L'interview d'actualité - Julien Soulié

  • l’année dernière
Chroniqueur : Adrien Rohard


Adrien Rohard reçoit Julien Soulié, auteur et membre du Projet Voltaire. Cet expert en orthographe a été professeur de Français au collège. Alors que le ministre de l'Éducation national, Pap Ndiaye, s'est exprimé le lundi 10 juillet dernier en se disant favorable à une notation plus sévère de l'orthographe, ce n'est peut-être pas la meilleure des solutions pour élever le niveau.

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Transcript
00:00 Bonjour Julien Seguet, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:02 Vous avez été prof de français au collège, vous ne l'êtes plus mais vous n'en demeurez pas moins passionné d'orthographe,
00:09 passionné des mots, des mots croisés, de dictée aussi.
00:12 J'ai envie de vous faire réagir à une première question d'actualité.
00:15 Vous avez forcément suivi le ministre de l'Éducation nationale, Papendiaï, qui vient de s'exprimer,
00:21 qui s'est dit favorable à une notation plus sévère de l'orthographe.
00:25 Est-ce que c'est pour vous une bonne idée ?
00:28 Non, je ne pense pas que ce soit vraiment une bonne idée, ou du moins en fait il prend peut-être le problème à l'envers,
00:32 c'est-à-dire que si on veut sanctionner plus difficilement, il faut qu'en amont il y ait évidemment un travail qui soit fait
00:39 avec les élèves pour les faire progresser, vous ne pouvez pas vous contenter de punir.
00:42 En amont évidemment il faut travailler en profondeur.
00:44 C'est ce que réclament les syndicats d'ailleurs, ils disent qu'il faut plus de temps, plus de moyens,
00:47 ils estiment eux que c'est complètement illusoire de croire que c'est en retirant deux points que ça va améliorer la situation.
00:53 Oui, bien sûr, je l'ai constaté quand on faisait des dictées, du temps où on faisait encore beaucoup de dictées avec les élèves,
01:00 évidemment quand vous avez zéro la première fois, la deuxième, la troisième, au bout d'un moment vous lâchez prise
01:04 et vous perdez confiance en vous si tant est que vous n'en ayez jamais eu.
01:08 Ça veut dire quoi, que quand on punit et quand on retire des points aux élèves, ils se démotivent ?
01:12 Oui, enfin ils se démotivent, du moins en tout cas il faut absolument qu'en amont il y ait quelque chose
01:18 qui permette en effet de travailler en profondeur cette langue française qu'on dit c'est difficile,
01:24 notamment l'orthographe, mais plus généralement aussi l'expression,
01:27 parce que c'est ça qui est vraiment je pense important, on parle souvent de l'orthographe,
01:30 l'orthographe c'est un petit peu la partie émergée de l'iceberg,
01:33 c'est quelque chose d'ailleurs qui est beaucoup discuté et âprement débattu,
01:36 mais en tout cas ce qui est important c'est vraiment l'expression,
01:39 plus que vraiment la simple orthographe, de savoir si on met un L à alourdir ou deux L à alourdir,
01:44 finalement la langue a beaucoup évolué donc ça c'est assez mineur.
01:47 Et en même temps je reviens sur les propos du ministre qui notamment pour le bac a déclaré
01:52 que l'introduction de critères formels dans les épreuves était probablement une bonne chose,
01:57 donc il parle d'une orthographe punitive et ça paraît quand même normal,
02:01 et j'imagine pour beaucoup de gens qui nous regardent,
02:03 qu'a priori un élève qui fait des fautes d'orthographe est une moins bonne note
02:06 que celui qui n'en fait pas.
02:09 Oui pour autant c'est ce que je disais, qu'en amont on est travaillé cette orthographe,
02:13 si évidemment on ne la travaille pas, bien évidemment on ne peut pas leur demander
02:16 de maîtriser une compétence qu'ils n'ont pas travaillée auparavant.
