• l’année dernière
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00:00 Si pour votre anniversaire par exemple, on vous demandait de choisir entre un cadeau
00:05 kitsch et un cadeau de mauvais goût, je suis à près à parier que vous pencheriez pour
00:09 le kitsch, car le kitsch est devenu cool.
00:12 Alors que pour assumer le mauvais goût, il faut certainement, et je poserai la question
00:16 à mes invités, une part de provocation.
00:18 Et si tout ce que je venais d'énoncer était en réalité remis à plat par la définition
00:23 que l'on pourrait faire du kitsch et du mauvais goût ? Une définition qui varie
00:27 certainement d'un individu à l'autre et au fil du temps.
00:30 Le kitsch a été un style décrié, marqué par le manque de goût, et il est aujourd'hui
00:35 branché.
00:36 Mais le manque de goût c'est quoi ? Du mauvais goût ? Quelle différence avec le
00:39 kitsch ? Vous l'avez compris, j'ai beaucoup, beaucoup de questions à poser à nos deux
00:43 invités.
00:44 On va évidemment questionner ces deux notions, également avec Sandra et Tina de la communauté
00:49 du Book Club.
00:50 Mais c'est pas un peu trop kitsch ? Alors je crois qu'être kitsch, c'est d'abord
00:54 avoir un état d'esprit, parce qu'en fait c'est aimer les choses délicieusement surannées.
00:58 C'est par exemple aimer porter une tenue hors des codes de la mode, c'est chanter
01:03 une chanson des années 80 à tue-tête, c'est pourquoi pas aller autour de France voir la
01:08 caravane et espérer attraper un bob cochonou, ou c'est regretter de ne plus voir les glaneuses
01:14 de Millet sur les boîtes de chocolat aujourd'hui.
01:16 En tout cas, moi j'ai une certaine affection pour ceux qui assument totalement leur côté
01:20 kitsch, parce que ce sont souvent des nostalgiques très attachants, et puis le comble pour eux,
01:26 c'est qu'un jour, sans le vouloir, ils deviennent à la mode.
01:28 C'est chanter une chanson des années 80 à tue-tête.
01:37 What's love got to do, got to do with it? Yeah!
01:42 What's love got to do, got to do with it? One more time!
01:46 What's love got to do, got to do with it? Once more!
01:51 What's love got to do, got to do with it? Everybody, say!
01:56 What's love got to do, got to do with it? What's love got a second hand emotion?
02:05 What's love got to do, got to do with it? Who needs a heart when a heart can be broken?
02:14 What's love got to do?
02:16 France Culture, le book club, Nicolas Herbeau.
02:25 Wonderful!
02:30 Oh yeah! Thank you!
02:35 Hommage à Tina Turner en ouverture du book club "Légendes du rock" qui est mort hier à l'âge de 83 ans.
02:40 On parlera évidemment de musique dans cette émission consacrée au kitsch et au mauvais goût.
02:46 On vous posera la question, messieurs, mes invités qui sont dans ce studio.
02:49 Bonjour Gilles Lipovetsky.
02:52 Vous êtes philosophe, sociologue.
02:54 Vous publiez avec l'universitaire et spécialiste de la littérature Jean Serrois l'ouvrage intitulé
02:58 "Le nouvel âge du kitsch et c'est sur la civilisation du trop" qui paraît aux éditions Gallimard.
03:04 Gallimard, où vous aviez déjà publié avec le même Jean Serrois "L'esthétisation du monde"
03:09 où vous écriviez déjà le kitsch, "Le monde est kitsch".
03:13 Alors avant de voir l'évolution du kitsch, peut-être, essayons de le définir.
03:17 C'est quoi selon vous ce mot? D'où vient-il et que désigne-t-il à l'origine?
03:22 Il a une origine datée qui ne pose pas un grand problème.
03:30 C'est quelque chose entre 1860 et 1880 en Bavière.
03:35 Les origines sont très discutées par les linguistes, par les bons etc.
03:39 Ça n'a pas un intérêt majeur pour la question, en tout cas tel que nous l'avons prise.
03:45 Le kitsch est d'emblée assimilé à un produit de mauvaise qualité, à des copies industrielles.
03:57 Ça accompagne le monde industriel.
04:00 C'est également associé à ce qui n'a pas de valeur, qui est un peu médiocre,
04:06 mais aussi très vite ce qui est tape-à-l'œil.
04:10 Ce qui renvoie aux intérieurs bourgeois, les tapisseries, les tapis, la surcharge, l'excès décoratif.
04:20 Le kitsch n'est pas un concept scientifique.
04:26 C'est un terme qui a une fortune incroyable,
04:31 puisque c'est un des rares mots qui est à peu près compris dans la culture cultivée,
04:36 et bien sûr dans le monde entier.
04:38 Au Japon, en Turquie, en Amérique latine, on dit kitsch, on comprend ce que c'est.
04:45 Ce n'est pas évident à part quelques mots anglais.
04:48 Mais kitsch a évidemment mauvais goût aussi, mais seulement aussi.
04:56 C'est une constellation qui renvoie à un monde moderne de l'industrialisation, de la copie,
05:04 et qui a suscité d'emblée de la part des philosophes et des artistes le dénigrement.
05:15 Le kitsch c'est surtout ce qu'il ne faut pas faire, ce qui n'est pas bien, ce qui n'a pas de valeur.
05:21 À l'opposé de l'art, de l'avant-garde, du purisme, qui là est le côté bon,
05:31 alors que le kitsch est du côté du trop, de l'excès, du décoratif, du manque de qualité.
