• l’année dernière
J'ai eu le plaisir d'avoir comme invité Patrick Boucheron, professeur en Histoire médiévale, et professeur au Collège de France. Cela a été l'occasion de revenir sur son parcours et ses travaux, mais aussi d'aborder d'autres questions plus actuelles, comme la place de l'historien dans les médias, ou la vulgarisation historique, dans laquelle Patrick est très impliqué.

Suivez les cours du Collège de France : https://www.college-de-france.fr/site/savoirs/index.htm

Découvrez la chaîne C'est une autre histoire de Manon Bril : https://www.youtube.com/c/Cestuneautrehistoire

Et celle de Laurent Turcot L'Histoire nous le dira : https://www.youtube.com/c/LHistoirenousledira

Sommaire :

00:00:00 : Introduction
00:01:50 : Le parcours de Patrick Boucheron vers l'Histoire
00:04:37 : A quoi sert l'Histoire ?
00:07:02 : Pourquoi se spécialiser dans le Moyen Âge ?
00:09:48 : Les champs de recherches actuels de Patrick
00:13:13 : Le Collège de France
00:18:38 : L'envie de Patrick Boucheron de parler au grand public
00:29:13 : Les grands personnages historiques dans la compréhension de l'Histoire
00:34:23 : Parler d'Histoire aux enfants
00:38:45 : S'adapter à un media
00:48:10 : Faire cohabiter les différents médias
00:52:51 : Les émissions d'Histoire de Patrick sur Arte, actes de résistance ?
00:59:59 : Les historiens face au monde médiatique
01:04:35 : La médiatisation des historiens vue par les historiens
01:06:58 : L'intérêt de debunker les falsifications de l'Histoire
01:15:46 : Les difficultés dans le milieu universitaire
01:21:55 : Les historiens face aux questions sociétales d'aujourd'hui
01:26:08 : L'Histoire au cœur de nos disputes contemporaines
01:33:47 : Y a-t-il une différence entre les universités populaires et le Collège de France ?
01:35:49 : Comment aller chercher le public
01:39:59 : Comment créer une force qui s'opposerait au roman national ?
01:49:47 : L'intérêt des livres
01:51:58 : Conseils bibliographiques
01:54:45 : Conclusion optimiste

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Transcription
00:00:00 Mes chers camarades, bien le bonsoir ou bien le bonjour si vous nous regardez en diffusion
00:00:04 sur Youtube ou en podcast, j'espère que vous allez bien.
00:00:07 Ce soir on reçoit Patrick Boucheron, Patrick Boucheron qui est professeur d'histoire
00:00:11 médiévale, spécialiste de l'Italie de la fin du Moyen-Âge.
00:00:14 Il a travaillé notamment sur l'écriture de l'histoire par les pouvoirs urbains.
00:00:17 Il est depuis 2015 professeur au Collège de France et il nous expliquera ce que c'est
00:00:21 le Collège de France parce que certains d'entre vous, je suis sûr, ne savent pas ce que c'est.
00:00:25 Il a rédigé une dizaine d'ouvrages de recherche, dirigé entre autres l'Histoire
00:00:30 mondiale de la France qui a connu son petit succès en 2017.
00:00:32 Et puis il participe à des émissions de vulgarisation, notamment sur France Culture.
00:00:37 Il y a eu toute une série autour de l'histoire de la peste noire, vachement bien, je vous
00:00:42 la conseille.
00:00:43 Et puis il y a eu cette série documentaire qui est toujours en cours, "Faire l'Histoire
00:00:47 sur Arte" avec la participation de la copine Manon Bril qu'on salue et qui revient sur
00:00:52 l'histoire à travers les objets.
00:00:54 Bonsoir Patrick.
00:00:56 Bonsoir Benjamin, merci de me recevoir.
00:00:58 Donc ce soir je te propose qu'on reste ensemble à peu près deux heures et puis on va pouvoir
00:01:03 discuter ensemble de l'histoire, de la vulgarisation en général, de comment on arrive à passer
00:01:08 l'histoire, bien évidemment de comment tu le fais avec cette émission "L'Histoire
00:01:12 par l'objet", des différents dispositifs qui peuvent être mis en place aussi de vulgarisation,
00:01:18 soit à la télé ou sur internet et puis on reviendra sur une question qui est très
00:01:26 prégnante en ce moment, à savoir la place de l'historien dans l'espace médiatique
00:01:31 parce qu'il y a un rôle à jouer aussi là-dedans.
00:01:36 Avant toute chose, j'aimerais savoir comment toi tu en es arrivé à l'histoire ? Est-ce
00:01:45 que c'est une passion qui t'habite depuis que t'étais petit ? Est-ce que c'est
00:01:47 quelque chose que tu avais un peu plus tardivement ?
00:01:48 Pas du tout, non, pas depuis que je suis tout petit.
00:01:53 D'ailleurs, quand j'avais des étudiants en première année de fac, en gros, puisque
00:02:00 je n'ai jamais enseigné ailleurs qu'à la fac, c'est un défaut, mais en tout cas
00:02:04 c'est le défaut d'une partie des gens de ma génération qui ont eu beaucoup de chance,
00:02:08 il faut le dire, du point de vue des carrières.
00:02:12 Maintenant c'est beaucoup plus difficile, il ne faut pas l'oublier.
00:02:15 J'avais donc l'occasion et d'une certaine manière la difficulté de parler avec des
00:02:22 gens qui étaient beaucoup plus passionnés que moi et depuis plus longtemps, et en particulier
00:02:27 par le Moyen-Âge, parce que moi j'enseignais le Moyen-Âge et il y a plein de manières
00:02:31 de rentrer dans le Moyen-Âge.
00:02:33 Il y a la manière livresque, académique, classique, mais il y avait déjà à l'époque
00:02:40 les jeux de rôles, par exemple, et toute une culture avec laquelle il a fallu aussi
00:02:50 que je me mette un petit peu de plein pied pour savoir ce qui pouvait attirer des étudiants
00:02:59 vers une matière qui moi, je ne dis pas que ça ne m'avait pas intéressé, mais ça
00:03:03 m'a intéressé sur le tard et par d'autres médiations, plutôt par la littérature,
00:03:09 la philosophie, etc.
00:03:10 Ce qui m'a amené à l'histoire, en gros, c'est des profs, mais plutôt en classe prépa
00:03:15 ou après même, au début d'un fac, qui m'ont entraîné par leur voix.
00:03:23 C'est une histoire de voix, mais de voix, V-O-X, quelque chose qui m'a… j'ai trouvé
00:03:29 ça chouette, j'ai trouvé que c'était amusant d'abord d'enseigner l'histoire,
00:03:34 parce que ça avait l'air d'être émancipateur, c'est quelque chose qu'on dit souvent,
00:03:40 l'histoire comme art d'émancipation, ça veut dire en fait se délivrer de plein de
00:03:45 trucs, se délivrer de ses timidités, de ses fatalités, comprendre que plus de choses
00:03:53 sont possibles qu'on ne le pense, et moi ça a pris la forme du voyage.
00:03:59 C'est-à-dire que quand j'avais 20 ans, j'ai eu des profs qui m'ont emmené en voyage,
00:04:05 et ils m'ont proprement délivré, je veux dire qu'ils m'ont sorti le nez des livres
00:04:11 pour me faire voir du pays, et c'était un exercice d'histoire de plein air, et ça,
00:04:16 ça m'a plu.
00:04:17 Et du coup, tu dis que c'était une sensation émancipatrice, est-ce que c'est quelque
00:04:23 chose que tu as pu vérifier, concrétiser par la suite ? En fait, la question sous-jacente,
00:04:31 c'est une question que je pose assez régulièrement aux invités qui passent par ici, l'histoire,
00:04:36 ça sert à quoi au final ?
00:04:37 Ça sert sans doute à se rendre compte assez régulièrement que plus de choses sont possibles
00:04:44 que ce qu'on dit, que ce qu'on croit, que ce qu'on pense, et que d'une certaine
00:04:49 manière l'histoire n'est pas écrite d'avance.
00:04:52 Bien sûr, si on dit ça, d'une certaine manière, on va dire "oui, mais au fond, ça
00:04:56 a servi massivement à autre chose l'histoire".
00:04:59 Historiquement, c'est-à-dire que l'histoire, c'est le discours d'escorte des pouvoirs
00:05:03 qui consiste à faire croire que le monde est tel qu'il est parce qu'il ne pourrait
00:05:08 pas être autrement, et que tout ça est naturel.
00:05:11 Et qu'il y a une sorte de ponte naturelle, ou fatale, ou inévitable, qui nous amène
00:05:20 à être ce qu'on est.
00:05:21 Pour moi, c'est tout l'inverse, et c'est pour ça que l'histoire est émancipatrice,
00:05:25 c'est de nous permettre de comprendre des phénomènes.
00:05:28 Je dis l'histoire, mais en fait, c'est des sciences sociales.
00:05:31 La sociologie peut faire la même chose.
00:05:33 La sociologie, vraiment, ça peut délivrer aussi, ça peut être quelque chose qui aide
00:05:39 à vivre, mais moi, je trouve que ça a été l'histoire.
00:05:42 Et mon plaisir, tu vois, quand j'étais prof, c'était d'être devant des gens,
00:05:47 c'était pas de leur apprendre des choses, parce que ça, il y a mille manières d'apprendre,
00:05:52 c'est leur faire comprendre.
00:05:53 Et il y a des choses, des mécanismes, ce qu'on appelle l'esprit critique, comment lire
00:06:04 un document, enfin ce qu'on fait tous, plus ou moins.
00:06:06 Et puis, le moment où on dit quelque chose et où on voit que celles et ceux à qui on
00:06:15 s'adresse comprennent, et que c'est inoubliable ce moment-là.
00:06:20 Tu sais, on a des souvenirs d'enfance comme ça, on a des souvenirs scolaires, ou devant
00:06:26 un documentaire, ou devant un guide dans un château, ou avec un livre, ou avec un copain
00:06:32 qui te raconte quelque chose.
00:06:33 Et la question, c'est pas que tu as appris, après tout, il dit des choses, tu les auras
00:06:38 oubliées, mais tu as compris quelque chose.
00:06:40 Et ça, c'est comme un cliquet, c'est-à-dire, clac, ça fait quelque chose.
00:06:44 Jean-Paul Sartre disait "sentir les os craqués dans sa tête".
00:06:50 Moi, ce qui m'a fait craquer les os dans la tête, c'était des preuves d'histoire.
00:06:55 Si ça avait été une épreuve d'autre chose, j'aurais fait autre chose.
00:06:59 Mais c'était des preuves d'histoire.
00:07:01 Et alors, pourquoi spécifiquement le Moyen-Âge ?
00:07:04 Alors, ça, c'est venu encore plus tard.
00:07:07 J'hésitais entre les lettres, la philosophie, l'histoire.
00:07:12 L'histoire est venue comme ça.
00:07:15 Et puis, à l'époque, on faisait une maîtrise.
00:07:18 Après la licence, on faisait une maîtrise.
00:07:20 Là, je parle, je suis vieux, ça devait être en 1987.
00:07:25 Et donc, en 1987, parce qu'on est toujours, évidemment, dépendant de curiosités
00:07:31 dont on ne choisit pas toujours, c'est quand même un peu l'époque.
00:07:35 Et là, 87, c'était deux ans avant 89.
00:07:40 Je ne vous cacherai pas que le calcul mental est vite fait.
00:07:44 Et 89, c'était le dix-centenaire de la Révolution française.
00:07:47 Donc, tout le monde, peu ou prou, avait envie de faire l'histoire de la Révolution française.
00:07:51 Et moi, ça m'intéressait, c'est ça qui m'avait animé à l'époque.
00:07:56 C'est ça qui m'a vraiment...
00:07:58 Mais alors, quand j'étais petit, mes parents m'avaient emmené voir l'opéra rock,
00:08:03 la Révolution française, ça, c'est la fin des années 70.
00:08:07 Bon, voilà, il y a...
00:08:08 Oui, je crois, je ne sais plus.
00:08:10 Il y avait Bachung qui faisait, Robespierre, je ne crois pas.
00:08:14 Bon, bref.
00:08:15 Et c'est ça que j'ai eu envie de faire.
00:08:18 Donc, j'ai fait une maîtrise sur l'histoire révolutionnaire.
00:08:21 Et puis ensuite...
00:08:22 Donc, on fait souvent des choix par défaut, parce que c'est de ça dont on entend parler.
00:08:26 J'aurais pu continuer.
00:08:28 Mais le Moyen-Âge m'a intéressé.
00:08:32 Alors, pourquoi ?
00:08:35 Peut-être parce qu'à l'époque, il y avait quand même, là encore, des grands nouveauas.
00:08:39 Donc, Georges Duby, il y avait Jacques Le Goff.
00:08:42 Jacques Le Goff, il avait écrit un livre qui s'appelle "Pour un autre Moyen-Âge".
00:08:46 Et c'était vraiment un autre Moyen-Âge.
00:08:48 C'est-à-dire que c'était une école de liberté.
00:08:51 Quand on entendait Jacques Le Goff, on disait "Ah ouais, on peut faire ça".
00:08:55 C'est-à-dire qu'on peut être d'un sujet à la fois le sociologue, l'anthropologue,
00:09:00 l'historien, le philosophe.
00:09:02 C'est-à-dire qu'il me semblait que le Moyen-Âge, c'était moins corseté que les autres matières,
00:09:08 les autres périodes, pardon.
00:09:10 C'est-à-dire qu'une sorte d'entre-deux entre le très peu de documents,
00:09:15 qui me fascinaient comme l'histoire ancienne,
00:09:17 ou le trop plein de documents comme l'histoire contemporaine.
00:09:21 Là, il y avait effectivement un espace intermédiaire où on pouvait,
00:09:27 je dirais, exprimer ou en tout cas expérimenter une forme un peu déliée,
00:09:33 un peu libre, ouverte d'expérience de pensée.
00:09:41 Et ça m'a plu.
00:09:42 Mais je le théorise très mal parce qu'en fait, tout ça,
00:09:45 c'est une suite de hasards, de rencontres, de lectures.
00:09:48 Et alors du coup, depuis, c'est vrai que le grand public commence à te connaître un petit peu
00:09:52 via toutes les initiatives de vulgarisation et de médiatisation que tu as pu prendre,
00:09:57 dans lesquelles tu t'es retrouvé.
00:09:59 Et tes champs de recherche actuels se basent plutôt sur quoi du coup ?
00:10:02 Alors moi, je travaille, donc tu l'as dit, sur l'Italie globalement de la fin du Moyen-Âge.
00:10:08 Je travaillais sur les villes, sur l'art, sur l'architecture.
00:10:14 De là, effectivement, j'ai suivi les traces de Léonard de Vinci, de Nicolas Machiavel.
00:10:22 J'ai travaillé sur la peinture politique.
00:10:24 J'ai fait un livre sur la fresque du bon gouvernement,
00:10:29 où on est toujours au XIVe siècle.
00:10:32 Et puis, à partir de ce laboratoire italien,
00:10:35 j'ai essayé d'ouvrir un petit peu du point de vue de l'histoire urbaine à l'Europe
00:10:41 et du point de vue de l'histoire des pouvoirs avec des essais d'Histoire du monde.
00:10:46 Donc, j'ai dirigé un livre qui s'appelle "Histoire du monde au XVe siècle".
00:10:50 Donc, on prend un siècle et on fait tout le monde.
00:10:55 Et un autre qui s'appelle "Histoire mondiale de la France".
00:10:58 Là, c'est l'inverse, on prend un pays et puis on fait en longue durée
00:11:03 en quoi ce pays est en rapport avec le monde, ou est son propre monde.
00:11:10 Et donc, c'est un peu de l'histoire comparée des pouvoirs ou de l'Europe.
00:11:18 Et en ce moment, je travaille sur la peste noire.
00:11:22 Ça fait deux ans que je commence à faire ce cours au Collège de France.
00:11:29 On va peut-être en reparler, mais ça fait cinq ou six ans que je travaille là-dessus.
00:11:33 J'avais choisi ce sujet, évidemment, avant la crise sanitaire,
00:11:40 mais c'est souvent arrivé comme ça,
00:11:42 c'est-à-dire qu'on prend un sujet pour des raisons qui sont des raisons un peu obscures ou obliques.
00:11:48 Et puis, il se trouve comme rattrapé, parfois même fracassé par l'actualité.
00:11:54 Alors, il faut qu'on s'explique sur l'étrange concordance des temps.
00:11:57 « Ah oui, mais vous travaillez sur la peste noire, pourquoi ?
00:11:59 Est-ce que ça vous aide à comprendre le Covid ? »
00:12:02 Pas du tout.
00:12:02 En revanche, vivre le Covid m'aide à comprendre la peste noire.