02:20 Donc ce qui est important effectivement,
02:21 alors après il faut voir aussi ce qui met derrière les critères formels,
02:24 est-ce que c'est vraiment purement l'orthographe,
02:26 est-ce que c'est, moi ce qui me semble vraiment plus important,
02:28 est-ce que c'est le vocabulaire, est-ce que c'est la syntaxe,
02:30 c'est-à-dire le vocabulaire, la richesse du vocabulaire, c'est aussi la richesse de la pensée,
02:35 c'est une pensée plus nuancée, plus précise, et finalement une pensée qui est précise,
02:40 elle se réalise dans un certain vocabulaire, dans une certaine façon de s'exprimer,
02:44 et c'est ça qui me semble capital, parce qu'on voit ce que ça donne,
02:46 quand on n'a pas les mots, on se sert d'autre chose que des mots malheureusement.
02:50 – Alors vous allez donner dans un instant des conseils à tous les parents qui nous regardent
02:53 et qui se disent comment je pourrais faire aimer l'orthographe à mes enfants,
02:56 peut-être qu'ils peuvent s'y atteler cet été, on en parle dans un instant,
02:58 mais d'abord j'aimerais vous montrer quelques chiffres, ce sont ceux d'une dictée,
03:02 vous qui en avez rédigé des nombreuses, des dictées notamment pour des concours d'orthographe,
03:06 l'Éducation nationale a proposé la même dictée en 1987 à des élèves et la même en 2021,
03:13 et bien ceux de 2021, les élèves d'aujourd'hui pour ainsi dire,
03:17 font deux fois plus de fautes qu'en 1987, comment est-ce qu'on explique ce déclin-là ?
03:23 Est-ce que par exemple les nouvelles technologies, les SMS
03:25 et ce langage très différent et digital a accéléré le déclin ?
03:30 – Non je pense pas, je pense que ça c'est un faux problème,
03:32 au contraire je pense que les nouvelles technologies,
03:34 ça peut un petit peu jouer à la marge,
03:36 mais je pense que les nouvelles technologies, les réseaux sociaux, les SMS,
03:39 au contraire c'est quelque chose qui est libérateur,
03:42 on se rend compte par exemple qu'on écrit beaucoup plus qu'avant,
03:44 et ça c'est vraiment intéressant.
03:45 – Donc écrire c'est qui ? C K I c'est libérateur pour vous ?
03:48 – Non non non, c'est libérateur dans la mesure où en amont,
03:54 enfin pas en amont mais parallèlement on maîtrise l'autre code,
03:56 et c'est ça qui est plus difficile, c'est-à-dire avant en gros on nous demandait
04:00 de maîtriser le code classique de la langue un petit peu académique,
04:04 maintenant il y a cette libération de l'écriture et de la parole
04:07 via les réseaux sociaux, via les nouvelles technologies,
04:11 et donc ça demande une nouvelle compétence,
04:12 c'est-à-dire que vous maîtrisez, vous devez maîtriser à la fois
04:16 un code qui est plus académique, un code qu'on vous apprend à l'école,
04:19 qui peut paraître un petit peu poussiéreux,
04:21 qui peut paraître un petit peu, qui ressemble parfois à une corvée,
04:24 à quelque chose voire de traumatisant pour certains,
04:26 mais à côté il y a toute cette langue qui finalement n'est pas inintéressante.
04:29 Quand vous écrivez c'est qui ?
04:31 Finalement vous faites un petit peu du Raymond Queneau,
04:32 qui je vous rappelle au début de "Résidez dans le métro"
04:34 écrivait "d'où qui pue donc temps" en phonétique.
04:37 Rabelais a joué beaucoup avec les mots,
04:40 Queneau, Loulipo, le fameux groupe littéral Loulipo,
04:43 jouent beaucoup avec les mots, jouent beaucoup avec les lettres.
04:45 Au Moyen-Âge les copistes utilisaient déjà des abréviations,
04:48 donc moi j'aime bien dire que c'était les précurseurs du SMS,
04:50 donc il y a toujours eu comme ça ce système d'abréviation,
04:52 et donc c'est vrai que le maîtriser c'est bien,
04:55 mais il y a l'autre code aussi qu'il convient de maîtriser pour pouvoir…
04:58 Donc en termes d'outils pédagogiques à la fois à l'école,
05:01 dans la salle de classe et pour tous les parents qui nous regardent,
05:04 finalement des jeunes qui vont sur internet,
05:06 qui se nourrissent de vidéos YouTube,
05:08 qui se nourrissent de textes de rappeurs,
05:10 ce n'est finalement pas totalement contre-intuitif
05:13 par rapport à l'apprentissage de l'orthographe ?
