Barbara Cassin, philosophe et philologue, membre de l'Académie française est l'invitée de France Inter à l'occasion de l'inauguration ce lundi de la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, dont elle est la co-commissaire scientifique du parcours de visite. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-30-octobre-2023-8491248
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00:00 Marion Lourd, votre invitée ce matin est philosophe et membre de l'Académie française.
00:04 Elle est aussi et aujourd'hui surtout commissaire de l'exposition permanente de la Cité Internationale
00:08 de la langue française à Villers-Cotterêts dans l'Aisne dont on parlait à l'instant
00:11 dans l'édito politique.
00:12 Cité inaugurée aujourd'hui par le Président de la République.
00:15 Vous êtes d'ailleurs avec nous en direct de Villers-Cotterêts.
00:18 Bonjour Barbara Cassin.
00:19 Bonjour.
00:20 Alors en général quand on inaugure un musée ou un monument historique comme cette cité,
00:24 on parle de quelque chose qui appartient à l'histoire.
00:26 Le français c'est une langue morte, en tout cas quelque chose qui appartient à l'histoire ?
00:30 Pas du tout.
00:31 Le français c'est une langue vivante et qui est en flux continu comme toutes les langues.
00:36 Elle s'invente tous les jours.
00:37 Et lors du dernier sommet de la francophonie, Emmanuel Macron parlait quand même du terme
00:41 de reconquête pour la langue française.
00:43 Il disait il faut reconquérir la langue française.
00:45 Donc vous ne souscrivez pas à cette expression ?
00:47 Si, pourquoi pas.
00:49 Reconquérir et reconquérir c'est sans cesse.
00:53 Je veux dire qu'on parle français en France et on parle français hors de France et certainement
01:01 jamais assez.
01:02 C'est tout.
01:03 On parle français hors de France.
01:04 Le pays francophone aujourd'hui le plus peuplé, ce n'est pas la France, c'est la République
01:08 démocratique du Congo.
01:10 La véritable langue française, elle vit justement hors de France ?
01:13 Non, la véritable langue française, elle vit partout là où on la parle.
01:19 C'est-à-dire aussi bien en France qu'hors de France.
01:21 Et justement, elle bouge, c'est un flux et c'est une réinvention continue.
01:26 Et qu'est-ce que ça veut dire une langue monde, puisque c'est le terme qui est utilisé
01:30 par le ministère de la Culture et qui donne son nom notamment à une des salles de la
01:34 cité de la langue française ?
01:36 Oui, à un des bouts du parcours.
01:39 Ça veut dire qu'elle se parle ailleurs qu'en France et qu'elle se parle sur tous
01:43 les continents.
01:44 C'est vrai.
01:45 Elle se construit aussi ailleurs qu'en France ?
01:50 Elle se construit aussi ailleurs qu'en France et elle se construit aussi en France
01:54 d'un tas de façons différentes entre les langues régionales et les langues de France
01:59 qui ne sont pas seulement le français.
02:01 Elle se construit au contact des autres langues, comme toujours.
02:04 Comment on fait vivre cette langue qui est vivante, vous le dites, qui est évolutive,
02:10 comment on le fait vivre dans une cité ? Vous ne voulez pas du terme de musée, mais dans
02:15 une cité comme celle-ci ?
02:16 On la fait vivre de manière d'abord très ludique et participative.
02:23 C'est vraiment un parcours qui a été fait pour tout le monde, depuis les collégiens
02:29 jusqu'au président de la République.
02:31 Ça, ça me paraît très important.
02:33 Et puis, on peut inventer ensemble.
02:38 On peut faire ensemble une dictée atroce, on peut chercher un mot nouveau.
02:44 On peut inventer un mot nouveau, on peut choisir le meilleur mot pour dire quelque chose.
02:51 Et on peut comparer les différentes langues et les différentes manières de dire le français.
02:56 Alors, vous parliez de cette dictée atroce.
03:00 Il y a aussi un ciel lexical.
03:02 Qu'est-ce que c'est un ciel lexical ?
03:03 C'est une jolie chose.
03:07 Ce sont des mots qui sont suspendus dans la cour du jeu de paume.