00:12:06 Et puis, de toute façon, c'est comme ça, l'histoire d'une certaine manière.
00:12:09 Souvent, je dis, comme tout le monde au fond, qu'il n'y a d'histoire que contemporaine,
00:12:13 c'est bien connu, et qu'en tant que médiéviste,
00:12:16 je travaille toujours sur l'aujourd'hui, sur le contemporain,
00:12:19 mais un contemporain un peu plus épais.
00:12:21 C'est-à-dire, je travaille sur ce qu'il y a de plus ancien dans notre présent.
00:12:27 Et notre présent, il est fait de plein de temps accumulé.
00:12:32 En gros, c'est ça que je dirais que j'essaie d'être,
00:12:37 une sorte d'archéologue du contemporain, comme j'étais archéologue,
00:12:42 en tout cas, j'ai fait de l'archéologie quand j'étais jeune,
00:12:46 et je pense que mon imaginaire est toujours là.
00:12:50 C'est-à-dire l'idée que tous les problèmes, au fond,
00:12:53 c'est comme s'ils affleuraient aujourd'hui
00:12:55 avec leurs couches les plus récentes,
00:12:58 mais quand on creuse, évidemment,
00:13:01 on se comprend que ce temps d'aujourd'hui
00:13:06 est fait de beaucoup de passés comprimés,
00:13:11 concaténés, ségimentés.
00:13:13 Avant d'aborder la question de l'histoire,
00:13:16 de la manière dont tu la transmets au public,
00:13:19 et donc de cette question fondamentale de la vulgarisation,
00:13:22 justement, parlons du Collège de France,
00:13:24 parce que ça a été un petit rarautantissement à l'époque.
00:13:27 Je sais que, c'est vrai que quand j'ai commencé en 2014,
00:13:30 à Notre-Dame-des-Nez,
00:13:31 j'avais commencé une fac d'histoire avant,
00:13:33 mais je ne connaissais pas grand-chose.
00:13:35 Et c'est vrai qu'en 2015, je voyais ton nom partout.
00:13:40 Et je me suis dit, alors moi,
00:13:41 j'avais la chance de déjà connaître le Collège de France
00:13:43 parce que j'avais pu filmer des trucs là-bas dans mon ancienne vie.
00:13:47 Mais pour les gens qui nous écoutent,
00:13:50 moi, j'étais découvert vraiment en 2015, à ce moment-là,
00:13:53 avec la fameuse leçon inaugurale.
00:13:55 C'est quoi le Collège de France ?
00:13:57 Pourquoi tu es rentré au Collège de France ?
00:13:59 Et qu'est-ce que tu fais là-bas ?
00:14:00 C'est quoi le Collège de France ?
00:14:01 C'est une institution assez ancienne.
00:14:04 On dit que François Ier l'a fondé.
00:14:07 Ce n'est pas tout à fait vrai,
00:14:08 mais ce n'est pas totalement faux non plus.
00:14:10 En tout cas, elle est très ancienne.
00:14:11 Elle date de l'humanisme, elle date du XVIe siècle.
00:14:14 Et de l'humanisme du XVIe siècle,
00:14:16 elle garde au fond l'idée que,
00:14:19 eh bien, on est, on va dire toujours,
00:14:22 des autres des autres.
00:14:23 Donc, je dirais que c'est vraiment une école des autres.
00:14:25 C'est-à-dire que, de manière assez paradoxale,
00:14:28 au Collège de France,
00:14:29 quand on fait de l'histoire européenne comme moi,
00:14:33 on est un peu, pas de côté,
00:14:37 mais un peu minoritaire parce que finalement,
00:14:40 les grandes chaires, les plus anciennes,
00:14:42 c'est l'orientalisme.
00:14:44 C'est la Chine, le Japon, l'Inde, le Tibet.
00:14:49 Donc, c'est vraiment l'école de l'autre.
00:14:52 J'aime bien dire ça comme ça.
00:14:53 C'est pour ça que je parlais de l'histoire comparée.
00:14:55 On a fait, avant de faire l'histoire comparée,
00:14:58 on a fait des langues comparées,
00:15:00 de la littérature comparée, etc.
00:15:01 Bon, voilà.
00:15:02 Concrètement, c'est un lieu,
00:15:04 ça peut paraître étonnant aujourd'hui,
00:15:08 qui est ouvert, gratuit,
00:15:11 qui ne délivre pas de diplôme,
00:15:14 où il n'y a pas de programme,
00:15:17 et où les profs qui y enseignent,
00:15:21 nous avons enseigné, on dit,
00:15:24 la recherche en train de se faire.
00:15:26 La seule exigence, c'est de dire du neuf à chaque fois.
00:15:31 Je ne peux pas ressortir mon vieux cours
00:15:33 sur le baptême de Clovis, que j'adore,
00:15:35 j'aimais bien le faire,
00:15:36 mais ça, c'est un plaisir qui m'est maintenant interdit,
00:15:40 en tout cas dans cette arène.
00:15:42 Non, il faut que je mette au fond la science,
00:15:46 la mienne, devant la société.
00:15:48 Alors, si c'est de l'histoire, c'est de l'histoire,
00:15:51 mais ça vaut aussi pour la chimie,
00:15:53 pour la médecine, pour l'égyptologie,
00:15:58 ou pour la physique quantique.
00:16:00 Donc, il s'agit effectivement d'avoir,
00:16:03 et on est un peu dans notre sujet,
00:16:06 d'avoir un discours qui soit exigeant,
00:16:09 assez quand même relevé,
00:16:11 puisque on présente notre recherche,
00:16:15 mais pour des cours publics.
00:16:17 Et concrètement, on fait des cours
00:16:20 devant des gens qui veulent bien nous écouter,
00:16:23 soit qu'ils soient dans l'amphi,
00:16:25 soit, et ça, ça fait une bonne dizaine d'années
00:16:29 que le Collège de France fait ça,
00:16:32 qu'ils nous écoutent à distance par le podcast,
00:16:36 soit directement sur le site du Collège de France,
00:16:38 soit sur France Culture,
00:16:42 ou sur YouTube, ou sur iTunes,
00:16:45 enfin sur toutes les plateformes.
00:16:47 Et ça fait des millions,
00:16:48 et c'est moins que toi, d'accord ?
00:16:50 Mais je suis même sûr d'ailleurs.
00:16:53 En fait, je suis même sûr.
00:16:54 Ça fait beaucoup de vues.
00:16:57 Et donc ça, c'est très important pour nous.
00:17:01 Mais c'est important aussi que les gens viennent.
00:17:03 Voilà, c'est important aussi que les gens viennent.
00:17:05 Et tu vois cette idée-là qui est toute simple,
00:17:08 au fond, que c'est les gens qui viennent,
00:17:11 n'ont rien à y gagner,
00:17:13 sinon à éveiller leur curiosité.
00:17:19 Et nous, on n'a rien à leur offrir,
00:17:21 ni diplôme, ni voilà.
00:17:23 Et donc c'est un lieu gratuit,
00:17:25 désintéressé, ouvert, libre.
00:17:28 C'est une idée très simple,
00:17:30 mais qui est d'une certaine manière
00:17:32 de plus en plus difficile à faire admettre,
00:17:35 à faire comprendre, ou que les gens le croient.
00:17:38 Souvent, je reçois encore des mails comme ça de collègues qui disent
00:17:44 « Ah, j'aimerais bien aller à ton cours,
00:17:47 comment je peux m'inscrire ? »
00:17:49 Comment vous expliquer ?
00:17:50 Vous rentrez.
00:17:51 Voilà, vous rentrez.
00:17:52 Là, malheureusement,
00:17:54 ou plus exactement inévitablement,
00:17:58 vous devez montrer votre casque sanitaire,
00:18:01 mais sinon c'est un des lieux les plus ouverts.
00:18:04 Voilà.
00:18:05 J'aime bien ça.
00:18:06 J'aime bien ça.
00:18:07 Et c'est une école de la liberté
00:18:09 où on est condamné en fait à être...
00:18:13 à faire...
00:18:14 En fait, il y a une condamnation très lourde.
00:18:16 On est condamné à sa propre liberté.
00:18:19 Et voilà, on se dit « Qu'est-ce que je vais faire ? »
00:18:23 Et on dit « Ce que tu veux faire. »
00:18:25 Voilà.
00:18:25 Donc, là, je fais la peste noire,
00:18:28 mais si je décide de faire toute autre chose,
00:18:31 même hors de mon domaine,
00:18:33 je peux le tenter.
00:18:35 Donc, ce que j'essaye, c'est de tenter des choses.
00:18:38 C'est chouette.
00:18:38 Et du coup, alors,
00:18:41 ces premiers pas vers le public et vers le grand public,
00:18:44 tu les as faits quand finalement ?
00:18:46 En dehors de tes cours à l'université,
00:18:49 quand est-ce que tu t'es dit
00:18:51 « Bon, j'ai mon boulot d'historien et de prof,
00:18:56 mais j'ai envie de parler au grand public aussi. »
00:18:59 Ça m'a toujours intéressé.
00:19:02 Je ne vais pas faire des grands discours du style
00:19:04 « On le doit, machin, tout ça. »
00:19:05 Oui, on le doit quand même un petit peu.
00:19:07 Je pense que pour les historiennes et les historiens de métier,
00:19:15 en fait, l'exercice même de leur métier
00:19:18 consiste à produire des savoirs nouveaux,
00:19:20 c'est une chose,
00:19:22 et à les rendre socialement disponibles,
00:19:25 partageables, ouvertes.
00:19:28 À l'époque, avant, d'une certaine manière,
00:19:33 je ne sais pas, dans les années 60, 70, 80,
00:19:39 et surtout 60 et 70,
00:19:40 on croyait encore à la télévision
00:19:43 comme outil de démocratisation.
00:19:48 En tout cas, quand j'avais ton âge,
00:19:52 j'y croyais moins.
00:19:54 Donc, c'était quoi les outils de vulgarisation ?
00:19:58 C'était la radio.
00:20:01 J'ai toujours aimé faire de la radio.
00:20:03 Je n'ai jamais cessé de faire de la radio, en fait,
00:20:06 et c'est peut-être le métier que j'aurais voulu faire
00:20:09 quand j'avais 15 ans,
00:20:11 je faisais de la radio libre et tout,
00:20:13 et là, je continue à en faire,
00:20:15 la radio, et j'aime ça.
00:20:17 Mais c'était plutôt la presse.
00:20:20 Et ma première expérience, disons, de diffusion des savoirs,
00:20:25 c'était assez tôt, en 98,
00:20:29 de rentrer à la rédaction de l'Histoire,
00:20:31 de la revue de l'Histoire.
00:20:32 La revue de l'Histoire, d'une certaine manière,
00:20:35 elle était, aujourd'hui, ça nous paraît évident,
00:20:38 mais elle se fonde, en 1978, sur une idée assez simple,
00:20:42 mais qu'on devrait, aujourd'hui, à mon avis,
00:20:44 rétablir, restaurer et réarmer,
00:20:48 qui est que les historiennes et les historiens de métier
00:20:53 n'ont pas besoin de médiateurs,
00:20:55 je ne dis pas ça contre toi,
00:20:58 n'ont pas besoin de journalistes d'Histoire,
00:21:01 comme l'étaient Alain Decaux, à la télévision,
00:21:04 pour faire passer leur message.
00:21:08 Ils peuvent très bien le faire tout seuls.
00:21:09 Il faut les aider, c'est un métier.
00:21:12 Il faut accepter de se faire relire, réécrire, etc.
00:21:17 Il y avait une revue centenaire qui s'appelait "Historien",
00:21:23 qui, au fond, faisait surtout écrire des journalistes,
00:21:28 des écrivains, des hommes politiques, etc.
00:21:30 avec quelques historiens.
00:21:32 Et l'histoire, la revue de l'histoire,
00:21:34 s'est fondée sur l'idée que les historiens
00:21:37 peuvent parler à autre chose qu'à des historiens,
00:21:40 à tout le monde.
00:21:41 Moi, j'ai fait mes premières armes là-dedans.
00:21:43 C'est ce qu'on appelle proprement de la vulgarisation,
00:21:46 c'est-à-dire, tu as un problème compliqué,
00:21:48 tu vas essayer de le rendre simple.
00:21:50 C'est une transmission directe.
00:21:56 C'est bien, mais ça ne m'a pas suffi,
00:21:59 parce que c'est un public qui est passionné d'histoire.
00:22:03 Et comme je te l'ai dit, moi-même,
00:22:05 je comprends les gens qui ne sont pas passionnés par l'histoire.
00:22:09 L'histoire, c'est important, en France particulièrement,
00:22:15 c'est un marché.
00:22:16 Il y a des gens qui sont...
00:22:18 Des fois, on tortille un petit peu,
00:22:21 on prend des circonvolutions pour justifier le fait
00:22:24 qu'on est médiéviste, tu vois.
00:22:26 Alors qu'en fait, on pourrait dire simplement
00:22:28 que c'est intéressant,
00:22:29 puis ça intéresse les gens.
00:22:31 Et puis les gens adorent les châteaux forts,
00:22:33 ils adorent les histoires de...
00:22:35 Et donc, on pourrait simplement dire,
00:22:36 comme Paul Veil disait,
00:22:38 c'est intéressant et ça suffirait.
00:22:40 Mais on prend un petit peu des détours.
00:22:44 Donc, c'est bien de s'adresser aux gens
00:22:46 qui sont déjà intéressés,
00:22:49 mais moi, ce que j'aimais encore plus,
00:22:52 c'est tenter de convaincre les gens
00:22:55 qui n'aimaient pas l'histoire.
00:22:58 Je ne pouvais pas faire ça à la fac,
00:23:00 parce qu'à la fac,
00:23:01 les gens qui, à partir d'un certain niveau,
00:23:05 ils sont là parce que, quand même,
00:23:06 ils aiment ça.
00:23:07 Et parfois, ils aimaient ça plus que moi.
00:23:10 Mais j'ai été dans d'autres milieux,
00:23:14 dans les milieux plus littéraires,
00:23:15 j'ai fait des choses un peu plus discrètes,
00:23:19 avec les éditions Verdier,
00:23:21 dans un lieu qui s'appelle le Banquet du Livre,
00:23:25 à La Grasse,
00:23:26 je y vais tous les ans,
00:23:27 dans les corbières,
00:23:28 et j'y tiens beaucoup.
00:23:29 Au début, j'étais le seul historien,
00:23:31 c'était plutôt des gens qui aimaient
00:23:33 la poésie, la littérature, la philosophie.
00:23:36 Et je devais les convaincre
00:23:39 que l'histoire, c'était aussi intéressant.
00:23:41 En faisant au fond l'inverse
00:23:42 de ce que je faisais à l'histoire,
00:23:43 où j'essayais de simplifier les problèmes compliqués,
00:23:47 là, il fallait compliquer les problèmes
00:23:50 faussement simples,
00:23:51 pour leur dire "mais vous qui aimez la philo,
00:23:53 vous voyez que, bon,
00:23:54 on n'est pas non plus tous des blaireaux,
00:23:56 quand même, les historiens,
00:23:57 ça peut être aussi intéressant".
00:23:59 Voilà en gros ce qui m'a amené
00:24:03 à vouloir élargir le cercle,
00:24:08 mais pas exactement comme
00:24:10 cette génération que nous sommes
00:24:12 d'admirer et de regretter,
00:24:15 la génération des dubis,
00:24:18 qui cherchait les audiences.
00:24:21 Moi, je n'ai jamais vraiment
00:24:22 cherché les audiences.
00:24:23 Simplement, effectivement,
00:24:25 au Collège de France,
00:24:26 à partir de 2015,
00:24:30 bon, il faut aussi assumer le fait
00:24:34 que je suis dans une position
00:24:36 de très forte visibilité
00:24:39 et qu'à un moment très particulier,
00:24:43 quand même, 2015,
00:24:44 c'est quand même une année
00:24:45 très particulière,
00:24:46 et qui nous engageait,
00:24:48 qui nous obligeait,
00:24:49 et j'ai tenté au fond de convertir
00:24:53 cette visibilité individuelle
00:24:56 en avancée collective.
00:25:00 Et de ce jour-là, c'est vrai,
00:25:03 ce que j'ai tenté de faire,
00:25:04 c'est relancer,
00:25:05 j'ai tenté de rendre
00:25:08 cette position serviable.
00:25:10 L'histoire mondiale de la France,
00:25:11 c'est ça, fondamentalement.
00:25:13 Alors, tu dis, ça a eu son petit succès.
00:25:16 Ah non, mais attention,
00:25:17 c'était une formule.
00:25:20 Non, mais on ne cherchait pas le succès.
00:25:22 On s'en fout du succès.
00:25:23 Tout best-seller est un malentendu.