05:37 On va voir justement dans les différents domaines, on l'a dit, un peu de musique, dans l'art, dans la littérature aussi,
05:43 comment on fait référence à ce mot kitsch, qu'on écrit d'ailleurs de manière très différente dans toutes les langues que vous avez citées,
05:49 même si le son revient évidemment à chaque fois.
05:53 Alors, je l'ai dit, ressemblant sous différence entre le kitsch et le mauvais goût,
05:57 pour en discuter, nous avons convié Nicolas Destiendorf. Bonjour Nicolas.
06:02 Vous êtes journaliste, écrivain, auteur de romans, nouvelles biographies et d'essais comme ce dictionnaire amoureux du mauvais goût
06:09 que vous publiez évidemment aux éditions Plon. Quelle différence vous faites entre le kitsch et le mauvais goût ?
06:16 Vous me refilez de la patate chaude, débrouille-toi mon coco.
06:20 Alors, d'abord, le kitsch, la preuve en est, le kitsch peut être théorisé, le kitsch a une véritable définition.
06:27 Le mauvais goût c'est totalement fluctuant, le mauvais goût c'est la subjectivité absolue,
06:30 ce qui fait que dans une collection comme le dictionnaire amoureux, ça passe.
06:33 Le mauvais goût en fait, on est dans le partiel. Le mauvais goût d'abord c'est le goût de l'autre.
06:38 C'est un jugement de valeur.
06:41 Ça se définit par opposition aux autres.
06:43 Ça se définit par opposition aux autres.
06:45 Moi dans mon cas, d'un côté vous avez un livre qui est un vrai essai théorique, ce qu'a fait mon cher confrère,
06:51 et moi c'est une sorte de grand billet d'humeur, c'était aussi un autoportrait.
06:54 Et en fait, j'ai fait un dictionnaire amoureux de mon goût, dans la mesure où on m'a toujours dit,
06:59 depuis que je suis né, que j'avais un goût bizarre, des options étranges, que tout était décalé.
07:04 Enfin, on m'a toujours dit que j'avais mauvais goût.
07:05 Et un jour je me suis dit, bon, je vais écrire une sorte de brévière,
07:08 et j'ai plongé dans tout ce qui était considéré par les autres comme du mauvais goût, et j'ai développé.
07:13 - Est-ce qu'on vous a dit que vous étiez kitsch ?
07:15 - Kitsch, on me l'a dit pour certaines choses.
07:17 Kitsch, effectivement, on est plus dans l'esthétique, on est dans le décoratif.
07:21 Parce que je parle aussi de littérature, de cinéma, j'élargis.
07:27 Mais la définition du mauvais goût, c'est la question qu'on me pose à chaque fois que je fais des interviews au sujet de ce livre.
07:32 Je suis incapable de le faire, parce que j'ai passé 600 pages à essayer de définir ce concept, et je n'y arrive pas.
07:37 À la fin, il y a une entrée qui s'appelle "Le mauvais goût vu par", et j'ai demandé à différentes personnes,
07:41 tout le monde me donne une définition différente, et l'une de celles, enfin il y en a deux qui me plaisent beaucoup,
07:46 celle de Baudelaire disant que c'est le plaisir aristocratique de déplaire, chose que je pratique d'une manière complète.
07:52 - Assumée ?
07:53 - Totalement assumée, revendiquée, patentée.
07:55 Et moi, c'est mon camaradier Anne Kefelek qui m'a dit "c'est le bon goût avec une pointe canaille",
08:00 et ça, c'est une formule que j'aime bien.
08:02 - Ça veut dire qu'il y a une frontière sociale aussi, très claire, dans le mauvais goût et dans le kitsch ?
08:09 - Oui, naturellement, parce que longtemps, le kitsch a été dénoncé comme une culture populaire et industrielle,
08:19 donc vouée aux classes qui veulent copier.
08:23 Il y a le côté "c'est faux, le kitsch est faux", il y a presque une nuance morale là-dedans.
08:29 - La négation de l'authentique.
08:30 - Exactement.
08:31 Et aussi, un peu après, même les fameux nains de jardin, le goût populaire et le goût du brillant.
08:41 Alors, les salles de cinéma au début du siècle, c'est pour impressionner le chaland, pour absolument fasciner les gens.
08:52 - Pour copier l'opéra aussi ?
08:53 - Absolument, pour copier l'opéra, pour lui donner une dignité, mais en fait, tout ça est du faux, du clinquant.
08:59 Alors, ça, c'est, je dirais, associé au kitsch historique.
09:05 Le problème, c'est, en tout cas dans notre livre, on fait une hypothèse, c'est que le kitsch est à la fois toujours le même,
09:14 mais en même temps, il change.
09:16 C'est une erreur de vouloir le momifier.
09:19 Il a une histoire, et cette histoire autorise à parler d'un néo-kitsch, devenu d'ailleurs hyper-kitsch par l'ampleur,
09:28 on va en parler, mais l'une de ces figures, alors pour rebondir là-dessus, qui manque de changement,
09:36 c'est que longtemps, le kitsch, en tant que mauvais goût, tape à l'œil, etc., était démonisé,
09:43 maintenant, il est valorisé.
09:46 Alors, là, les repères changent, parce que ce qui était autrefois vraiment l'abomination de l'abomination,
09:54 et d'ailleurs, quand même, les grandes marques de luxe mondiales jouent avec le kitsch, la mode joue avec le kitsch,
10:00 les gens se maquillent d'une manière outrancière, mais on trouve ça sympa, marrant,
10:08 donc le rapport au kitsch a changé.
10:12 - Évidemment. - Et au mauvais goût, du coup.
10:14 - Et au mauvais goût, du coup aussi. Est-ce que c'est une définition, une évolution en parallèle ?
