• il y a 8 mois
À la fin des années 60, près de la moitié des femmes en âge de travailler restaient s’occuper du foyer et des enfants… Désormais elles ne représentent plus que 12% des femmes en France, contre seulement 6% des hommes… Une partie de l’histoire des femmes que nous avons un peu oublié.
Alors, l’Histoire est-elle souvent « ingrate » avec les femmes ? Et qu’en est-il désormais ? Se sont-elles complètement affranchies des règles établies pour elles ? C’en est-il vraiment fini des sacrifices des femmes pour leur famille ?
Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023

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Transcription
00:00 L'histoire oubliée des femmes au foyer. Un film signé Michel de Nunici. Documentaire précieux pour comprendre une partie de l'histoire des femmes.
00:08 Les choses ont beaucoup évolué, bien heureusement depuis les années 50, mais tout est-il complètement réglé ?
00:14 Le droit des femmes à s'épanouir professionnellement, leur droit à avoir ou à ne pas avoir d'enfant, leur droit à être payé pareil que les hommes,
00:22 tout cela est-il parfaitement et complètement acquis ? Avec nous pour en parler, Laurence Rossignol, bienvenue.
00:27 Vous êtes sénatrice socialiste du Val-de-Marne, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.
00:34 Et sous le mandat de François Hollande, vous avez notamment été ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des Femmes.
00:40 Manuela Martini, bienvenue à vous également. Vous êtes professeure d'histoire contemporaine à l'Université Lumière Lyon II.
00:46 Parmi vos domaines de recherche, l'histoire des femmes et du genre en France et dans l'Europe méditerranéenne, vous avez collaboré à l'écriture de plusieurs ouvrages,
00:53 dont celui-ci, Histoire des femmes et du genre, où vous reveniez notamment sur le travail des femmes.
00:58 Bettina Zourli, bienvenue. Vous êtes autrice, journaliste et créatrice de contenus féministes, notamment sur Instagram avec votre page "Je ne veux pas d'enfant".
01:07 Vous présentez votre podcast "Amour" avec un S comme un podcast qui fait sortir les mots "famille" et "couple" de ces carcans normés.
01:16 Et vous avez publié "Le temps du choix, être ou ne pas être mère" aux éditions Paillouf.
01:21 Catherine Akouboazis, bienvenue à vous également. Vous êtes journaliste et auteur, vous travaillez pour le magazine "Parents",
01:26 vous êtes spécialiste des questions de famille et vous tenez un blog qui s'appelle "En silence".
01:31 Merci à toutes les quatre d'être ici avant de parler des enjeux d'aujourd'hui.
01:36 Je voudrais vos réactions à ce film qu'on a trouvé, nous ici, à Public Sénat, magnifique. Et bravo à Michel Dominici.
01:42 Manuela Martini, est-ce que c'est un peu vrai que les femmes au foyer d'après-guerre ont été oubliées, ignorées par les historiens ?
01:49 Est-ce qu'il y a une forme d'ingratitude de l'histoire avec ces femmes au foyer ?
01:52 Je ne sais pas s'il y a une forme d'ingratitude de l'histoire, mais sans doute les historiens et historiennes ont négligé ce domaine d'études
01:59 parce qu'ils se sont intéressés au départ, dans les années 70, quand on a débuté cette entreprise,
02:05 de s'occuper, de s'intéresser au travail des femmes. On a plutôt travaillé sur le travail dans les usines.
02:12 Et d'ailleurs, ce n'est pas seulement le travail domestique, le travail des femmes au foyer qu'on a négligé,
02:17 mais c'est aussi toute une série d'autres tâches dans les services, par exemple, dans les domaines de la créativité,
02:28 bien évidemment les artistes, mais aussi dans d'autres domaines, de l'artisanat.
02:33 On a un peu négligé toutes ces dimensions du travail des femmes qui est lié aussi à la sphère domestique.
02:40 C'est aussi peut-être pour ça, Laurence Rossignol, qu'il nous touche tellement ce documentaire,
02:44 c'est qu'il donne la parole à des femmes qu'on a oubliées, que les historiens n'ont pas tellement,
02:49 auxquelles ils ne se sont pas intéressés.
02:51 D'abord, je trouve le documentaire est très émouvant.
02:54 Peut-être parce que moi, j'ai été petite fille dans les années 60
02:58 et que j'ai toujours un immense plaisir à revoir des images en noir et blanc.
03:03 Et puis ces films, qui sont des films familiaux, sont incroyablement touchants.
03:07 L'histoire s'intéresse de préférence aux événements.
03:12 L'histoire s'intéresse aux mouvements.
03:16 L'histoire s'intéresse aux révolutions.
03:18 Et les mères au foyer n'ont pas fait de révolution.
03:20 Et quand on s'est intéressé à l'histoire des femmes, c'est très tardif,
03:24 s'intéresser à l'histoire des femmes, ce n'était pas un sujet d'observation pendant des décennies.
03:29 - Oui, femmes au foyer ou pas femmes au foyer, vous voulez dire ?
03:31 - Voilà, au foyer, au travail, dans les champs, à l'usine, ça n'intéressait pas grand monde.
03:35 Il n'y avait pas, comme aujourd'hui, des filières genre et histoire, genre et sociologie, bref.
03:41 Et donc, on ne s'intéressait pas aux femmes.
03:44 Et encore moins aux femmes au foyer, parce qu'elles étaient invisibles.
03:47 Les femmes étaient globalement invisibles.
03:49 Alors, celles-là, encore plus que les autres.
03:51 Elles n'ont pas conduit de processus de transformation.
03:53 Elles incarnaient même la permanence d'un rôle historique dévolu aux femmes.
04:00 Et donc, je ne suis pas très surprise qu'il ait fallu attendre pas mal de temps pour qu'on s'intéresse à elles.
04:05 Et sous cette forme qui est particulièrement réussie dans ce documentaire.
04:08 - Mais Tina Zourli, l'histoire a souvent ignoré les femmes, effectivement.
04:12 D'ailleurs, c'est Titou Lecoq, je crois, qui avait bien montré à quel point les historiens avaient ignoré les femmes, quel que soit leur rôle, d'ailleurs.
04:19 - Oui, tout à fait.
04:20 C'est vrai que moi, je trouve que ça met très bien en lumière, déjà, des fameux slogans féministes que l'intime est politique.
04:26 Et que, finalement, il est urgent de le montrer encore et encore.
04:29 Et qu'on pourrait rediffuser ce documentaire des dizaines de fois.
