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« Ce sera soit une décroissance choisie aujourd’hui, soit un effondrement subi demain »

Qu’est-ce que la décroissance et à quoi ressemblerait un monde post-capitaliste ? Explications de Timothée Parrique, économiste, et tour d’horizon de ces lieux qui ont déjà opté pour une meilleure qualité de vie.
Transcription
00:00 Quand on parle croissance, les gens entendent modernité, progrès, innovation.
00:03 On a l'impression que ça va éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités,
00:06 que ça va créer un emploi de qualité, que ça va financer les services publics.
00:09 On a l'impression que ça va augmenter le bien-être du pays.
00:12 Le problème, c'est que dans les faits, la croissance, l'augmentation du PIB
00:15 n'est plus, dans un pays comme la France,
00:17 corrélée avec l'augmentation de la qualité de vie.
00:20 La décroissance, c'est à la fois une décroyance et une décrue.
00:24 Sur l'aspect décroyance, Serge Latouche, lui,
00:26 il parlait d'une décolonisation de l'imaginaire de la croissance.
00:30 Mais il y a aussi une décrue.
00:31 La décrue, c'est la réduction de la production et de la consommation
00:35 qui permettraient d'alléger l'empreinte écologique.
00:37 C'est la stratégie du renoncement productif, de la sobriété, de la décroissance.
00:42 Ce qui fait l'originalité du concept de décroissance,
00:45 c'est que c'est un ralentissement maîtrisé, planifié de manière démocratique
00:48 pour faire en sorte que ça soit une transition juste
00:51 et une transition qui soit conviviale,
00:52 c'est-à-dire une transition qui se fasse sans perte de qualité de vie.
00:56 De toute manière, les chiffres parlent d'eux-mêmes aujourd'hui sur la situation écologique.
01:00 Ce sera soit une décroissance choisie aujourd'hui,
01:03 soit un effondrement subi demain.
01:05 Et c'est exactement sur cet aspect, quand on parle de planification,
01:08 c'est de réfléchir en avance et de se dire,
01:10 qu'est-ce qu'on va faire pour avoir les filets de sécurité,
01:12 pour protéger ceux qui sont les plus vulnérables ?
01:14 Et quand on imagine cette société post-capitaliste,
01:17 ça vient changer énormément de nos expériences quotidiennes.
01:20 Imaginez par exemple, dans le métro, dans les transports, dans la rue et surtout sur Internet,
01:24 la communication commerciale aurait complètement disparue.
01:27 Alors ça veut pas dire qu'on va prendre tous les publicitaires et les envoyer sur Mars.
01:30 Justement, les publicitaires aujourd'hui sont des gens extrêmement créatifs,
01:34 qui sont en train de gâcher leurs neurones et de l'énergie
01:37 pour convaincre leurs concitoyens d'acheter des 4x4 dont ils n'ont pas besoin.
01:41 On libérerait énormément de neurones disponibles pour travailler sur d'autres problèmes.
01:45 Donc on va voir un véritable retour de la mobilité active,
01:48 une mobilité complètement diversifiée, comme on commence déjà à le voir avec des vélos cargo
01:52 et tous les types de vélos qui vont avec, qui permettent d'organiser les livraisons,
01:55 les pédibus pour amener les enfants à l'école.
01:57 Donc là aussi, ça va radicalement changer l'urbanisme des villes.
02:00 Imaginez une ville sans voiture, une ville partiellement débétonnée
02:04 pour réinviter l'un des acteurs les plus importants de nos sociétés, qui ont la biodiversité.
02:10 Bien sûr, il y a des lieux, des institutions qui vont disparaître.
02:13 L'existence même du centre commercial n'a aucun sens.
02:16 On les construit en périphérie des villes, la seule manière d'y aller, y aller en voiture.
02:20 Ces centres commerciaux sont eux-mêmes des temples de la consommation,
02:24 avec énormément de publicité, où l'on ne se rend que pour consommer
02:28 et où tout est designé justement pour optimiser la consommation.
02:32 Disparition d'autres institutions, bien sûr, si on ferme les lignes nationales d'aviation commerciale,
02:37 les aéroports perdent leur utilité.
02:39 Donc lorsque l'on décide de faire marche arrière, de s'y rabattre trop bien,
02:42 cet aéroport, on va le débétonner et on va le redonner à la nature.
02:47 Transformer en un parc, un jardin partagé, une forêt, le ré-en-sauvager.
02:51 Donc là, c'est une forme d'enrichissement, c'est de la reconstruction écologique.
02:55 On peut aussi faire une certaine reconstruction sociale,
02:57 débétonner une partie et le reste, on va transformer ça en tiers-lieu.
03:00 Pour faire une chorale, du théâtre, des discussions pour les élections,
03:04 ça peut être pour créer une université populaire,
03:06 ça peut être pour des cours de sensibilisation, des fresques du climat.
03:10 Donc aujourd'hui, on se rend compte que tout le monde devrait avoir la capacité,
03:13 partout, surtout dans les quartiers les plus pauvres qui ont été fortement bétonnés,
03:17 d'avoir un accès à la terre pour pouvoir jardiner, pour pouvoir avoir des projets.
03:20 Et on va avoir besoin d'investir dans notre capacité à imaginer des alternatives,
03:24 de changer l'usage de certaines infrastructures, de certains moyens financiers,
03:29 de certains bâtiments, de certaines compétences,
03:31 pour les réallouer en fait à des activités,
03:34 elles centrées sur la qualité de vie, sur la soutenabilité, sur la justice
03:38 et non plus essentiellement sur la décréativité.
03:40 Moi, ce qui me donne de l'espoir, c'est de voir que,
03:42 déjà sur le papier, il y a énormément d'idées,
03:44 mais aussi on a des décennies d'expériences concrètes un peu partout.
03:47 La Nouvelle-Zélande, en 2019, se débarrasse du PIB pour introduire les budgets bien-être.
03:51 Amsterdam qui, dans les années 70, ressemblait à Paris aujourd'hui,
03:54 avec des voitures partout, une pollution insupportable.
03:56 Maintenant, vous baladez à Amsterdam, c'est tout en vélo, ça siffle,
03:59 il y a des abeilles et des oiseaux, parce qu'il y a eu justement des investissements,
04:03 une création de la culture du vélo,
04:04 des choses qui montrent que c'est complètement possible
04:06 d'avoir une ville sans presque aucune voiture.
04:09 On peut regarder aussi les plus de 80 monnaies locales qu'on a en France,
04:12 qui sont des véritables innovations.
04:14 Les gens vous disent tous la même chose, vraiment, dans toutes les cultures, tous les âges.
04:18 J'aurais passé plus de temps avec mes enfants, j'aurais écouté ma passion,
04:20 j'aurais peut-être joué de la trompette,
04:22 je serais peut-être allé travailler là au lieu d'aller travailler dans une banque.
04:25 Ce qui compte dans l'existence humaine, ce qui nous divertit,
04:27 ce qui nous nourrit, ce qui nous fait résonner,
04:29 ce ne sont pas les trucs qu'on achète,
04:30 ce ne sont pas les euros que vous avez sur votre compte en banque.
04:32 C'est des relations sociales, c'est une relation avec la nature,
04:35 c'est des projets que vous allez entreprendre,
04:37 c'est une richesse temporelle,
04:38 c'est avoir le temps de faire les choses que vous voulez faire.
04:41 [SILENCE]

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