03:12 On lève la tête et on voit des mots qui viennent d'un peu partout, dans tous les
03:19 français.
03:20 Alors moi, qui suis philosophilologue, un peu linguiste, j'ai regretté que dans ces
03:25 mots, il n'y ait pas les conjonctions, par exemple.
03:27 Je trouve qu'une langue sans conjonction, ce n'est pas une langue.
03:30 Vous pensez à quoi ?
03:31 Du moins le français.
03:32 Que ! Que ! Où !
03:34 Ah oui, juste ça.
03:36 Parce que là, c'est vrai que ce sont des mots comme kiffer, clavardage.
03:40 Oui, oui.
03:41 Ils sont charmants ces mots.
03:42 Ils sont choisis.
03:43 Il y a des très beaux mots de la langue française, profonds, historiques.
03:48 Et puis il y a des mots nouveaux qui se baladent.
03:50 Mais c'est charmant.
03:51 C'est une jolie chose.
03:54 Il y a une bibliothèque magique aussi.
03:56 Qu'est-ce que c'est une bibliothèque magique ?
03:57 Alors ça, je ne sais pas vraiment.
04:00 C'est un lieu dans lequel on rentre et on vous pose des questions.
04:06 Une intelligence artificielle vous pose des questions.
04:07 Vous y répondez et elle vous conseille.
04:11 Elle vous conseille un livre et elle vous le montre.
04:13 Et elle vous le lit un petit peu.
04:15 Donc voilà, selon vos réponses.
04:17 La direction du musée espère attirer quand même 200 000 visiteurs par an, soit le même
04:22 nombre de personnes que le centre Pompidou à Metz.
04:24 Mais pour un bassin de population qui est évidemment moins important.
04:28 C'est ambitieux.
04:29 Comment vous allez faire pour les attirer ?
04:30 D'abord, ce n'est pas un musée.
04:34 C'est un lieu très vivant.
04:36 Il va y avoir aussi bien des chercheurs, des artistes, des spectacles.
04:44 Et puis, je pense que si vous voulez, il y a bien des gens qui vont à Disney.
04:50 Moi, j'aimerais qu'ils viennent là.
04:52 Et comment alors ?
04:53 Comme on fait pour Disney.
04:59 En mettant des choses passionnantes, plus passionnantes qu'à Disney encore, je crois.
05:07 Et en les mettant à disposition.
05:09 Et en faisant en sorte que les trajets soient faciles.
05:13 Moi, j'ai vu la dernière fois que j'étais à l'aéroport de Charles de Gaulle, j'ai
05:16 vu un bus pour Disney.
05:18 Mais voilà, il faut faire des bus pour Villers-Cotterêts.
05:20 Ce n'est pas encore prévu, d'autant plus que l'infrastructure hôtelière n'est
05:23 pas au rendez-vous, si j'ai bien compris.
05:25 Ça vient, ça vient.
05:26 On ne va pas tout faire en même temps.
05:28 Mais ça vient.
05:29 Et moi, je dors dans un hôtel absolument charmant pour l'instant, de ce dont je vous
05:34 parle.
05:35 En tout cas, vous avez l'air d'avoir confiance dans cette jauge de 200 000 visiteurs qui
05:40 est prévue, malgré le fait qu'il y ait un déficit de 6 millions d'euros qui est
05:43 budgété pour les premières années de la cité.
05:45 Je crois que c'est toujours comme ça.
05:48 Moi, je n'y connais pas grand-chose.
05:50 Et je crois qu'on parle beaucoup de ce que ça a coûté.
05:54 Mais ça a coûté pas plus, ça a coûté plutôt moins qu'un rafale, mais pas plus
05:58 qu'un autre musée au sein de Paris.
06:01 Pas plus qu'au Mucem, où j'ai fait des expositions.
06:05 Et je crois que c'est vraiment la norme.
06:08 Il va falloir attendre que ça vienne.
06:11 Cela dit, le coût du budget du chantier a doublé.
06:15 Au départ, il devait coûter 110 millions d'euros.
06:17 Finalement, 210 millions d'euros à l'arrivée.
