L'interview d'actualité - Karine Dijoud

  • l’année dernière
Karine Dijoud, professeure de lettres classiques et instagrameuse, est l'invité de 8h15 sur le plateau de Télématin, pour nous parler de la langue française, à l'occasion de l'inauguration de la cité internationale de la langue française ce matin par le président de la République. 

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Transcription
00:00 Bonjour Karine Dijoux, merci beaucoup d'être avec nous dans Télématins.
00:02 Bonjour.
00:03 Alors Jean-Baptiste le disait, Emmanuel Macron inaugure aujourd'hui la Cité internationale de la langue française.
00:07 C'est un beau projet culturel qui vise à mettre à l'honneur notre langue, son histoire, la francophonie.
00:13 Est-ce que déjà vous, vous trouvez que c'est une bonne idée ?
00:15 Je trouve que c'est une excellente idée parce qu'on met la lumière sur la langue française, enfin.
00:21 Et à quoi ça va servir concrètement ?
00:23 Ça sert à avoir un lieu, déjà un lieu qui est consacré, c'est la première fois que je voyais ça.
00:28 Et ce n'est pas un musée, je tiens vraiment à le dire après l'avoir visité.
00:31 Ce n'est pas un endroit où les choses sont pétrifiées, c'est un lieu de vie,
00:34 un lieu extrêmement vivant où de nombreuses personnes vont se rendre.
00:38 Alors c'est un projet qui ne plaît pas à tout le monde.
00:40 C'est le cas de l'académicien Jean-Marie Rouart qui a publié une tribune dans le Figaro.
00:45 Pour lui, je cite, "Aucun intérêt à sanctifier un symbole dans le même temps où l'on abandonne la langue française
00:52 est une inéluctable détérioration qui la condamne à devenir une langue morte remplacée peu à peu par un sabir franco-anglais".
01:00 Il est réac ou il a raison ?
01:02 Alors j'ai rencontré Jean-Marie Rouart puisque je défends moi aussi la langue française
01:08 tout en acceptant toutes les évolutions de la langue.
01:10 C'est un homme brillant, je n'ai jamais vu ça.
01:13 Pour la petite anecdote, je lui avais dédicacé mon livre et à chaque fois je pose une question
01:17 et j'avais dit "Qu'est-ce qu'un brimborion ?"
01:19 C'est la seule personne qui m'ait répondu en disant "Qu'est-ce qu'un brimborion ?"
01:22 Un brimborion c'est un petit objet de peu de valeur.
01:24 D'accord.
01:25 Et donc je le trouve extrêmement sympathique.
01:27 En revanche, je ne partage pas son point de vue parce que je trouve que ça fait du bien d'avoir ce lieu-là.
01:32 Je comprends, j'entends tout à fait ses craintes.
01:35 Qu'est-ce que vous comprenez dans ce qu'il dit là ?
01:36 Je comprends.
01:37 Alors moi j'avais lu une autre citation mais je vois ce qu'il veut dire.
01:40 C'est-à-dire qu'il trouve que le président n'a pas suffisamment défendu la langue
01:44 et moi je n'ai pas le même point de vue.
01:46 Je ne suis pas du tout investie en politique.
01:48 En revanche, j'ai toujours aimé écouter les discours du président
01:51 que je trouvais extrêmement littéraires, avec des figures de style,
01:54 avec des références très classiques mais des références à de grands auteurs
01:58 et également avec des mots désuets, des mots à sauver.
02:00 Alors qu'est-ce que vous en pensez vous de l'évolution de la langue française ?
02:03 Par exemple, on sait qu'aujourd'hui le Sénat examine une proposition de loi
02:07 pour interdire l'usage de l'écriture inclusive dans les documents officiels.
02:11 Qu'est-ce que vous en pensez de ça ?
02:12 Alors l'écriture inclusive c'est un sujet très très délicat
02:16 que je n'ai pas encore abordé sur mon compte Instagram
02:18 alors qu'il y a beaucoup de demandes.
02:20 De mon point de vue, à chaque fois que je lis un texte en écriture inclusive,
02:23 j'ai beaucoup de mal à le comprendre, notamment à cause du point médian.
02:26 On a l'impression qu'il y a une espèce de ponctuation,
02:29 un point à l'intérieur de la phrase et on a du mal à respirer.
02:32 En revanche, il y a des choses que je trouve très intéressantes.
02:35 Le "iel", j'ai aussi du mal à l'utiliser.
02:37 Donc il y a des choses à prendre à l'essai.
02:39 Je pense qu'une fois de plus, ça va mettre du temps, il faut s'adapter.
02:42 Mais je trouve que c'est une décision qui me semble nécessaire en ce moment,
02:47 vu l'état des choses actuelles.
02:48 D'interdire l'écriture inclusive dans les documents officiels ?
02:50 Dans les textes officiels, je comprends.
02:53 Oui, je le comprends.
02:54 Est-ce que vous pensez qu'il faut mettre la langue française sous cloche,
02:56 qu'il ne faut plus le toucher ?
02:57 Non, au contraire.
02:58 Comment elle peut évoluer cette langue française ?
03:00 C'est pour ça que je ne comprends pas le point de vue de Jean-Marie Roir
03:03 parce que ce qui prouve qu'elle est vivante, c'est justement tous ses apports.