00:25:26 On ne cherchait pas,
00:25:27 même, c'est un livre qui était
00:25:29 beaucoup moins polémique
00:25:32 qu'on le pense,
00:25:33 puisque l'histoire mondiale de la France,
00:25:35 le titre même est un titre
00:25:36 de réconciliation.
00:25:38 Ça veut dire arrêtez de vous disputer.
00:25:40 Il y en a qui disent qu'ils veulent
00:25:41 faire de l'histoire de France,
00:25:42 d'autres de l'histoire du monde.
00:25:43 On peut faire les deux en même temps,
00:25:45 mais on le fait ensemble.
00:25:46 Et ce qui était,
00:25:47 ce n'était pas du tout un manifeste.
00:25:49 C'était une manifestation collective
00:25:53 de ce qu'est, au fond, l'histoire
00:25:56 quand on la pratique
00:25:57 comme un sport collectif,
00:25:59 comme disait l'autre.
00:26:00 Et c'est beaucoup plus amusant comme ça.
00:26:04 Et voilà, c'était un livre
00:26:07 écrit à 140, 150,
00:26:10 et qui a peut-être,
00:26:13 c'était ça son intérêt,
00:26:16 qui a peut-être redonné confiance
00:26:18 un peu dans cette capacité
00:26:21 que les historiennes et les historiens
00:26:23 de métier pouvaient avoir
00:26:24 de s'adresser directement au public
00:26:26 et d'être intéressant,
00:26:27 d'être directement intéressant.
00:26:29 Voilà.
00:26:31 Ça demande un effort.
00:26:33 Ça demande de, voilà,
00:26:37 de réfléchir un peu à la manière
00:26:39 dont on dit les choses,
00:26:40 de ne pas se complaire
00:26:42 dans un vocabulaire trop technique,
00:26:45 de renoncer à une langue
00:26:48 qui est purement une langue de travail,
00:26:51 une langue, voilà, de...
00:26:54 Moi, souvent, je suis éditeur aussi,
00:26:56 tu vois,
00:26:57 donc aux éditions du Seuil,
00:27:00 et je publie des livres difficiles,
00:27:04 mais des livres qui,
00:27:05 ou exigeants,
00:27:06 mais des livres qui n'opposent pas
00:27:09 au lecteur d'emblée
00:27:11 une sorte de fin de non-recevoir,
00:27:14 c'est-à-dire avec une introduction
00:27:16 qui est une sorte de tir de barrage,
00:27:18 tu vois, comme avec des références bibliographiques,
00:27:21 de l'historiographie,
00:27:23 avec un vocabulaire
00:27:24 qui, souvent, me fait penser
00:27:26 ce vocabulaire-là un peu technique
00:27:30 à la gueule patibulaire
00:27:33 d'un videur de boîte de nuit.
00:27:36 En gros, ça veut dire
00:27:38 « vous rentrez pas ».
00:27:38 Si vous savez pas ce que c'est
00:27:40 qu'un régime d'historicité,
00:27:42 que voilà,
00:27:43 vous rentrez pas.
00:27:45 Je dis pas que des choses
00:27:48 peuvent toujours se dire simplement,
00:27:50 j'ai plutôt un niveau de langue
00:27:54 assez élevé,
00:27:55 même quand je parle à la télévision
00:27:58 ou à la radio,
00:28:00 mais je dis que
00:28:03 la chance de l'histoire,
00:28:05 c'est qu'elle se dit
00:28:07 dans une langue commune,
00:28:09 dans notre langue naturelle.
00:28:12 Au Collège de France, je rencontre,
00:28:14 je travaille avec des chimistes,
00:28:17 des physiciens, des biologistes
00:28:19 qui, quand on leur demande
00:28:21 de...
00:28:24 sur quoi vous travaillez,
00:28:26 ils doivent faire des détours,
00:28:28 des métaphores,
00:28:29 ils doivent essayer d'imaginer
00:28:31 que, puisqu'il y a un mathématicien,
00:28:32 c'est encore plus compliqué.
00:28:35 Bon, c'est-à-dire sur quoi vous travaillez,
00:28:36 bon, bref.
00:28:38 Moi, j'ai fait ma thèse sur
00:28:40 l'architecture à Milan au XVe siècle,
00:28:42 tout le monde peut comprendre.
00:28:44 Voilà, c'est tout.
00:28:45 Comment on a construit la cathédrale de Milan,
00:28:48 comment on a construit le château de Milan,
00:28:51 une histoire de briques, d'architectes,
00:28:53 tout le monde peut comprendre ça.
00:28:55 Bon, voilà, et je peux faire visiter
00:28:58 le château de Milan,
00:28:59 je le connais un petit peu,
00:29:01 ça peut intéresser des gens.
00:29:02 C'est assez simple.
00:29:03 Donc, je ne dis pas que c'est simpliste,
00:29:06 je ne dis pas qu'on ne peut pas,
00:29:08 à partir de là, faire des choses exigeantes,
00:29:10 mais au départ, ne se heurter pas à un mur.
00:29:13 Mais alors, justement, effectivement,
00:29:15 je fais que ce soit plus simple.
00:29:17 C'est rigolo parce que,
00:29:19 aujourd'hui, en farfouillant sur le web,
00:29:21 je ne dirais pas qui, mais je suis tombé
00:29:22 sur une interview justement d'un médiateur
00:29:26 ou d'un narrateur de l'histoire qui disait
00:29:27 mais de toute façon,
00:29:28 on ne peut pas intéresser les jeunes
00:29:29 s'ils ne peuvent pas s'identifier.
00:29:31 Et donc, si on ne parle pas d'histoire
00:29:33 à travers juste des figures fortes de l'histoire,
00:29:37 des rois ou autres.
00:29:39 Qu'est-ce que tu en penses, toi ?
00:29:40 Parce que j'ai l'impression que justement,
00:29:42 tu essayes de prendre aussi ça à contre-pied,
00:29:43 notamment avec ta série sur Arte,
00:29:47 l'histoire par l'objet,
00:29:48 où tu montres que finalement,
00:29:49 à travers un objet, tu peux parler de tout.
00:29:52 Tu peux parler d'ailleurs de personnalités
00:29:54 auxquelles on peut s'identifier,
00:29:55 mais on peut parler d'histoire économique,
00:29:57 sociale, culturelle, scientifique.
00:30:00 C'est très multiple.
00:30:01 Oui, c'est-à-dire que du point de vue
00:30:03 de l'histoire publique et en particulier
00:30:05 de l'histoire à la télévision,
00:30:07 qui pour les raisons que je te disais,
00:30:09 ne m'intéressait pas immédiatement,
00:30:12 c'est que tardivement,
00:30:13 je me suis dit que ça aussi pouvait être tenté,
00:30:17 si ce n'est que parce que quand on parle de la télévision,
00:30:20 d'une certaine manière,
00:30:21 tout ça se retrouve sur YouTube.
00:30:22 Donc, c'est une histoire de plateforme.
00:30:24 Donc, effectivement, je travaille d'abord
00:30:27 pour un producteur, les films d'ici.
00:30:31 C'est une équipe formidable.
00:30:32 D'abord, on a fait une série documentaire
00:30:34 qui s'appelait "Quand l'histoire fait date",
00:30:36 de 30 émissions de 26 minutes.
00:30:40 C'était un gros boulot.
00:30:41 Et c'est essentiellement moi qui parlais.
00:30:44 Et dans "Faire l'histoire",
00:30:45 c'est d'une certaine manière la même logique
00:30:50 ou la même démarche que l'histoire mondiale de la France.
00:30:53 C'est que c'est un passage au collectif.
00:30:55 Voilà, c'est-à-dire que finalement,
00:30:57 vous avez vu beaucoup "Oh, ma gueule, la télé",
00:31:00 enfin, beaucoup, relativement.
00:31:01 Ce n'est pas Stéphane Bern, c'est sur Arte,
00:31:03 c'est quand même modeste.
00:31:04 Mais une fois, cette visibilité doit être convertie
00:31:08 d'une certaine manière en avancée collective,
00:31:13 comme je le disais, pour que d'autres,
00:31:15 de manière plus diverse, plus chorale,
00:31:17 puissent se donner à voir.
00:31:21 Et à partir de ce moment-là, on dit
00:31:23 "Ouais, mais il faut que ça soit populaire".
00:31:25 Je dis "Mais alors, c'est quoi l'histoire populaire ?"
00:31:27 C'est quand même assez marrant de dire
00:31:29 que l'histoire populaire ne serait que
00:31:31 l'histoire des palais, des princesses et des rois.
00:31:34 Si nous, on a fait la première,
00:31:37 c'était sur l'histoire du Stérilet.
00:31:39 Bon, c'était d'ailleurs très courageux
00:31:41 du point de vue de la programmation,
00:31:43 parce que c'est Arte qui a choisi
00:31:46 de lancer la série avec l'histoire du Stérilet.
00:31:49 Bon, ensuite, on a fait la Rodingote de Napoléon.
00:31:52 Ensuite, on a fait, je ne sais pas,
00:31:54 le buste de Nefertiti, le charbon,
00:31:57 le passeport, la boîte de concert.
00:32:00 L'histoire, c'est quoi ?
00:32:01 Elle a un intérêt. Pourquoi ?
00:32:05 Quand on peut parler du même ton
00:32:07 de Napoléon et de la boîte de concert.
00:32:10 C'est-à-dire de quelque chose, effectivement,
00:32:12 qui peut intéresser tout le monde,
00:32:15 d'un objet qu'on a dans sa poche, le passeport.
00:32:18 Et si on n'en a pas, ce n'est pas bon signe.
00:32:21 C'est aussi faire l'histoire des sans-papiers,
00:32:25 mais aussi de figures.
00:32:26 Pourquoi pas de figures ?
00:32:29 Je n'ai rien contre l'incarnation.
00:32:32 D'une certaine manière, on voit très bien
00:32:33 qu'aujourd'hui, il y a une sorte de retournement
00:32:37 de l'histoire exemplaire.
00:32:39 Simplement, il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes.
00:32:41 Voilà, c'est-à-dire que le plus simple,
00:32:45 c'est la question du rattrapage,
00:32:49 je dirais, féministe d'une histoire
00:32:54 qui a très largement invisibilisé
00:32:58 le rôle des femmes dans l'histoire.
00:33:01 Donc, si vous prenez les grandes BD,
00:33:07 si vous prenez la série "Les Culottés", par exemple,
00:33:10 c'est l'histoire exemplaire.
00:33:11 On va prendre des grands hommes,
00:33:14 sauf que ce sont des grandes femmes.
00:33:15 Mais simplement, on a tellement de retard
00:33:18 que là, de toute façon, on est dans le rattrapage.
00:33:20 Donc, c'est vrai pour l'histoire des femmes,
00:33:23 c'est vrai pour l'histoire populaire,
00:33:26 et c'est vrai pour l'histoire de la diversité.
00:33:31 Donc là, aujourd'hui, on est en train simplement
00:33:34 de repeupler l'histoire exemplaire.
00:33:38 Mais ce n'est pas pour ça
00:33:41 qu'on va abandonner l'histoire des grands personnages.
00:33:47 Surtout pas !
00:33:49 Il ne faut rien lâcher.
00:33:51 C'est pour ça que, effectivement,
00:33:52 dans la série "Faire l'Histoire",
00:33:54 on a aussi fait la redingote de Napoléon,
00:33:57 on a fait la main de justice,
00:33:59 on a fait... on a tout !
00:34:01 On a aussi les rois, les généraux, tout ce qu'il faut,
00:34:03 mais simplement à leur place.
00:34:06 Voilà, c'est une question effectivement de comparaison
00:34:13 et de relativité,
00:34:17 au sens où tout n'est pas relatif,
00:34:20 mais où justement l'un se définit par rapport à l'autre.
00:34:23 Et alors, comment tu t'adaptes, toi,
00:34:26 aux différents formats et aux différents publics ?
00:34:28 Parce que, bon, on a compris ton point de vue,
00:34:30 on peut parler de tout, finalement, à tout le monde,
00:34:32 mais par exemple, est-ce que tu as déjà été intéressé par...
00:34:36 et pardonne-moi si ça a été le cas et que je ne l'ai pas vu,
00:34:39 produire un discours pour les enfants, par exemple ?
00:34:41 Oui, oui, oui, bien sûr.
00:34:43 Ça, c'est quelque chose qui m'a assez...
00:34:47 Alors, je ne sais pas si je suis capable de le faire,
00:34:51 parce que là encore, ça demande du savoir
00:34:56 et puis du sérieux dans le dosage.
00:35:00 Mais j'ai fait, par exemple, une conférence pour des enfants,
00:35:06 12-15 ans,
00:35:09 qui a été publiée sous le titre "Comment se révolter".
00:35:14 C'était vraiment pour les 12-15 ans, dans un théâtre,
00:35:17 "Comment se révolter".
00:35:18 Et c'était plutôt sur le Moyen Âge, mais pas seulement.
00:35:22 Et ça partait d'une idée toute simple.
00:35:25 C'est que les enfants, quand on leur parle de Moyen Âge,
00:35:30 ce qui les intéresse, c'est Robin des Bois, en gros.
00:35:33 C'est les histoires de rebelles,
00:35:35 les histoires de bandits, les pirates, les histoires...
00:35:39 Quand, à l'école, ils vont voir des chapitres
00:35:46 sur seigneurie et féodalité, l'ordre seigneurial, etc.
00:35:50 Et donc, on va leur donner l'image d'un Moyen Âge
00:35:55 plus figé, plus ordonné, plus discipliné.
00:36:00 Qui dit le vrai ?
00:36:02 Est-ce que c'est leurs albums d'aventure de Robin des Bois
00:36:07 ou leur manuel scolaire sur l'ordre féodal ?
00:36:13 Je suis désolé, on a beaucoup exagéré
00:36:16 l'encadrement seigneurial au Moyen Âge.
00:36:20 Et aujourd'hui, l'historiographie, elle montre que les paysans,
00:36:24 par exemple, d'une certaine manière,
00:36:26 ils avaient une capacité d'action qui était bien supérieure à ce qu'on croit.
00:36:31 Les révoltes, elles étaient quand même assez fréquentes.
00:36:37 Des personnages, effectivement, de rebelles comme Robin des Bois,
00:36:41 ce n'est pas une invention littéraire, ils ont quand même existé.
00:36:46 La mobilité, à la fois géographique et sociale,
00:36:49 elle était plus importante qu'on ne croit.
00:36:51 Et si, d'une certaine manière, c'était des romans de jeunesse
00:36:55 qui parlaient de Robin des Bois, qui avaient plus raison
00:36:58 que l'image solennelle et compensée des manuels scolaires.
00:37:03 Par exemple, quand je parlais aux enfants,
00:37:07 je leur disais, si je vous dis le Moyen Âge,
00:37:10 vous pensez les histoires de chevaliers, hérons,
00:37:16 ou de rebelles au grand cœur type Robin des Bois,
00:37:20 vous n'avez pas de tort.
00:37:22 Partons effectivement de votre imaginaire,
00:37:24 parce que lui-même, ce n'est pas une invention totalement farfelue.
00:37:29 Et voilà. Donc, c'est super de parler aux enfants.
00:37:34 C'est super. C'est très, très difficile.
00:37:37 Très, très difficile.
00:37:39 Parce que, voilà, ça suppose...
00:37:42 Il ne faut pas tricher.
00:37:44 Il ne faut pas tricher.
00:37:47 Ils ne se contentent pas de notre petit tour de main,
00:37:52 de nos petites astuces pour enrober un truc qu'on ne sait pas trop.
00:37:58 Les enfants peuvent vous demander,
00:38:00 "Mais pourquoi il n'y a plus de chevaliers aujourd'hui ?"
00:38:05 C'est bon, après tout, il n'y en a plus.
00:38:09 "Mais pourquoi, quand est-ce qu'ils ont disparu ?"
00:38:11 Ce n'est pas si facile que ça à expliquer.
00:38:17 C'est sûr que, même moi, en tant que...
00:38:20 tous les gens qui ont des enfants en haut,
00:38:21 souvent, on se retrouve plus souvent dans la panade
00:38:24 à répondre aux enfants à des questions
00:38:26 qui paraissent très simples que face à des adultes.
00:38:29 Et d'ailleurs, pour ceux qui suivaient l'émission,
00:38:31 sur Nota Bene, en 2015, justement,
00:38:33 j'avais commencé à lancer une série
00:38:36 pour répondre aux questions des enfants.
00:38:37 Et vraiment, je me suis un peu cassé les dents dessus.
00:38:39 Je n'étais pas encore assez expérimenté.
00:38:41 Peut-être que j'y reviendrai un jour.
00:38:43 Oui, c'est intéressant.
00:38:45 Et ces questions de format,
00:38:46 alors tu nous disais que toi, tu étais passionné par la radio.