06:19 Est-ce que ça vaut ce coût ?
06:21 Venez voir.
06:22 Je crois que oui.
06:24 Et je crois que c'est le seul château de la Renaissance qui était quand même un dépôt
06:28 de mendicité à la fin.
06:30 Et un asile de vieillards avec des couches par terre.
06:34 Moi, j'ai vu comment c'était.
06:36 Je veux dire que c'est vraiment un château sublime.
06:39 Maintenant, venez voir.
06:40 Barbara Cassin, la ville de Villers-Cotterêts, elle est dirigée depuis 2014 par un maire
06:44 Rassemblement National, Franck Briffaut.
06:47 En inaugurant cette cité internationale de la langue française, je le disais, l'Elysée
06:52 est une langue au monde, une cité qui raconte aussi les origines du français, donc dans
06:56 les langues étrangères.
06:57 Il y a un message politique derrière tout ça ?
06:59 Mais forcément, dès qu'on parle de langue, il y a un message politique.
07:03 Et à Villers-Cotterêts encore plus, puisque c'est là que François Ier a quand même
07:07 décidé que la langue maternelle française serait la langue dans laquelle seraient transcrits
07:14 tous les actes administratifs, etc.
07:18 Donc, une langue d'union, si vous voulez.
07:20 Une langue d'union de la France.
07:21 Donc bien sûr, il y a un message politique, mais il y a un message politique très soucieux
07:26 de la diversité.
07:27 C'est-à-dire que soucieux de la diversité des Français, à l'intérieur du français,
07:32 des langues régionales par exemple, et soucieux de la diversité hors de France avec la francophonie.
07:37 Et ça, ça me paraît essentiel, vous voyez.
07:39 C'est à la fois politique dans tous les sens du terme.
07:42 Faire, si vous voulez, quelque chose comme nation.
07:47 Bon, le rapport entre langue et nation n'est plus à démontrer.
07:51 C'est un peu un rapport qui peut dégénérer.
07:55 On ne dit pas le contraire.
07:57 Et moi qui ai travaillé avec Heidegger, je le sais.
08:00 Mais c'est aussi un rapport d'inclusion complète et de pratique d'amour de la
08:09 langue.
08:10 C'est surtout ça, je crois, qui va transparaître dans le parcours permanent de ce qui n'est
08:16 pas un musée mais une cité.
08:18 C'est qu'on peut jouer avec la langue qu'elle est à vous.
08:21 Et à propos d'inclusion, Barbara Cassin, les sénateurs examinent ce soir, c'est
08:25 un hasard du calendrier, une proposition de loi pour protéger la langue française, je
08:28 cite, des « dérives de l'écriture dite inclusive », une forme d'écriture neutre
08:33 où le masculin ne l'emporte pas toujours, comme c'est le cas dans la langue habituellement.
08:37 C'est une dérive, vraiment, l'écriture inclusive.
08:39 Et est-ce qu'elle a sa place dans la cité ?
08:40 Oui, elle a un petit peu sa place dans la cité.
08:43 On en parle dans une des salles, dans la salle des dictionnaires, des niveaux de langue,
08:50 etc.
08:51 Mais si vous voulez, moi, malgré tout, je suis académicienne.
08:54 Bon, je ne sais pas si c'est une catastrophe nationale, je ne sais pas si c'est un danger
09:01 public.
09:02 Mais ce que je sais, c'est que je n'aime pas ça, je n'aime pas qu'il y ait une
09:05 telle différence entre l'écrit et l'oral.
09:08 Je ne prononce pas l'écriture inclusive et elle me dérange.
09:13 Elle me dérange pour la lire et elle me dérange évidemment pour la prononcer.
09:16 Vous êtes plutôt d'accord avec les sénateurs.
09:18 Merci Barbara Cassin, commissaire de l'exposition permanente de la Cité internationale de la
09:23 langue française dont France Inter est partenaire.
09:25 Cité inaugurée aujourd'hui par le président de la République.
09:27 Elle ouvre au public mercredi prochain.
09:30 Bonne journée à vous Barbara Cassin.
09:31 Merci Marion Lourd.