Maya Lauqué reçoit aujourd'hui l'artiste contemporain JR.
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00:00Bonjour Maïa. Merci d'être avec nous ce matin. Merci de me recevoir. Vous avez fait disparaître la pyramide du Louvre, vous avez transformé l'Opéra de Paris en caverne,
00:09vous avez posé la tour Eiffel au bord d'un précipice, vous êtes aussi celui qui a fait rire et dialoguer à travers vos photos israéliens et palestiniens,
00:21à travers décollage des deux côtés du mur de séparation. D'abord, première question d'actualité avant de parler de votre nouveau projet,
00:28ça vous fait quoi dans le contexte actuel de revoir ces photos aujourd'hui ?
00:31Beaucoup d'émotions bien sûr, j'y suis retourné depuis 20 ans énormément, on a fait tellement de projets là-bas que bien sûr aujourd'hui,
00:40mon envie c'est d'y retourner et de pouvoir continuer à travailler là-bas.
00:43Dans votre travail ces dernières années, il y a aussi cette photo d'une petite fille ukrainienne à Lviv, c'était en 2022.
00:51Est-ce que l'art peut avoir à un moment donné plus d'impact que la politique ?
00:56Je pense parce que l'art permet de rassembler des fois, de faire des images tellement grandes, c'était le cas d'ailleurs lors de cette action,
01:05parce qu'il était possible d'aller au cœur de la guerre à ce moment-là en Ukraine et on avait agrandi cette petite fille en 45 mètres de long
01:13pour que les avions russes puissent la voir ou les voir voir les enfants quand ils survolaient l'Ukraine.
01:18Et ensuite des gens d'ailleurs à Paris, en Allemagne, en Italie, un peu partout dans le monde ont repris cette grande image et l'ont ouverte,
01:24ont continué à l'ouvrir à plein d'endroits comme un symbole.
01:27Qu'est-ce qui vous motive quand vous allez mener un projet sur un territoire de guerre ou dans une prison américaine comme ce projet dont on va parler dans un instant ?
01:36Je pense que moi c'est l'humain en général et pour moi l'art permet de rassembler et tout mon processus c'est de rassembler le plus de gens,
01:46de créer le plus d'interactions où que ce soit en fait, que ce soit devant la pyramide du Louvre ou dans une prison de sécurité aux Etats-Unis.
01:53C'est montrer que l'art n'a pas de frontières et ce qui m'intéresse c'est d'observer l'impact que peut avoir l'art et c'est là que ça devient intéressant.
01:59Ce projet il s'appelle Théâtre Chapitre, c'est un documentaire sur le trompe-l'œil géant que vous avez réalisé en 2019 dans une prison américaine de haute sécurité.
02:0728 prisonniers sélectionnés pour participer au projet. On regarde un extrait et on s'en parle après.
02:17J'ai passé 14 ans dans ces cages.
02:2014 ans à l'intérieur d'une cage comme ça ?
02:25Comme un animal.
02:26Quand tu traites quelqu'un d'une certaine façon, ils commencent à s'habiller comme aujourd'hui.
02:29Et tu penses que tu en étais un ?
02:32Oui.
02:34Le documentaire sortira mercredi prochain au cinéma. Là encore c'est une proposition qui vous a été faite d'aller à la rencontre de ces prisonniers qui vivent en cage comme on vient de le voir là.
02:44En fait c'est une histoire dingue. On m'a donné un permis total pour aller dans n'importe quelle prison en Californie.
02:49Et donc je pouvais rentrer sans même être fouillé d'ailleurs. J'avais même mon téléphone avec moi.
02:53Donc ça a commencé d'ailleurs sur mon compte Instagram où je postais des vidéos de ces rencontres, des gens avec qui je parlais dans la prison.
03:01Notamment d'un certain prisonnier qu'on suit tout au long du film qui s'appelle Kevin qui a une croix gammée sur le visage.
03:07Et en postant sur les réseaux, les gens répondaient. Je lui lisais les commentaires ou je disais aux autres d'ailleurs les commentaires et eux répondaient aux personnes.
03:14Et ça permettait comme ça une espèce de pont invisible avec l'extérieur qui a eu un impact énorme.
03:20Puisque ensuite quand on a commencé à recouvrir toute la prison avec pas seulement les prisonniers mais aussi les victimes et les gardiens, il y a eu tout un dialogue qui s'est créé.
03:29Et c'est incroyable ce qui s'est passé parce que sur les 4 ans, on a réussi à faire sortir plus de la moitié des prisonniers qui étaient là, qui avaient déjà fait des longues peines.
03:37De sortir de niveau 4 donc de cette prison très sécurisée pour aller vers le niveau 3 et même certains plus tard.
03:44Et ensuite la plupart sont sortis. C'est-à-dire 100% est passé en niveau 3 et 2 et la moitié ensuite est sortie ensuite là.
03:50Il faut savoir que, et c'est important de le rappeler, j'avais dit autour de cette table où j'avais une trentaine de prisonniers,
03:56s'il y a quelqu'un autour de cette table qui a des victimes à l'extérieur que ça pourrait choquer de pouvoir être dans un projet comme ça, je vous déconseille.
04:02Et il y en a pas mal qui étaient partis. Ceux qui restaient c'était surtout des gens qui avaient fait partie de gangs, des gens qui étaient rentrés en mineurs aux États-Unis.