10:19 Est-ce que ce qui était kitsch avant, et qui est devenu branché aujourd'hui, est passé du bon au mauvais goût ?
10:26 - Ce qui est intéressant dans ce livre, c'est que vous montrez qu'effectivement, le serpent finit par se mordre la queue,
10:33 c'est-à-dire que le kitsch populaire rejoint le kitsch des ultra-riches, c'est-à-dire que d'un côté,
10:37 on a les gros aides dans la Vérité, temps de le faire tranquille, et de l'autre côté, on a Donald Trump,
10:41 et on a les grands milliardaires saoudiens qui mettent le Salvator Mundi de Leonardo da Vinci,
10:46 qui vaut 4,58 millions d'euros, dans leur yacht. Donc en fait, on est dans un monde,
10:50 en fait, le monde s'est totalement kitschifié, à vous le dire.
10:54 - Des grands tableaux dans des yachts, et puis des objets d'art kitsch dans les musées, on y reviendra dans un instant.
11:01 - Ou dans les rues de Paris. Parlons-en.
11:04 - Ça c'est référence évidemment au Dictionnaire amoureux de Paris, que vous avez aussi publié,
11:08 mais on va d'abord, parce que vous avez une petite obsession pour les dictionnaires amoureux, Nicolas Deschendames,
11:13 vous dites "ce sont des autoportraits", vous écrivez "mon mauvais goût est une auberge qui n'a rien d'espagnol,
11:18 mais tout d'un grenier, un grenier braillard et cocasse", que vous avez tenté de ranger tout de même,
11:23 et alors il y a deux catégories, il y a le mauvais goût que vous aimez, qui se transforme en bon goût,
11:27 ça j'ai pas compris, vous allez me le dire, et le mauvais goût qui vous irrite.
11:30 - Alors ça c'était, parce qu'en fait c'était très compliqué de, disons, d'organiser tout ça,
11:35 en fait j'ai divisé en deux camps, le mauvais goût avec un cœur, qui est en fait un mauvais goût,
11:39 des choses considérées comme du mauvais goût, qui en fait sont des choses que j'aime,
11:43 et le mauvais goût avec un as de pique, qui sont ouvertement des choses qui me hérissent, qui révulsent, qui m'obsèdent,
11:49 et donc ça va de A à Z, donc d'andouillette avec un cœur, à zone d'activité commerciale avec un as de pique.
11:54 Et entre ça, ça me permet en fait surtout de passer au crible et à la sulfateuse,
11:58 et de lancer des coups de chapeau ou des coups de pique à des choses qui me plaisent ou qui me répilent.
12:04 - Et comment tout cela est reçu par les lecteurs ? On va écouter Anthony.
12:08 - Le mauvais goût. Moment gênant, voire honteux, qui tisse des barrières sociales.
12:13 Et on peut même affirmer que lorsqu'on s'en rend compte, il est déjà beaucoup trop tard.
12:17 Et c'est bien pour cette raison que Nikola Destjendorff m'a fasciné avec cet ouvrage à la fois drôle, sarcastique et nostalgique.
12:24 J'ai particulièrement aimé lorsqu'il devient partiel, régressif, injuste et en même temps si attachant.
12:30 Parce que l'auteur observe notre société, et vous allez découvrir avec lui des individus oubliés,
12:35 pour de bonnes ou de mauvaises raisons, des pratiques désuètes, des petits moments de l'histoire.
12:40 Et vous allez rire. Rire comme rarement parce qu'avec ce style-là, l'auteur danse sur l'inavouable.
12:45 Alors vous le verrez, aligné des punchlines qu'on aimerait à resservir dans un dîner en famille,
12:51 comme un plaisir coupable. Et tout le monde s'exclamerait "Pas ça Nikola, pas aujourd'hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait".
12:59 J'aimerais ainsi poser une question à Nikola Destjendorff sur l'hérédité du mauvais goût.
13:04 Est-ce que finalement on hérite du mauvais goût ? Est-ce qu'on devient de mauvais goût ? Est-ce qu'une coupe mulée est éternelle ?
13:12 D'abord merci beaucoup, parce que des critiques aussi bien troussées et synthétiques, ça me fait très plaisir.
13:20 Donc merci cher auditeur. Ensuite, l'hérédité du mauvais goût, en l'occurrence, moi mon mauvais goût me vient pour partie de mon père,
13:31 qui m'a élevé en me faisant découvrir des choses. A l'époque où j'ai grandi dans les années 80, où mes petits camarades écoutaient "Ah ah"
13:38 ou tout ce qu'on écoutait à cette époque-là, moi j'écoutais Georges Juss, Fernand Del, les sketches de Fernand Reynaud,
13:44 et je voyais des films complètement hors genre. Mes copains allaient voir "Top Gun", moi je rentrais pour aller voir les films de Jean-Pierre Mecky, que la 6 diffusait.
13:50 Donc en fait j'ai poussé hors des cadres, sans vraiment le savoir, je ne me rendais pas compte, j'étais fils unique.
13:56 Donc j'ai grandi comme une espèce de chardon un peu en parallèle, et donc ce qui était considéré comme du mauvais goût, c'était juste mon goût à moi.
14:03 Donc j'ai grandi un peu en décalé, mais avec un miroir permanent. Et cette hérédité, oui, je pense qu'ils ont mis de l'engrais un peu étrange sur moi,
14:15 et j'ai poussé là-dedans, et ça a donné cette espèce de livre un peu hors cadre, où je dis tout ce que j'aime et tout ce que je déteste.
14:22 - Est-ce qu'il y a une forme de reproduction sociale du mauvais goût ? Je ne sais pas comment le dire, Gilles Lipovetsky ?