00:38:50 Là, on voit que tu as fait de la télé.
00:38:52 Donc, il faut s'adapter un petit peu aux différents formats.
00:38:54 Est-ce que, justement, s'adapter à un média,
00:38:56 s'adapter à un format,
00:38:57 est-ce que pour toi, c'est plutôt émancipateur ?
00:39:02 Est-ce que ça stimule ?
00:39:03 Ou est-ce que, justement, tu as pu te sentir peut-être frustré
00:39:07 ou enfermé sur certains médias ?
00:39:10 Parce que moi, typiquement, tu vois, j'ai fait une série pour Arte aussi,
00:39:12 autour de la représentation de l'histoire dans le jeu vidéo.
00:39:15 Et c'est une expérience qui m'a vraiment plu.
00:39:18 Je trouve que globalement, ce qu'on a fait, c'est pas mal.
00:39:22 Mais j'ai été extrêmement frustré, en fait, dans la réalisation
00:39:26 parce que j'avais envie d'aller plus loin,
00:39:27 de faire des épisodes qui étaient un peu plus longs
00:39:29 pour prendre un petit peu plus de temps pour détailler ces trucs-là.
00:39:31 Mais on était contraint par ce format.
00:39:34 Et frustré, pourquoi ? Parce que tu travailles au livre ?
00:39:36 J'avais envie de développer un petit peu plus certaines questions,
00:39:40 d'aller un peu plus en profondeur.
00:39:41 Il y avait des magazines spécialisés, justement,
00:39:43 dans tout ce qui était histoire et jeu vidéo,
00:39:45 qui disaient "oui, la série est très, très bien,
00:39:47 mais on aurait aimé, des fois, que ça creusait un petit peu plus".
00:39:50 Et j'étais d'accord avec eux.
00:39:50 Et moi, j'avais mes notes à côté et j'avais envie de le mettre dans le film,
00:39:53 mais je pouvais pas parce qu'il y avait cette contrainte du format.
00:39:56 Et en même temps, ça s'adressait à un grand public et c'était chouette.
00:39:59 C'était l'objectif.
00:40:00 Le problème, si tu veux, c'est que c'est toujours la même chose.
00:40:03 C'est que le grand public, d'une certaine manière, on le connaît pas,
00:40:12 on sait pas ce qu'il veut et on croit, d'une certaine manière, vrai,
00:40:18 ce que des gens d'une voix très assurée,
00:40:21 mais qui ne le savent pas davantage que nous, disent qu'ils veulent.
00:40:26 Et je pense que les diffuseurs, d'une manière générale,
00:40:30 à la télévision notamment, Arte étant effectivement, sans doute,
00:40:35 aujourd'hui, malgré tout, la chaîne qui a l'exigence la plus élevée
00:40:42 et qui prend le plus de risques, mais malgré tout,
00:40:45 les diffuseurs, à mon avis, se trompent tous, plus ou moins,
00:40:51 sur le niveau d'exigence du public, c'est-à-dire, pour le dire simplement,
00:40:56 ils le sous-estiment.
00:40:59 Et par exemple, ils ne comprennent pas que ce que l'on voit
00:41:05 sur les différentes chaînes YouTube, les tiennes et les autres,
00:41:10 eh bien, sont des formats longs, la preuve, où il y a une exigence,
00:41:16 où il y a effectivement une rigueur, pas toujours, mais parfois,
00:41:23 qu'on ne s'autoriserait pas, d'une certaine manière, à la télé.
00:41:26 Alors évidemment, qu'est-ce que ça veut dire ?
00:41:28 Ça veut dire que, si on se laissait tous aller, on ouvrirait les vannes,
00:41:34 on dit "on va tous sur YouTube, puisque là, il n'y a pas de limites,
00:41:41 il n'y a pas de contraintes, il n'y a personne qui vous dit "non,
00:41:44 ça, ce mot est trop compliqué", etc.
00:41:47 Mais YouTube aussi est un espace qui est régulé, en fait,
00:41:52 et à un moment donné, d'une certaine manière,
00:41:55 même dans les vidéos comme les tiennes ou ceux d'autres,
00:42:01 que je connais aussi un peu, parce que ça m'a intéressé.
00:42:04 On a mis, tu l'as fait allusion, dans les émissions "Faire l'Histoire",
00:42:09 il y a une pastille de Manon Bril, et puis moi, c'est des choses,
00:42:13 je regarde un peu, ne serait-ce que j'ai participé à une commission
00:42:19 du CNC, du Centre National du Cinéma,
00:42:22 qui est aussi une économie publique, en partie publique,
00:42:26 qui finance non seulement des YouTubeurs, mais aussi des gamers,
00:42:33 c'est aussi effectivement des jeux vidéo à contenu de savoir.
00:42:40 C'est aussi régulé, en fait.
00:42:42 Il y a également, je dirais que sur YouTube aussi,
00:42:45 il y a une forme d'académisme, il y a un moment où tout le monde fait
00:42:48 la même chose, ce n'est pas une critique, c'est normal.
00:42:54 Et donc, je comprends qu'aujourd'hui, c'est plutôt là qu'on peut trouver
00:43:03 des espaces de liberté.
00:43:05 Mais évidemment, quand on dit qu'on fait de la télé,
00:43:10 c'est un système de production qui est évidemment beaucoup plus lourd,
00:43:13 ça veut dire produire du cinéma documentaire.
00:43:20 Le cinéma documentaire, ça coûte cher.
00:43:23 Globalement, ce qu'on fait, l'équivalent, ce serait une émission
00:43:27 de plateau à la télé.
00:43:29 Et donc, je suis tout à fait d'accord avec toi,
00:43:33 il vaut mieux le faire ici.
00:43:34 D'ailleurs, moi, les émissions de plateau à la télé,
00:43:36 je ne les fais jamais.
00:43:39 En revanche, effectivement, la télé, pas le meuble qu'il y a dans le salon,
00:43:44 dont on sait que toute façon, sa mort est programmée,
00:43:47 elle est annoncée, et les chaînes dont on parle, Arte, etc.,
00:43:50 travaillent déjà pour les plateformes, en multisupport évidemment.
00:43:55 Mais la vraie question, c'est qui est-ce qui va produire,
00:44:01 surtout dans le climat actuel, politique, tout ça coûte très cher,
00:44:09 les grands documentaires.
00:44:10 Parce que ça, malgré tout, le seul truc équivalent
00:44:17 aux presque 2 millions d'abonnés de Nota Bene,
00:44:22 malgré tout, aujourd'hui, c'est le blockbuster documentaire historique
00:44:27 sur France 2.
00:44:28 Parce que lui, il peut faire 3 millions de téléspectateurs d'un coup.
00:44:32 Bon, donc, malgré tout, aujourd'hui,
00:44:36 tu ne peux pas totalement te désintéresser de ça.
00:44:39 Il y a des contraintes énormes, c'est beaucoup de fric, relativement,
00:44:46 mais voilà, je pense que malgré tout, la question du documentaire,
00:44:53 moi, ce qui m'intéresse à la télé, ce n'est pas le plateau,
00:44:56 c'est le film documentaire.
00:44:58 Voilà, et il y a quand même beaucoup à boire et à manger.
00:45:05 Comme partout, d'ailleurs.
00:45:06 Comme partout, mais il y a quand même beaucoup de films documentaires
00:45:10 qui produisent une histoire très problématique,
00:45:14 très traditionnelle.
00:45:16 Donc, là, il y a un enjeu.
00:45:21 Parce que finalement, quand même, moi,
00:45:28 si je me souviens bien des trucs où vraiment,
00:45:34 on m'a expliqué ce que c'était la Seconde Guerre mondiale,
00:45:43 la Shoah, la guerre d'Algérie,
00:45:46 c'était quand même aussi, à un moment donné,
00:45:48 des films documentaires à la télé, ou au cinéma, d'ailleurs.
00:45:52 Donc, il ne faut pas négliger quand même ce média-là.
00:45:59 Et moi, ça m'intéresse, par ailleurs.
00:46:04 Mais, si tu veux, ce que tu fais,
00:46:08 ou ce qu'on peut faire à la radio,
00:46:13 c'est beaucoup plus agile comme média.
00:46:16 Ça coûte pas grand-chose, on parle,
00:46:19 et ça a un effet direct, immédiat.
00:46:28 Produire des images, c'est beaucoup plus compliqué,
00:46:32 mais je crois quand même, malgré tout,
00:46:34 que les historiennes et historiens de métier,
00:46:41 ce sont aussi des producteurs d'imaginaires sociaux.
00:46:44 Donc, on parlait tout à l'heure d'incarnation,
00:46:51 ça passe peut-être par la fiction,
00:46:54 ça passe peut-être par le jeu vidéo,
00:46:56 ça passe peut-être par le film documentaire,
00:47:00 à moindre mesure, mais il est certain que,
00:47:04 si tu as une certaine idée sur la Révolution française,
00:47:09 et si tu veux vraiment la diffuser largement,
00:47:15 et si tu es cynique ou calculateur,
00:47:20 je te conseille plutôt de devenir conseiller historique à Ubisoft,
00:47:25 plutôt que réalisateur sur Arte,
00:47:27 ou pire encore, professeur à la Sorbonne.
00:47:31 Si on veut avoir un impact direct,
00:47:34 bien sûr que, idéalement,
00:47:37 ça serait être suffisamment fort
00:47:40 pour pouvoir être un des scénaristes d'une série sur Netflix
00:47:47 qui va tout déchirer.
00:47:49 C'est ça les imaginaires sociaux aujourd'hui.
00:47:51 On salue au passage Jean-Clément Martin, qu'on a reçu par ici,
00:47:54 et Laurent Turcot aussi, qui ont tous les deux été conseillers sur Unity,
00:47:58 et qui, pour le coup, ont ramé pour apporter du contenu,
00:48:03 mais qui n'avaient pas le Final Cut sur le scénar.
00:48:05 - Merci.
00:48:07 - Voilà.
00:48:09 Et du coup, tu as quand même été tenté à un moment donné de te dire,
00:48:14 je ne sais pas après, comment tu as pu découvrir le travail de Manon,
00:48:18 par exemple, et te dire,
00:48:19 voilà, c'est cool qu'on puisse mêler les deux univers.
00:48:22 Est-ce que tu n'as pas été tenté à un moment donné
00:48:24 de te dire que tu pouvais créer quelque chose
00:48:27 à destination première d'Internet ?
00:48:29 - J'aurais dû, peut-être.
00:48:30 Peut-être qu'effectivement, il faudrait sauter le pas,
00:48:36 je réfléchis à ce que tu me dis.
00:48:38 En même temps, sur Internet, à partir du moment où je faisais des cours,
00:48:44 tu vois, qui étaient, malgré tout,
00:48:47 qui avaient une diffusion très importante, tu vois, au collège,
00:48:51 au fond, ça, évidemment, ça n'a rien à voir, on est bien d'accord,
00:48:56 c'est un niveau d'exigence assez élevé,
00:48:59 mais moi, j'ai besoin de ça aussi, tu vois, c'est très, très important.
00:49:03 Mon travail, ce n'est pas que de diffuser et de vulgariser,
00:49:12 c'est-à-dire que j'ai besoin des deux.
00:49:15 Et après un livre très public comme "L'histoire mondiale de la France",
00:49:21 j'ai eu besoin d'écrire un livre beaucoup plus savant
00:49:26 sur la mémoire de Saint-Ambroise, etc.
00:49:29 Pas parce que j'avais quelque chose à me reprocher
00:49:31 ou que je devais faire comme si j'avais encore à faire mes preuves,
00:49:38 non, enfin, ce n'est pas le problème,
00:49:41 mais parce que j'en avais envie, tout simplement.
00:49:42 J'avais envie de complexité.
00:49:45 Donc, je pense aussi qu'il y a un moment où il faut savoir où est-ce qu'on est le meilleur.
00:49:55 C'est-à-dire que c'est une question d'âge, c'est une question d'énergie.
00:50:02 Je pense que l'Internet natif, YouTube directement,
00:50:09 c'est quand même pas de mon âge.
00:50:13 Je préfère rendre possible, ouvrir des espaces
00:50:19 où d'autres pourront s'engouffrer
00:50:23 et où rendre visible des nouvelles écritures de l'histoire.
00:50:28 Et ça, j'y réfléchis.
00:50:29 Ça, effectivement, j'essaye de voir comment on pourrait favoriser
00:50:36 une meilleure compréhension de l'ensemble du système.
00:50:43 Parce que c'est un continuum.
00:50:45 Parce que ce n'est pas la peine que chacun soit dans son silo en disant
00:50:49 "non, mais moi je fais que..."
00:50:52 Il y a des gens qui vont passer de Secrets d'Histoire à Nota Bene,
00:51:00 et de Nota Bene à Arte.
00:51:03 Qui est d'un côté comme de l'autre.
00:51:06 Et on peut aimer plusieurs choses en même temps.
00:51:09 Dans nos goûts musicaux, on sait qu'on aime des choses un peu difficiles
00:51:13 et d'autres choses qui sont de consommation courante.
00:51:16 Et ça ne nous pose aucun problème.
00:51:19 Donc, pourquoi être strictement cantonné à une seule...
00:51:26 En fait, moi ce que je veux, c'est qu'il y ait de la place pour tout le monde.
00:51:30 Et tu sais, le problème de la télé et de l'histoire,
00:51:34 c'est que la télé a toujours favorisé une monopolisation de la parole.
00:51:46 C'est-à-dire que la télé, c'est un système un peu routinier,
00:51:51 un peu systématique, où on fait confiance à des gens qui sont déjà en place
00:51:59 et où les diffuseurs croient que les gens ont envie de voir ce qu'ils ont déjà vu
00:52:06 et ce qu'ils voient depuis 20 ans.
00:52:07 C'est comme ça, effectivement, qu'on a des rentes caricaturales.
00:52:14 Et ce n'est pas si facile de le déjouer.
00:52:18 Ce n'est pas si facile.
00:52:21 Parce qu'à partir du moment où on voit, où les gens sont habitués à toi,
00:52:27 d'une certaine manière, ils en redemandent
00:52:30 et les diffuseurs, effectivement, par facilité, leur en donnent.
00:52:35 Et comment faire en sorte, d'une certaine manière, de diversifier,
00:52:41 de rendre visibles des collectifs avec plusieurs générations ?
00:52:49 C'est ça l'enjeu.
00:52:50 Justement, l'histoire par l'objet, c'est aussi...
00:52:53 Je vais être un peu provocateur dans la formulation,
00:52:55 mais est-ce que ce n'est pas un acte de résistance aussi,
00:52:58 dans le sens où ça reprend un petit peu ce que tu nous expliquais tout à l'heure
00:53:01 avec le magazine L'Histoire ?
00:53:02 Tu essayes de remettre les historiens sur le devant de la scène en disant
00:53:05 "Voilà, pas besoin de médiateurs, c'est nous, on est là, on va occuper l'espace".
00:53:10 C'est vrai que ces dernières années, on le voit, le monopole de l'histoire,
00:53:14 il n'est pas forcément tenu par des historiens à la télévision.
00:53:18 Donc, est-ce que c'est une sorte d'acte de résistance ?
00:53:21 C'était exactement comme ça qu'on l'a, sans employer de grands mots,
00:53:28 on allait, on le savait bien, à contre-pente de là où on voulait nous laisser glisser,
00:53:35 c'est-à-dire "bon, c'est de la télé, faites attention, c'est compliqué,
00:53:41 personne n'est à l'aise devant la caméra", ce qui est vrai.
00:53:48 Moi, je n'aime pas ça, par exemple.
00:53:51 Peut-être qu'avec le temps, j'ai acquis quelques habitudes
00:53:58 qui font que je suis moins mauvais qu'avant, mais je reste quand même mauvais.
00:54:02 Et de toute façon, je n'aime pas la petite technique télévisuelle que j'ai gagnée
00:54:10 alors que je continue à travailler du point de vue radiophonique,
00:54:14 une sorte de phrasé, voilà, ça j'aime bien.
00:54:17 Si on me dit "du point de vue de la radio, il y a quand même du métier",
00:54:22 ça me fera plutôt plaisir, mais j'espère bien ne jamais devenir un bon client pour la télé.
00:54:28 Je trouve ça humiliant.
00:54:30 Mais la télé a envie de bons clients.
00:54:33 Et donc, en gros, dans ma position, tu vois, ma position à Arte, c'est simple,
00:54:42 c'est qu'on a fait une première salve documentaire, "Quand l'histoire fait date",
00:54:48 où en gros, c'est moi qui parle, même s'il y a plein de gens qui m'aident, etc.
00:54:52 Mais en gros, c'est moi qui parle et ça a plutôt bien marché.
00:54:55 Ça a même très bien marché.
00:54:58 Et ça marche de mieux en mieux sur YouTube, etc.