04:32 Mais aussi que, finalement, les révolutions, vous avez employé ce terme.
04:36 Mais je trouve que, finalement, les révolutions devraient peut-être prendre plus à cœur le fait de montrer ce côté trivial du quotidien.
04:42 Parce que c'est là, finalement, qu'on peut aussi analyser justement comment les mœurs évoluent ou non.
04:48 Avec cette idée de permanence aussi.
04:50 Et du fait que le quotidien en dit énormément sur la condition féminine au sens très large.
04:56 Oui, tout à fait.
04:56 - Catherine Akuboazizi, il vous a touché, ce film, aussi ?
04:59 - Oui, énormément, énormément.
05:00 Je rebondis sur ce que vous disiez.
05:01 Moi, j'ai aussi, personnellement, j'ai vécu enfant avec une mère au foyer.
05:06 Donc là, ça a beaucoup résonné, évidemment.
05:08 Et j'ai trouvé ça intéressant.
05:09 J'ai trouvé ça intéressant aussi pour les femmes aujourd'hui.
05:12 Parce qu'il y en a quand même un certain nombre, il y en a plus d'un million aujourd'hui qui sont femmes au foyer.
05:16 Donc, elles ont été oubliées.
05:18 Elles le sont toujours, à mon sens.
05:20 - C'est vrai ?
05:20 - Oui, je crois qu'elles le sont toujours.
05:22 Et puis, elles ont des injonctions supplémentaires qui leur sont faites.
05:26 - Est-ce qu'on entend dans le film ?
05:26 Ressemble-t-on à ce que peut-être votre mère a pu vous dire en tant que femme au foyer ?
05:30 - Alors, non, je ne vais pas rentrer dans l'histoire personnelle.
05:32 Parce que chaque situation est extrêmement différente.
05:34 Mais il y a des choses qui résonnent.
05:36 Je pense que j'avais aussi eu des témoignages en tant que journaliste de femmes au foyer aujourd'hui
05:41 qui disaient, par exemple, que lorsqu'elles remplissaient le formulaire de rentrée pour les enfants,
05:47 il fallait remplir la fameuse petite case mère au foyer et que c'était un sentiment de honte.
05:51 Donc, ça, c'est des femmes aujourd'hui qui me l'ont dit.
05:53 Et moi, c'est aussi ce que je ressentais enfant en notant moi-même dans ma classe,
05:57 quand l'instituteur demandait une forme de honte et en même temps de grand respect.
06:00 Et avec le recul de maintenant que je suis mère et que je travaille sur la parentalité,
06:05 d'immenses respects pour ces femmes-là et le travail accompli.
06:11 - En voyant ce documentaire, on peut se dire que le sujet est un peu dépassé,
06:14 que les femmes au foyer, il y en a plus beaucoup.
06:16 Et puis, j'ai regardé les chiffres, j'ai été assez surprise, effectivement.
06:19 Vous n'êtes pas loin de la vérité.
06:20 Alors, effectivement, d'après le dernier recensement de l'INSEE, ça a quand même beaucoup baissé.
06:23 Entre 1968 et 2018, la part de femmes inactives a fortement baissé, passant de 52 à 12 %,
06:30 tandis que celle des hommes inactifs a doublé, passant de 3 à 6 %,
06:34 mais ça représente, comme vous le disiez, plus d'un million, 1,3 million de femmes au foyer.
06:38 6,3 %.
06:39 Ça veut dire que ce documentaire ne dit pas quelque chose de désuet du tout, Laurence Rossignol.
06:44 - Est-ce qu'on peut s'arrêter une seconde sur le mot inactif ?
06:46 - Oui. - Oui, bien sûr.
06:48 - Parce que inactive, littéralement, ça veut dire qu'il n'y a pas d'activité.
06:53 - Ce qui n'est pas le cas des femmes au foyer du tout.
06:55 - Et les femmes au foyer ont une activité constante.
06:58 - C'est épuisant d'être mère au foyer, d'après ce qu'on voit dans ce documentaire,
07:02 et ce que l'on sait des témoignages qu'on a pu recueillir.
07:05 - C'est vrai. - Et vous disiez... J'ai la question.
07:07 - Non, la question, c'est que ce documentaire, finalement, ne dit pas du tout quelque chose de désuet.
07:11 Il y a aujourd'hui, en France, 1,3 million de femmes qui connaissent donc cette situation,
07:15 n'ont pas d'inactivité, alors vous avez raison, mais en tout cas d'être à la maison,
07:19 soit avec les enfants, soit sans enfants, d'ailleurs.
07:21 - Oui, mais il faudrait avoir des enquêtes plus poussées.
07:24 Qui sont ces femmes ? Dans quelles catégories so-professionnelles elles sont ?
07:28 Est-ce que c'est des femmes qui ont été éloignées du marché du travail à l'occasion des grossesses et des naissances ?
07:35 Parce que, n'oublions pas qu'aujourd'hui, dans les 5 ans qui suivent la naissance d'un enfant,
07:41 les femmes perdent entre 25 et 30 % de leur revenu.
07:44 Elles perdent entre 25 et 30 % de leur revenu, pas simplement parce que le patron cruel déciderait de baisser leur salaire
07:50 parce qu'elles ont un enfant, c'est parce qu'elles baissent leur temps de travail.
07:52 Et alors, de temps de travail qui baisse au premier, puis qui baisse encore au deuxième,
07:56 on en arrive à un moment donné, les femmes arrêtent de travailler, pas de solution de garde.
08:00 Coût des solutions de garde qui fait toujours évaluer "je travaille pour combien",
08:04 on ne pose pas la question au père, "je travaille pour combien, est-ce que ça vaut le coût de travailler pour ça ?"
08:09 Mais c'est vrai qu'on parle peu d'elles, mais de toute façon,
08:14 ça a toujours été un objet compliqué pour les féministes, les femmes au foyer.
08:18 - Pourquoi ?
08:19 - Parce que d'abord, comme elles ne luttent pas, sur des luttes sociales déjà,
08:25 il y a une difficulté à proposer quelque chose pour elles,
08:30 et puis tout de suite, il y a une revendication qui existe, une proposition qui existe,
08:35 qui est une proposition qui a toujours été portée par les conservateurs, qui est celle du salaire maternel.
08:40 Donc, comment on compense la perte de revenu, l'absence de cotisation, et donc de pension retraite à la fin,
08:50 pour des femmes qui ne travaillent pas ?
08:51 Et les conservateurs arrivent et disent qu'il n'y a qu'une très bonne solution,
08:55 il n'y a qu'à payer les femmes à rester à la maison.
