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L’éditeur de presse indépendant s’inquiète de la grève au Journal du Dimanche

Après avoir passé 25 ans au Monde, dont il a été le directeur de 2007 à 2011, Eric Fottorino s’est mué en éditeur de presse, avec un principe dont il ne s’est jamais départi : zéro publicité dans ses journaux. Le journaliste a ainsi lancé le « 1 », un hebdomadaire d’actualité qui se déplie, « Légende » (le numéro 12 actuellement en kiosques est consacré au couple Gainsbourg/Birkin) et « Zadig », un trimestriel qui raconte désormais les passions françaises. « Les lecteurs sont le moteur unique de nos publications », assume Eric Fottorino, invité médias de Célyne Baÿt-Darcourt

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Transcription
00:00 Bonjour Céline Bidarco, votre invité média est un éditeur de presse indépendant, longtemps
00:05 à la tête du journal Le Monde, il est maintenant le patron du 1, de Zadig et Légende, trois
00:10 titres au positionnement original et sans publicité.
00:13 Bonjour Eric Fautorino, je vais commencer par vous féliciter puisque vous venez de
00:16 recevoir deux prix la semaine dernière par le syndicat des éditeurs de la presse magazine.
00:20 Le 1 est sacré magazine de l'année et légende et le coup de cœur du jury.
00:24 Est-ce d'autant plus savoureux que vous n'avez pas de grand groupe derrière vous, pas d'actionnaire
00:29 milliardaire et que vous vous battez chaque année pour être là l'année suivante ?
00:32 Oui, Le 1 est entré dans sa dixième année donc c'est vrai que lorsqu'on s'est lancé
00:37 on a eu des prix d'innovation, on a eu beaucoup de choses comme ça qui nous ont encouragé
00:41 et près de dix ans plus tard d'être élu meilleur magazine de l'année pour nous ça
00:45 veut dire quelque chose parce qu'on se bat souvent de haut au mur avec des petits moyens
00:49 mais surtout on est un journal de lecteurs, ça peut paraître une banalité, en fond c'est
00:54 une porte ouverte de dire ça, mais on écrit pour nos lecteurs et on choisit nos sujets
00:59 de façon indépendante, on n'a personne en surplomb qui nous dit "il faut parler de
01:02 ça, il ne faut pas parler de ça" donc vous savez au début ça me paraissait normal,
01:06 maintenant je me dis que finalement c'est vraiment une chance.
01:08 Ça l'est de moins en moins, vous faites peut-être référence à ce qui se passe,
01:11 on va faire une petite parenthèse au journal du dimanche où la rédaction est en grève
01:15 parce que Geoffroy Lejeune, ex de Valeurs Actuelles, a été nommé directeur de la
01:20 rédaction, quel regard vous portez sur cette situation ?
01:22 Si vous voulez, je vais dire que c'est la suite logique de ce qui se passe depuis une
01:26 bonne dizaine d'années maintenant dans la presse et en particulier la presse écrite,
01:30 c'est-à-dire que le modèle économique est tellement attaqué, tellement insuffisant,
01:33 je pense qu'on a cassé le modèle avec l'arrivée au départ du numérique gratuit,
01:37 qu'il faut de l'argent profond, des poches profondes et aujourd'hui vous avez des gens
01:43 comme Bolloré, comme Arnaud et d'autres qui viennent pratiquer un jeu d'influence
01:48 dans les médias et ce qui fait que les rédactions ne sont plus indépendantes et qu'on voit
01:52 arriver comme ça, Bolloré disait qu'il n'avait qu'un projet économique, on voit
01:56 que c'est un projet politique aussi.
01:58 Vous êtes inquiet pour l'avenir de la presse ?
01:59 Je suis inquiet déjà, j'étais inquiet avant parce que c'est vrai que les usages
02:05 ont beaucoup évolué ces dernières années, maintenant je pense qu'il y a une véritable
02:09 alarme à tirer parce que c'est vrai que des médias aussi importants que le JDD par
02:15 exemple, mais aussi les Echos, mais aussi le Parisien, s'ils ne sont plus dans une
02:19 relation de confiance avec leur lecteur, la désinformation, le complotisme, tout ce
02:24 qui est hors de la raison peut prendre le leadership de l'opinion.
02:33 Parlons de légendes trimestrielles que vous avez lancées en 2020, chaque numéro est
02:37 consacré à un mythe, il y a eu Madonna, Simone Weissig, Dan Bardo, Johnny, Larry
02:42 Elizabeth, De Gaulle, Coluche, Nadal, Brassens, Angela Davis, quel numéro c'est le mieux
02:45 vendu d'ailleurs ?
02:46 Alors la Reine.
02:47 Ah oui c'est la Reine ?
02:48 La Reine a légèrement fait un tac, la Zidane, elle est passée de Zidane.
02:53 Alors le numéro 12 actuellement en kiosque est particulier parce que ce sont deux légendes
02:58 qui font la couverture, Serge Gainsbourg et Jane Birkin, ils ne sont pas des légendes
03:01 séparément, c'est leur couple qui en est un ?
03:03 Alors ils auraient pu être des légendes, bien sûr ils sont des légendes séparément
03:06 mais ce qui est intéressant c'est la rencontre de ces deux personnages, rencontre à la fois
03:12 artistique, amoureuse et ça a donné effectivement une légende encore plus grande, 1+1 ça fait
03:17 plus que 2 quelquefois.
03:18 Et on apprend encore des choses sur ce duo dans les légendes ?
03:21 Oui, c'est-à-dire qu'on voit bien comment, on dit toujours Gainsbourg a été le Pygmalion
03:25 de Birkin, mais Birkin elle a changé Gainsbourg aussi et ça c'est intéressant de voir même