00:55:00 Donc, c'est le côté stop ou encore.
00:55:03 Donc, qu'est-ce que veut la chaîne ?
00:55:04 "Recommencer".
00:55:06 Ah ben non, ça, pour l'instant, on arrête et j'ai mieux à vous proposer.
00:55:11 C'est pas une série documentaire, c'est un magazine d'histoire où c'est pas moi qui parle,
00:55:16 mais c'est d'autres.
00:55:17 Ah bon, alors dans ce cas-là, vous allez choisir trois, quatre, toujours les mêmes,
00:55:20 pour que les spectateurs puissent s'y habituer.
00:55:23 Même pas, même pas.
00:55:25 Ça va être à chaque fois quelqu'un de différent et qu'on n'aura jamais vu à la télé.
00:55:29 Pourquoi voulez-vous que ça leur plaise ?
00:55:32 Au début, c'est une idée qui les rend furieux.
00:55:34 Ils sont totalement contre.
00:55:36 Et puis, en insistant un peu, on y arrive.
00:55:39 C'est ce qu'on fait.
00:55:40 Donc moi, je suis vachement fier de ça.
00:55:42 Et au fond, des bêtes de télé, il suffit d'allumer effectivement n'importe quelle
00:55:50 chaîne d'information continue pour voir des gens qui sont très à l'aise, effectivement,
00:55:55 sur les plateaux.
00:55:56 Mais on a fait la démonstration, et ça, ouais, j'en suis assez fier, que si on prend une
00:56:08 historienne ou un historien de métier, ça ne peut pas durer des heures, c'est quand
00:56:13 même une émission qui dure 16 minutes, et on les filme bien, professionnellement.
00:56:22 Mais eux ne sont pas des professionnels de l'image.
00:56:25 Ils font ce qu'ils peuvent.
00:56:26 C'est des profs, donc ils ont des habitudes, mais même ces habitudes, on essaye qu'ils
00:56:31 ne fassent pas trop court.
00:56:32 Ils ne nous emmerdent pas.
00:56:34 Et donc, en fait, qu'est-ce qui reste ?
00:56:35 Il reste leur fragilité, il reste leur sincérité, et il reste le fait qu'on se dit « ah ben
00:56:42 ouais, c'est quelqu'un qui nous parle ».
00:56:43 Ce n'est pas un professionnel, un mec bien maquillé, et tout, voilà, il bouge un peu
00:56:50 dans tous les sens, il fait des moulinets avec ses bras, il ne sait même pas regarder
00:56:55 la caméra, mais c'est quelqu'un.
00:56:58 C'est quelqu'un.
00:56:59 Il y a une sorte d'incarnation, comme ça.
00:57:02 Ça ne marche pas à tous les coups, mais souvent ça marche.
00:57:05 Et quand on doit parler d'histoire dans l'espace public, souvent on dit « engagé », un
00:57:17 historien engagé.
00:57:18 Mais qu'est-ce que ça veut dire s'engager ?
00:57:20 Ça veut dire d'abord engager son corps.
00:57:22 Ça veut dire « c'est moi qui parle ». Vous avez un mec devant vous, ça pourrait être
00:57:26 un autre.
00:57:27 Ça serait aussi bien si c'était un autre.
00:57:30 Je parle depuis une singularité, depuis une vulnérabilité, peut-être, ce n'est que
00:57:38 moi, mais c'est moi.
00:57:39 C'est très important.
00:57:42 Et surtout c'est très important pour qu'on apprenne, effectivement, progressivement,
00:57:49 pour qu'on s'aiguise le regard.
00:57:53 Au fond, c'est un long apprentissage.
00:57:58 Qu'est-ce que vous faites, vous les youtubeurs, vis-à-vis de beaucoup plus jeunes ?
00:58:03 Vous êtes des sortes de profs de l'image.
00:58:09 C'est-à-dire que vous, sans arrêt, vous dites « c'est plus compliqué que ça, les
00:58:15 mots sont piégés, regardez cette image, vous croyez comprendre, mais en fait c'est autre
00:58:20 chose ».
00:58:21 Donc, en fait, c'est une sorte de réapprentissage à l'image, de l'image, par l'image.
00:58:31 Dans des médias, et là je veux bien parler de résistance, qui d'une certaine manière
00:58:40 quand même, globalement, ont plutôt tendance à nous déverser de manière acritique, des
00:58:48 flots d'images, pour nous empêcher de réfléchir.
00:58:52 Et donc, on se met dans ce flot pour le ralentir.
00:58:56 C'est ça le truc, pour le ralentir.
00:59:01 Je pense que c'est vraiment important.
00:59:04 C'est important aussi de faire des livres, c'est important aussi d'aller dans des festivals,
00:59:09 c'est important de faire des trucs plus discrets, plus modestes, avec moins de gens, voilà.
00:59:16 Mais quand même, là, on parle d'une présence numérique qui est trop massive pour être
00:59:28 laissée à des groupes ou des intérêts, ou des idéologues, ou des doctrinaires, comme
00:59:40 on disait au 19e siècle, qui ne sont pas toujours bien intentionnés.
00:59:44 Donc là, franchement, je n'ai pas l'habitude de faire gonfler des grands mots, mais oui,
00:59:51 il y a un combat à mener.
00:59:52 Et si on ne le fait pas maintenant, on peut le regretter.
00:59:58 Et justement, c'est une question que j'aborde aussi régulièrement avec les invités de
01:00:03 cette émission.
01:00:04 Est-ce que tu penses, est-ce que tu sens que chez les historiens, il y a cette volonté
01:00:08 justement de s'engager dans ce combat médiatique de leur côté, ou est-ce qu'il y a plutôt
01:00:15 une réticence ? Parce qu'on le sait, il peut y avoir une réticence à être jugé
01:00:19 par des pairs ou à se confronter à quelque chose qu'on ne va pas forcément maîtriser
01:00:22 parce qu'on sait que sur les réseaux ou par l'image, notre propre image peut être
01:00:27 tronquée.
01:00:28 Qu'est-ce que toi, tu ressens justement, peut-être personnellement, mais enfin, personnellement,
01:00:32 on l'a compris, mais vis-à-vis de tes collègues, est-ce qu'il y a cette réticence ou plutôt
01:00:38 une volonté de se dire "ok, on va peut-être y aller" ?
01:00:40 Il y a de la réticence, mais j'aime cette réticence.
01:00:43 Déjà, cette réticence, elle est honorable, elle est compréhensible et c'est à partir
01:00:50 de cette réticence-là qu'on peut faire quelque chose.
01:00:54 C'est-à-dire que quand on aime l'histoire, c'est que quand même, on aime la complexité
01:01:03 et on sait que sur ces médias-là, mais sur tous les médias en fait, on aura toujours
01:01:10 un peu un temps de retard si on n'a pas une idée simple et forte qui claque, comme un
01:01:16 slogan, ce qu'on va dire est plus compliqué, plus hésitant, le bucier et donc au jeu strictement
01:01:23 médiatique du clash, on sera toujours perdant.
01:01:29 Donc, qu'on soit réticent, c'est normal et c'est plutôt… je voudrais pas qu'il
01:01:37 y ait… si tu veux, je vais dire les choses plus simplement.
01:01:41 Quand j'étais plus jeune, la plupart des universitaires, on va dire, parce que moi
01:01:52 je suis universitaire, faisaient un peu leur taf tranquillement et voulaient leur tranquillité
01:02:00 et il y en avait quelques-uns, mais c'était dix quoi, qui, dès qu'ils sentaient la
01:02:08 poudre, sortaient et voulaient en découdant.
01:02:11 Et donc c'était d'une certaine manière une sorte de partage des rôles entre le gros
01:02:17 de la troupe qui, d'une certaine manière, était solidement et tranquillement à l'abri
01:02:24 et puis quelques francs-tireurs qui aimaient partir à la vaga.
01:02:29 Les francs-tireurs, il y en a toujours, ils ont un peu professionnel, c'est toujours
01:02:40 les mêmes, mais ils ont un peu vieilli et puis ils sont un peu isolés parce qu'en
01:02:47 fait, ils se rendent compte qu'il y a plus de gens aujourd'hui qui veulent s'engager.
01:02:53 Alors, il restera toujours majoritairement des gens que ça n'intéresse pas et c'est
01:02:58 très bien comme ça.
01:02:59 Il y a plusieurs manières de faire ce métier.
01:03:01 Mais moi, qui n'aime pas continuellement, tu l'as compris, aller au front, qui y vait
01:03:11 d'ailleurs assez rarement et toujours prudemment, mon travail ce n'est pas d'exciter les
01:03:21 plus radicaux, c'est de radicaliser un peu les modérés.
01:03:25 Et pourquoi c'est plus facile aujourd'hui ? Parce que politiquement l'heure est grave,
01:03:36 parce que sur le plan universitaire, la situation est désastreuse, parce qu'on est méprisé
01:03:45 et donc parce que de toute façon, même ceux qui voulaient avoir une vie tranquille à
01:03:51 l'abri du cadre académique ne l'ont plus de toute façon, parce que les choses sont
01:03:59 devenues trop difficiles.
01:04:00 Donc oui, je trouve que la situation est devenue plutôt favorable à ce que plus de gens s'engagent,
01:04:11 qu'ils ne soient pas simplement les "I just want to suspect", seulement ceux qu'on était
01:04:16 déjà habitués à voir sur les plateaux de télé et que ça change, qu'on voit d'autres
01:04:24 gens et ça, ce n'est pas mal parce que ça casse un partage des rôles.
01:04:28 Ça casse une sorte de partage des rôles qui est à mon avis trop facile.
01:04:33 Et du coup, c'est vrai que ces "francs-tireurs" peuvent se sentir un peu isolés, alors peut-être
01:04:40 parfois peuvent avoir une mauvaise image aussi peut-être auprès de certains autres historiens.
01:04:45 Est-ce que cette image de franc-tireur t'en a hérité un petit peu aussi de par ta surmédiatisation
01:04:53 à un moment donné ? Et est-ce que finalement cette médiatisation-là, elle est bien vue
01:05:01 de la part des autres historiens ? Je rebondis sur une question volontairement un peu violente
01:05:07 dans le chat qui disait "Que pense Patrick Boucheron de la critique de Lordon qui dit
01:05:11 que c'est un historien de cour ?"
01:05:12 Je n'ai pas très bien compris pourquoi il m'avait dit "c'est un historien de cour"
01:05:18 mais laquelle cour ? Je n'ai jamais été invité par exemple à la lysée, jamais,
01:05:27 jamais, jamais.
01:05:29 Voilà, c'est le cas par Emmanuel Macron, jamais.
01:05:31 Voilà, donc c'est un étrange intellectuel de cour qui n'est jamais invité à la cour.
01:05:38 Je ne suis dans aucune instance politique et je ne vais jamais sur les plateaux télé,
01:05:45 jamais, jamais.
01:05:47 Quand je fais de la télé, c'est que je suis producteur, quand je fais de la radio,
01:05:53 c'est que je suis… voilà.
01:05:55 Je passe mon temps à refuser des invitations.
01:05:58 Donc surmédiatisé, je crée mon propre média.
01:06:09 Mais si tu veux, comment ça se passe ?
01:06:15 Il y a quand même une sorte de routine journalistique qui fait que dès que un candidat d'extrême droite
01:06:28 aux élections présidentielles fait une provocation sur l'histoire,
01:06:37 moi je reçois, à ton avis, combien de sollicitations d'interview ?
01:06:43 Tu dois être bombardé, c'est clair.
01:06:44 Je ne réponds jamais, jamais, jamais.
01:06:49 Je ne dis pas qu'il ne faut pas répondre, je suis très content que d'autres répondent,
01:06:54 mais chacun son style.
01:06:56 C'est rigolo, parce que hier même, j'enregistrais une petite vidéo,
01:07:03 comme ça, à destination de la chaîne bonus, justement sur "debunk ou pas debunk" en fait.
01:07:08 C'est une vraie question et je ne sais pas ce que tu en penses,
01:07:12 mais en tout cas, moi je trouve que les deux sont très complémentaires
01:07:15 et qu'il n'y a pas forcément une approche qui est meilleure que l'autre.
01:07:18 Mais donc ton approche à toi, c'est plutôt de créer un contenu qui a de la valeur en soi
01:07:24 et d'essayer de le propager le plus possible en fait.
01:07:26 Écoute, pour dire les choses, il n'y a pas la peine de tourner autour du pot.
01:07:33 Depuis le mois de fin août, j'ai une émission sur France Inter,
01:07:41 le dimanche qui s'appelle "Histoire de", où on fait un sujet d'histoire par semaine.
01:07:51 C'est une très forte audience.
01:07:55 Il y a un moment où ça a commencé à monter, septembre, octobre, autour de Zemmour.
01:08:03 Moi j'ai dit, ce n'est pas la peine de participer au bruit de fond ambiant.
01:08:10 On ne va pas effectivement commencer à saturer l'espace sonore de ce non-propre
01:08:18 si on n'a pas quelque chose à en dire.
01:08:22 On a fait une émission, la première du mois de janvier,
01:08:28 où on a invité Laurent Joly, qui se trouve d'ailleurs aussi un des co-auteurs
01:08:33 du tract "Ganimard, Zemmour contre l'Histoire",
01:08:38 où effectivement j'ai dit quelque chose de très simple.
01:08:41 Voilà un non-propre que je n'avais jamais cité.
01:08:47 Je le cite une fois pour parler de ce dont il est le nom,
01:08:52 c'est-à-dire de la falsification de l'Histoire.
01:08:55 Pendant 40 minutes, on parle avec un spécialiste,
01:09:00 on pourrait en trouver d'autres, mais c'est un très bon spécialiste, Laurent Joly,
01:09:04 qui en plus avait écrit un livre là-dessus, sur Vichy et la persécution antisémite.
01:09:10 Et c'est la première fois qu'on parle de Zemmour, et peut-être la dernière.
01:09:15 En tout cas, on l'espère.
01:09:17 Et ensuite, fermez le banc.
01:09:19 D'autres vont effectivement engager une sorte de guérilla,
01:09:31 c'est-à-dire vont fact-checker chaque falsification ou provocation.
01:09:38 Je suis d'accord avec toi, je ne vois pas de contradiction.
01:09:41 Je pense qu'il faut tout tenter de toute façon, au point où on en est.
01:09:48 Il ne faut pas se faire une illusion excessive sur l'efficacité du fact-checking.
01:09:59 On n'a jamais vu un mec comme ça fondre en larmes
01:10:05 parce qu'un historien lui aura expliqué qu'il a tort
01:10:09 et qu'il dira "bah oui, pardon, excusez-moi, j'aurais prévu".
01:10:13 D'une certaine manière, ça n'a pas énormément d'impact,
01:10:18 mais sans doute qu'il faut le faire.
01:10:20 Et surtout, il faut s'interroger aussi sur pourquoi on en est là,
01:10:25 pourquoi on a perdu tant, pourquoi on a tant régressé.
01:10:31 Pourquoi on en est à réagir au propos d'un réactionnaire ?
01:10:37 Pourquoi on ne sait pas organiser la riposte ?
01:10:40 Pourquoi on est toujours sur ce terrain-là où, malgré tout, peu ou prou, on est perdant ?
01:10:48 Parce que le fact-checking, il faut le faire, mais on sait que c'est toujours trop tard.
01:10:53 Parce que le mensonge, il va toujours plus vite que sa rectification.
01:11:00 Donc on a toujours un temps de retard, on est toujours perdant.
01:11:04 Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas mener ces combats-là,
01:11:08 mais il ne faut pas trop s'exciter.
01:11:12 Et à un moment donné, il faut se dire...
01:11:15 Au fond, il y a un récit qui est très entraînant.
01:11:22 Tu comprends ? Il y a un récit qui est très entraînant.
01:11:25 Le nationalisme identitaire, machin, apparemment ça fait rêver,
01:11:30 c'est une espérance pour les fascistes sur YouTube,
01:11:36 mais pas seulement, pas seulement.
01:11:40 Il ne faut pas dire que ce n'est pas que la France,
01:11:43 il y a le Pologne, la Hongrie, les États-Unis, l'Inde.
01:11:47 On ne peut pas dire non plus qu'on ne voit pas ce qui se passe dans le monde.
01:11:52 Donc là, il y a un récit qui est puissant,
01:11:55 qui est entraînant, avec des gens qui y croient vraiment.
01:12:00 Et contre ça, il ne faut pas croire qu'on va...
01:12:08 Il ne faut pas exagérer l'importance de gens qui vont leur courir après
01:12:12 en disant "non, c'est plus compliqué que ça, vous n'avez pas lu le bon livre, ceci, cela".
01:12:16 Donc il y a un moment où il faut quand même trouver les moyens
01:12:22 de réarmer un discours aussi entraînant que celui-là,
01:12:30 qui n'est pas un contre-discours.
