Mort de Jean-Pierre Elkabbach : » C’était l’une des premières stars de la télévision », selon le journaliste Patrice Duhamel

  • l’année dernière
Patrice Duhamel
Journaliste, ancien directeur général de France Télévisions et Radio France
L’ancien Directeur général de France Télévisions et Radio France a côtoyé le « roi de l’interview » pendant 50 ans

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Transcription
00:00 Votre invité média, Céline Maïdard-Court, connaissait bien Jean-Pierre Elkabbach.
00:04 Il est journaliste, ancien directeur général de France Télé et de Radio France.
00:07 Bonjour Patrice Duhamel.
00:08 Bonjour.
00:09 Quel lien aviez-vous avec Jean-Pierre Elkabbach ?
00:12 Amicaux, professionnels, mais nous avons travaillé un peu plus d'un an, 18 mois ensemble,
00:20 à l'époque, pour les plus âgés de vos auditeurs, de la 5 version Jean-Luc Lagardère,
00:27 où il avait une émission le dimanche, quand j'étais directeur de la formation de SETCHED.
00:32 Vous l'avez côtoyé pendant très longtemps.
00:34 Pendant 50 ans, à peu près.
00:36 Et je trouve que l'expression que vous venez de rappeler, "monstre sacré", ça lui va parfaitement bien,
00:40 parce que c'était une star, et c'était peut-être l'une des premières stars,
00:45 pour les très anciens, avec Léon Zitrone, de la télévision.
00:49 Pourquoi vous dites ça ?
00:50 Parce qu'il était comme ça.
00:52 Je crois qu'il avait envie d'être une star en même temps.
00:57 On parle souvent de son duo avec mon frère aîné, Alain Duhamel, qui lui est l'antistar.
01:05 C'était pour l'émission "Carte sur table".
01:07 Voilà, qu'ils ont lancée ensemble.
01:08 Ils ont quand même pris leur petit déjeuner ensemble, 3 ou 4 fois par semaine, pendant 50 ans.
01:14 Ça crée des liens.
01:15 Il était très ému ce matin, votre frère, sur France Inter.
01:18 Oui, absolument.
01:20 Il a même dit "je me suis senti aussi, quand j'ai appris sa disparition, un peu mort".
01:26 Oui.
01:27 Alors je ne rentre pas dans les...
01:29 Non, mais la mort était un des sujets dont parlaient souvent Alain et Jean-Pierre Elkabach, ensemble.
01:37 Ils avaient des points de vue très différents.
01:40 Et les deux en parlaient souvent, et notamment Jean-Pierre Elkabach, avec François Mitterrand.
01:48 Et en particulier, quand il faisait ses virées tout à fait singulières, le samedi, Mitterrand, président de la République,
01:58 je pense, sur 14 ans à l'Elysée, ça a dû intervenir une bonne quinzaine de fois.
02:04 Il emmenait Jean-Pierre et mon frère Alain en hélicoptère à Vézelay.
02:10 C'est ça qui est incroyable.
02:12 Ensuite, ils déjeunaient, et après, ils parlaient un peu de politique, beaucoup de littérature, et surtout de la mort.
02:18 Nouer une relation intime avec un président de la République, François Mitterrand, aujourd'hui, ce serait impossible.
02:24 Oui, mais ça n'empêchait pas Jean-Pierre Elkabach de faire une interview pugnace,
02:29 pour reprendre un des adjectifs préférés de mon frère, on s'en amuse dans la famille,
02:34 à l'automne 1994, après le bouquin de Pierre Péan sur le passé de François Mitterrand sous l'occupation.
02:44 C'était une interview extraordinaire, culte, à laquelle Jean-Pierre Elkabach réfléchissait,
02:51 dont il rêvait depuis des années, des années et des années.
02:55 Moi, il m'en avait parlé, il m'a dit "il faudra que je trouve le moyen un jour d'interviewer Mitterrand sur son passé, au début des années 40".
03:03 C'est pour cette interview-là que François Mitterrand a dit "je veux que ce soit Jean-Pierre Elkabach ou personne".
03:08 Qui était président de France Télévisions, donc qui était totalement dans les hautes sphères,
03:13 qui était journaliste, qui avait encore sa carte de presse, mais il n'était plus journaliste actif, bien entendu.
03:18 Et François Mitterrand lui a dit "moi je veux bien répondre à la polémique sur le bouquin de Pierre Péan,
03:22 j'ai des choses à dire sur mon passé sous l'occupation, mais je veux que ça soit vous".
03:28 Ce qui n'était pas facile pour un président de France Télévisions, de faire une heure d'émission comme ça.
03:32 Finalement ça s'est fait, et dans des conditions tout à fait extraordinaires,
03:36 parce que quand Elkabach est arrivé à l'Elysée, Mitterrand était allongé sur lit,
03:41 les médecins à côté de lui, il allait très mal.
