The Good Forum #4 - Finance Durable
23 mai 2023
Face à face - La « finance verte » : fantasme ou horizon ?
La transition écologique de la finance est-elle un objectif crédible ou illusoire ?
- Noam LEANDRI, Secrétaire général, ADEME
- Lucie PINSON, Fondatrice et directrice executive, Reclam Finance
23 mai 2023
Face à face - La « finance verte » : fantasme ou horizon ?
La transition écologique de la finance est-elle un objectif crédible ou illusoire ?
- Noam LEANDRI, Secrétaire général, ADEME
- Lucie PINSON, Fondatrice et directrice executive, Reclam Finance
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00:00 On passe tout de suite à un débat sur la définition même de la finance durable. Emilie, à toi.
00:05 Oui absolument. Nous allons commencer par un débat qui est un petit peu le début de nos échanges.
00:13 L'idée ça va être de savoir si la finance verte est un fantasme ou est-ce qu'elle fait l'objet de réels engagements.
00:19 J'appelle sur scène Lucie Pinson qui est fondatrice et directrice exécutive de Reclaim Finance
00:25 et Noam Leandri qui est secrétaire général de l'ADEME et co-auteur du livre La Finance Verte
00:31 paru en 2021 aux éditions La Découverte. Installez-vous.
00:36 [Applaudissements]
00:41 Alors pour commencer déjà faudrait-il définir ce qu'est la finance verte Lucie ?
00:47 Long exercice. Après je pense que c'est assez instinctif mais c'est vrai depuis que le terme a fait son apparition
00:55 notamment et répété à de multiples reprises par le ministre de l'économie et des finances
01:00 qui affirme que la finance sera verte ou ne sera pas.
01:03 Que ça a le mérite au moins de rappeler le fait que la finance aujourd'hui qui domine
01:08 contribue au dérèglement climatique et à l'aggravation de la crise écologique.
01:15 Peut-être pour donner quelques chiffres qui permettent aussi de planter le décor.
01:20 En 2021 les financements pour se concentrer sur le secteur énergétique que je connais mieux
01:26 financement aux énergies dites bas carbone représentaient 81% des financements qui allaient aux énergies fossiles
01:34 alors que on le sait la transition implique d'augmenter massivement les financements
01:39 au secteur de la production d'électricité notamment et au secteur de la transition.
01:44 Mais avec une augmentation bien entendu des financements aux solutions
01:49 et une diminution des financements aux énergies fossiles il nous faut viser un ratio de 1 à 9.
01:55 1 euro dans les énergies fossiles doivent donner lieu à 9 euros dans la transition
02:03 et 5 dans les secteurs de la production et de la distribution d'électricité soutenable.
02:08 Or aujourd'hui on en est donc très très loin encore avec les 81%
02:15 et puis quand on se penche sur les engagements on voit que c'est assez hétéroclique encore
02:21 du côté et dur à vraiment percevoir l'impact qu'ils peuvent avoir.
02:25 Le deuxième enjeu bien entendu est dans les financements aux énergies fossiles à quoi servent-ils ?
02:31 Et malheureusement on sait aujourd'hui que ces financements ne vont pas uniquement à la maintenance des infrastructures
02:37 en opération mais bien aussi au développement de nouvelles infrastructures d'énergie fossile
02:43 qui sont strictement incompatibles avec l'objectif de limiter le réchauffement à 1,5 degré
02:50 et on comprend les impacts que ça peut avoir puisque le développement de nouvelles infrastructures
02:55 elles ne sont pas pensées pour durer un an, deux ans, elles sont pensées pour rester
03:01 et pour être maintenues en opération et donc leur développement verrouille des émissions de gaz à effet de serre
03:06 que l'on ne peut pas se permettre vu notre budget carbone.
03:11 Citer un chiffre, les banques juste européennes ont alloué 30 milliards de financements aux 100 entreprises
03:19 pas à toutes les entreprises mais juste 100 entreprises qui sont à l'avant-garde de l'expansion des énergies fossiles en 2022
03:26 15 milliards donc la moitié de ces financements proviennent juste de BNP Paribas.
03:32 Noam, vous abandonnez j'imagine dans ce qui vient d'être dit, pour vous la finance durable qu'est-ce que c'est ?