01:12:32 Pour l'instant, on ne l'a pas.
01:12:34 On ne l'a pas du tout.
01:12:36 Pour l'instant, totalement à la ramasse, totalement à la ramasse.
01:12:39 On ne l'a pas du tout.
01:12:41 C'est-à-dire que le discours de déconstruction du roman national,
01:12:45 ça peut être intéressant, ça peut encourager ceux qui sont déjà convaincus,
01:12:51 mais ça ne mord pas, en fait.
01:12:54 Donc tant qu'on n'a pas un discours qui, symétriquement,
01:12:59 crée de l'enthousiasme, de l'adhésion et de l'entrain positif,
01:13:09 c'est pour ça que ça les a tant emmerdés l'histoire mondiale de la France.
01:13:14 Le premier article sur l'histoire mondiale de la France,
01:13:18 c'est Éric Zemmour qui l'a écrit.
01:13:20 Je l'ai trouvé récemment.
01:13:22 J'avais totalement oublié.
01:13:24 C'est le premier.
01:13:25 Et c'est intéressant parce que ça commençait comme ça.
01:13:30 La première phrase, au site de mémoire, c'est "l'histoire, c'est la guerre".
01:13:34 Pas simplement l'histoire des guerres, mais la guerre de l'histoire.
01:13:38 Ça, c'est son truc obsessionnel.
01:13:40 L'histoire, ça sert à faire la guerre.
01:13:42 Et puis, à la fin, ça disait "Et puis de toute façon,
01:13:45 il faudra choisir entre le parti de la France et le parti de l'étranger".
01:13:49 Et nous, on était du côté du parti de l'étranger.
01:13:51 Mais il ne disait pas, sur ce premier article,
01:13:54 il ne disait pas "C'est des connards, ils déconstruisent tout".
01:13:59 Il disait "Ouh là non, inquiétons-nous, c'est une machine de guerre".
01:14:03 Il avait dit "machine de guerre".
01:14:04 C'est une machine de guerre qui produit un autre récit,
01:14:07 qui n'est pas un contre-récit.
01:14:09 Je ne m'exagère pas, ça n'a rien à voir.
01:14:14 Comme tu l'as dit, ça a eu son petit succès,
01:14:18 mais ça ne mord pas politiquement.
01:14:20 Mais c'était un début.
01:14:22 Et c'est vers ça qu'il faut aller,
01:14:25 c'est-à-dire un discours qui est quand même un discours positif.
01:14:29 Et c'est pour ça qu'il faut qu'on parle de tout.
01:14:31 Est-ce qu'on fait de l'histoire exemplaire ?
01:14:33 Est-ce qu'on oppose des autres héros à leurs héros ?
01:14:39 Ou est-ce qu'on fait totalement autre chose ?
01:14:43 Est-ce qu'on raconte des histoires comme d'objets ?
01:14:48 Est-ce qu'on fait l'histoire de la brique, du passeport, de la boîte de conserve ?
01:14:52 Du costard !
01:14:53 Ben oui !
01:14:54 C'est ça qu'il faut.
01:14:58 Et de toute façon, on n'en est pas à se disputer sur la bonne tactique,
01:15:09 parce que si on avait une bonne, on la saurait depuis longtemps.
01:15:13 Je pense qu'il faut tenter plusieurs choses en même temps,
01:15:17 chacun dans son style, chacun avec ses moyens.
01:15:21 Je ne voudrais pas, effectivement, que ceux qui sont effrayés par, disons,
01:15:28 il y a de quoi quand même, par les menaces politiques aujourd'hui,
01:15:35 continuent, comme d'habitude, à se faire des virtuoses,
01:15:41 des petites différences, où on passe son temps à s'auto-engueuler.
01:15:45 Justement, tout à l'heure, tu parlais des difficultés rencontrées par le milieu universitaire.
01:15:49 Quelles sont-elles concrètement pour les gens qui nous écoutent ?
01:15:53 Parce que peut-être que le public ne s'en rend pas compte,
01:15:55 et que justement, ce qui est important aussi, c'est de montrer comment est produite cette histoire,
01:15:59 pour justement pouvoir un peu mieux en parler.
01:16:02 Oui, oui, tout à fait, bien sûr. C'est vrai que tu as raison de me reprendre là-dessus,
01:16:07 parce qu'il ne faut pas parler de manière allusive.
01:16:12 L'université, elle est soumise à différentes crises.
01:16:18 La plus ancienne, la plus pernicieuse, c'est une crise, on va dire,
01:16:22 tout simplement de sous-investissement.
01:16:25 C'est-à-dire que les étudiants sont…
01:16:29 Je ne parle pas des profs, ça va les profs,
01:16:32 en tout cas ceux qui peuvent rentrer à l'université,
01:16:35 puisque malheureusement, il n'y a pratiquement plus de recrutement à l'université.
01:16:39 Mais les étudiants sont laissés dans une situation
01:16:44 qui est une situation honteuse et misérable.
01:16:47 Et la part d'investissement public que consomme la France dans ses universités
01:17:00 est une des plus faibles de l'OCDE.
01:17:03 Ça paraît incroyable, mais c'est vrai aussi du point de vue de l'investissement dans la recherche.
01:17:09 C'est-à-dire qu'on est en retard sur tout.
01:17:12 C'est incroyable que, alors que ça s'est vu,
01:17:16 ça s'est vu quand même pendant la crise du Covid,
01:17:19 on a bien vu que les Allemands développaient leurs vaccins,
01:17:24 les Américains évidemment, les Anglais, les Suédois, les Russes, les Chinois,
01:17:29 et pas l'Institut Pasteur.
01:17:31 Ce n'est pas un hasard, c'est une sorte de classement Schengen
01:17:36 à grande échelle, grandeur nature.
01:17:42 Ce qu'on a vu, c'est les effets d'un sous-investissement dans la recherche
01:17:47 depuis des années, des années, des années de retard.
01:17:50 Donc l'université est sous-dotée, elle est méprisée,
01:17:56 précisément parce qu'effectivement en France,
01:17:58 il y a cette dichotomie fondamentalement injuste
01:18:02 entre les grandes écoles et les universités.
01:18:05 Et elle est soumise à une réglementation de plus en plus tatillonne,
01:18:13 qui nous oblige, qui épuise les collègues.
01:18:15 Je ne parle pas de moi, moi je suis dans une position privilégiée
01:18:19 à, d'une certaine manière, perdre beaucoup de temps
01:18:26 dans des démarches administratives pour récupérer un peu de crédit de recherche, etc.
01:18:31 On est malade, au fond, on est malade de honte,
01:18:36 de honte devant les conditions qu'on offre à nos étudiants,
01:18:43 qui ont été quand même globalement méprisés pendant la crise sanitaire.
01:18:53 On a cru, d'une certaine manière, qu'on pouvait s'en sortir
01:18:56 en leur donnant quelques cours par Zoom et leur diplôme à la fin,
01:19:01 alors que la vie étudiante, ce n'est pas ça.
01:19:03 Ce n'est pas ça, la vie étudiante.
01:19:05 C'est plus et mieux l'université.
01:19:07 C'est un lieu, effectivement, d'échange, d'ouverture, d'émancipation.
01:19:11 Tout ce que j'ai dit depuis le début sur le Collège de France,
01:19:15 ça devrait être ça partout, l'université.
01:19:17 Voilà.
01:19:18 Et tout cela fait déjà un climat assez lourd,
01:19:21 par-dessus lequel il y a eu, j'allais dire, le coup de grâce,
01:19:25 c'est-à-dire effectivement les ministres des CUTEL,
01:19:30 le ministre de l'Éducation nationale et le ministre de l'Enseignement supérieur,
01:19:33 qui insultent, on ne peut pas dire autrement,
01:19:38 les universitaires en les traitant d'islamo-gauchistes.
01:19:43 Donc, là, il y a un climat qui est proprement désastreux
01:19:49 et qui peut très bien, je dirais, alimenter une sorte de désir, de défection.
01:19:57 J'ai des collègues qui disent « c'est bon, ça va ».
01:20:01 Mais ce qui les fait tenir, c'est qu'on ne peut pas faire ça aux étudiants.
01:20:08 On ne peut pas lâcher l'affaire comme ça.
01:20:12 Donc, moi, c'est quelque chose, tu sais, qui…
01:20:17 Voilà, c'est poignant aujourd'hui la situation des universités
01:20:22 et le mépris politique dans lequel elles sont plongées.
01:20:27 Il y a de quoi vraiment, vraiment, vraiment être en colère.
01:20:30 Donc, dans cette situation-là, les universitaires,
01:20:34 ils ne peuvent pas rester à l'abri à l'université
01:20:37 parce que l'université n'est même plus un abri pour eux.
01:20:40 Donc, c'est dans ce climat général que, quand tu me disais
01:20:46 « est-ce qu'il y a des gens qui sont prêts d'une certaine manière à s'engager ? »
01:20:51 Oui, oui, pour cette raison-là aussi.
01:20:54 Pas seulement pour se divertir, pour trouver d'autres publics
01:20:58 parce que c'est plus marrant de parler à la télé ou devant sa caméra YouTube
01:21:06 que dans un amphi, mais parce que, d'une certaine manière,
01:21:12 au fond, on a fait quand même ce métier pour ça.
01:21:17 Et si… pour partager nos enthousiasmes, nos envies,
01:21:24 et si on ne peut plus le faire à l'université, on le fera ailleurs.
01:21:28 Oui, c'est vrai que c'est désespérant et j'espère que ce sera fédérateur en tout cas
01:21:31 pour des initiatives comme celle que tu montres
01:21:34 ou qui peuvent exister un petit peu partout sur différents médias.
01:21:38 On a quelqu'un qui disait, M. Brist, qui dit
01:21:44 « Merci, M. Boucheron, en tant que professeur de lycée,
01:21:47 les ressources et émissions que vous produisez figurent parmi les recommandations récurrentes
01:21:50 que je conseille aux élèves. »
01:21:52 Merci.
01:21:53 On a une question de… c'était de Bonjean qui nous demande
01:21:59 « Qu'est-ce que tu penses du développement de l'histoire environnementale ? »
01:22:04 Et alors, il nous dit « Du faible engagement des historiens français
01:22:09 sur ces problématiques environnementales. »
01:22:11 Oh, ce n'est pas si vrai que ça quand même, ce n'est pas si vrai, évidemment.
01:22:14 Ce sont des fronts pionniers, mais du point de vue de la recherche,
01:22:20 il y a quand même pas mal de choses.
01:22:22 Et puis, aujourd'hui, si vous voulez, c'est toujours la même chose.
01:22:28 Au début, il y a des gens qui s'en font une spécialité.
01:22:33 Donc, voilà, il y a des gens comme Grégory Kennec
01:22:37 qui ont fait les premiers à faire une histoire environnementale de la France
01:22:44 et qui ont théorisé le champ.
01:22:47 Mais, d'une certaine manière, la victoire d'un courant historiographique,
01:22:56 ce n'est pas quand il se fait reconnaître comme tel,
01:23:00 c'est quand, au fond, il se dilue dans l'ensemble.
01:23:05 C'est-à-dire que, bien sûr qu'on peut dire
01:23:08 « On a quand même dans nos librairies, on va dire,
01:23:12 plus de livres encore des biographies de rois
01:23:15 que d'histoires du climat ou d'histoires environnementales. »
01:23:19 Mais, inversement, aujourd'hui, si tu fais…
01:23:24 Par exemple, si tu fais un cours,
01:23:26 tu vas intégrer ça assez spontanément quand même.
01:23:29 Si tu fais une émission, toi tu fais une émission,
01:23:32 tu vas quand même, à un moment donné…
01:23:37 C'est ce qu'on appelle l'allongement du questionnaire.
01:23:39 C'est ce que Paul Veil n'appelait l'allongement du questionnaire.
01:23:42 Au début, on se pose peu de questions
01:23:44 et puis au fur et à mesure, on s'en pose de plus en plus.
01:23:47 C'est comme l'histoire mondiale.
01:23:49 Et effectivement, ça m'a toujours intéressé,
01:23:54 alors que je n'en ai jamais fait directement,
01:24:00 ne serait-ce que parce que je n'en ai pas les compétences linguistiques.
01:24:04 Je ne travaille pas sur, effectivement, comme Romain Bertrand,
01:24:09 des espaces, outre, chabanais, asublindiens, etc.,
01:24:15 qui permettent de faire vraiment une histoire connectée.
01:24:18 Mais j'ai tenté avec mes objets de les rendre contemporains
01:24:22 de cette mutation historiographique.
01:24:25 Donc, on fait l'histoire des objets.
01:24:29 D'une certaine manière, on prend n'importe quel objet,
01:24:36 d'en faire l'histoire.
01:24:38 Par exemple, on avait pris le jus de viande,
01:24:44 l'Jäbig, c'est-à-dire cette histoire industrielle
01:24:50 du XIXe siècle d'une viande qu'on boit,
01:24:57 ce qu'on appelait le viande oxymond.
01:24:59 L'Jäbig, c'est effectivement en Allemagne.
01:25:02 Pourquoi ? Parce qu'à ce moment-là,
01:25:04 seconde révolution industrielle allemande,
01:25:06 il y a une force de travail ouvrière qu'il faut effectivement nourrir
01:25:10 et c'est la naissance de l'alimentation industrielle.
01:25:15 Quand on fait cette histoire-là,
01:25:17 qui est plutôt une histoire sociale, une histoire des consommations,
01:25:20 très vite, c'est une histoire qui va devenir mondiale,
01:25:23 parce que les bœufs arrivent d'où ? D'Argentine, etc.
01:25:27 C'est une histoire qui devient environnementale,
01:25:29 parce que, évidemment, tout ça crée des conditions immédiatement très polluantes, etc.
01:25:35 Et donc, naturellement, on prend un objet, n'importe lequel,
01:25:41 et on le mondialise et on l'environnementalise.
01:25:45 Et puis, si tu me poses la question de l'histoire du genre,
01:25:49 c'est exactement la même chose.
01:25:51 C'est-à-dire qu'il y a des gens qui sont spécialistes de ça,
01:25:58 et c'est super, mais ceux qui ne sont pas spécialistes doivent aussi en tenir compte.
01:26:03 Et c'est comme ça qu'on avance.
01:26:06 Et ça, justement, t'introduisais un truc qu'on a quand même un peu étendu dessus depuis le début.
01:26:12 C'est vrai qu'il y a encore, j'ai l'impression, parmi le grand public,
01:26:16 une image tenace de cette histoire figée.
01:26:20 Et ton émission, comme d'autres, sur d'autres supports aussi parfois,
01:26:26 tente d'apporter cet éclairage sur le fait que finalement l'histoire
01:26:32 que l'on essaye de mettre aujourd'hui, c'est de l'histoire très contemporaine qu'on écrit,
01:26:37 mais ça, est-ce que tu penses qu'on va y arriver ?
01:26:41 Parfois c'est un peu compliqué.
01:26:44 C'est vrai qu'il y a, dans les commentaires, en tout cas je le vois sur YouTube,
01:26:47 et dans le climat politique actuel, on en a parlé tout à l'heure,
01:26:50 le fait de l'histoire c'est comme ça et pas autrement,
01:26:54 c'est un argument qui revient souvent dans les commentaires.
01:26:59 Je pourrais te retourner la question, toi tu désespères des fois un peu ?
01:27:03 Ça m'arrive, ça m'arrive, je ne suis pas toujours positif,
01:27:07 mais en fait, si je le fais, c'est qu'au fond de moi,
01:27:10 j'ai la conviction que ça va servir à quelque chose,
01:27:13 sinon franchement, j'arrête tout de suite et je ne fais vraiment que des trucs.
01:27:17 Mais il y a des jours où ça peut être compliqué.
01:27:20 C'est compliqué parce qu'effectivement, en même temps, on se dit,
01:27:26 si tu faisais une émission de chimie,
01:27:29 sans doute que tu aurais moins de réactions agressives sur Twitter ou autre,
01:27:36 et on se place quand même avec l'histoire au cœur de nos disputes contemporaines.
01:27:44 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, une partie, d'une certaine manière,
01:27:51 sinon de la politique, du moins de l'idéologie, se joue là,
01:27:56 parce qu'on sait très bien que les politiques se font guère d'illusions
01:28:02 sur leur capacité à produire un avenir,
01:28:06 donc au moins ils vont fabriquer un discours sur le passé.
01:28:11 Et c'est avec un discours sur le passé qu'ils vont, au fond, affirmer un récit.
01:28:17 Et donc, au fond, c'est normal, c'est un champ de bataille quand même,
01:28:23 malgré tout, l'histoire.