08:58 Bien sûr, mais il n'y a qu'à toutes les renvoyer à la maison.
09:00 Et donc c'est pour ça que pour les féministes, les femmes au foyer, c'est un segment de population qui est compliqué.
09:07 - Mais rien ne dit si c'est choisi ou subi.
09:10 Quand je dis 1,3 million de femmes qui restent à la maison et qui ne travaillent pas,
09:14 on ne sait pas d'ailleurs, les chiffres ne disent pas si c'est choisi ou subi.
09:17 - Il y a un chiffre qui est pour le temps partiel.
09:19 Donc c'est aussi une autre proportion qu'on pourrait inclure là-dedans aussi,
09:23 parce que du coup, vous l'avez dit, il y a la baisse du temps de travail.
09:25 Et effectivement, après, je lisais justement ça hier, c'est qu'on serait à peu près à 30% des femmes qui sont à temps partiel,
09:31 qui sont dans un temps partiel subies.
09:33 Donc déjà, ça peut donner une idée.
09:34 Après, effectivement, pour les femmes au foyer, là, je ne pense pas qu'on ait de chiffres.
09:37 - Vous avez raison, j'ai relevé ce chiffre d'une étude de la DRESS, Direction des recherches et statistiques.
09:42 Six fois plus de mères que de pères ne travaillent pas à temps complet pour des raisons liées à leur enfant.
09:49 C'est très clair, Manuela Martini.
09:50 - Oui, en fait, c'est une tradition, on peut dire, d'un choix d'évite,
09:54 parce qu'en fait, elles avaient intériorisé, au fond, c'est les choix que leur mère aussi avait fait.
10:03 Donc, elle cessait de travailler, une fois fiancée et...
10:12 - C'est intéressant de dire que ça se transmet de mère en fille, finalement, presque par tradition.
10:17 - Il y a encore des transmissions, en fait, dans les familles de la bourgeoisie qu'on voit dans les documentaires.
10:21 Il y a vraiment des femmes, dans les années 50-60, elles avaient déjà commencé à faire des études,
10:27 les jeunes femmes, entrer aussi dans des études supérieures.
10:30 Mais elles cessaient immédiatement, dès que les mariages rentraient dans leur horizon de vie,
10:38 d'abord d'étudier, ensuite de travailler, si elles avaient un terme aussi...
10:45 - C'est intéressant, on intériorise presque le fait qu'une fois qu'on est mariée ou qu'on a des enfants,
10:50 c'est à nous d'arrêter, si en tout cas quelqu'un dans le couple doit arrêter, c'est à la femme d'arrêter.
10:54 - Catherine Descourgoisier ?
10:55 - Oui, il y a vraiment cette question, qui repose sur les épaules des femmes, encore beaucoup.
11:01 Il y a très peu de couples où le débat a lieu vraiment en amont, et où ce choix, justement, on n'a pas les chiffres,
11:07 mais où il y a vraiment la volonté éclairée de rester à la maison.
11:12 C'est pour ça que c'est difficile, peut-être pour les féministes, de les défendre.
11:15 Mais c'est vrai qu'il faut aussi quand même... Les féministes peuvent quand même aussi défendre ces femmes-là,
11:22 dans le sens où on les sent piégées dans le documentaire. Je pense qu'elles le sont encore aujourd'hui.
11:26 Celles qui le font par choix sont parfois piégées, parce qu'elles ne réalisent pas ce que ça va être au quotidien.
11:31 Je sais que j'avais interviewé des psychologues sur la question, qui disaient que les femmes au foyer par choix
11:36 ne se rendaient pas compte qu'elles allaient en fait appliquer à la maison ce qu'elles avaient vécu en entreprise,
11:41 et vouloir obtenir des résultats avec les enfants, être vraiment dans une logique de réussite, en fait,
11:47 parce que c'est là-dedans qu'elles sont avant, quand elles font carrière avant.
11:50 Et finalement, les enfants sont des salariés complètement imprévisibles.
11:56 - Difficile à licencier. - Un grad difficile à licencier.
12:01 Ils dérangent toute la journée. Donc en fait, ces femmes-là, l'impression qu'elles m'ont donnée quand je les ai fait témoigner,
12:06 c'est qu'elles n'arrivent pas en plus à une forme de satisfaction.
12:10 - Alors, plus d'un million de femmes au foyer aujourd'hui en France,
12:12 et quelque chose qui n'a pas changé depuis les années 50 et 60, c'est effectivement leur rémunération.
12:17 - Oui, c'est ça. - Et cette rémunération, vous en parliez, elle est inexistante.
12:21 Il y a une étude qui a été menée en 2019 par ProntoPro.
12:24 Alors, ça vaut ce que ça vaut, c'est un portail de mise en relation avec des professionnels de service à la personne.
12:29 Il affirme que si le travail des mères au foyer était rémunéré,
12:33 elles devraient percevoir un salaire mensuel de, tenez-vous bien, 6 400 euros.
12:38 On est quasiment à cinq fois le SMIC si les mères au foyer devaient être salariées
12:41 par rapport à l'activité qu'elles fournissent.
12:44 - Le salaire pour les femmes au foyer, ça fait partie des questions que je vais vous poser, mais juste après ce bel extrait.
12:48 - Il n'y a pas de durée limite de travail hebdomadaire pour les femmes au foyer.
12:54 Elles ne posent pas non plus de vacances, ni elles prennent leur retraite.
13:00 Il n'existe pas de salaire minimum.
13:05 Leur travail, comme celui du bénévole ou de l'esclave, n'est pas rémunéré.
13:13 [Musique]
13:18 Pourtant, il rapporte.
13:21 Pas à celle qu'il exécute, mais à son époux.
13:24 Les hommes mariés à une femme au foyer progressent et gagnent plus et plus vite
13:33 que leurs collègues unis à des femmes qui travaillent.
13:36 Jusqu'à 25% de plus.
13:40 - Et ce n'est pas rien, jusqu'à 25% de plus.
13:43 Alors, question à laquelle je n'ai moi-même pas de réponse.
13:45 Faut-il un salaire pour les femmes au foyer ?
13:47 Bettina Zourli, vous avez une opinion ?
13:49 - Oui, je pense que c'est un nœud réflexif qui est effectivement très difficile à trancher,
13:53 comme vous le disiez depuis...
13:55 La question se pose chez les féministes depuis plus de 50 ans.