03:38 Alors je vais être un peu scolaire, ça va vous permettre de rentrer, comme vous êtes tous sages et attentifs
03:45 sans que ce soit un cours magistral, je vais vous redonner une définition, je vais citer la banque de France
03:51 je crois qu'il y a Jean Boissino qui était dans le coin, je l'ai entreperçu
03:55 La finance durable ça repart un peu de ce qui s'est passé il y a une centaine d'années, il y a un siècle
04:02 c'est la finance éthique qui s'était lancée aux Etats-Unis en disant on va interdire un certain nombre d'investissements
04:07 que ça soit dans les armes, dans la pornographie, dans les cigarettes, il y a un certain nombre d'exclusions qui ont été créées
04:14 il y a une centaine d'années c'était la finance éthique et maintenant il y a une nouvelle finance qui désigne aujourd'hui
04:19 plutôt des outils de financement, des outils financiers qui soutiennent un développement durable
04:23 ça peut être à la fois des initiatives des pouvoirs publics, des régulateurs qui vont interdire, imposer, orienter les financements
04:31 ou aussi des initiatives du secteur privé lui-même, par exemple les Green Bonds, les obligations vertes
04:36 c'est une initiative du secteur privé, des institutions financières qui ont voulu un peu réglementer
04:41 pouvoir dire quand je dis que cette obligation elle est verte, qu'est-ce que ça signifie
04:45 et donc ils se sont dotés de leurs propres règles qui aujourd'hui sont reprises au niveau européen
04:50 avec par exemple ce qu'on appelle aujourd'hui la taxonomie
04:53 alors il y a deux approches aujourd'hui de cette finance durable, c'est soit centré sur l'impact, sur la finalité de l'investissement
04:59 est-ce que ça contribue positivement à l'environnement ou est-ce que ça réduit éventuellement des impacts environnementaux négatifs
05:04 qui existeraient sinon, l'autre manière aussi, l'autre façon de voir la finance verte
05:10 c'est celle qui réduit des risques, notamment les risques climatiques qu'on a tous bien en tête
05:14 ou d'extinction des espèces avec la biodiversité
05:17 et donc réduit aussi le risque que les actifs financiers se déprécient
05:21 donc en fait c'est la stabilité financière concrètement, c'est-à-dire aujourd'hui
05:25 la finance si elle n'intègre pas le risque climatique, le risque de durabilité pour faire large
05:31 et bien elle va s'autodétruire, donc on a intérêt à ce que l'économie soit soutenable et continue à fonctionner
05:37 donc voilà pour avoir une définition un peu large, mais voilà je vous laisse vous référer à l'ouvrage que j'ai publié il y a quelques années
05:43 vous aurez tout ça de toute façon écrite, ça sera encore plus simple
05:46 Lucie, quels sont les freins de cette finance durable actuellement ? On en a parlé un petit peu à l'instant
05:52 est-ce que vous pouvez nous dire ce qui empêche cette finance d'être plus durable aujourd'hui ?
05:57 Ben les profits, tout simplement, c'est aujourd'hui très intéressant de continuer de financer les secteurs extrêmement polluants comme les énergies fossiles
06:06 Noam le rappelait à juste titre, la transition présente des risques pour le secteur financier
06:11 mais ces risques là ne se matérialisent pas aujourd'hui concrètement sur les portefeuilles d'investissement au financement
06:18 on voit leur impact aujourd'hui arriver pour les assureurs, on a l'assemblée générale de SCORE dans deux jours
06:28 bon ben SCORE aujourd'hui ne fait plus de profit, notamment dû à son portefeuille d'assurance aux catastrophes climatiques
06:36 qui est largement déficitaire, mais pour les banques, pour les investisseurs, ça ne nous aura pas échappé que les entreprises des énergies fossiles font des profits faramineux
06:48 que nos banques aussi ont annoncé des profits extrêmement importants encore récemment, malgré des portefeuilles fortement émetteurs
06:59 donc tout simplement ça c'est la première mesure et ça montre bien qu'il va falloir engager un rapport de force avec ces institutions pour les pousser à se transformer
07:09 et puis il va falloir aussi forcer le régulateur surtout à entrer plus fortement en jeu puisque malheureusement aujourd'hui on a encore des réglementations
07:20 qui misent sur la bonne volonté des acteurs financiers ou sur leur soi-disant rationalité à agir, donnons de la transparence, donnons de l'information
07:30 et les acteurs financiers vont comprendre qu'à long terme ils ont un intérêt à agir et donc ils vont se mettre au travail, ça ne suffit pas
07:38 il va falloir tordre le bras des acteurs financiers un peu plus fort, les banques centrales peuvent notamment agir en changeant leur politique monétaire ou prudentielle
07:48 en dissuadant les investissements dans les secteurs polluants, en encourageant au contraire les investissements dans les secteurs de la solution
07:56 donc en jouissance sur les coûts et puis la politique est le règne du possible donc pourquoi ne pas tout simplement aussi interdire certains types de financements
08:05 à des projets reconnus par l'agence internationale de l'énergie, le GIEC, comme étant strictement incompatibles avec les engagements politiques que nous avons pris.
