Xerfi Canal a reçu Maxime Lefebvre, diplomate, ancien ambassadeur, et professeur affilié à l'ESCP Business School, pour parler de l'autonomie stratégique.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00 Bonjour Maxime Lefebvre.
00:14 Bonjour.
00:15 Maxime Lefebvre, vous êtes diplomate, ancien ambassadeur et vous êtes professeur affilié
00:20 permanent à SCP Business School où vous dirigez le Master International Business and
00:25 Diplomacy.
00:26 On va parler un peu de corporate diplomatie ensemble, plus exactement on va parler autonomie
00:32 stratégique.
00:33 Là on est sur un sujet très très très important.
00:38 Pour faire simple, pour vous c'est le défi majeur pour l'Europe et donc pour la France,
00:42 l'autonomie stratégique.
00:43 Oui c'est un défi majeur, c'est une question politique et aussi économique.
00:47 Initialement le concept d'autonomie stratégique c'est plutôt un concept tiré de la politique
00:51 de défense française autour de la dissuasion nucléaire.
00:54 Elle est apparue en 1994 et c'était l'idée que la France devait garder sa liberté d'action
01:00 dans le monde après la guerre froide et devait garder le contrôle de ses capacités critiques
01:05 en matière de défense, d'opération, etc.
01:09 Mais la France a toujours voulu, a toujours été très ambitieuse vis-à-vis de l'Europe
01:13 et a voulu porter ce concept, cette politique aussi au niveau européen.
01:17 Et donc on a commencé à reconnaître que l'autonomie stratégique c'était important
01:21 au niveau européen en 2016 quand il y a eu à l'époque une stratégie globale pour
01:26 les affaires étrangères en Europe.
01:28 On a dit que l'autonomie stratégique était importante.
01:31 Le Conseil européen, la réunion des chefs d'État et de gouvernement l'a reconnue aussi.
01:36 Et puis ce qui est intéressant c'est que dans le contexte de la crise du Covid, on
01:40 a élargi la définition, non plus seulement une définition dans le domaine de la défense
01:44 et de la sécurité, mais aussi une définition dans le domaine de l'économie, dans beaucoup
01:48 de secteurs économiques.
01:49 Et donc effectivement aujourd'hui c'est un axe majeur de travail, de réflexion, de
01:55 programmation pour l'Europe et aussi pour ses États membres.
01:59 Alors une question qu'on se pose tout de suite c'est qu'est-ce qu'on entend par
02:01 autonomie stratégique ? Qu'est-ce qu'elle est ? Qu'est-ce qu'elle n'est pas ?
02:04 Alors l'autonomie stratégique ça veut dire d'abord renforcer notre capacité d'action.
02:10 Alors ça ça désigne plutôt par exemple les opérations militaires.
02:14 L'Europe fait des opérations militaires depuis 2003.
02:16 Donc dans le domaine civil, dans le domaine militaire, il faut renforcer ça.
02:20 Mais ça décide aussi, ça veut dire aussi garder le contrôle de nos capacités.
02:24 Ça veut dire aussi rendre l'Europe plus souveraine, pour suivre le slogan de la souveraineté
02:30 européenne qui a été lancé par le président Emmanuel Macron en 2017 dans son discours
02:35 de la Sorbonne.
02:36 L'autonomie stratégique ça veut dire qu'on cherche à mutualiser, à faire plus ensemble,
02:41 à coopérer davantage.
02:42 Mais ça ne veut pas dire qu'on va centraliser une politique de production, une planification
02:47 au niveau européen.
02:48 C'est une interaction entre les États et puis des moyens ou des mutualisations communes.
02:53 Et puis c'est aussi l'autonomie stratégique, quelque chose qui ne doit pas remettre en
02:57 question le lien transatlantique, qui est très important pour la plupart de nos partenaires
03:01 mais aussi pour nous.
03:02 Et donc ça veut dire que, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine, de la menace
03:08 russe, c'est important de maintenir ce lien.
03:10 Donc ce n'est pas une autonomie stratégique contre les États-Unis.
03:13 On a besoin des États-Unis, on a besoin de l'OTAN, on a besoin de l'appareil de
03:18 défense américain.
03:19 On est quand même dans un rapport de dépenses militaires entre l'Europe et les États-Unis
03:24 de 1 à 4.
03:25 Et au niveau nucléaire, la plupart des pays sont couverts par le parapluie nucléaire américain.
03:29 Ils ne sont pas couverts par le parapluie nucléaire français ou britannique.
03:32 Donc on a besoin de ce lien.
03:35 Et puis le dernier élément, c'est que cette autonomie stratégique n'est pas ni l'autarcie,
03:40 ni le protectionnisme.
03:41 Ça veut dire aussi maintenir une économie ouverte, maintenir des échanges mondiaux.
03:46 Il y a encore une mondialisation malgré les tensions en cours.
03:49 Et donc ça veut dire qu'on veut réduire les dépendances, qu'on veut éventuellement
03:53 relocaliser certaines productions.
03:55 Ça veut dire éventuellement qu'on veut des stocks stratégiques dans certaines matières
03:58 premières par exemple, ou à l'énergie.