13:57 Sans réponse, c'est vrai qu'en fait le risque, c'est de se dire
14:00 si un salaire ménager, ce serait donner raison aux partis les plus conservateurs,
14:05 parce qu'il y aurait forcément ce retour au foyer.
14:08 Et en fait, moi je suis favorable potentiellement au fait de mieux rémunérer,
14:12 enfin de rémunérer tout court, mais on peut dire mieux rémunérer
14:14 parce que le congé parental en ce moment, c'est 400 euros par mois, c'est ridicule.
14:19 Le congé de naissance veut être mieux rémunéré, mais on n'a pas encore les chiffres officiels.
14:23 Mais en tout cas, cette mesure-là, elle peut être intéressante
14:27 uniquement si elle s'accompagne de la fin de la dévalorisation du care,
14:31 donc du soin au sens très large, qui a été attribué aux féminins
14:34 depuis des millénaires et qui est dévalorisée.
14:36 Donc on a voulu faire en sorte que les femmes investissent d'autres secteurs,
14:39 notamment les écoles d'ingénieurs, etc.
14:42 À l'inverse, on n'a jamais dit peut-être que ce serait bien d'encourager les hommes
14:45 à devenir puriculteurs.
14:46 Et je trouve que c'est quand même un des nœuds qui persiste aujourd'hui.
14:50 Et aussi dans cette idée d'arrêter aussi cette discrimination en termes de salaire,
14:56 puisqu'il y a encore une inégalité salariale qui persiste,
14:59 alors même que la loi pour l'égalité des salaires date de 1972, je crois, en France.
15:03 Donc malgré l'avancée des lois, les mœurs ne sont pas changées
15:07 et donc il faut s'attaquer à la misogynie aussi systémique.
15:10 - Quels seraient les risques de créer ce salaire pour les femmes au foyer,
15:14 Emmanuelle Martini ?
15:15 - Ce serait le risque que les féministes avaient déjà envisagé dans les années 70.
15:20 En fait, il y a eu un débat, et il y a des féministes,
15:22 dont Christine Delphi en France, des Italiennes comme Maria Rosa,
15:27 dans la Casa, qui avaient envisagé cette idée de rétribuer le travail des femmes.
15:32 Pourquoi ? Parce que c'était une manière de valoriser le travail réproductif.
15:36 Donc c'était vraiment un combat dans l'écart du féminisme matérialiste
15:40 et dans cette idée qu'il y avait une exploitation aussi de la société
15:44 et des hommes sur les corps des femmes.
15:46 Et c'est à ce moment-là que le débat a été aussi apporté sur le fait
15:54 qu'en donnant un salaire, on aurait aussi peut-être contraint davantage encore
16:02 les femmes à rester dans cet espace domestique.
16:05 - Oui, que ça fasse appel d'air, pardon pour l'expression.
16:08 - Laurence Oursinel, est-ce qu'il ne faudrait pas créer un salaire
16:11 pour le parent au foyer ? Ne serait-ce que pour aussi dire aux hommes
16:14 "Vous pouvez aussi faire ce choix".
16:16 - Non, non, mais le salaire pour le parent au foyer, je sais comment ça va se finir.
16:19 Ce sera un salaire pour la mère au foyer.
16:21 On a déjà fait l'expérience avec bon nombre de congés parentaux,
16:26 allocation parentale de l'éducation.
16:28 - Ce n'est pas en train de changer un peu du côté des hommes ?
16:30 Est-ce qu'il n'y en a pas qui commencent à se manifester ?
16:32 - Non, ce que l'on voit...
16:34 - 1,5% d'hommes au foyer, j'ai regardé.
16:36 - Ce que l'on voit, c'est qu'il y a certaines entreprises
16:39 dans lesquelles les congés de paternité, les congés de naissance des enfants
16:42 sont très longs et très tolérés dans l'entreprise.
16:45 Les hommes les prennent d'ailleurs, ils en sont très heureux.
16:49 Mais ce n'est pas la même chose qu'un salaire...
16:51 Moi, je suis très réticente à cette histoire de salaire parental.
16:57 D'abord parce que ça finira sur les femmes.
16:59 Deuxièmement parce qu'il y a un autre paramètre,
17:03 c'est quand même l'isolement que ça génère.
17:06 Le travail est émancipateur, pas simplement parce qu'il donne l'autonomie financière,
17:11 mais je pense qu'on y reviendra, parce que c'est quand même le cœur du sujet,
17:14 mais aussi parce qu'il donne une sphère sociale,
17:17 parce qu'il est ouvert sur les autres le plus souvent.
17:20 C'est la fin du combat déjà, pas facile, sur l'égalité professionnelle,
17:25 d'un certain point de vue.
17:27 Et puis après, il y a le deuxième sujet, c'est les finances publiques.
17:30 Je sais d'avance qu'on ne va pas donner 6 000 euros aux femmes qui vont rester à la maison.
17:33 C'est une affaire absolument ingérable, à mon sens, et donc non.
17:38 Pourtant, on arrive à chiffrer le fait que la femme permette à son mari
17:42 de gagner 25 % de plus ou de progresser de 25 % au cours de sa carrière.
17:46 Si on va chiffrer des choses, ça pourrait être ça, la rémunération,
17:49 ce qu'elle a réussi à faire gagner à son conjoint.
17:51 - Qui la verse, qui paye.
17:52 - Moi, j'attends déjà la réforme du congé de...
17:55 - L'essence.
17:56 - Ce qu'on appelle aujourd'hui le congé parental, la préparer.
17:59 La prestation qu'on donne aux parents qui cessent de travailler
18:04 à temps complet ou à temps partiel pendant deux ans aujourd'hui
18:07 pour l'un et un an pour l'autre, et deux ans maximum pour un seul parent.
18:11 Les ministres ont annoncé une réforme.
18:14 Aujourd'hui, c'est à 400 euros par mois, autour de 400 euros par mois.
18:19 C'est ça.
18:20 Donc, évidemment, c'est très dissuasif.
18:22 Donc, il va falloir considérer un moment relevé.
18:25 Si on veut faire quelque chose de bien, il faut donner 80 % du salaire
18:29 sous plafond, c'est-à-dire pas plus de 80 % de deux SMIC, par exemple.
18:34 Il faut que ce soit dans une durée limitée et que ce soit partagé
18:38 entre les deux parents.
18:40 Mais cette affaire-là ne peut pas durer plus d'un an.
18:43 Après, il faudrait revenir dans le monde du travail.
18:46 Deuxième sujet, revenir dans le travail.