14:28 - Oui, le mauvais goût, et vous venez de le dire, il y a une dimension forcément à un moment donné subjective, mais il y a quand même une dimension sociale.
14:40 Quand on a un type de formation littéraire, universitaire, etc., généralement les goûts ne sont pas les mêmes.
14:51 C'était Bourdieu qui l'a longuement développé. Les mêmes, il y a tout un type de jugement.
14:59 Maintenant, c'est vrai que dans l'époque de l'hyperindividualisme, ces repères se brouillent.
15:06 Vous l'avez justement rappelé, il y a désormais un mauvais goût qu'on peut considérer comme mauvais goût aussi bien dans les ultra-riches que dans le goût dit populaire.
15:21 - Vous utilisez le mot "mauvais goût" et pas le mot "kitsch". - Oui.
15:24 - Voilà. C'est intéressant. - Mais enfin, là ça se croise quand même.
15:30 - De toute façon. - Je voyais dernièrement, il y a eu une polémique sur les joueurs de football brésiliens qui ont mangé des côtelettes d'agneau saupoudré de paillettes d'or.
15:43 Bon, alors là, oui, ça rentre dans le mauvais goût si vous voulez. Voilà. Mais c'est un mauvais goût d'attitude plus que d'esthétique.
15:54 Alors voilà. Mais quand même, pour complexifier la chose, il faut ajouter aussitôt que le kitsch ou tout kitsch n'est pas nécessairement de mauvais goût.
16:08 Par exemple, évidemment, c'est minoritaire, mais quand même, il y a quelque chose de génial parfois dans le kitsch.
16:15 - Le kitsch est de mauvais goût pendant un temps et ensuite redevient... Oui, voilà, c'est ça.
16:19 - Et dans certaines formations, dans certaines... La production de masse, bon, évidemment, les séries sur Netflix, etc.
16:27 Mais quand on regarde Fellini, quand on regarde Almodovar, quand on voit... - Jean-Pierre Mocky.
16:32 - C'est kitschisant, si vous voulez. C'est pas peut-être kitsch-kitsch, mais c'est kitschesque. Et là, il y a une beauté du trop.
16:42 - Ça devient la contre-culture. - L'excès n'est pas nécessairement le mauvais goût.
16:48 - Alors si on revient dans l'histoire... - C'est le baroque, si vous voulez.
16:50 - Voilà, justement. J'allais vous y emmener. L'art baroque et le kitsch, vous faites des liens entre les deux.
16:56 Vous dites que tout cela apparaît autour du débat autour de la question du goût, bien sûr.
17:01 Et vous faites référence au philosophe Montesquieu, Kant. Et notamment, on y arrive.
17:07 La création des différentes académies dès le 17e siècle, l'Académie française, l'Académie royale de peinture, de sculpture,
17:13 l'Académie des sciences, qui édictent des normes, des règles, c'est carré. Ça rentre dans le cadre ou ça ne rentre pas dans le cadre ?
17:20 - Oui, alors à ce moment-là, il y a une normalisation du goût, une institutionnalisation du goût,
17:25 et qui fait qu'à partir d'un certain moment, il y a des formes légitimes et des formes qui deviennent illégitimes.
17:33 C'est pas absolument nouveau, parce que depuis des millénaires, la culture supérieure a toujours dénigré la culture du peuple.
17:40 C'est une vision aristocratique, élitiste. Mais avec le monde industriel, évidemment, ça change de registre, mais le schéma demeure.
17:50 Il faut qu'il y ait un autre.
17:52 - Et ce qui est intéressant, c'est que ce mauvais goût pictural, en tout cas dans le cadre des académies,
17:59 c'est l'académisme pictural de la fin du 19e, est aujourd'hui assimilé à une forme de mauvais goût aussi.
18:04 L'orientalisme, les tableaux de Jérôme, ça a toujours été regardé un peu de haut, comme étant trop propre.
18:11 Germanelle est toujours considérée comme à la limite du bon goût, parce que c'est trop propre, c'est trop net, et c'est trop parfait.
18:17 - Et en même temps, les artistes pompiers sont à Orsay. - Absolument.
18:23 - Alors bon, ça brouille quand même sérieusement les choses. - C'est une grande peinture académique, très classique, très officielle.
18:28 - Annoncée par les avant-gardes, Jean-Luc Greenberg, le fameux texte magnifique d'ailleurs de Greenberg sur "Il",
18:35 pour lui, c'est l'horreur absolue. Et maintenant, quand même, on y trouve un certain charme.
18:42 - Il y a le cas de l'Opéra de Paris qui a été tellement attaqué, quand on voit ce que Debussy disait,
18:46 que c'était une grande salle de bain turque, et que les gens sont toujours... Il y a une ambivalence.
18:51 Évidemment, c'est passionnant et incroyable, et quand on va devant, on se dit "quand même, il y en a trop, il y en a trop, il y en a trop",
18:56 mais ça reste une espèce de bâtiment unique, une espèce d'épiphanie assez miraculeuse.
19:01 - Parce que ce qui se rajoute là-dessus, la nouveauté, et ça, il n'était pas à la naissance du kitsch, c'est le second degré.
19:11 - Eh oui, voilà. - Ce que vous pratiquez avec grâce dans votre livre.
19:18 Mais la nouveauté, c'est le camp. Il y a toute une attitude, c'est mauvais, mais c'est tellement mauvais que c'en est bon.
19:26 Et c'est drôle en même temps, cette culture queer qu'au départ, et qui devient maintenant...
19:32 Vous avez un intérieur design ultra moderniste, et puis dedans, vous allez mettre un jardin ou un bouquet de fleurs avec des roses.
19:40 - Hum, ça c'est marrant. - Mais alors, j'allais vous demander justement, est-ce que le kitsch ne disparaît pas quand il devient à la mode ?