08:15 La régulation, comment le gouvernement réagit face à ces freins noix à main ?
08:22 Je ne voudrais pas me substituer au gouvernement puisque madame la ministre est parmi nous donc je vais peut-être déjà rebondir sur ce que vous avez dit Lucie
08:29 c'est à dire qu'effectivement un des principaux freins c'est aujourd'hui le manque de rentabilité ou disons la recherche du profit qui dans le secteur vert, on va dire pour faire court
08:37 la durabilité est moins importante que dans des secteurs classiques, traditionnels comme dans tout ce qui est fossile et pour reprendre les exemples que c'était madame la ministre
08:46 des contrats impact qu'on a pu lancer avec c'était madame la toupe, on vit en autonomie, on voit que financer ces projets qui ont de l'impact positif pour l'environnement, pour le social
08:55 c'est compliqué parce que les investisseurs recherchent un taux de rentabilité qui n'est pas de 3, 4, 5% mais plutôt 15, 20% ce qui est difficile à obtenir sur ce type de projet
09:05 qui ont de l'impact mais qui sont faits dans le secteur de l'ESS, de l'économie sociale et solidaire par des associations ou des PME et qui ne peuvent pas rendre un taux de rentabilité
09:15 aussi élevé que celui qui est traditionnellement obtenu dans le secteur financier donc ça c'est un frein alors comment est-ce qu'on peut agir en tant que régulateur
09:23 premièrement par des obligations à investir, à aller dans un secteur d'activité donc ça se passe tant à l'échelle européenne avec la taxonomie dans le cadre du Green Deal qui a été adopté
09:35 maintenant qu'il y a la taxonomie il va y avoir aussi l'obligation d'interroger depuis cette année les épargnants sur leur préférence en matière de durabilité
09:43 c'est à dire qu'un épargnant lorsqu'il va voir son banquier et je vous invite à faire le test parce que quand on a fait des enquêtes client mystère on s'est rendu compte
09:51 que c'était très rarement proposé, est-ce que votre banquier vous propose spontanément un investissement vert et quand vous lui posez la question vous dites
09:59 "mais je veux absolument investir dans le vert" est-ce qu'il est capable de vous proposer un produit ? ça malheureusement c'est pas toujours le cas, c'est obligatoire dans la loi Pacte
10:06 la loi sur les entreprises qui avait été adoptée sous précédent quinquennat, qui avait été portée par Bruno Le Maire et qui normalement oblige depuis légalement cette année
10:15 lorsque vous souscrivez à une assurance vie en unité de compte, c'est pas forcément la plus répandue mais en tout cas il y a obligation de vous proposer au moins un fond vert
10:23 ou un fond OSG si vous voulez, ou ISR, investissement socialement responsable, je ne sais pas si tout le monde est au courant, aujourd'hui si vous allez voir votre banquier
10:33 au coin de la rue, est-ce que l'agence est capable de vous proposer ce fond, moi j'ai fait le test quand j'ai ouvert une assurance vie pour mon petit garçon, et bien écoutez j'étais extrêmement déçu
10:41 mais j'espère que ça s'est amélioré depuis, il faudrait que je refasse le test mais en tout cas c'est pas toujours le cas. Donc voilà, il y a ce type d'engagement, d'encouragement qui peut être fait
10:50 ça passe également par le reporting, c'est à dire qu'aujourd'hui les entreprises, les investisseurs ont l'obligation de rendre des comptes sur l'impact de leur activité sur le climat, sur la biodiversité
11:01 donc ça c'était des obligations qui datent de 2015 dans la loi transition énergétique, qui a été renforcée dans la loi énergie climat en 2018, ce qu'on appelle le 29 FLEC, l'article 29 FLEC c'est assez moche
11:12 et au niveau européen, CSRD, voilà je finis avec toutes ces abréviations, mais tout ça va obliger finalement à faire de la transparence, et quand il y a de la transparence il peut y avoir une action
11:24 et on le voit aujourd'hui dans le cadre des assemblées générales de certaines entreprises, je pense à Total, mais il n'y a pas que Total dans lesquelles il y a des say on climate, des rendus comptes de la part des entreprises sur leur plan de décarbonation, leur plan de transition
11:39 et ça, ça permet par cette transparence de pouvoir évaluer et pouvoir agir, les pousser à aller encore plus loin.