18:49 Aujourd'hui, on voit bien que c'est très compliqué
18:52 pour ces femmes qui ont arrêté de travailler.
18:54 Sans être mal jugées parce qu'on aurait fait une pause dans sa carrière.
18:57 Mal jugées ou licenciées, parce qu'il ne faut pas oublier
18:59 que pendant un congé parental, on a le droit de licencier une femme.
19:02 C'est les licenciements économiques ou pour faute grave,
19:05 mais on sait très bien qu'un employeur qui veut licencier une femme
19:08 y arrive par un moyen ou un autre, de toute façon.
19:11 - Pas comme le congé de maternité.
19:13 - Pendant le congé de maternité, on est protégé,
19:15 mais pas pendant le congé parental.
19:17 C'est aussi quelque chose qu'il faut réformer,
19:19 sinon cette pause ne peut pas être sereine
19:21 et elle est forcément fragilisante pour les femmes.
19:24 J'ai l'impression.
19:26 - On a quand même un sujet aujourd'hui,
19:28 on le voit quand on réfléchit sur l'égalité professionnelle
19:31 et les raisons pour lesquelles ça avance aussi lentement.
19:35 Il y a une partie qui se joue dans l'entreprise,
19:37 mais il y a aussi une partie qui se joue au foyer.
19:40 La charge mentale, le très faible progrès de partage
19:46 des tâches domestiques, familiales et ménagères
19:49 est une cause des inégalités professionnelles.
19:52 - D'où l'idée potentiellement d'avoir une réflexion
19:55 autour du genre de ce congé.
19:57 Moi, j'ai pas tous les ressorts économiques,
20:00 mais je pense que pour que ça avance,
20:02 il y a forcément ce besoin que les hommes investissent
20:05 dans ce fameux congé.
20:06 - Pour alimenter notre discussion,
20:08 on va s'arrêter sur ces deux mouvements parallèles
20:10 qui existent aujourd'hui et qui sont aux antipodes l'un de l'autre.
20:13 D'un côté, le mouvement très conservateur Tradwife,
20:16 auquel vous avez fait allusion en début d'émission,
20:18 aux États-Unis, traduisé Tradwife par "épouse traditionnelle",
20:21 incarnée en ce moment par des influenceuses,
20:23 extrêmement suivies par des millions de personnes,
20:26 qui glorifient le rôle de femme au foyer,
20:28 aux petits soins avec son mari, qui doit le dorloter
20:30 quand il rentre d'une dure journée de travail.
20:33 Et puis de l'autre, des mouvements féministes
20:35 qui assument le "no bébé", comme vous, Bétina Zourly.
20:38 En France, cela se traduit dans ce sondage IFOP de 2022,
20:41 30% des femmes interrogées et en âge d'avoir des enfants
20:44 disent ne pas en vouloir.
20:46 Parmi ces femmes, 30% assurent que la crise climatique
20:49 joue un rôle dans ce non-désir.
20:51 Mais 39%, ce n'est pas tant que ça.
20:53 Ça veut dire qu'il y en a quand même environ 60%
20:55 pour lesquels c'est pour d'autres raisons.
20:57 Autre chose, je peux vous demander, Bétina Zourly,
20:59 vous, pour quelle raison vous décidez de ne pas avoir d'enfant ?
21:01 - Oui, je pense que je parle en mon nom
21:03 et aussi pour rebondir sur le sondage,
21:05 c'est que la principale raison, c'est le désir.
21:08 Le désir de non-parentalité.
21:10 C'est toujours bizarre de parler d'un désir d'absence de quelque chose.
21:13 Mais en tout cas, c'est vraiment ça.
21:14 C'est que pour moi, par exemple, faire un enfant,
21:16 ce serait une prison, puisque ce serait vraiment
21:18 aux antipodes de mon désir.
21:20 Et pour autant, j'ai aussi totalement conscience
21:22 que ça peut être très épanouissant quand on a le désir d'enfant.
21:24 Et par contre, j'ajoute une petite nuance,
21:26 c'est que du coup, le sondage IFOP parle du fait
21:28 que c'est 30% des femmes en âge de procréer,
21:31 mais qui ne sont pas déjà mères.
21:33 Donc en fait, à la question, idéalement,
21:35 combien d'enfants aimeriez-vous ou auriez-vous aimé avoir,
21:38 le pourcentage de femmes qui répondent zéro, c'est 13%.
21:41 Donc au final, on n'est pas sur un phénomène...
21:43 Je sais que c'est vraiment les médias très conservateurs
21:45 qui parlent de phénomène ou de mouvement,
21:47 mais en réalité, on n'est pas tant sur un phénomène,
21:49 parce qu'il y a toujours eu le même pourcentage de femmes
21:51 qui sont restées sans enfant à la fin de leur vie fertile.
21:53 - Est-ce que vous avez l'impression de réagir aussi
21:55 à la situation de ces femmes qu'on a vues dans ce documentaire ?
21:57 Est-ce que vous pensez qu'il y a un effet de balancier,
21:59 justement, à ces femmes dont on voit un peu l'enfermement,
22:01 voire la dépression, la solitude, dans ce genre de films ?
22:03 Est-ce que vous vous dites, vous, personnellement,
22:05 "moi, c'est exactement ce que je ne veux pas dans ma vie"
22:07 et c'est pour ça que vous vous dites ça ?
22:09 - Pas tellement, c'est-à-dire que si demain,
22:11 il n'y avait ni sexisme, ni crise climatique,
22:13 parce que c'est aussi un des sujets,
22:15 je ne voudrais quand même pas d'enfants,
22:17 et je pense qu'on est vraiment nombreuses dans ce cas-là.
22:19 Par contre, c'est vrai que si on rationalise ce discours,
22:21 moi, c'est aussi cette prise de conscience féministe
22:23 qui m'a donné envie d'être alliée des mères,
22:25 parce qu'en tant que femme childfree,
22:27 donc qui ne veut pas d'enfants,
22:29 je me sens très proche aussi des personnes qui ont des enfants,
22:31 parce qu'en fait, on est dans le même panier,
22:33 dans le même bateau du sexisme,
22:35 et donc on doit se serrer les coudes.
22:37 - Intéressant, ces deux mouvements parallèles, Manuela Marti.
22:39 - C'est intéressant aussi le fait
22:41 qu'elle met le rappel à cette situation,
22:43 justement, d'être un peu stigmatisée
22:45 parce qu'on ne veut pas d'enfants.