19:49 Est-ce qu'il n'y a pas une histoire d'acceptation ? - Non, il ne disparaît pas parce qu'il est revendiqué en tant que tel.
19:56 Il est revendiqué comme kitsch. Ce n'est pas quelque chose qui disparaît.
20:02 - Dans ce cas-là, il passe de mauvais à bon goût, en fait. - C'est ça.
20:05 - Alors, oui, en fait, dans l'évolution, il n'est plus ni du bon goût, ni du mauvais goût.
20:14 Il est kitsch, il est au service de l'individualité, de la subjectivité de la personne,
20:22 qui montre par la même, non pas, alors pour rebondir sur votre question initiale, son origine sociale,
20:30 mais plutôt sa subjectivité culturelle, ses goûts personnels, ce que vous faites, vous, dans votre livre.
20:36 Voilà, moi, c'est comme ça que je le vois. Il y a un subjectivisme radical dans votre livre.
20:41 - Totalement. - Je pense... - Oui, c'est ça qui est éjouissif aussi.
20:45 - Voilà, donc, mais on le retrouve ailleurs aujourd'hui. Et comme la société est devenue hyper-individualiste,
20:51 et il n'y a plus ces repères-là, du coup, ça ouvre les vannes, permettant à chacun de trouver quand même un certain charme
20:59 à ce qui autrefois était ostracisé. - Vous avez écrit, Gilles Lipovetsky, "l'empire de l'éphémère".
21:06 Alors, ce mot "éphémère", c'est une des entrées du dictionnaire de Nicolas Destiendorf, vous voyez une transition tout à fait kitsch.
21:12 Vous parlez d'une tyrannie de l'éphémère qui caractérise notre époque. Ça veut dire quoi ?
21:17 - C'est-à-dire que tout va trop vite. C'est la culture du selfie, c'est la culture des Snapchat.
21:23 En fait, on vit dans une époque où il n'y a plus de mémoire. On vit dans une époque de poisson rouge.
21:27 Donc, la mémoire, c'est la culture, c'est le savoir, c'est savoir remettre les choses en perspective.
21:32 Là, maintenant, les gens ont le même problème avec le vocabulaire. Il n'y a plus de nuance.
21:36 Maintenant, vous avez un terme, vous avez un mot, et on s'arrête là. Alors que remettre les choses en perspective,
21:43 ça permet aussi d'avoir du second degré, et donc d'avoir du recul, et de pouvoir prendre les choses d'un point de vue au-dessus.
21:48 Là, on est écrasé. Et c'est cette culture du selfie que je décris, pour moi, l'incarnation de notre époque.
21:54 C'est la joconde qui, pendant quand même des années, a vu des visages. Maintenant, elle voit des nuques.
21:59 Elle voit des nuques avec des téléphones portables. Donc, cette malheureuse joconde voit des nuques de millions de gens tous les ans.
22:05 Et voilà, on vit dans un monde renversé. C'est ça, notre époque ?
22:08 - Oui, Gilles Lipovetsky, vous dites "notre époque est porteuse de la dignification du kitsch".
22:13 - Oui, la dignification du kitsch, c'est évidemment sa consécration dans les grandes instances.
22:21 Jeff Koons, il est chez Guggenheim. Et c'est le peintre vivant le plus cher du monde.
22:35 Donc, il y a une consécration de faits qu'il faut prendre. Alors qu'au départ, c'est le cheap, c'est le bon marché, c'est le sous-luxe, le pseudo.
22:48 Et là, maintenant, ça a acquis une dignité. Mais par rapport à l'éphémère, je dirais en effet, j'avais écrit ce livre "L'Empire de l'éphémère",
22:58 cette idée, à sa part de vérité, dans le livre là sur le kitsch, on a plutôt insissé sur la dimension de trop.
23:07 Mais tous les exemples que vous avez dit entrent là-dedans. C'est vrai qu'on est passé du kitsch bourgeois au kitsch consumériste.
23:17 Et ce kitsch consumériste, il est hyper, il est proliférant, il est inflationniste. Tout est devenu trop.
23:24 Il y a une magnifique sculpture hyper réaliste, on voit une femme avec des bigoudis, avec un caddie mais qui regorge.
23:32 On sort dans un hypermarché. C'est kitsch, non pas au sens esthétique, c'est kitsch parce que le trop, l'excès, est devenu un mode de vie.
23:43 - C'est les photos de Martin Parr, ces gens entassés sur une plage, on cherche Charlie au milieu de tout ça, c'est de la masse humaine.
23:52 - Et ce trop, cet excès, qui au départ est décoratif, aujourd'hui s'infiltre partout.
24:00 Quand on a Tina Turner, etc., dans le show business, il n'y a pas une seule émission qui ne soit pas hyper kitsch par l'éclat, les lumières, l'étincellant.
24:14 Et en même temps, on aime cette part de féerie.
24:20 - Ça me fait penser à une question qui m'est venue tout à l'heure, on a appris avant le début de l'émission, la mort de Jean-Louis Murat,
24:26 compositeur, interprète français, à l'âge de 71 ans, il avait sorti un album en 2020 qui s'appelait "Baby Love" avec une pochette rose.
24:36 Et on s'était posé des questions, notamment chez les critiques, est-ce que c'est pas un peu kitsch ?
24:40 Est-ce que le rose, par exemple, ça fait partie du champ du kitsch ?
24:45 - Oui, évidemment, on appelle ça "girly" même, le rose girly, et la mode, ne craigne plus ce rose, longtemps c'était impossible, ce rose c'est pas possible.
24:57 - C'est la poupée Barbie. - C'est Barbie, voilà.