01:28:25 Alors, il ne faut pas dire, comme Zemmour, que l'histoire c'est la guerre,
01:28:29 parce que justement, d'abord, on ne fait pas de l'histoire que pour s'engueuler,
01:28:35 ça intéresse les gens, ça les distrait,
01:28:40 c'est-à-dire que cette question de l'évasion, c'est quand même vachement important.
01:28:46 Il y a des sujets, où effectivement, ils ne sont pas directement liés
01:28:52 aux obsessions actuelles, identitaires, laïcité, etc.
01:28:58 Mais bon, ça peut intéresser les gens, les faire rêver, leur faire changer d'avis, etc.
01:29:05 On n'est pas obligé d'être... Il y a un droit quand même à entendre parler d'autres choses.
01:29:11 Donc, prenons en compte l'ensemble de ce que fait l'histoire, de ce que peut l'histoire.
01:29:20 C'est une puissance d'imagination, c'est une puissance d'évasion,
01:29:23 c'est une puissance d'émancipation, c'est une puissance, effectivement,
01:29:27 de compréhension de nous-mêmes, etc.
01:29:30 Et puis, c'est aussi une puissance politique pour affirmer des positions sur le monde.
01:29:34 Oui, aujourd'hui, on est obsédé par ça, cette dernière dimension.
01:29:38 On ne pense qu'à ça, on ne s'engueule que là-dessus.
01:29:41 Mais enfin, peut-être qu'il y a quand même un effet de loupe,
01:29:45 parce qu'il y a tous ceux qui nous engueulent sur les réseaux sociaux,
01:29:51 et ils sont très actifs, mais il y a les autres qui sont peut-être plus modérés,
01:30:00 qui cherchent à passer des bons moments, qu'on leur fasse comprendre des choses,
01:30:11 et qui disent "merci, tu m'as rendu un peu plus intelligent".
01:30:15 Mais, tu sais, aujourd'hui, évidemment, ça peut être désespérant,
01:30:21 mais si tu prends un article de journal, ou même, moi, de temps en temps,
01:30:33 quand l'histoire fait date, sur Youtube, c'est quand même beaucoup de vues.
01:30:42 Des fois, quand tu regardes les commentaires, c'est un peu déprimant, quand même.
01:30:47 C'est-à-dire qu'il y a des gens qui te remercient,
01:30:52 il y a des choses qui sont intéressantes, etc.,
01:30:54 mais il y a aussi beaucoup de gens qui déversent leur rancœur, leur haine, leur agressivité.
01:31:04 Mais franchement, comment ça se passait avant les réseaux sociaux ?
01:31:08 Je veux dire, je travaillais dans des journaux,
01:31:11 et le service de courrier des journaux, c'est que de la merde.
01:31:17 C'est que de la merde.
01:31:19 Les gens qui décident, si tu veux, d'écrire une lettre, un télérama,
01:31:29 parce que, franchement, décidément, ce n'est pas comme ça qu'il faut faire,
01:31:32 souvent, ce n'est pas des modérés, quand même.
01:31:34 Oui, c'est sûr que le SAV, peu importe le média, la branche, la boîte,
01:31:39 le SAV, c'est souvent plus pour une remarque négative que pour dire "Bien joué, les gars".
01:31:45 Oui, donc on a le nez là-dessus, ce qui nous amène, quand même,
01:31:49 sans doute à exagérer la radicalité des réactions que suscite ce qu'on fait.
01:32:03 Le risque, c'est de rentrer dans un système, soit télévisuel,
01:32:09 où on va chercher le clash pour le clash, soit, disons, Internet, les réseaux sociaux,
01:32:16 où les algorithmes vont le faire pour nous, parce qu'ils vont toujours valoriser,
01:32:21 au fond, les réactions d'indignation, de colère, etc., sur l'intérêt.
01:32:25 Tout ça est très bien connu, quand même.
01:32:27 Tout ça est parfaitement identifié.
01:32:30 On sait ce qui nous domine, ce qui risque de nous arriver,
01:32:34 si on se laisse piéger par cet effet de loupe.
01:32:38 Et c'est une loupe.
01:32:40 C'est-à-dire que je suis persuadé que, même face à nos sujets,
01:32:45 puisque là on parle de l'histoire, au total, les gens, les vrais gens,
01:32:56 comme disait le Parti communiste dans les années 60,
01:33:01 les vrais gens, ceux qui n'écrivent pas au journaux,
01:33:06 ceux qui t'engueulent pas sur Facebook,
01:33:10 ils sont finalement plus intéressés, plus tolérants, plus ouverts,
01:33:19 mieux préparés, qu'on le pense, à d'autres expériences.
01:33:27 Et c'est pour ça que je dis qu'il faut tenter des choses.
01:33:31 Merci en tout cas pour ce message positif.
01:33:33 Ça change un peu de ce qu'on entend, justement, partout,
01:33:38 et de cette caisse de résonance que sont les réseaux sociaux.
01:33:40 On a Sivima, je suis désolé si j'écorche vos pseudos, les amis.
01:33:45 Y a-t-il une différence entre les universités populaires et le Collège de France ?
01:33:49 Le Collège de France est une sorte d'université populaire.
01:33:52 On pourrait le dire comme ça.
01:33:56 La différence, quand même, c'est que l'université populaire,
01:34:00 en tout cas au départ, telle que ça a été pensée,
01:34:04 c'est effectivement une entreprise libérale,
01:34:08 qui n'est pas contrôlée par personne.
01:34:18 Et c'est là, évidemment, sa force, en tout cas, sa liberté, sa pleine liberté.
01:34:24 Le Collège de France est quand même, malgré tout,
01:34:27 dans un rapport pas du tout hiérarchique ou de surplomb,
01:34:31 enfin quand même dans un rapport de consécration,
01:34:41 de couronnement des carrières académiques,
01:34:44 ça veut dire qu'il fait partie du système universitaire.
01:34:49 Moi, je me sens quand même responsable, un peu,
01:34:53 pas du tout de ma discipline, je ne suis pas le patron du syndicat.
01:34:58 Personne ne me demanderait ça et ce serait un privilège exorbitant.
01:35:02 Mais des fois, je me dis, oui, j'ai quand même une sorte de responsabilité collective
01:35:09 à faire valoir.
01:35:12 Donc, quand même, malgré tout, quand tu parles au Collège de France,
01:35:16 tu te dis, voilà, il y a un truc qui, j'espère, ne m'écrase pas,
01:35:22 ne me surveille pas de haut, mais me requiert et m'oblige.
01:35:28 Mais encore une fois, ce qui est important, c'est de mettre au plus haut point
01:35:38 de nos valeurs la notion de curiosité gratuite des intéressés.
01:35:44 Et en ce sens, oui, c'est une université populaire.
01:35:47 - Comment est-ce qu'à ton avis, on peut véritablement aller chercher
01:35:53 un grand public qui est plus habitué à d'autres styles de médias que Arte ?
01:35:57 Parce qu'en fait, moi, je me pose aussi parfois la question,
01:36:01 je me dis dans ma famille, il y a vraiment des gens qui ne regardent que M6,
01:36:05 ils ne vont pas du tout sur Arte et ils ne vont pas aller sur YouTube spontanément
01:36:09 chercher des trucs autour de l'histoire ou d'autres disciplines de sciences humaines, etc.
01:36:13 Comment est-ce qu'on peut les choper, ces gens-là ?
01:36:17 Est-ce que toi, tu aimerais participer peut-être à une initiative
01:36:19 à un peu encore plus grand public que ce que peut être l'Histoire par l'objet ?
01:36:23 Ou est-ce que... Voilà, c'est des choses qui t'intéresseraient moins
01:36:27 parce que tu trouves que ce serait peut-être un peu trop réducteur ?
01:36:29 Déjà, c'est vrai qu'un format de 15 minutes, c'est court.
01:36:31 - Je n'en sais rien, je n'exclus rien et je ne méprise rien, encore une fois,
01:36:37 la raison que je donnais de partage des rôles, d'équilibre, des générations,
01:36:44 je ne suis pas sûr que ce soit à moi de faire ça,
01:36:47 mais en tout cas, ça m'intéresserait de participer à une réflexion collective
01:36:51 sur comment on va au-delà parce qu'effectivement, d'une certaine manière,
01:36:56 c'est intéressant que tu dises Arte, c'est quand même un peu une niche
01:37:00 et même YouTube, même d'une certaine manière,
01:37:02 enfin, ce n'est pas une niche, mais oui, il y a des gens qui n'iront jamais voir ça,
01:37:06 de toute façon, ils n'iront jamais voir ça.
01:37:08 Alors, jusqu'où il faut aller les chercher ?
01:37:10 Est-ce qu'il faut aller les chercher jusque dans les émissions de télé-réalité ?
01:37:16 Là, on est un peu loin quand même.
01:37:19 Voilà, c'est ça la question.
01:37:23 Est-ce qu'il faut aller les chercher dans les talk-shows ?
01:37:26 Est-ce qu'il faut aller les chercher dans les miniseries ?
01:37:30 Après tout, Kaamelott, ça a quand même commencé sur M6.
01:37:33 Mais cette question de la limite, je trouve, elle est très intéressante
01:37:36 parce que, tout à l'heure, tu disais par exemple que tu n'allais pas sur les plateaux télé,
01:37:40 et en fait, on peut comprendre aussi pourquoi.
01:37:42 Et c'est vrai qu'il y a cette question-là de l'engagement de l'historien, oui,
01:37:47 mais jusqu'où, en fait, il faut à un moment placé la limite ?
01:37:52 Et ça, c'est vrai que parfois, ça peut être compliqué.
01:37:55 Et encore une fois, Benjamin, je n'ai pas de doctrine,
01:37:58 c'est-à-dire que je n'en fais pas système.
01:38:00 Je te réponds simplement ce que je fais moi,
01:38:02 tout en disant que d'autres font autre chose, et c'est très bien.
01:38:06 Mais il y a un moment où il faut quand même se fixer
01:38:09 par ce qu'on appelle très banalement une ligne de conduite.
01:38:12 Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je fais ?
01:38:15 Voilà.
01:38:17 Mais la ligne de conduite, si tu veux, c'est dans les deux sens.
01:38:25 C'est-à-dire que je ne fais pas des trucs...
01:38:28 Oui, je ne vais pas aller chez Hanouna.
01:38:32 Bon.
01:38:34 Mais pour répondre à une question précédente,
01:38:39 je ne vais pas aller non plus dans des cercles de pouvoir.
01:38:42 Jamais.
01:38:44 Parce que ça, on peut aussi être invité souvent.
01:38:48 Voilà.
01:38:50 Il y a des endroits où ce n'est pas mon lieu.
01:38:55 Voilà.
01:38:57 Mais on peut parler de tout.
01:39:02 Quand j'ai fait l'histoire mondiale de la France,
01:39:07 effectivement, j'ai été invité partout.
01:39:10 Donc je peux te dire où est-ce que j'ai été,
01:39:12 où est-ce que je n'ai pas été.
01:39:14 J'y ai été à quotidien.
01:39:16 Il n'y a aucun problème d'aller à quotidien.
01:39:18 On est très bien traités.
01:39:20 J'y ai été, ils n'étaient pas du tout...
01:39:22 On est très bien traités.
01:39:24 On n'a pas beaucoup de temps,
01:39:26 mais en fait, ils sont tout à fait respectueux
01:39:28 et ça vaut le coup.
01:39:30 Et quand j'ai un copain qui a écrit un bouquin, etc.,
01:39:34 je suis invité à quotidien, est-ce que je dois y aller ?
01:39:38 Je dis oui, oui.
01:39:40 À l'époque, il y avait encore l'émission de Rookie.
01:39:46 J'avais été invité, là, non, là, non, c'était pas...
01:39:50 Là, c'est vraiment du talk show.
01:39:52 Il y en a qui s'en sortent très bien.
01:39:54 Mais si certains veulent y aller, j'ai aucun problème.
01:39:56 Moi, je n'ai pas fait.
01:39:58 Alors, on a plus ou moins répondu à la question.
01:40:00 Je leur dis quand même, pour qu'on le redise,
01:40:03 si la personne est arrivée un petit peu après,
01:40:05 parce que c'est important.
01:40:06 Comment créer cette force qui s'opposerait au roman national ?
01:40:08 Car vous avez dit à l'instant qu'il n'y avait aucun contre-récit,
01:40:11 rien à proposer de la part des historiens de métier.
01:40:13 Mais concrètement, du coup, qu'est-ce qu'on fait ?
01:40:15 Alors, toi, ta réponse, c'était qu'il faut qu'on continue tout ça,
01:40:18 à faire ce qu'on fait un peu de notre côté.
01:40:20 Et à rendre intéressante la méthode,
01:40:22 que ça ne soit pas une punition à chaque fois.
01:40:25 Qu'on trouve les moyens de rendre ça attrayant, agréable,
01:40:32 séduisant, plutôt marrant.
01:40:34 Pourquoi on fait ça ?
01:40:35 Parce que c'est intéressant quand même.
01:40:37 C'est plus intéressant que la litanie sans picternel sur les héros.
01:40:43 C'est-à-dire, nous on a fait par exemple sur Napoléon.
01:40:49 Je ne dis pas que ce n'est pas intéressant Napoléon,
01:40:52 c'est super intéressant, il y a plein de choses.
01:40:54 Après, tu fais souvent des batailles,
01:40:56 il y a plein de manières de faire des batailles.
01:40:58 Nous, on l'a choisi à partir de la rodingote de Napoléon.
01:41:01 C'est-à-dire, comment effectivement…
01:41:03 Qu'est-ce que c'est que la propagande ?
01:41:04 Comment les mecs trouvent ce truc un peu génial
01:41:08 d'avoir une vague capote grise, de caporal,
01:41:13 qui permet de dire "je suis un soldat comme les autres",
01:41:17 sauf que c'est un soldat qu'on reconnaît à un kilomètre,
01:41:20 parce qu'il se crée une silhouette.
01:41:22 Donc, si tu prends comme objet la rodingote de Napoléon,
01:41:28 tu n'es pas du tout dans l'exaltation du grand homme,
01:41:34 mais tu expliques comment les greniards voyaient
01:41:39 celui qui n'était pas particulièrement grand,
01:41:41 donc il fallait qu'il soit reconnaissable,
01:41:43 et comment le mec était effectivement un virtuose de son image.
01:41:46 Donc, tu parles de propagande.
01:41:49 On peut dire que c'est de l'histoire au second degré,
01:41:52 mais en même temps, c'est quand même une histoire plus accessible,
01:41:56 parce que si je fais ça, tout le monde comprend que je fais Napoléon.
01:42:01 Il n'y a pas besoin d'être passé à l'université.
01:42:04 Donc, c'est un truc qui est très simple, très accessible,
01:42:08 et qui permet de faire un petit discours de méthode.
01:42:11 Qu'est-ce que les historiens ont à opposer au roman national ?
01:42:17 On l'a dit, leur méthode.
01:42:19 Ils n'ont pas raison parce qu'ils sont historiens,
01:42:22 ils ont raison parce qu'ils font les historiens,
01:42:24 parce qu'ils fondent l'histoire.
01:42:25 Et donc, il faut raconter comme on l'a fait,
01:42:28 et faire en sorte que ça ne soit pas trop chiant.
01:42:32 Jusque-là, si tu veux, c'était une exigence pour être entendu,
01:42:38 pour pouvoir avoir du public, c'était agréable et flatteur,
01:42:42 mais maintenant, ça devient sérieux.
01:42:44 C'est-à-dire qu'il y a une sorte d'exigence, aujourd'hui démocratique,
01:42:48 à ne pas être trop chiant.
01:42:51 Parce que sinon, c'est... ou alors à accepter,
01:42:57 à faire accepter que, ben ouais, l'histoire, des fois, c'est un peu chiant.
01:43:07 Un peu. Pas continûment, mais un peu chiant.
01:43:11 Ou celui qui est jamais chiant, c'est qu'il y a un truc qui va pas.
01:43:18 C'est qu'il y a un truc qui est un peu mensonger,
01:43:22 parce que quand même, mais tout le monde peut le comprendre.
01:43:27 Enfin, c'est quand même pas très compliqué.
01:43:30 Tu vas dire à un moment, ben voilà, c'est un métier.
01:43:33 Donc, à un moment, il faut faire des opérations.
01:43:37 Des fois, on dit l'atelier de l'historien.
01:43:39 L'atelier de l'historien.
01:43:41 Ça veut dire, c'est un peu comme la menuiserie.
01:43:43 À un moment, la menuiserie, il faut poncer, c'est chiant.
01:43:46 Personne peut dire que c'est totalement l'éclate,
01:43:50 qu'on est toujours à faire le truc, fignoler.
01:43:53 Non, il y a un truc un peu répétitif.
01:43:56 Et juste dire ça, tout le monde peut le comprendre.
01:44:01 Tout le monde peut le comprendre.