22:47 Il y a effectivement,
22:49 depuis sans doute le XIXe siècle,
22:51 quelque chose qui se passe,
22:53 qui se construit autour de l'identité nationale,
22:55 par exemple, dans les pays européens,
22:57 et qui est liée au fait que la femme,
22:59 vous voyez, est la mère des citoyens,
23:01 et donc, elle a cette fonction,
23:03 qui est aussi celle de, comment dire,
23:05 asseoir un peu aussi la puissance démographique
23:07 de la nation,
23:09 parce que l'un des enjeux,
23:11 en particulier en France,
23:13 qui est un pays qui est entamé très tôt,
23:15 celle qu'on appelle la transition,
23:17 c'est que les femmes,
23:19 elles ont un rôle de personne,
23:21 elles sont entamées très tôt,
23:23 c'est ce qu'on appelle la transition démographique.
23:25 Donc, il y a eu, dès le XIXe siècle,
23:27 moins d'enfants dans les foyers
23:29 parce que, pour différentes raisons,
23:31 que les démographes commencent à expliquer.
23:33 Donc, en France,
23:35 on a ressenti cette question démographique
23:37 de manière très précoce,
23:39 et donc, il y a eu, évidemment,
23:41 beaucoup d'hommes politiques
23:43 qui se sont souciés
23:45 du fait qu'on perdait aussi
23:47 de la puissance militaire
23:49 et économique en perdant des enfants.
23:51 - Catherine Akouboisis, vous les voyez,
23:53 ces deux mouvements dont je parlais ?
23:55 TradWife, Nos Bébés ?
23:57 - En fait, c'est très noir ou blanc,
23:59 le choix des femmes, aujourd'hui.
24:01 C'est assez symptomatique,
24:03 même si j'entends l'histoire du désir,
24:05 du non-désir, qui, finalement,
24:07 ne rentre pas dans ces considérations-là.
24:09 Je crois qu'il y a quand même...
24:11 Il y a deux choix.
24:13 Soit on laisse tout tomber
24:15 et puis on est au foyer,
24:17 soit on va laisser tomber
24:19 complètement cet épanouissement familial,
24:21 pour celles qui en ont envie.
24:23 Et du coup, on n'a pas le choix,
24:25 aujourd'hui, d'avoir les deux...
24:27 Il y a une des femmes qui le dit dans le documentaire.
24:29 "Est-ce que les femmes vont un jour pouvoir tout avoir ?"
24:31 Je ne sais plus comment c'est formulé exactement.
24:33 Je trouve ça très juste.
24:35 Je crois que la réponse est non, encore aujourd'hui.
24:37 Les femmes ne peuvent pas tout avoir,
24:39 et c'est ça qu'il faudrait changer.
24:41 Et c'est cette culpabilité-là que nous,
24:43 on ressent en tant que magazine parent,
24:45 qu'elle soit en congé parental,
24:47 toutes les situations, il y a de la culpabilité.
24:49 Chez No Child, aussi, il y a de la culpabilité.
24:51 Child's Free, pardon, il y a de la culpabilité aussi,
24:53 parce qu'il y a un regard de la société qui pèse.
24:55 Donc, en fait, tout le monde est culpabilisé.
24:57 - Tout les femmes. - Les femmes, évidemment.
24:59 - Les hommes, j'en ai compris. - Quand je dis "tout le monde",
25:01 c'était les femmes.
25:03 Et c'est assez...
25:05 Je trouve que c'est assez symptomatique de ce qui se passe.
25:07 Personne ne trouve son équilibre.
25:09 - Et ce mouvement Tradwife, Florence Rossignol,
25:11 pour avoir un peu travaillé,
25:13 et même beaucoup travaillé avant cette émission,
25:15 je me suis rendue compte qu'il venait des Etats-Unis,
25:17 qu'il était clairement présent dans les pays anglo-saxons.
25:19 Finalement, en France, j'ai pas l'impression tant que ça.
25:21 - Très bien.
25:23 (rires)
25:25 D'abord, moi, sur tout ce qui est mouvement d'influenceuse,
25:27 j'ai toujours quand même une petite interrogation
25:29 sur la réalité sociologique
25:31 de ce que ça représente,
25:33 parce que les influenceuses, c'est des business.
25:35 Et qu'est-ce que je pourrais bien faire,
25:37 aujourd'hui, comme influence ?
25:39 Dans quel domaine
25:41 mes capacités d'influenceuse pourraient-elles se développer
25:43 de façon à faire rentrer
25:45 l'argent qui va avec ?
25:47 Donc si quelqu'un se mettait à faire
25:49 une influenceuse, par exemple, de gens qui vivent dans les arbres,
25:51 je pense que ça marcherait aussi.
25:53 - C'est de l'opportunisme, c'est du business.
25:55 - Oui, oui, c'est du business. Les influenceuses, c'est du business.
25:57 Pour autant, c'est vrai qu'aux Etats-Unis,
25:59 on n'est pas si surprise que ça, quand même, non plus.
26:01 Il y a quand même la moitié de la population
26:03 qui est contre un IVG.
26:05 En gros, c'est 50-50, je crois, aux Etats-Unis.
26:07 Il y a effectivement un taux d'activité professionnelle
26:09 des femmes sur la globalité
26:11 des Etats-Unis, pas sur les zones
26:13 métropolitaines, mais qui est
26:15 pas le même qu'en France, à ma connaissance.
26:17 Mais peut-être quand même, il faut
26:19 reposer les choses au bon endroit.
26:21 Pourquoi les femmes doivent travailler ?
26:23 Simplement pour avoir l'autonomie financière.
26:25 Personne n'a essayé de raconter
26:27 que le travail était
26:29 mécaniquement la situation
26:31 la plus heureuse, la plus épanouissante.
26:33 Il y a des quantités de femmes pour lesquelles
26:35 le travail est très dur
26:37 et pas épanouissant.
26:39 Pour autant, c'est l'autonomie financière.
26:41 Qu'est-ce qu'elle apporte, l'autonomie financière ?
26:43 Elle apporte la liberté.
26:45 C'est-à-dire la liberté.
26:47 Et il y a un moment donné, dans le documentaire,
26:49 un truc qui m'a beaucoup touchée, c'est
26:51 une femme qui dit "Quand je me couche le soir,
26:53 je fais attention de ne pas le frôler
26:55 pour ne pas déclencher
26:57 ce que je ne veux pas voir arriver."
26:59 Elle le dit mieux que ça.
27:01 En fait, la liberté,
27:03 c'est quand même la liberté de dire non
27:05 aux devoirs conjugales,
27:07 même si l'expression n'existe plus.