24:59 Et maintenant, il n'y a plus de problème, on joue avec ça, les sacs en rose, et c'est revendiqué en tant que tel.
25:07 Ça exprime un monde dans lequel la hiérarchie des valeurs a été brouillée, et donc qui rend possible des jugements de goût fondés simplement sur le plaisir subjectif.
25:22 - Et le rose, c'est le kitsch japonais aussi, c'est une couleur qui est beaucoup rêvée par le Japon avec les Hello Kitty, toutes ces choses-là.
25:27 - Alors on a parlé de Tina Turner, de Jean-Louis Murat...
25:29 - Alors là, c'est un rose, et en même temps un rose cute, un rose mignon.
25:33 - Mignon, mignon. - Mignard, comme vous dites, j'aime beaucoup le mot mignard.
25:37 - On parlait de la scène musicale, donc puisque vous l'abordez vous aussi dans vos livres, tous les deux, à la lettre B, Nicolas Destiendorf, on retrouve "Boîte de nuit", et c'est sur cette entrée que notre lecteur Anthony s'est arrêté.
25:50 - "Boîte de nuit". J'ai toujours eu en sainte horreur les boîtes de nuit. Ces lieux me laissent dans une sidération proche de l'effroi, car je ne comprends pas.
25:58 Que fuit donc ces gens qui s'enferment dans des containers musicaux pour tressauter en vase clos ?
26:02 Agression auditive, promiscuité olfactive, articulation engourdie, souliers ruinés, migraine latente, et à part ça ?
26:08 Sans doute est-ce moi qui suis dans le faux, dans l'erreur, dans l'illusion de mes propres hantises.
26:13 Mais je n'ai jamais compris que des êtres humains aient besoin de se couper de toute parole pour oser enfin se dire les choses, en les mimant.
26:20 Regardez-les qui se contorsionnent en vagissant, qui se déboîtent artistiquement les os avec des visages de ravis de la crèche.
26:26 Je sais bien que ce sont là les prémices nécessaires à quelque fusion d'essence.
26:29 Mais la parade nuptiale est belle chez les cerfs ou les oiseaux, pas chez les cadres épuisés par le labeur et qui ont besoin d'une bonne pédalée.
26:36 Je vous suggère un test fort simple à réaliser.
26:38 Avec votre téléphone, filmer les danseurs d'une boîte de nuit ou d'une soirée, puis visonner le résultat sans le son.
26:43 C'est désolant de vacuité. C'est surtout effrayant.
26:46 Ces visages sans sourire, cette transe douloureuse, ambiguë, et cette profonde solitude.
26:51 À l'inverse, un ballet sans musique, une danse authentiquement muette peut se révéler encore plus gracieuse et magique.
26:57 Car elle est réduite à l'essentiel, le geste et le mouvement.
27:01 Soyons immobiles avec respect pour contempler ce qui bouge avec sens.
27:04 Le reste n'est que convulsion.
27:16 - Lecture du dictionnaire amoureux du mauvais goût de Nicolas d'Estiendorf par notre lecteur Anthony.
27:21 Vous êtes de mauvais goût ou de mauvaise foi, Nicolas d'Estiendorf ?
27:25 - Les deux voyons, Charmy ! J'ai toujours détesté les boîtes de nuit, je n'ai jamais compris.
27:30 Parce qu'en plus, n'ayant pas grandi avec cette culture musicale-là, pour moi c'était de l'agression sonore.
27:35 Pour moi la musique c'est quelque chose, c'est l'art suprême, c'est séraphique, ça tutoie les anges.
27:41 Donc le boum boum boum, enfermé, je dois avoir un clôtelé claustrophobe, mais ça m'a toujours provoqué des crises d'angoisse.
27:48 Et régulièrement quand on m'amène encore dans ce genre d'endroits, pour moi c'est un mystère.
27:51 Il y a un vrai mystère de ce que je dis de la convulsion.
27:55 - Et en même temps vous assumez la chanson-chanson, cette émission de télévision que vous avez adorée.
28:01 - J'ai adoré, surtout ça fait partie de mon enfance.
28:03 J'étais enfant sous Giscard et ado sous Mitterrand, je voyais ça à la télé.
28:07 Et il y avait quelque chose de fascinant parce que ça ne ressemblait à rien d'autre.
28:10 Ça avait une sorte de vue en coupe du monde d'avant qui perdurait dans la modernité.
28:16 Et avec le second degré de Pascal Sauvran, qui était un homme que j'ai un peu connu à une époque,
28:20 qui était un type extrêmement intelligent et très subtil.
28:22 Et on ne savait jamais où était la part de mauvais goût, où était la part de second degré,
28:26 où était la part même d'ironie dans ce qu'il faisait.
28:28 - Mais c'est un dictionnaire amoureux de la nostalgie en fait que vous nous proposez.
28:31 - Je dis toujours que quand je suis né, j'avais 85 ans et que petit à petit je rejoins l'âge que j'avais à ma naissance.
28:36 Donc oui, je suis nostalgique, sans doute parce que le verre-paradis d'amours enfantine, j'en suis jamais ressorti.
28:42 Donc tout ça est assumé, mais la nostalgie était de mauvais goût, cher confrère.
28:47 - Gilles Nipometski !
28:49 - Je lui refais la patate chaude à manteau !
28:51 - C'est la question du baccalauréat !
28:53 - Vous avez deux heures développées !
28:55 - Non, la nostalgie n'est pas forcément...
28:58 Non, c'est une autre dimension, c'est existentiel.
29:02 Moi, à votre différence, j'ai adoré les boîtes de nuit lorsque j'étais jeune.
29:08 Et en effet, la boîte de nuit et la musique qui était alors dispensée, avaient quelque chose de kitsch.