03:30 dans son look, dans la manière dont il apparaît, la barbe de 3 jours, les cheveux plus longs,
03:34 les chaussures Repetto pour ses chevilles fines.
03:36 Les contributeurs changent à chaque numéro dans les légendes, là vous avez par exemple
03:41 Luc Le Vaillant qui est le chef de la célèbre page portrait Libération, il y a une interview
03:45 d'Etienne Dao également qui parle de sa rencontre avec Gainsbourg, de l'influence qu'il a eu
03:49 sur lui, c'est Bertrand Dical.
03:50 C'est ça, il y a Olivier Rollin, il y a Bertrand Dical bien sûr, bien connu sur cet entête,
03:54 il y a Olivier Rollin, il y a aussi Jeanne Chéral, enfin on a essayé de mêler Véronique
03:59 Morstein qui a longtemps été la grande prêtresse de la chanson française au monde, donc on
04:04 a essayé comme on fait toujours dans nos publications de marier des talents pour qu'on ait l'intelligence
04:10 la plus proche et la sensibilité la plus proche sur un sujet ou sur des artistes en
04:14 l'occurrence.
04:15 Vous les choisissez vos contributeurs, ce sont eux d'ailleurs qui vous disent "ah tiens
04:18 moi j'aimerais..."
04:19 Non, non, c'est nous qui nous faisons une sorte de l'équipe idéale, la rédaction idéale
04:23 pour un numéro, qui peut bien parler, quel angle, vous voyez par exemple Laurence Benahim
04:28 nous parle du style de Birkin, effectivement comment par sa manière de s'habiller, de
04:34 se tenir etc. elle a changé les choses.
04:36 Voilà, on essaie de trouver, c'était Gilles Deleuze qui disait "il faut toujours trouver
04:39 les bonnes pinces pour attraper le réel", et bien on essaie à chaque fois de trouver
04:42 les bonnes pinces.
04:43 - Il y a un magazine, Eric Fautorino, dont je tairai le nom, d'ailleurs il change à
04:46 chaque numéro, qui reprend la même formule que "Légende", les mêmes couleurs pour la
04:49 une, la même typographie, bon c'est clairement du plagiat, il n'est pas retiré des kiosques
04:53 alors que vous le demandez depuis un petit moment, personne ne fait rien, qu'est-ce
04:56 qui se passe ?
04:57 - C'est très étrange et en même temps vraiment scandaleux.
05:01 Nous on est un journal qui payons nos photos, qui payons, et c'est normal, les textes, qui
05:06 remplissons toutes les contraintes, et Dieu sait si on nous met beaucoup de bâtons dans
05:09 les roues pour être dans les clous, et depuis des mois, impunément, une publication vient
05:14 nous plagier, et on n'est pas les premiers, ça a été le cas pour "Sofout", ça a été
05:19 le cas pour "Philomag", ça a été le cas pour d'autres publications, et à chaque
05:23 fois c'est nous qui devons nous excuser pour dénigrement.
05:25 Donc si vous voulez, j'avoue que je ne comprends pas, j'ai saisi le ministère de la Culture,
05:30 j'ai saisi la Justice, j'ai saisi notre diffuseur, qui diffuse aussi ces torchons-là, et donc
05:35 si vous voulez, à un moment donné, je les trouve quand je vais dans les hangars, dans
05:39 les relais, je les trouve à côté de mes publications.
05:42 Alors il y a un double dol, un double tromperie, d'abord on croit que c'est nos publications,
05:47 donc c'est des ventes que nous ne faisons pas, mais surtout...
05:49 - Ça fait combien de ventes en moins par exemple ?
05:50 - Ça fait 5-6 000 ventes, donc vous voyez quand vous en vendez 15 ou 20 000, ça fait
05:54 beaucoup, et d'autre part, les gens qui ouvrent ces magazines comprennent très vite que c'est
06:01 rien du tout, et qu'ils peuvent m'imputer à moi le fait de vendre de la fausse monnaie.
06:07 C'est comme des faux-monnaies.
06:08 - Alors pour toutes vos publications, Eric Fautorino, que ce soit Le1, Légende ou Zadig,
06:14 vous faites le pari du zéro publicité, totale indépendance, avec l'afflambé du prix du
06:18 papier et de l'énergie, vous n'avez sincèrement jamais envisagé de revenir sur ce principe ?
06:23 - Non, je pense que si vous voulez, moi je fais appel toujours à la fois l'intelligence
06:29 et la fidélité des lecteurs, et depuis presque 10 ans, ça nous a plutôt réussi, les lecteurs
06:33 sont là, on a toujours en moyenne 20 000 abonnés, le kiosque c'est plus difficile parce que
06:37 comme vous savez, à peu près 800 points de vente disparaissent chaque année, donc
06:41 si je fais et je multiplie par 10 ans, ça fait quasiment 8 000 occasions de moins de
06:44 trouver mes journaux, comme ceux des autres, dans des kiosques.
06:47 Mais pour autant, la publicité pour moi, je l'ai souvent voulu quand j'étais à la
06:52 tête du monde, évidemment c'était très important, mais le pari que nous avons fait
06:56 avec nos publications, c'était vraiment de considérer que les lecteurs étaient le
07:00 moteur unique de nos publications.
07:04 Et c'est vrai que si un jour il y a de la pub dans le 1, ce sera plus loin.
07:07 - Et vos lecteurs vous en voudraient ? - Je crois, oui, parce que ça fait partie
07:10 du pacte d'indépendance que nous avons informellement signé avec eux.
07:15 - Merci beaucoup d'être venu sur France Info, Yannick Fatorino.
07:17 - Une légende consacrée au couple Gainsbourg-Burkine, c'est en kiosque en ce moment, "Esadig sur
07:22 l'amour à la française" sortira mercredi.

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