27:09 C'est la liberté de partir
27:11 quand on a un homme violent à la maison.
27:13 C'est tout ça, l'autonomie financière.
27:15 Après, on peut me raconter "Oui, mais moi,
27:17 je suis très heureuse. Moi, je n'ai aucune valeur normative
27:19 du bonheur."
27:21 Chacun construit son bonheur comme il veut.
27:23 - Ça peut être choisi. - Oui. Je mets juste
27:25 en garde, sur le fait, jusqu'à quel point
27:27 on peut choisir d'aliéner sa liberté.
27:29 Mais la liberté, pour les femmes,
27:31 coûte cher. C'est-à-dire qu'il y a
27:33 un prix à payer à l'autonomie financière
27:35 incontestable.
27:37 Ce prix-là, il faut aussi l'avoir en tête
27:39 et le mesurer. C'est ça, le vrai sujet.
27:41 Et que les trad wives, et tout ça,
27:43 laissent totalement de côté.
27:45 - Je ne peux pas m'empêcher de voir aussi l'arrivée
27:47 de ce mouvement trad wife avec la montée,
27:49 la recrudescence des mouvements ultra-conservateurs
27:51 dans le monde, et notamment aux États-Unis.
27:53 Il y a un lien avec cette montée
27:55 des régimes ultra-conservateurs
27:57 qui, à chaque fois, quand même,
27:59 a des conséquences
28:01 sur les femmes.
28:03 C'est toujours, à priori, sur les femmes
28:05 qu'il se passe quelque chose dès que ces régimes reviennent au pouvoir.
28:07 - Il y a toujours un risque,
28:09 si on veut voir, rappeler
28:11 le 49,
28:13 c'est-à-dire que des crises politiques
28:15 ou des crises religieuses,
28:17 en fait, fassent régresser
28:19 les droits des femmes.
28:21 - Il y a toujours un lien.
28:23 - Dans les sociétés démocratiques, moi, je suis plutôt d'accord
28:25 sur le fait que les risques
28:27 sont réduits.
28:29 C'est-à-dire qu'effectivement,
28:31 il peut y avoir des mouvements qui restent minoritaires
28:33 parce que même lorsqu'on prend
28:35 des gouvernements, on va dire,
28:37 de droite
28:39 dans les pays démocratiques,
28:41 européens, on a
28:43 également aussi
28:45 cette présence des femmes,
28:47 désormais, dans la vie professionnelle, etc.,
28:49 qui empêchent, en fait,
28:51 mise à part sur la sexualité
28:53 et, effectivement,
28:55 l'avortement,
28:57 l'interruption des grossesses,
28:59 il n'y a pas de régression
29:01 d'un point de vue,
29:03 par exemple, de l'accès au travail,
29:05 etc., visible,
29:07 sauf dans les régimes
29:09 effectivement où il y a
29:11 une dimension qui
29:13 va au-delà, en fait,
29:15 de la...
29:17 on va dire
29:19 de l'économie ou de la politique
29:21 de nos jours.
29:23 - Ce qui m'amène à ma dernière question
29:25 pour clore ce débat,
29:27 est-ce que vous êtes encore inquiète
29:29 du sort des femmes à la lueur
29:31 de tout ce qui est en train de se jouer ?
29:33 Alors, on a quand même l'inscription du droit à l'IVG
29:35 dans notre Constitution, aujourd'hui,
29:37 on a ce mouvement traduactif qui arrive,
29:39 est-ce que vous êtes inquiète du sort des femmes
29:41 dans les années à venir, Bettina Zourli ?
29:43 - Plutôt, encore.
29:45 Alors, c'est vrai que si on fait un petit recul historique,
29:47 je pense qu'on ne peut pas nier que les avancées
29:49 sont quand même majeures depuis 75 ans,
29:51 grosso modo, même un petit peu avant, bien sûr.
29:53 Je vais me reprendre un petit peu de souffle d'optimisme,
29:55 quand même, mais moi,
29:57 j'ai l'impression que le fond du problème,
29:59 comme c'est l'impression de stagnation,
30:01 voire de rétropédalage,
30:03 puisque vous avez parlé
30:05 de la remontée du conservatisme
30:07 en Europe et en Occident,
30:09 de manière générale,
30:11 c'est que du côté masculin,
30:13 ça peine encore beaucoup.
30:15 Je pense qu'il y a de plus en plus d'hommes
30:17 qui ont envie, par exemple, de prendre cette responsabilité
30:19 d'être repères au foyer,
30:21 de prendre leur congé paternité,
30:23 mais en fait, le changement des mœurs au niveau des masculinités,
30:25 de ce que ça représente, est tellement lent,
30:27 parce qu'il manque, je pense, d'organisations politiques,
30:29 d'associations, d'hommes qui se disent
30:31 "Mais non, nous, on veut aller militer, on veut aller manifester
30:33 dans la rue pour que le congé paternité soit aussi lent."
30:35 Où sont-ils, en fait ? C'est vraiment la question.
30:37 Et je pense qu'il y a forcément un moment charnier,
30:39 enfin, ce moment un peu de stagnation
30:41 qui est là, puisqu'en fait, on ne peut pas se couper
30:43 de la moitié de l'humanité pour avancer sur les droits des femmes.
30:45 Parce qu'en fait, ça les concerne, eux aussi.
30:47 Donc, je pense qu'il y a vraiment, encore une fois,
30:49 ce besoin de changer de paradigme.
30:51 C'est-à-dire qu'on a poussé les femmes
30:53 à investir ce qui était dit masculin,
30:55 mais il faut faire l'inverse, en fait.
30:57 Donc, il faut que les hommes puissent investir.
30:59 - Pas aller dans les deux sens. - C'est ça, en fait.
31:01 - Catherine Agro-Boisiz ?
31:03 - Oui, moi, je suis un petit peu inquiète aussi,
31:05 parce que je trouve que ce mouvement
31:07 des tradwifes,
31:09 enfin, il faut espérer qu'il n'arrive pas ici,
31:11 mais il est tentant, peut-être, pour certaines femmes,
31:13 comme on l'a dit, il est une option.
31:15 Et donc, tant qu'il n'y aura pas...
31:17 Parce que le travail est libérateur,
31:19 je suis bien d'accord,
31:21 mais il faut pour ça que le salaire qu'on obtient
31:23 soit supérieur au salaire de la nounou
31:25 qu'on va payer.