11:45 Comment encourager cette finance propre, Lucie, justement ?
11:51 Pour rebondir sur ce que disait Noa, il y a plusieurs opportunités en ce moment que le gouvernement envisage, il y a la loi sur le partage de la valeur, où il serait intéressant de clarifier les règles et de donner du pouvoir aux salariés
12:08 pour leur permettre d'utiliser l'épargne salariale au profit de la transition, donc dès lors que vous êtes salarié, vous pouvez faire l'exercice et aller chercher l'information dans quoi votre épargne investit, ça va être extrêmement difficile d'avoir cette information
12:27 donc il faut absolument assurer la transparence à ce niveau là, il faut également assurer qu'il y ait des propositions de fonds d'épargne salariale sans entreprise qui aggravent la situation au niveau climatique
12:41 et donc notamment les entreprises qui développent de nouveaux projets d'énergie fossile, ça c'est une demande qui a été faite par un collectif parmi lesquels on trouve Reclaim Finance
12:55 mais aussi le mouvement Impact, les collectifs pour un réveil écologique, tout un panel d'acteurs qui entend se mobiliser pour mettre l'épargne salariale au service du climat
13:07 vous avez donc ce premier axe d'action, vous avez un autre axe d'action où on attend une décision du ministre à la rentrée prochaine sur le label ISR qui est un peu quand même la star des labels en France
13:24 et qui malheureusement aujourd'hui contribue aussi à la confusion et à l'aggravation du dérèglement climatique et donc il est temps de passer d'une approche best in class à une approche intégrant des exclusions
13:39 et une approche plus dynamique, le comité du label a rendu sa copie récemment, des consultations sont ouvertes et certaines vont vraiment dans le bon sens
13:50 et donc on espère maintenant que le gouvernement acte notamment donc l'exclusion des entreprises qui développent des nouveaux projets d'énergie fossile
14:00 alors actuel, les énergies fossiles exclus sont les non conventionnelles, il faudrait étendre ça à toutes les énergies fossiles, en tout cas à tous les développeurs d'énergie fossile
14:10 puisque de nouveau, nos benchmarks doivent être la science et la science est très claire, les énergies fossiles non conventionnelles sont un problème parce qu'ils génèrent des impacts sur le climat
14:23 mais aussi sur l'environnement où les populations plus importants que les énergies fossiles conventionnelles et donc il faut organiser leur sortie plus rapidement
14:30 par contre dès lors qu'on parle de l'arrêt de l'expansion, c'est toutes les énergies fossiles qui sont concernées, ça c'est pour le gouvernement
14:37 et puis au niveau du contrôle peut-être des pratiques notamment en termes de communication ou d'allégations environnementales
14:47 et bien là il faut que les régulateurs jouent leur rôle de contrôler et sanctionner les acteurs qui auraient des pratiques abusives en termes de communication
15:01 malheureusement la commission européenne a rendu un avis qu'on déplore sur CSRD puisqu'elle n'entend pas préciser plus avant ce qu'elle entend par les fonds durables classés article 9
15:16 en revanche rien n'empêche l'AMF qui a pris une position très claire disant que les énergies fossiles ne devaient pas être dans les fonds article 9
15:25 peut prendre son bâton et sanctionner les acteurs financiers qui commercialiseraient en France des produits qui contiennent de telles entreprises
15:35 et donc tromperait les investisseurs finaux.
15:39 Le temps nous est compté, merci à tous les deux pour votre intervention, on peut les applaudir, merci.
15:48 (Applaudissements)
15:52 (...)