrait être une belle entreprise,
01:48:13 à la lumière justement des travaux des 20 dernières années et de la façon dont ça a
01:48:19 augmenté. Je pense qu'on continue à compléter les connaissances, mais la bibliographie pour le
01:48:26 coup s'est vraiment étoffée. Ça serait de reprendre cette synthèse peut-être d'une autre
01:48:32 manière pour la compléter. Après, il y a un tas d'études qui font référence ou des biographies
01:48:39 qui sont assez complètes. J'aime bien la grande spécialiste d'histoire des femmes,
01:48:44 c'est Christiane Clapiche-Zuber, qui a beaucoup travaillé en particulier sur les femmes
01:48:47 italiennes, les Florentines, qui est quand même un très grand nom de la médiévistique.
01:48:51 Ou une autre historienne qui a été… Pernoud ?
01:48:54 Oui, Pernoud, c'est pas mal Pernoud, parce que c'est très fondé sur les sources. Les biographies,
01:49:02 ça reste des classiques, ça se lit très bien. On peut commencer par là pour se faire des
01:49:09 connaissances et rentrer… C'est faussement simple Pernoud, parce que c'est quelqu'un qui
01:49:16 - j'ai retravaillé un petit peu la façon dont elle écrivait - c'est quelqu'un qui est
01:49:23 archiviste paléographe, chartiste, donc qui faisait tout le travail de sourcing à travers
01:49:28 la bibliographie et les documents d'archives, mais qui se forçait, étant d'une famille de
01:49:34 journalistes habitués à expliciter, à être très pédagogique, pédagogue, en fait réécrivait dix
01:49:43 fois son récit pour qu'on le lise sans notes, qu'il n'y ait pas de notes, il n'y a pas de notes en
01:49:47 fait, c'est ça qui est assez frappant, alors qu'il y a tout un travail qui est juste énorme derrière,
01:49:53 parce que ce qui lui importait c'était d'arriver à transmettre auprès du plus grand nombre. Alors
01:50:00 évidemment il y a des parties prises qui ne sont pas forcément partagées, mais il y a eu aussi
01:50:04 beaucoup de critiques, je crois, injustes vis-à-vis de Régine Pernoud, tout simplement parce que c'est
01:50:09 pas quelqu'un du sérail universitaire direct, c'est quelqu'un qui avait tous les, on parlait de
01:50:14 sacrement tous les grades, impossibles, inimaginables, du point de vue universitaire, mais c'est pas
01:50:18 quelqu'un qui a enseigné l'histoire à l'université, elle a monté des expositions, elle a été
01:50:25 conservateur, elle a fait toutes sortes de métiers, mais qui avait vraiment ce goût de la transmission
01:50:30 avec beaucoup de pédagogie, et c'est très bien écrit, et là encore une fois c'est une fausse,
01:50:37 une écriture faussement simple et facile, parce que c'est très travaillé en fait, voilà, et parce
01:50:41 que derrière il y a un travail énorme. Donc voilà, j'aimerais lui rendre hommage, et c'est
01:50:48 toujours réédité, c'est traduit en plus de 45 langues en fait, aujourd'hui encore, Régine Pernoud,
01:50:53 donc je pense qu'on peut la lire, et c'est pas mal fichu, il y a des choses un petit peu plus
01:51:00 datées que d'autres, mais voilà, donc ça reste quand même un des auteurs qu'il faut avoir lu si
01:51:06 on s'intéresse aux femmes au Moyen-Âge. Après cette déclaration à Régine...
01:51:10 Je vais profiter un peu, je trouve qu'elle a été très critiquée là encore, avec beaucoup
01:51:18 d'isogynie aussi, voilà, je crois que c'est quelqu'un qui est arrivé peut-être trop tôt
01:51:22 aussi, puis pas quelqu'un de facile aussi, du point de vue caractère, alors voilà, ça faisait
01:51:28 beaucoup, mais qui était quand même une excellente historienne et chercheuse.
01:51:33 Est-ce que tu aurais quelque chose, peut-être un mot de la fin, quelque chose que tu aurais
01:51:37 aimé aborder ou nous dire que vraiment tu n'as pas pu...
01:51:40 Oui, bah non, rien, peut-être insister sur le fait que oui, l'histoire des femmes,
01:51:47 si j'ose dire à la française, vous attend, je pense éventuellement aux étudiants,
01:51:52 aux étudiantes, qui voilà, en fac notamment, faculté d'histoire, qui se poseraient la question
01:51:58 d'un sujet de recherche, ne pas hésiter à emprunter ces chemins-là, parce qu'ils sont
01:52:04 passionnants et comme je le disais tout à l'heure, il y a encore beaucoup d'archives
01:52:09 qui vous attendent, et des archives qui ne sont pas forcément en latin, contrairement à ce qu'on
01:52:14 peut croire, pour le Moyen-Âge, il y a des archives en français qui sont assez bien,
01:52:18 enfin très lisibles et accessibles et qui peuvent vous permettre de toucher du doigt en fait ces
01:52:24 destins-là, c'est ça qui est assez fascinant finalement, c'est contrairement aux récits de
01:52:30 fiction, aux récits littéraires, l'archive, en fait, c'est ce qui m'émeut toujours, en fait,
01:52:34 on touche les gens et leur destin à travers une source, et il y a une émotion qui est incroyable,
01:52:39 je crois qu'on ne s'en lasse jamais d'aller, voilà, d'ouvrir un vrai document par chemin du
01:52:46 14e ou du 15e siècle, de le déchiffrer et d'arriver à reconstituer un destin, en particulier un destin
01:52:52 de femme, à travers tout ça, c'est assez motivant et voilà, c'est une passion, il ne faut pas
01:53:00 commencer après, on a du mal à y renoncer, voilà, une enquête en particulier sur les femmes que je
01:53:08 vous conseille, que je vous recommande si vous en avez l'envie et tout le monde peut y arriver,
01:53:13 je crois, voilà, il ne faut pas hésiter. Merci, merci Michèle de nous avoir raconté un petit peu
01:53:18 de ton temps ce soir pour parler de la place de la femme au Moyen-Âge et on te recevra de nouveau
01:53:24 avec grand plaisir pour parler de ça ou d'autre chose. Oui, tout à fait, c'est pas du tout motivant,
01:53:30 tu l'auras compris, donc voilà, je reviendrai volontiers si tu m'invites, il n'y a pas de
01:53:39 souci. Merci, un grand merci en tout cas pour cet échange, voilà, j'espère ne pas avoir été trop
01:53:45 longue et à très bientôt, j'espère. Merci à tous d'avoir suivi, je vous souhaite une bonne soirée,
01:53:52 on se retrouve très très bientôt et puis voilà, salut !
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