31:27 Donc, tant qu'on n'aura pas les avancées sociales en face,
31:29 on ne pourra pas mettre les femmes dans une posture
31:31 pour qu'elles fassent un véritable choix.
31:33 Donc, voilà, je suis un peu inquiète
31:35 par rapport à ça. On n'en a pas trop parlé,
31:37 mais moi, je trouve aussi qu'en France,
31:39 il n'y a pas de tradwife, hein.
31:41 Vraiment, il n'y a pas de mouvement tradwife,
31:43 même si c'est des Instagrammeuses.
31:45 Une image de la mère parfaite,
31:47 que j'appellerais comme ça,
31:49 qui est aussi très dure à vivre
31:51 pour les femmes qui travaillent.
31:53 - Très culpabilisant. - Très culpabilisant.
31:55 On voit ces jeunes mères
31:57 qui ont un travail, des enfants,
31:59 qui ont des intérieurs impeccables,
32:01 qui ont des coiffures impeccables.
32:03 En fait, je trouve qu'on est dans un moment
32:05 un peu charnière, où il faut faire attention
32:07 à ne pas tenter nos jeunes filles
32:09 avec des modèles qui seraient vraiment...
32:11 - Régressifs. - Régressifs.
32:13 Et de l'autre côté, à ne pas leur mettre
32:15 une pression dingue, qui serait de dire
32:17 "Travaillez pour vous émanciper",
32:19 parce que c'est ça qu'il faut retenir.
32:21 Et en même temps, rester quand même
32:23 cette femme au foyer, finalement,
32:25 qui reste dans l'inconscient collectif.
32:27 - En quelques mots, Mélanie Lamartini,
32:29 ensuite Laurence Rossignol.
32:31 - Oui, je pense qu'en fait, ce qui est sûr,
32:33 c'est que tant qu'on a des services
32:35 pour s'occuper des enfants,
32:37 et on a effectivement
32:39 une société et un État
32:41 qui soutiennent
32:43 le travail des femmes,
32:45 ça a été le cas en France
32:47 dès les années 30, même,
32:49 donc c'était très précoce,
32:51 donc on pourra être relativement optimiste,
32:53 même si ces moments, effectivement,
32:55 qui croisent aussi d'autres moments,
32:57 les moments contre le mariage
32:59 pour tous, etc., donc il y a
33:01 une tendance dans certaines franges
33:03 de la société
33:05 à revenir, peut-être par réaction
33:07 aussi à certaines
33:09 formes
33:11 désormais de liberté
33:13 que les femmes, notamment celles qui ont
33:15 des salaires plus élevés, c'est-à-dire que
33:17 les seuls moments
33:19 certains dans la vie d'une femme
33:21 où elle peut imposer
33:23 à son conjoint
33:25 un temps de travail à la maison,
33:27 donc domestique supérieur,
33:29 c'est lui où la femme gagne,
33:31 et ça, c'est vraiment en statistique,
33:33 plus que le mari. - Laurence Rossignol.
33:35 - Peut-être, tire une chose,
33:37 vous me le faisiez penser il y a un instant,
33:39 cette image de la mère parfaite,
33:41 de l'épouse parfaite, en fait, c'est à peu près
33:43 concomitant avec l'accession
33:45 des femmes à des postes
33:47 de responsabilité, c'est-à-dire que dès que
33:49 les femmes se sont affirmées comme étant
33:51 des professionnelles,
33:53 étant égales des hommes dans le monde professionnel,
33:55 à ce moment-là, il leur a été renvoyé
33:57 pour bien leur rappeler quand même
33:59 qu'il ne fallait pas qu'elles aillent trop loin dans leurs ambitions,
34:01 qu'il fallait néanmoins qu'elles demeurent
34:03 des épouses parfaites, des mères parfaites, des maîtresses de maison
34:05 parfaites, etc., etc. Moi, je me rappelle
34:07 d'un livre anglais, je ne me souviens plus du titre,
34:09 qui commençait par une femme qui tapait
34:11 à 11h du soir sur une tarte qu'elle avait
34:13 achetée au supermarché pour la transformer
34:15 en tarte maison, parce qu'il fallait
34:17 amener un gâteau maison le lendemain matin à l'école.
34:19 Et j'ai lu ça il y a
34:21 une trentaine d'années, donc vous voyez, cette histoire-là
34:23 n'est pas tout à fait top, mais elle est tellement significative.
34:25 - Ah oui, c'est bien. - Elle est bien,
34:27 voilà. - C'est drôle. - Parce qu'il y a
34:29 une pression énorme à apporter des gâteaux maison.
34:31 Qui peut apporter des gâteaux maison
34:33 quand on rentre du boulot à 9h du soir ?
34:35 - Quand on travaille. - Voilà, quand on travaille.
34:37 Alors, est-ce qu'on est inquiets ? Moi, je
34:39 regarde ce qui se passe aux Etats-Unis
34:41 ou en Angleterre avec à la fois préoccupation
34:43 mais en plus quand même une certaine distance.
34:45 Aux Etats-Unis, il n'y a pas d'école maternelle
34:47 à 3 ans pour tous les enfants. Voilà, vous l'avez
34:49 très bien dit à l'instant. Et quant à la Grande-Bretagne,
34:51 les services publics se sont effondrés
34:53 depuis le tat-cherisme.
34:55 Donc, en France, la bataille
34:57 pour l'égalité professionnelle,
34:59 elle passe d'abord par la bataille
35:01 pour les services publics de haut
35:03 niveau pour continuer de soutenir l'emploi
35:05 des femmes. On commence comme ça.
35:07 Pour le moment, le choix est encore
35:09 contraint et le vrai enjeu pour la France,
35:11 c'est de conserver cette exceptionnelle
35:13 avance, vous l'avez vraiment bien dit,
35:15 qui depuis toujours fait que la France est un pays
35:17 qui a réussi à avoir double
35:19 tableau d'honneur, tableau
35:21 d'honneur pour l'engagement,
35:23 pour l'activité professionnelle des femmes
35:25 et pour le nombre de naissances par femme.
35:27 Et pour le moment, on est toujours en haut
35:29 parce que tout le monde baisse sur le plan démographique
35:31 mais nous, on reste quand même dans
35:33 des bons chiffres. - Et on s'arrêtera
35:35 sur ces idées positives. Merci.
35:37 Merci pour toi et toutes les quatre d'avoir participé à cet échange.
35:39 Merci à vous de nous avoir suivis comme chaque semaine.
35:41 À très bientôt sur Public Sénat. Merci.
35:43 (Générique)
35:58 [Musique]

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