03:06 Moi qui enseigne le latin également, le latin c'est une langue morte malheureusement,
03:10 même si elle est encore parlée au Vatican, parce qu'il n'y a plus d'apport en français.
03:13 Je trouve que c'est ça qui fait sa beauté, et même les mots qu'inventent les jeunes,
03:17 je trouve ça génial de voir qu'on peut jouer avec la langue
03:20 et avoir de nombreux apports d'autres langues.
03:22 Ce n'est pas l'avis de l'Académie française qui est assez réfractaire à ces nouveaux mots.
03:26 Elle est souvent taxée d'ailleurs d'une vision trop élitiste de la langue française,
03:30 un peu retardataire sur son époque.
03:32 Est-ce que vous pensez qu'il faut réformer l'Académie française ?
03:35 Je trouve qu'ils sont extrêmement honorables,
03:40 mais je pense qu'il y a des choses à apporter.
03:42 En effet, peut-être rajeunir les membres de l'Académie française,
03:46 et puis faire en sorte qu'il y ait plus de femmes, plus de linguistes, même s'il y en a.
03:50 Parce que c'est souvent une critique qu'on entend tout le temps,
03:52 il n'y a pas de linguistes s'il y en a.
03:54 Mais je pense qu'il faut apporter un souffle nouveau au sein de l'Académie,
03:57 et en même temps c'est nécessaire qu'elle existe,
03:59 parce que le fait de fixer des règles, de les établir de manière claire,
04:02 c'est comme ça qu'on peut mieux s'entendre et mieux s'exprimer.
04:04 Alors on va revenir à la langue française.
04:06 Quelle est l'erreur qui vous agace le plus ?
04:08 Par exemple, moi c'est les gens qui croivent, les gens qui voyent.
04:12 Ça, ça m'agace. C'est quoi qui vous agace le plus ?
04:14 Moi c'est le "je vous partage", que j'entends absolument partout.
04:17 Dans quelle phrase par exemple ?
04:18 Par exemple, "je vous partage l'actualité du jour".
04:20 Et donc ça c'est pour ?
04:22 C'est totalement incorrect.
04:23 Qu'est-ce qu'il faut dire ?
04:24 Il faut dire "je partage avec vous".
04:25 D'accord.
04:26 Et je ne sais pas d'où vient l'erreur, ce n'est même pas un anglicisme,
04:29 parce que souvent ça vient de l'anglais, et là même pas.
04:31 Et ça devient, notamment sur les réseaux sociaux, ou dans les podcasts,
04:34 ou dans les médias, ça devient viral.
04:37 Donc pour toutes les Instagrameuses qui nous regardent,
04:39 on ne dit plus "je vous partage mes petites astuces beauté",
04:42 mais "je partage avec vous".
04:43 Voilà, c'est votre conseil.
04:45 Vous êtes enseignante depuis 20 ans,
04:47 est-ce que vous avez constaté une forte baisse en orthographe chez les élèves ?
04:52 Et si oui, pourquoi ?
04:53 Alors il y a une baisse indéniable, c'est certain.
04:56 Mais ce n'est pas non plus extrêmement marqué.
04:59 La raison principale, en tout cas au-delà de ma propre expérience,
05:03 c'est que dans les années 80, il y avait encore 6 heures de français par semaine.
05:06 Là maintenant, nous, on a 4 heures de français.
05:08 Donc forcément, il y a l'oral qui est valorisé, ce que je trouve très bien,
05:12 mais ça devient forcément au détriment de l'écrit.
05:14 J'essaie d'intégrer des dictées de plus en plus, même si c'est controversé,
05:18 mais les dictées, l'essentiel c'est la correction.
05:20 Et une bonne correction.
05:21 Vous pensez qu'il faut conserver les dictées à l'école ?
05:23 Oui, ça me semble vraiment nécessaire,
05:24 parce que quand on fait une bonne correction, on ne rend pas la dictée,
05:26 on pointe d'abord les erreurs les plus fréquentes, les erreurs et non les fautes,
05:30 parce que je sais qu'il y a un côté très moral dans le terme "faute" que je n'emploie pas.
05:33 Et à partir de là, les élèves progressent.
05:35 Moi, j'ai vu des élèves passer d'un 1, parce que je ne mets jamais zéro,
05:39 je mets 1 pour la présentation, à un 14 en fin d'année grâce aux corrections.
05:42 Alors vous, vous avez créé un compte Instagram où vous donnez vos conseils
05:45 pour mieux écrire et mieux s'exprimer en français, ça s'appelle les parenthèses alimentaires.
05:49 Vous avez plus de 140 000 followers.
05:51 Est-ce que vous pensez que finalement, c'est un sujet qui compte pour tout le monde ?
05:54 Oui, ça a été un étonnement pour moi.
05:56 Je ne pensais pas avoir autant d'abonnés sur un compte spécifique langue française.
06:00 Et ça me fait plaisir de voir à quel point c'est un succès incroyable.
06:03 Depuis quelques mois, c'est en évolution et j'ai des interactions avec mes abonnés,
06:08 j'ai des centaines de messages tous les jours.
06:10 Merci beaucoup, Karine Dijoux.
06:11 Je rappelle que vous êtes enseignante en lettres classiques,
06:14 très active pour la langue française sur les réseaux sociaux,
06:16 avec votre compte les parenthèses alimentaires.
06:18 Et je rappelle votre livre "Le français avec style" publié chez First.
06:22 Merci beaucoup.

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