04:01 Ça veut dire qu'on doit recycler les matières premières parce qu'on veut devenir moins
04:05 dépendant.
04:06 Donc on reste dans le cadre d'une économie ouverte.
04:09 On sent que les dynamiques hétéronormes sont de plus en plus puissantes quand même
04:16 à l'œuvre.
04:17 La question de l'autonomie dans ce contexte-là, les leviers, les défis peut-être sont dans
04:21 quel domaine ?
04:22 Alors l'autonomie, donc ça n'est pas l'indépendance, c'est une autonomie, ça s'inscrit dans
04:29 une interdépendance, comme vous le dites très bien.
04:31 Donc effectivement, on cherche dans les différents domaines à renforcer cette autonomie tout
04:35 en étant dans un cadre interdépendant.
04:37 Dans le secteur de la défense par exemple, il s'agit de renforcer l'industrie européenne
04:41 d'armement.
04:42 On n'a jamais réussi à faire un avion commun de combat, on n'a jamais réussi à faire
04:46 un char commun pour le combat, on en a plusieurs en Europe.
04:49 On n'a pas encore fait un drone européen de combat, tout ça est sur la table, est
04:53 programmé, ça avance, c'est difficile, il faut surmonter des obstacles, mais ça avance.
04:57 Dans l'espace, on a déjà fait des choses.
04:59 Regardez le système Galiléo d'observation satellitaire, de positionnement satellitaire.
05:04 L'Europe a créé son système qui a en quelque sorte battu en brèche le monopole du système
05:09 américain GPS.
05:10 Donc on continue.
05:12 Monsieur Breton voudrait faire une nouvelle constellation de satellites pour sécuriser
05:16 nos communications, donc on avance aussi dans l'espace.
05:19 Dans l'énergie, on voit bien que c'est majeur, il y a toujours eu une dépendance
05:22 depuis les chocs pétroliers, etc.
05:24 La guerre en Ukraine aggrave ça et donc on a besoin de développer les énergies renouvelables,
05:31 on a besoin de développer le nucléaire, il n'y a pas un accord partout là-dessus.
05:33 Pour développer la voiture électrique, ce qui contribue aussi au changement climatique,
05:38 il faut créer une filière européenne des batteries.
05:41 On a créé par exemple une usine franco-allemande en Charente à Nersac.
05:45 Dans l'agroalimentaire, l'autonomie stratégique existait déjà avec la politique agricole
05:50 commune.
05:51 Il faut la maintenir, il faut la sauver, il faut maintenir ses moyens, il faut la verdir
05:54 aussi parce que c'est important l'environnement.
05:56 Dans la santé, le Covid a montré qu'on avait des dépendances en matière de masques,
06:01 d'équipements médicaux, etc.
06:02 Donc on a besoin de mieux préparer les futures pandémies, de mieux prévenir, de faire des
06:07 choses en commun.
06:08 On a créé une nouvelle agence dans le domaine de la santé qui s'appelle ERA.
06:11 Dans le domaine numérique, l'Europe a dit qu'elle serait souveraine sur le plan numérique.
06:16 Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire faire des législations qui se soumettent
06:21 aux GAFAM pour que le monopole des GAFAM ne s'impose pas à nous.
06:25 Mais en même temps, ça veut dire aussi créer un écosystème qui soit favorable au développement
06:30 d'acteurs européens dans le cloud, par exemple, mieux assurer la cybersécurité, etc.
06:37 Dans l'électronique, vous savez qu'il y a une compétition majeure sur les semi-conducteurs,
06:42 notamment entre la Chine et les États-Unis.
06:44 Donc on a besoin de développer une filière européenne de semi-conducteurs par des projets
06:48 nationaux, européens.
06:49 Là aussi, c'est des choses qui avancent.
06:51 Et puis je citerai comme dernier domaine les matières premières parce que là, on est
06:55 très dépendant.
06:56 On est notamment dépendant de la Chine en matière de terres rares.
06:59 Et là, il faut accroître notre production en Europe par de nouvelles mines, par exemple,
07:03 mais aussi recycler, comme je le disais, certaines matières premières, constituer
07:07 des stocks.
07:08 Donc finalement, ce projet d'une Europe plus forte, plus autonome, il avance et il
07:13 a pour nom l'autonomie stratégique.
07:14 L'autonomie stratégique, assurément le besoin d'une pensée pluridisciplinaire,
07:20 complexe pour bien l'appréhender.
07:22 Oui, parce qu'effectivement, ce qui est intéressant dans ce domaine-là, c'est
07:24 que finalement, on est sorti de la défense et de la sécurité pour embrasser l'économie
07:28 plus largement.
07:29 Et donc, effectivement, on a besoin de fertiliser en quelque sorte, féconder les champs disciplinaires,
07:36 les différents secteurs économiques pour faire avancer cette autonomie de façon globale,
07:40 encore une fois, dans le cadre d'une économie ouverte.
07:42 Et plus que jamais besoin de relations entre les sciences politiques et les sciences de
07:45 gestion.
07:46 Absolument.
07:47 Merci à vous.
07:48 Merci.
07:50 [Musique]
07:55 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]