29:21 Mais je pense que cette dimension qu'on voit dans la musique, les slows d'été, toutes ces rengaines, etc.
29:35 Touche des millions et des millions de gens.
29:38 On ne peut pas non plus d'un revers de main décréter ça, c'est simplement le mauvais goût.
29:44 Il y a une dimension dans le kitsch qui est au-delà de ça.
29:51 Et ça touche quelque chose qui renvoie aux sentiments, aux émotions.
29:59 Et c'est pour ça qu'à la fin du livre, nous disons que le kitsch n'est pas à brûler.
30:07 Il y a une part sans doute inéliminable dans le kitsch, c'est la facilité.
30:13 La facilité d'accès à des choses qui touchent spontanément.
30:17 Et quand on voit dans les mélos, la musique sentimentale...
30:24 Le divertissement dans les fêtes aussi.
30:26 On doit cesser de tenir la légèreté du divertissement pour une expérience indigne.
30:31 Comment imaginer une société à part une culture cisterienne dont on ne veut pas ?
30:43 Donc c'est un peu facile.
30:47 Le kitsch peut être une porte d'entrée, effectivement.
30:49 C'est comme j'emmène mes enfants voir le château de Pierrefonds, qui est assez caricatural.
30:54 Qui est une vision très violet-le-duc, mais ça donne envie.
30:58 On a l'impression d'être dans un château du Moyen-Âge.
31:01 C'est comme quand j'étais petit, le monument le plus beau à Paris, c'était l'hôtel de ville.
31:05 Parce que ça dégueulait, ça faisait riche.
31:08 Et ensuite on s'affine.
31:10 C'est comme quand les enfants aiment les dinosaures.
31:14 Ça ressemble aux monstres de leur enfance.
31:16 D'autant que le kitsch peut servir également à renouveler les formes de l'art.
31:21 Malgré tout.
31:22 Parce que ça nourrit la culture de la consommation.
31:26 Le pop est inséparable de tout cet univers.
31:30 Ça a apporté de nouvelles orientations.
31:33 Donc je crois qu'il faut sortir le kitsch simplement de la culture de la copie et du mauvais goût.
31:41 Ça l'est, mais il n'est pas que cela.
31:44 Il y a aussi une littérature kitsch, on ne peut pas y échapper.
31:47 Dans le book club, Toto Coelho, sur notre page Instagram, nous dit
31:51 "Je ne vois pas la grossièreté dans le kitsch."
31:53 Les anciens harlequins correspondent à cette définition du kitsch.
31:56 J'ai une certaine tendresse pour eux, au point d'en avoir acheté plusieurs à une époque.
32:00 Maud nous dit "Comme dit Kundera, le kitsch est un voile de pudeur jeté sur la merde de ce monde."
32:06 C'est une citation bien sûre.
32:07 Et Joaly qui enchaîne "Lorsque je pense au kitsch, j'ai toujours en tête cette phrase de Kundera dans l'insoutenable légèreté de l'être,
32:13 lorsqu'il dit qu'un jour nous nous changerons tous en kitsch avant d'être oubliés,
32:17 et que le kitsch c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli."
32:21 Sur la page franceculture.fr du book club, vous trouverez Jean-Pierre qui nous parle lui aussi de Kundera et du kitsch.
32:28 Gilles Lipovetsky, est-ce que vous êtes d'accord avec la vision de Kundera ?
32:31 Oui et non.
32:33 Il dit une chose vraie, il reprend d'ailleurs le grand texte d'Hermann Brohr,
32:39 que le kitsch en tant que miroir embellisseur mensonger.
32:44 Donc en gros, le kitsch embellit, il fait joli, il mystifie.
32:50 Et Kundera développe ça en montrant que l'idéologie soviétique,
32:55 là il cache le côté désagréable, tout le côté insupportable de l'existant.
33:00 C'est une des dimensions.
33:02 Mais aujourd'hui, ce n'est plus tout à fait vrai.
33:07 Il y a un kitsch critique.
33:10 Il y a un kitsch qui n'est pas forcément complice du monde.
33:14 Le kitsch n'est plus nécessairement l'espace du mensonger.
33:21 Quand on voit par exemple une artiste portugaise comme Joana Vasconcelos,
33:29 elle a une face kitsch indéniablement,
33:35 et derrière, il y a une dimension ironique ou critique.
33:42 Mais on pourrait multiplier, quand on voit chez Almodovar...
33:47 - Ça veut dire que ces multiples définitions qu'on a essayé de tracer,
33:54 elles veulent simplement dire qu'il y a de la nuance derrière ces mots,
33:57 derrière le kitsch, derrière le mauvais goût. C'est nuancé.
34:01 - Tout à fait. Je pense qu'il faut pluraliser.
34:04 Il faut pluraliser le kitsch. Le kitsch n'est pas un.
34:08 Il y a des kitsch. Ça a toujours été vrai.
34:11 Il y avait un kitsch mortuaire, un kitsch décoratif, etc.
34:15 Mais il n'y en avait quand même pas beaucoup.
34:17 Tandis qu'aujourd'hui, il explose. Il explose dans des tas de choses.
34:22 Et nous avons à entrer le kitsch de Pierre et Gilles ou de Gilbert et Georges.
34:26 Ce n'est pas le même que celui de Fellini ou de Visconti.
34:31 - Alors, Gilles Lipollet, parce qu'on arrive au bout de l'émission,
34:35 je voulais juste terminer avec une question à Nicolas Destienne d'Orv.
34:38 Si vous relisez ce livre dans dix ans, est-ce que vous serez d'accord
34:41 avec votre classement du bon et du mauvais goût ?