03:43 C'était octobre-novembre 1994, il allait quitter l'Elysée quelques mois plus tard.
03:49 Et finalement les médecins le remettent un peu sur pied, ils vont dans le studio,
03:56 et Jean-Pierre, qui m'a raconté cet épisode qui était très important pour lui plusieurs fois,
04:03 disait toujours la même chose, il me disait "c'était extraordinaire,
04:06 parce qu'au début Mitterrand était d'une faiblesse incroyable,
04:10 et plus on avançait, plus il me pompait mon énergie, et plus moi je me fatiguais".
04:15 Et à la fin de l'interview, Mitterrand je ne dirais pas qu'il était en pleine forme,
04:18 mais il était un peu revigoré, alors que Jean-Pierre était complètement épuisé.
04:23 Je conseille à vos auditeurs de le revoir sur internet,
04:26 c'est un très grand moment de télévision du XXème siècle.
04:29 Il aimait le pouvoir, il est puissant Jean-Pierre Elkabbach ?
04:33 Ce n'est pas qu'il aimait, il adorait le pouvoir.
04:37 Il adorait le pouvoir comme interviewer,
04:39 parce qu'il voulait obtenir des choses qui faisaient bouger la vie politique.
04:44 Il aimait le pouvoir pour l'exercer à travers ses interviews,
04:47 puis comme patron de France Télévisions d'Europe 1.
04:51 Et la manière dont ça s'est terminé, assez mal à France Télévisions,
04:55 ça a été une vraie douleur pour lui.
04:58 Et il aimait le pouvoir aussi, parce que quand il allait voir,
05:02 pour les interviewer des chefs d'État étrangers,
05:05 Gorbatchev, Poutine, Sadat, etc.,
05:08 soit tout seul pour repas, ou soit avec mon frère pour carte sur table,
05:13 il faisait souvent passer des messages,
05:16 il disait à ses grands chefs d'État,
05:19 "mais j'ai un message pour vous du Président de la République".
05:22 Il avait envie de participer au pouvoir.
05:25 Ce qui est là pour reprendre ce que vous disiez il y a un instant,
05:28 ce serait effectivement un peu étrange aujourd'hui.
05:30 C'est impossible, cette connivence avec le pouvoir.
05:33 Je ne sais pas si c'est de la connivence,
05:35 parce qu'il avait beaucoup de proximité avec beaucoup d'hommes politiques,
05:38 mais quand il les interviewait, il posait les vraies questions.
05:42 Mais on peut dire quand même qu'il a roulé pour Giscard,
05:44 puis pour Balladur, puis pour Sarkozy.
05:46 Il y a une légende urbaine, comme on dit sur Giscard,
05:50 parce que le soir du 10 mai 81,
05:52 lui, mon frère et moi, et Étienne Mougeot,
05:55 on s'est fait huer à la Bastille,
05:57 on a été viré dans les mois qui ont suivi.
05:59 - C'est vrai ça, parce que Jean-Pierre Elkabach dit...
06:01 - Oui, mais ça il a tort.
06:03 La réalité c'est qu'il y est allé après l'émission à 1h du matin,
06:07 mais à ce moment-là, les gens avaient crié,
06:10 "Ah bah, Elkabach au chômage",
06:13 pendant 2 ou 3 heures, donc je pense qu'ils étaient passés à autre chose.
06:16 - Donc il n'a jamais su, pour lui, ça n'a pas existé.
06:18 - Non, non, mais c'est un fait, tout le monde l'a entendu.
06:20 - Avec la disparition de Jean-Pierre Elkabach, Patrice Duhamel,
06:23 est-ce, comme l'a dit François Hollande, une page de la vie politique qui se tourne ?
06:26 - Ah oui, oui, et de l'interview politique,
06:29 parce qu'il a vraiment apporté quelque chose.
06:31 Ce qui était très spectaculaire, c'était la capacité de travail.
06:36 C'était incroyable.
06:38 Alors, la veille de ces interviews,
06:40 c'était le matin européen, tard le soir,
06:43 il téléphonait, il parlait avec les personnalités qu'il allait interviewer.
06:46 Ce qui peut paraître étrange, moi ça ne me choquait pas,
06:49 à partir du moment où, après, l'interview se faisait vraiment
06:52 de manière archi-professionnelle,
06:54 mais il préparait ça avec les interviewés.
06:56 C'était une manière de travailler qui était singulière,
06:59 mais il obtenait vraiment beaucoup de choses
07:02 de toutes ces personnalités.
07:04 - Et il peaufinait sa première question.
07:06 Elle était ultra importante.
07:08 - Oui, il peaufinait sa première question.
07:10 Mais Léa Salamé, quand elle faisait l'interview de 7h50,
07:13 c'était aussi un peu ça, la première question.
07:15 - C'est l'école El-Khabach, elle a été fortement inspirée.
07:17 - Donc il a fait école, de ce point de vue-là.
07:19 - Merci beaucoup d'être venu nous parler de Jean-Pierre El-Khabach,
07:21 Patrice Duhamel.

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