01:44:03 Comment on peut effectivement donner un ordre de grandeur
01:44:14 quand on dit, ben voilà, Éric Zemmour dit ça,
01:44:19 Laurent Joly dit ça.
01:44:21 C'est pas tout à fait symétrique.
01:44:25 Éric Zemmour dit, ben moi j'ai bien le droit de dire ça.
01:44:29 Et donc Laurent Joly dit, oui, moi j'ai fait cinq livres,
01:44:33 j'ai travaillé sur le Commissariat général aux études juives.
01:44:36 Le Commissariat général aux études juives, c'est 1000 cartons d'archives.
01:44:40 Comment vous expliquer ? 1000 cartons d'archives.
01:44:43 C'est pas tout à fait la même chose que d'avoir des idées comme ça sur CNews.
01:44:48 C'est pas pareil.
01:44:51 Quand j'ai dit ça, effectivement, c'est pas super sexy.
01:44:55 C'est pas en disant, ben moi j'ai ouvert 1000 cartons d'archives,
01:44:59 que tu vas effectivement faire...
01:45:03 Mais c'est utile quand même des fois.
01:45:06 Enfin, je sais pas.
01:45:07 Et puis de toute façon, on n'a pas le choix.
01:45:10 Il n'y a plus d'argument d'autorité.
01:45:13 Il n'y a plus d'argument d'autorité.
01:45:14 C'est pas, tu vas pas dire, mais moi je suis de l'université, machin,
01:45:17 donc je vous dis ceci.
01:45:18 Donc, t'es obligé de dire, je vous dis ceci parce que j'ai travaillé.
01:45:24 Et vous pouvez faire ce travail vous-même.
01:45:27 Simplement, vous n'y arriverez pas tout de suite.
01:45:31 Et pas sans médiation.
01:45:32 Et puis il y a aussi un peu de la bibliographie.
01:45:36 De l'université populaire.
01:45:40 L'escroquerie en fait de Michel Longfrey, c'est qu'au départ,
01:45:46 il donnait à lire et à comprendre des textes.
01:45:50 C'était super.
01:45:51 Il permettait effectivement aux gens d'avoir un accès à la lecture.
01:45:57 Et maintenant, c'est le contraire.
01:45:59 Il leur permet de ne plus lire.
01:46:01 Il leur dit, vous embêtez pas, j'ai lu tout Freud,
01:46:05 c'est de la merde.
01:46:08 Non mais, d'abord ça n'existe pas, j'ai lu tout Freud, c'est pas vrai.
01:46:12 C'est pas vrai.
01:46:13 Ça n'existe pas.
01:46:15 Et quand bien même on lirait toute l'œuvre de Freud,
01:46:19 du premier au soixantième tome,
01:46:22 il y a aussi une historiographie, etc.
01:46:24 Donc c'est une escroquerie de lire ça.
01:46:27 Donc le savoir, en même temps, c'est ça qui est difficile,
01:46:31 il est accessible, il est ouvert.
01:46:34 Souvent je dis, si c'était de l'informatique,
01:46:36 la méthode historique, elle serait en open source.
01:46:39 Rien n'est caché.
01:46:44 Mais en même temps,
01:46:46 faut pas croire que tu traverses ça une fois et puis c'est fait.
01:46:54 Pourquoi ça m'a plu l'histoire, je vais me dire,
01:46:57 pour rebooter.
01:46:59 Pourquoi ça m'a plu ?
01:47:00 Finalement, quand j'étais étudiant,
01:47:04 c'est par rapport à la philo.
01:47:08 La philo, ça me fascinait,
01:47:10 mais la philosophie, ça supporte assez mal la médiocrité.
01:47:17 C'est-à-dire qu'un philosophe moyen, c'est pas grand-chose.
01:47:21 Un historien moyen, c'est quelque chose.
01:47:24 Il fait toujours quelque chose.
01:47:27 C'est fondamentalement démocratique, l'histoire.
01:47:30 Le travail paie.
01:47:34 Moi, j'adorais ça avec les étudiants.
01:47:37 Les étudiants, ils étaient ce qu'ils étaient.
01:47:40 Certains n'étaient pas géniaux,
01:47:42 mais je leur demandais pas d'être géniaux,
01:47:44 je leur demandais d'être honnêtes et travailleurs.
01:47:46 Et ils faisaient quelque chose.
01:47:50 C'est ça qui est beau dans l'histoire,
01:47:52 c'est que l'exercice même de l'histoire est démocratique.
01:47:56 C'est-à-dire qu'en même temps,
01:47:59 si on comprend bien, moi je comprends bien
01:48:02 ce que c'est que les mathématiques.
01:48:05 Quand t'es un génie des mathématiques,
01:48:09 tu as 17 ans, tu peux tout flamber.
01:48:12 En histoire, c'est pas vrai.
01:48:14 C'est pas vrai.
01:48:16 J'espère...
01:48:18 Il y a un truc qui est super en histoire,
01:48:21 c'est d'une certaine manière
01:48:25 la complémentarité des générations.
01:48:29 C'est-à-dire que moi je suis d'un âge moyen, avancé,
01:48:35 55 ans, mais je sais que sur certains points,
01:48:41 je vois moins de choses qu'un mec de 20 ans,
01:48:44 qu'une fille surtout, de 20 ou 30 ans.
01:48:48 Donc je dois vraiment faire gaffe
01:48:51 à ne pas perdre le contact.
01:48:54 C'est pour ça qu'il faut avoir des étudiants,
01:48:57 ou d'autres, je parle des profs.
01:49:00 Mais je vois des historiennes,
01:49:02 des historiens plus âgés que moi,
01:49:05 et comme c'est un savoir assez cumulatif,
01:49:08 je les écoute aussi.
01:49:11 Parce que malgré tout, c'est long, c'est compliqué.
01:49:15 Il y a des choses qui demandent de la réflexion
01:49:18 et de la maturité.
01:49:20 Et c'est quand même un beau métier
01:49:25 que celui où quelqu'un de 80 balais
01:49:30 peut parler avec quelqu'un de 25 ans,
01:49:33 et les deux s'apprennent des choses.
01:49:36 C'est important à dire ça.
01:49:40 C'est pas seulement un métier d'intuition,
01:49:43 c'est aussi un métier de travail.
01:49:46 J'ai envie de finir là-dessus.
01:49:48 Tu as remarquablement bien rebouclé sur le début.
01:49:51 En tout cas, juste pour la précision,
01:49:54 tu parlais tout à l'heure d'inviter à la lecture
01:49:57 et à la découverte.
01:49:59 C'est quelque chose que vous faites tous ensemble
01:50:02 dans cette émission, "Histoire par l'objet",
01:50:05 puisqu'à la fin, vous clôturez par la recommandation d'un ouvrage.
01:50:08 Oui, parce que c'est presque toujours un livre.
01:50:11 Ça peut être une bande dessinée, ça peut être un film,
01:50:14 mais à un moment donné, c'est aussi un livre,
01:50:17 parce que je me dis, justement,
01:50:22 on a fait beaucoup d'efforts,
01:50:26 on a fait un travail de mise en image
01:50:30 de tout un savoir,
01:50:35 mais c'est important aussi de dire à la fin,
01:50:40 et si vous voulez vraiment en savoir plus,
01:50:43 c'est quand même dans les livres ou dans les articles,
01:50:46 peu importe, mais c'est comme ça que tu prépares tes émissions aussi.
01:50:50 C'est-à-dire que, bien sûr qu'on serait complètement cons aujourd'hui
01:50:54 de ne pas comprendre que, voilà,
01:50:57 les étudiants, même les étudiants d'histoire,
01:51:00 ils vont d'abord chercher une bonne vidéo sur un sujet, bien sûr,
01:51:05 mais peut-être que c'est une meilleure première approche
01:51:12 que, en fait, ça remplace quoi ?
01:51:14 Ça remplace une notice d'encyclopédie.
01:51:17 Au début, on allait voir l'encyclopédie à l'universalisme,
01:51:20 on disait, bon, ben voilà, maintenant,
01:51:22 ils vont trouver en 20 minutes ou un peu plus une bonne vidéo.
01:51:26 C'est super, mais pour moi, on n'a rien perdu,
01:51:31 par rapport à l'encyclopédie, on n'a rien perdu.
01:51:34 C'est même plus vif, etc.
01:51:36 Mais il serait aussi mensonger de dire qu'on peut s'en contenter aujourd'hui
01:51:41 que de dire que t'as vu l'encyclopédie à l'universalisme,
01:51:44 c'est bon. Non, c'est pas bon.
01:51:46 Et donc, cette idée que l'écrit a le dernier mot,
01:51:51 j'aimais bien ça, que dans une émission de télé,
01:51:54 malgré tout, l'écrit est le dernier mot.
01:51:57 Est-ce que justement, tu aurais, je ne sais pas,
01:51:59 deux, trois bouquins à conseiller aux gens qui nous écoutent ?
01:52:02 Oh là là, tu me demandes, je regarde…
01:52:05 Peut-être des livres qui t'ont marqué dernièrement,
01:52:08 où tu t'es dit, tiens, ça, c'est cool, ça vaudrait le coup
01:52:11 qu'un peu plus de gens le lisent ?
01:52:13 Alors, je vais te dire un choix très subjectif.
01:52:21 Oui, bien sûr.
01:52:23 J'ai fait une émission de radio la semaine dernière
01:52:30 sur le livre de Vincent Lemire,
01:52:33 qui s'appelle "Au pied du mur",
01:52:35 qui est une histoire de Jérusalem
01:52:37 à partir de la destruction du quartier maghrébin,
01:52:41 le quartier qui était au pied
01:52:44 de ce qu'on appelle le mur des lamentations.
01:52:47 Normalement, je n'aurais pas dû faire cette émission
01:52:50 parce que je suis l'éditeur de ce livre d'édition du Seuil.
01:52:54 Je me dis, ça commence à faire beaucoup.
01:52:58 Mais c'est un livre que j'aimais trop
01:53:01 et que je considère comme un modèle d'enquête,
01:53:05 d'écriture, d'engagement aussi.
01:53:10 Une histoire, effectivement,
01:53:12 où le mec Vincent Lemire, il se met dans la gueule du loup,
01:53:15 c'est-à-dire à Jérusalem,
01:53:17 et il fait une histoire qui n'est pas une histoire commune,
01:53:20 mais une histoire partagée,
01:53:21 une histoire que pourront comprendre les Israéliens
01:53:25 et les Palestiniens,
01:53:27 qui est une histoire difficile, déplaisante,
01:53:30 qui passe par une écriture.
01:53:33 J'ai profondément aimé ce livre et je me suis dit,
01:53:35 tiens, aujourd'hui, si j'avais vraiment à la fois
01:53:41 un jeune homme ou à mon père, à ma tante,
01:53:45 dire, qu'est-ce que c'est que l'histoire ?
01:53:47 Qu'est-ce que c'est que l'histoire aujourd'hui ?
01:53:49 Je ne te fais pas le palmarès.
01:53:52 La semaine dernière, ce qui m'a plu, c'était ça.
01:53:56 C'est un bon livre d'histoire.
01:54:02 C'est un bon livre d'histoire parce que c'est un livre honnête,
01:54:05 engagé, écrit, qui est fondé sur une grande enquête
01:54:10 et puis ça se lit avec passion, avec émotion aussi.
01:54:17 Parce que c'est ça aussi.
01:54:20 C'est un drame quand même.
01:54:23 Et comment on fait pour trouver la bonne distance ?
01:54:28 Ça, c'est un livre qui m'a enthousiasmé,
01:54:32 mais il y en a plein d'autres.
01:54:34 C'est-à-dire que moi, j'aime ce métier
01:54:38 parce qu'il m'offre la possibilité
01:54:41 de faire plein, plein, plein de découvertes.
01:54:44 Est-ce que tu aurais un mot à dire peut-être
01:54:48 à tous les gens qui nous écoutent ou qui nous écouteront ?
01:54:51 Quelque chose que tu avais envie d'aborder ce soir,
01:54:53 qu'on n'a pas abordé ?
01:54:55 Tu as la parole.
01:54:56 Non, je crois qu'on a dit beaucoup de choses.
01:54:59 Benjamin, je te remercie beaucoup.
01:55:01 Je te remercie de cette occasion.
01:55:04 C'est très précieux pour moi de pouvoir justement
01:55:09 avoir la possibilité de parler à des gens que je ne connais pas,
01:55:15 que je ne vois pas, qui sont ton public.
01:55:19 Ça m'importe beaucoup.
01:55:22 Je voudrais simplement qu'on considère
01:55:26 que dans ce moment-là, un peu désespérant,
01:55:30 toi-même, on va dire que tu es plutôt dans une success story.
01:55:36 Mais il y a de la fatigue, il y a de la lassitude.
01:55:39 Ce n'est pas si facile.
01:55:40 Des fois, on en a marre quand même un peu
01:55:43 de redire les mêmes trucs.
01:55:45 Donc, c'est normal d'être un peu inquiet.
01:55:48 C'est normal d'être découragé.
01:55:51 C'est normal.
01:55:53 Il faut s'écouter aussi.
01:55:57 Il faut écouter la fatigue.
01:56:00 Mais il ne faut rien lâcher.
01:56:04 Il ne faut rien lâcher.
01:56:05 Ce n'est pas le moment.
01:56:07 Il y a quand même quelque chose qui est que
01:56:11 on peut dire ce qu'on veut des réseaux sociaux,
01:56:14 de la difficulté qu'on a à s'extraire de leur frénésie,
01:56:19 à être, d'une certaine manière,
01:56:22 à cesser d'être prisonnier de cette loupe.
01:56:26 Mais au fond, tu te rends compte,
01:56:29 c'est quand même un outil formidable.
01:56:32 Et malgré tout, pour l'instant,
01:56:35 c'est peut-être de temps en temps notre problème.
01:56:38 Mais la solution se trouve là aussi.
01:56:40 Là où est le problème, est la solution.
01:56:42 Et on ne se heurte pas à un mur.
01:56:48 Si on veut faire des trucs aujourd'hui,
01:56:51 malgré tout, on a les possibilités techniques
01:56:56 et encore aujourd'hui, dans notre pays, en France,
01:57:00 en politique et sociale,
01:57:02 de tenter des choses.
01:57:04 Et donc, d'une manière générale,
01:57:08 je pense qu'on est moins contraint qu'on le pense.
01:57:14 On est plus libre qu'on le croit.
01:57:16 Et nos difficultés viennent souvent du fait
01:57:21 qu'on ne prend pas la liberté qu'on a.
01:57:24 Et je ne dis pas ça pour mépriser ou relativiser
01:57:28 tous ceux qui vivent mal,
01:57:31 mais précisément parce que, voilà,
01:57:34 je crois que pour moi, l'histoire, c'est ça.
01:57:38 C'est comme ça qu'on avait dit.
01:57:41 On peut encore reboucler là-dessus.
01:57:45 Tu me demandais comment je parle aux enfants
01:57:49 du même ton que je parle aux adultes.
01:57:52 Parfois, les enfants me demandent
01:57:53 « qu'est-ce que c'est que l'histoire ? »
01:57:55 Je dis « c'est l'art de se souvenir
01:57:56 de ce dont on est capable. »
01:57:58 Après, si je suis avec les plus grands,
01:58:00 je peux dire « c'est une idée que je tiens
01:58:05 de la philosophe allemande, Anna Arendt. »
01:58:08 Mais peu importe.
01:58:09 C'est l'art de se souvenir de ce dont on est capable.
01:58:12 Tout le monde comprend ce que ça veut dire.
01:58:13 De tout ce dont on est capable,
01:58:15 les hommes et les femmes en société,
01:58:17 du pire comme du meilleur.
01:58:18 Ce n'est pas seulement le devoir de mémoire.
01:58:20 C'est « ah là là, attention, regardez,
01:58:22 on a fait des choses horribles. »
01:58:24 Non, on n'a pas fait que des choses horribles.
01:58:26 On est l'art de se souvenir de ce dont on est capable.
01:58:29 Et on est capable de plus et mieux qu'on le croit
01:58:32 et qu'on nous le dit.
01:58:33 L'histoire a longtemps été cette école de la fatalité.
01:58:37 En réalité, quand on regarde les choses
01:58:43 telles qu'elles furent et telles qu'elles auraient pu être,
01:58:46 on se dit « mais il y a des potentialités. »
01:58:50 Il y a des potentialités.
01:58:52 Donc, on considère aussi les potentialités d'aujourd'hui.
01:58:56 Merci Patrick pour toute cette positivité.
01:58:59 Ça motive.
01:59:01 Merci à toi.
01:59:02 Merci d'avoir accepté l'invitation ce soir.
01:59:04 Merci beaucoup.
01:59:05 À très bientôt.
01:59:06 Salut !
01:59:07 Salut !
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