04:09On peut prendre prison à vie sans avoir tué personne quand on était mineur.
04:13Certains qui sont dans cette prison ont eu des peines de 100 ans de prison. Ils vont, pour certains d'entre eux, passer leur vie derrière les barreaux.
04:21Est-ce que vous avez eu peur notamment au début et face à ce fameux Kevin avec sa croix gammée tatouée sur la joue par exemple ?
04:29C'est ça qu'est-ce qui pourrait faire qu'un jour je puisse même avoir une conversation avec quelqu'un comme Kevin.
04:34Mais je pense que c'est normal qu'on ait peur de l'autre. On le vit encore plus aujourd'hui, nos peurs sont exacerbées.
04:41J'étais là au milieu de cette prison avec ce mec avec cette croix gammée et je me dis que si je ne lui demande pas, si je ne parle pas avec lui maintenant, je ne pourrais jamais le faire.
04:49Et en fait de cette conversation, je me suis rendu compte de quelque chose de fascinant.
04:53C'est qu'il avait commencé à changer, mais pour moi c'était très dur de le voir parce qu'il avait encore cette croix gammée et tous ses tatouages.
04:59Mais ça me fascinait de me dire est-ce que quelqu'un peut changer ? Et si moi j'ai changé, pourquoi pas lui ?
05:04Et sur ces quatre ans, je l'ai suivi jusqu'à ce qu'il sorte. D'ailleurs il est en France aujourd'hui, il tourne dans les avant-premières, c'est assez fascinant.
05:11Pourquoi il est accueilli dans les avant-premières ?
05:13Mais les gens lui font des câlins énormes, c'est hallucinant ce qui se passe.
05:18Parce que je pense que, je l'avais vu par les réseaux sociaux juste avant, les gens voient profondément qu'il a changé.
05:24Et ça questionne tellement de manière inattendue que pour moi c'est un message extrêmement fort mais sur lequel il y avait un risque.
05:33Et qui dépasse la question des prisons aux États-Unis.
05:36C'était ça l'idée de travailler sur le pardon, sur la reconstruction, où vous vouliez dénoncer les conditions d'incarcération.
05:45Qu'est-ce qui était au cœur du travail ?
05:47Ce n'est pas un film sur les prisons. La toile de fond, c'est cette prison de sécurité.
05:51Mais en fait je pense que c'est une métaphore et ça met en miroir notre société à l'extérieur.
05:56Parce que ce qui était vraiment intéressant de faire au cœur de cette prison, c'est qu'on a pu mesurer l'impact de l'art.
06:01Moi j'ai travaillé dans beaucoup d'endroits sur 10 ans, 15 ans, 20 ans.
06:04Mais je n'ai jamais pu mesurer précisément pour voir comment l'art a pu changer les choses.
06:09Et c'est très impressionnant parce que certains prisonniers disent que parfois on ne leur parle pas, qu'ils sont considérés comme des animaux.
06:16Et on voit que le dialogue se crée notamment avec les gardiens et que ce projet a ramené de l'humanité au sein de cette prison.
06:23C'est ça. Et en fait, on se rend compte, comme vous le disiez, que du fait qu'ils ne se parlent pas, ils ne savent plus qui est l'autre.
06:31Même s'ils passaient du temps. Alors en haute sécurité, c'est presque normal, malheureusement,
06:36parce que c'est la manière dont la prison est construite, l'architecture fonctionne.
06:40Mais l'art a permis de casser tous ces murs. J'avais enregistré les histoires de chacun, aussi des victimes et aussi des gardiens.
06:47Il y a une application qui est gratuite et que eux, ils avaient accès en prison et aussi à l'extérieur.
06:51Vous cliquez sur n'importe quel visage et vous avez toute son histoire racontée par la personne.
06:55Par lui-même.
06:56Exactement. Et ça, ça a eu un impact énorme parce que les gardiens rentraient chez eux et racontaient à leur femme.
07:02« Je t'ai vu à la télé, il paraît que vous êtes dans ce projet-là. »
07:05« Oui, d'ailleurs, ça, c'est un de mes prisonniers. »
07:07« D'ailleurs, elle dit, mais c'est qui lui ? »
07:09« Non, je connais juste son numéro de matricule. »
07:11Puis ils cliquaient dessus et d'un coup, ils écoutaient son histoire le lendemain.
07:14Ils le revoyaient.
07:16Ils disaient bonjour. C'est aussi simple que ça.
07:18C'est pour ça que ce n'est pas que les photos sont incroyables, que j'ai collé des images d'une précision.
07:25C'est juste que d'un coup, les gens se sont remis à parler.
07:27Merci beaucoup, Gilles.
07:28Merci à vous.
07:29Le film sort donc mercredi prochain au cinéma.
07:32Théâtre Chapy, juste une dernière question.
07:34Vous aviez fait des collages et montré vos œuvres au moment des JO de Rio.
07:39Oui.
07:40Vous préparez quelque chose pour les JO de Paris ?
07:42J'ouvre aujourd'hui une exposition à la Galerie Perrotin à Paris, qui sera jusqu'aux JO.
07:46C'est un projet qu'on avait fait sur l'opéra Garnier, qui s'appelait « Qui en perdra ? »
07:49avec Thomas Bangalter et Damien Jalet.
07:51Il y a une exposition qui ouvre aujourd'hui pendant plusieurs semaines.
07:54Merci, JR.
07:55Merci à vous.