05:14 Non pas forcément parce que…
05:15 Et du français en général ?
05:16 Et c'est là où on peut montrer que le français ou la langue
05:20 peut retrouver le sens,
05:22 notamment l'apprentissage du français,
05:24 qu'il a perdu malheureusement souvent dans l'enseignement pour bien des élèves.
05:27 C'est-à-dire que quand ils sont à l'école en gros ils apprennent du français,
05:30 mais ça n'a rien à voir avec leur vie quotidienne.
05:32 Mais ça fonctionne aussi pour les maths ou l'histoire géographie,
05:34 ce n'est pas que le français.
05:35 Est-ce que le niveau des élèves baisse,
05:37 puisque ça semble une certitude quand on regarde les chiffres,
05:40 parce que celui des professeurs baisse
05:43 et parce que celui des professeurs,
05:45 en tous les cas dans leur originalité, baisse ?
05:47 Alors je pense que dire que le niveau baisse en orthographe et en grammaire,
05:51 c'est plutôt vrai, sans être catastrophiste,
05:53 ni dire "oh là là, ça aurait crié en poussant des…".
05:55 Sans catastrophisme, il y a une réalité.
05:56 Mais je pense qu'effectivement depuis les années 80 ou 90,
05:59 après il faut voir aussi qu'on a démocratisé l'enseignement,
06:01 c'est-à-dire on amène plus d'élèves jusqu'au bac,
06:04 donc forcément statistiquement ça écrase un peu le niveau.
06:08 Forcément en démocratisant, en élargissant la base des bacheliers,
06:11 forcément tout le monde ne peut pas avoir 20 sur 20 en langue française.
06:15 Donc c'est vrai qu'il y a ce problème-là.
06:17 Après il y a effectivement une crise, on le sait, de recrutement des professeurs,
06:20 donc là aussi il faudrait peut-être travailler là-dessus.
06:23 Est-ce qu'il faut acheter des cahiers de vacances
06:25 pour les élèves et les jeunes qui sont sur les plages
06:28 et qui peut-être entre deux châteaux de salles
06:31 pourraient s'améliorer en orthographe et dans d'autres domaines ?
06:33 Je ne voudrais pas déplaire aux éditeurs parce que je sais que c'est important pour eux.
06:37 Mais la réponse est non.
06:39 Si l'enfant est volontaire, s'il veut bien, oui.
06:40 Mais je pense que ça concerne quand même un nombre très restreint d'enfants.
06:44 En revanche, je plaide plutôt pour leur lâcher un petit peu la grappe,
06:47 entre guillemets, si je peux pas faire cette expression.
06:49 Et puis peut-être plutôt, plus sérieusement, les encourager évidemment à lire.
06:52 Alors pas forcément à lire tout de suite du Flaubert ou du Balzac,
06:54 parce que voilà, quand on n'a jamais vraiment lu,
06:56 je ne sais pas, lire des mangas, des bandes dessinées.
06:59 Alors évidemment, il y a manga et manga, il y a bande dessinée et bande dessinée,
07:01 donc des choses plutôt de qualité.
07:03 Ensuite, pourquoi pas Harry Potter ? Voilà, des choses comme ça.
07:05 Et les amener petit à petit à trouver un livre qu'ils aiment.
07:08 Moi, je pars du principe qu'il y a toujours au moins,
07:10 ça je l'ai pu constater avec des élèves dans mon expérience,
07:12 il y a un livre à un moment donné qui a pu ou bien les marquer
07:15 ou alors être le déclencheur de,
07:19 sinon d'un amour pour la lecture, du moins d'un certain goût.
07:21 - Eh oui, c'est ça peut-être qu'il faut faire cet été,
07:24 découvrir de nouvelles pistes de lecture.
07:27 Vous en avez donné en tous les cas des conseils à tous les parents qui nous regardent.
07:29 Merci Julien Soulier.
07:31 Peut-être que les plus jeunes ne trouveront pas votre livre tout à fait accessible pour l'instant,
07:35 mais en tous les cas, si vous pensez, le pourquoi, les pourquoi du français,
07:39 c'est aux éditions First sans question légitime que vous vous posez sur la langue française.
07:44 Merci d'être venu sur le plateau de Télémathèque.

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