Recherche en management : assumer une identité… ou disparaître [Jean-Philippe Bouilloud]

  • l’année dernière
Xerfi Canal a reçu Jean-Philippe Bouilloud, professeur à ESCP Business School, pour parler de la recherche en management.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Transcript
00:00 Bonjour Jean-Philippe Bouilloux.
00:09 Bonjour Jean-Philippe Denis.
00:11 Jean-Philippe Bouilloux, professeur à SCP Business School.
00:14 Jean-Philippe Bouilloux, co-auteur avec Giseline Deslandes,
00:16 également professeur à SCP Business School, d'un article dans la revue française de gestion,
00:20 "De quoi notre métier est-il le nom ? Perspective pour un débat".
00:25 Alors je vais tout de suite défleurer l'article, vous posez la question de savoir ce sur quoi
00:30 travaillent les professeurs de gestion et les chercheurs en sciences de gestion.
00:33 Vous dites on a un gros problème, c'est qu'on ne sait pas comment ils s'appellent.
00:36 Oui et non seulement on ne sait pas comment ils s'appellent, mais en plus ils travaillent sur
00:41 quelque chose qui est extrêmement important. Les organisations il y en a partout, privées,
00:46 publiques, politiques ou autres, et en même temps il n'y a pas de nom commun,
00:50 communément admis sur ce métier là. Et donc on a essayé d'explorer les
00:55 enjeux de cette nomination et on l'a explorée sous deux angles. Déjà le premier angle c'est
01:01 que nommer, comme l'a montré le philosophe Hacking, c'est déjà faire de la science,
01:05 étiqueter les choses, classer. Plein de gens comme Bruno Latour, Hacking et d'autres l'ont
01:11 déjà montré. Et puis la deuxième chose c'est que quand une discipline a une certaine maturité,
01:14 il est extrêmement important pour elle de se nommer, de se distinguer des autres,
01:22 pour ne pas justement se laisser absorber par les autres. Donc on a donné l'exemple de l'émergence
01:28 de la sociologie comme terme, non pas de la chose mais du nom. Et donc on pense que pour les gens
01:34 qui travaillent en organisation, il y a effectivement quelque chose à développer, quelque chose à faire.
01:38 Alors dans le titre vous nous dites il y a des débats, vous souhaitez contribuer à ce débat,
01:43 et un des débats porte sur la racine.
01:45 Oui, on s'est posé évidemment beaucoup de questions, on a regardé un peu ce qui se faisait
01:50 en France et à l'étranger dans les différentes langues, y compris en allemand, etc. et surtout
01:57 en anglais. Et en fait la vraie racine qui nous paraît intéressante c'est la racine organo,
02:02 plus que gestio. Pourquoi ? Parce que gestio, cette racine latine, elle n'est compréhensible
02:07 finalement qu'en français, parce que dès qu'on sort de l'univers francophone, on va être en
02:13 administration d'empresas par exemple en italien, etc. On aurait pu choisir le terme
02:19 administration, mais administré, ça nous renvoie en français à tout un tas de choses qui sont plutôt
02:25 du côté de la chose publique. Bref, on avait la seule racine qui était intéressante en anglais,
02:31 en français, dans d'autres langues latines, c'était organo, au sens large. D'ailleurs,
02:37 la plupart des grandes revues d'organisation s'appellent "Organisation quelque chose",
02:41 "Organisation science", "Organisation studies", etc. "Organisation behavior". Et donc on s'est dit
02:47 voilà, il faudrait qu'on creuse quelque chose. Après, pour faire un terme, il faut à la fois un
02:52 premier terme qui donne le champ, et puis un deuxième terme qui donne la démarche. La psychologie,
02:59 c'est la démarche d'analyse de la psyché. La sociologie, c'est la démarche d'analyse de la
03:04 société. La gériatrie, c'est la démarche qui soigne les personnes âgées, etc. Donc, après,
03:11 avec ce suffixe organo, qu'est-ce que l'on peut faire ? Et c'est un petit peu ça qu'on a essayé
03:16 d'explorer. Est-ce que ça serait une organologie ? Est-ce que ça serait une organosophie ? Est-ce
03:21 que ça serait une organistique ? Un petit peu sur le mode l'informatique. Est-ce que ce serait
03:27 quelque chose à inventer et qu'il faut, à notre sens, avec Justin Delandre, inventer,
03:33 parce qu'il y a une vraie actualité de la pensée des organisations, il y a une vraie richesse de la
03:38 pensée des organisations, et il y a en même temps un vrai déficit d'images de cette recherche par
03:43 rapport à d'autres disciplines. Alors évidemment, vous posez la question à un moment qui n'est pas
03:48 tout à fait anodin, un moment où certains disent mais dans notre monde actuel fait d'intelligence
03:53 artificielle, d'objets connectés, etc. Est-ce que la grande organisation industrielle finalement,
03:58 qui nous a porté la révolution, qui nous est venue de la révolution industrielle, est-ce que c'est
04:04 encore l'objet de référence, finalement ? Et de l'autre côté, est-ce que le management lui-même,
04:08 puisque tout ça est de plus en plus algorithmisé, de plus en plus chiffré, etc. Bref, est-ce que
04:15 l'organisation et la gestion, ça a un avenir ? Mais de toute façon, quelle que soit la place
04:21 des nouvelles technologies, elles transforment les organisations, mais elles ne les font pas
04:26 disparaître. Pas plus que le téléphone n'a fait disparaître l'organisation industrielle,
04:30 pas plus que internet n'a fait disparaître l'entreprise. Ce qui a été transformé,
04:37 ce sont les frontières de l'entreprise, c'est la nature du travail, c'est la frontière entre
04:42 l'espace privé et l'espace professionnel, ce qu'on a vu encore plus avec le Covid. Donc,
04:46 il y a des transformations. Quant au fait, à imaginer qu'il va y avoir une disparition
04:50 des organisations, je ne crois pas tout simplement, pour la bonne raison, qu'on a besoin de tout un tas
04:57 d'objets, on a besoin de structures qui vont produire des services, des objets, et ces objets,
05:02 ce n'est pas uniquement l'intelligence artificielle qui va la produire toute seule,
05:06 il y aura bien en amont l'intelligence artificielle, quelqu'un qui va faire quelque chose. Donc,
05:11 c'est pour ça que l'actualité de l'intelligence artificielle, de chaque GPT, etc., qui est très
05:18 intéressante, très intrigante, qui correspond aussi à l'évolution, par exemple, peut-être de la
05:24 conduite, qui va devenir peut-être automatique, ce sont des facteurs qui, pour nous, sont plus des
05:29 facteurs de transformation de quelque chose que plutôt des facteurs de substitution. Et donc,
05:34 de la même façon que l'informatisation n'a pas supprimé le livre, etc., de même que les moyens
05:44 de communication n'ont pas supprimé, finalement, le fonctionnement des individus, ou n'ont pas
05:48 supprimé des choses entières, on pense que ces transformations technologiques ne vont pas supprimer
05:55 les organisations, mais vont les transformer, leur donner de nouveaux champs de recherche. Et
06:00 c'est ça qui est intéressant, c'est-à-dire qu'on va rester dans, effectivement, des disciplines qui
06:03 s'intéressent aux organisations. Merci Jean-Philippe Bouilloux. Merci Jean-Philippe Demy.
06:07 [Musique]

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