34:44 - C'est une question que je me pose. Je ne suis pas du tout sûr.
34:46 Et c'est ça qui est amusant. C'est-à-dire que c'est une sorte de vie en coupe
34:50 de ma sensibilité à un instant T, de ma vie, de mon évolution esthétique,
34:53 intellectuelle, tout ce que vous voulez.
34:55 Mais voilà, c'est une photo de moi à 48 ans.
34:59 - Dictionnaire amoureux du mauvais goût. Cheplon, évidemment.
35:02 Merci beaucoup Nicolas Destienne d'Orv d'être venu nous en parler.
35:04 Merci beaucoup Gilles Lipovetsky.
35:06 Vous publiez avec votre ami universitaire spécialiste de la littérature Jean Serrois
35:09 l'ouvrage intitulé « Le nouvel âge du kitsch », essai sur la civilisation du trop.
35:13 C'est aux éditions Gallimard.
35:15 Et cette émission qui s'est transformée en éloge de la nuance.
35:18 Merci à tous les deux.
35:20 Dans un instant, l'épilogue du book club.
35:25 D'abord Charles Danzig clôture ses quatre items.
35:27 - La bibliothèque ? Je vais parler de celle, ou plutôt de celles, il y en a plusieurs,
35:32 qui se trouvent à l'intérieur de mon appartement et non des caves que j'ai bourrées de livres
35:36 dont je n'ai pas su me débarrasser.
35:38 Il y a une avarice au départ de l'idée de bibliothèque, ou disons une précaution,
35:44 sinon une panique.
35:46 J'ai depuis l'enfance, où j'ai été perfusé à des souvenirs de guerre et à l'idée du malheur,
35:50 celle que je serai un jour ruiné, qu'une catastrophe adviendra,
35:54 qui me privera de tout moyen pécuniaire ou de me déplacer.
35:57 J'ai donc toujours acheté des livres d'avance.
36:00 La lecture n'est pas pour moi un restaurant où je m'attablerai tous les midis.
36:04 Il me faut un garde-manger, un garde-pensée.
36:07 Il y a une progression dans la création d'une bibliothèque personnelle.
36:11 J'ai débuté enfant avec les livres que l'on m'offrait et que je conservais précieusement à la tête de mon lit.
36:17 Puis très jeune, on m'a réservé une pièce à moi, où j'avais seul accès.
36:21 Je m'y constituais une bibliothèque.
36:23 Livre offert, livre de poche, ou passer mon argent précisément de poche,
36:28 à peine rogné à la fin de l'adolescence par des cafés à la sortie du lycée et des cigarettes.
36:33 J'étais mené par une notion de quantité.
36:36 Il me fallait beaucoup de livres.
36:38 Ne vous laissez pas abuser par l'idée niaise que la quantité s'opposerait à la qualité.
36:43 La quantité peut être un élément de la qualité.
36:46 De même que Victor Hugo est un plus grand écrivain parce que, avec son génie,
36:51 il a écrit des milliers de pages, de même, une bibliothèque est meilleure si elle est à la fois bien choisie et nombreuse.
36:58 Rien ne m'a rendu plus secrètement fier, jeune homme, que la lente constitution de ma bibliothèque.
37:04 J'achetais ces objets précieux que les autres n'avaient pas.
37:07 Précieux parce qu'ils contenaient, précieux parce qu'ils me protégeaient.
37:12 Je les observais avec une passion jalouse, ces objets que je trouvais si beaux,
37:16 parce qu'ils contenaient des œuvres d'écrivains vivants, mais aussi de morts, de beaucoup de morts.
37:21 Il faut les aider, les pauvres.
37:23 Si je n'étais pas là, les écrivains morts seraient aussi oubliés qu'un ministre le lendemain de son renvoi du gouvernement.
37:29 Les fantômes nous aident, il faut les aider.
37:32 Si certains les entendent ululer la nuit, c'est parce qu'ils n'ont pas pris soin d'eux.
37:36 Un livre ouvert aère le fantôme, qui revit grâce à notre lecture.
37:41 Et nous nous nourrissons de lui.
37:43 Ma bibliothèque est le lieu le moins tranquille de mon appartement.
37:47 Je passe mon temps à y hanter les fantômes.
37:50 Les 4 items de Charles Danzigar à écouter sur l'appli Radio France et France Culture.fr
37:54 Un grand merci à toute l'équipe du Book Club, Auriane Delacroix, Zora Vignier, Jeanna Grappard,
37:58 Alexandre Alaïbégovitch et Didier Pinault.
38:00 C'est Thomas Beaud qui réalise cette émission bien sûr, et à la prise de son sommet dit, Jean-Guylain Mège.
38:04 Tournons donc ensemble la dernière page du jour.
38:07 Voici l'épilogue kitsch.
38:09 On m'a toujours dit depuis que je suis né que j'avais un goût bizarre, des options étranges,
38:13 que tout était décalé, enfin on m'a toujours dit que j'avais mauvais goût.
38:16 Le rapport au kitsch a changé. C'est une erreur de vouloir le momifier.
38:20 Et donc ça va de A à Z, donc d'andouillette avec un cœur, à zone d'activité commerciale avec un as de pique.
38:25 Ils ont mis de l'engrais un peu étrange sur moi et j'ai poussé là-dedans.
38:29 Bon, alors là oui, ça rentre dans le mauvais goût si vous voulez.
38:33 C'est kitschisant si vous voulez, c'est pas peut-être kitsch-kitsch mais c'est kitschesque.
38:38 Et voilà, on vit dans un monde renversé.
38:40 Où tout kitsch n'est pas nécessairement de mauvais goût.
38:42 Est-ce qu'une coupe mulée est éternelle ?

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