Sa peur de la mort, son traitement de l'érotisme, ses convictions politiques… Le réalisateur espagnol Pedro Almodóvar se confie à Augustin Trapenard à l'occasion de la projection de son nouveau film "Strange Way of Life" à #Cannes2023.
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00:00 - Mais ça tourne ! - Mais aussi, j'aime le désir physique. Je veux dire que si tu veux, on nous donne les téléphones et on peut se voir cette nuit.
00:11 - Ce qui est intéressant, et vous allez me voir venir, c'est que dans vos films, la mort et le désir ne sont jamais loin. Pourquoi est-ce qu'ils sont si liés, justement ? Ce qui m'inquiète beaucoup pour notre rendez-vous de ce soir.
00:22 - Non, non, si on veut, toi et moi, cette nuit, tu survivras parfaitement cette nuit. Les amants ne meurent pas. Je veux dire, les amants célèbrent qu'ils sont vivants.
00:33 Et beaucoup de fois, c'est vrai, c'est une réaction comme pour réaffirmer qu'ils sont vivants, mais la mort est quelque chose qui se passe autour d'eux.
00:45 - Est-ce que vous avez peur de la mort ? - Ah oui, absolument. Je pense à la mort, je crois que tout le jour. Je suis athée.
00:54 Alors, le passage du temps, je n'ai rien à m'appuyer sur. Et j'aimerais pouvoir avoir un sentiment religieux ou une religion à m'appuyer sur.
01:09 Alors, oui, j'ai beaucoup peur de la mort.
01:25 Cela dépend du lieu. Par exemple, aux États-Unis, il y a des États qui tentent même de prohiber les spectacles de drag queens.
01:36 Pas seulement la homosexualité, mais en Espagne, par exemple, c'est un thème qui a énormément changé dans les dix dernières années, malheureusement.
01:46 Ce qui est intéressant, c'est votre traitement de l'érotisme, justement. L'érotisme qui ne passe pas seulement par les corps, mais aussi par les mots, par le langage.
01:53 Pour vous, à quoi ça tient l'érotisme d'une scène de cinéma ?
01:57 Dans mes films d'années 80, il y a des scènes sexuelles explicites. Mais, en pensant aux films de l'année 40, par exemple, aux thrillers et aux noirs de l'année 40,
02:16 le désir était beaucoup plus présent dans la tête des acteurs, et basiquement dans les yeux.
02:22 Et dans le langage aussi, dans les mots aussi.
02:25 Oui, dans mon film, la sensualité est basée sur les mots. Les corps ne sont pas ou non pas complètement nus,
02:35 je ne mets pas la caméra devant un corps nus dans cette film, mais les mots sont très nus.
02:43 La réaction que chaque cow-boy a devant le désir est beaucoup plus sensuelle et érotique que si il montrait les corps.
02:55 Vous avez employé un mot que j'ai reconnu, le mot "el deseo". Et en l'occurrence, c'est le nom de votre maison de production, Pedro Aldovar.
03:03 Le désir, quel moteur est-ce que c'est pour vous, encore aujourd'hui ?
03:07 Oui, malheureusement, avec le temps, le désir physique s'atténue, il ne disparaît pas, mais il perd l'élément d'anxiété qu'il a quand il est jeune.
03:22 Et maintenant, je veux dire, les désirs, plus loin que le physique, sont basiquement sur la survie de l'être humain.
03:34 Je crois qu'on est dans un moment où on ne sait pas, pour la première fois, jusqu'à quand on va pouvoir vivre sur ce planète.
03:45 Et nous avons, surtout, beaucoup de problèmes idéologiques qui ne sont pas conscients du danger que le changement climatique lui-même porte.
03:57 Mon désir, surtout, c'est, en pensant à mon pays, à l'Espagne, nous allons avoir très bientôt, le 28, les élections.
04:04 Mon désir le plus profond, c'est que la gauche gagne et que la droite, qui est très offensive, disparaisse du programme.
04:15 Vous vous voyez rarement ici politique. Diriez-vous, Pedro Almodovar, que la politique est au cœur, pourtant, de votre cinéma, et ce depuis le tout début ?
04:22 Je crois que la liberté, et tous mes personnages sont très libres, et l'autonomie morale de la même femme, je crois que c'est aussi une position politique.
04:37 "Strange Way of Life", c'est un moyen métrage, Pedro Almodovar, d'une demi-heure, et ça reste quand même un format assez atypique.
04:43 Est-ce que ça veut dire que pour vous, le public habitué aux séries, aux épisodes d'une trentaine ou d'une quarantaine de minutes, n'a plus le temps pour des formats longs au cinéma ?
04:52 Pour moi, il me semble une peine que le spectateur plus jeune soit habitué à voir des narrations de manière de plus en plus brève.
05:00 Mais malgré mon admiration pour Martin Scorsese, je ne crois pas que je fasse jamais une film d'une période de trois heures et quarante-cinq minutes.
05:14 Pour autant, est-ce que vous partagez avec Martin Scorsese cet amour de la salle de cinéma ? Qu'est-ce que ça représente pour vous, une salle de cinéma ?
05:22 Pour que la filmatrice vous attrape, vous devez entrer dans une salle sombre, entourée de gens inconnus.
05:28 Les fantômes du cinéma sont encore vivants, même si les salles se ferment.
05:36 Je crois que les fantômes du cinéma, les grands personnages créés pour le cinéma, vont survivre à tout ce qui nous est ici.
05:45 Merci, Pedro.
05:46 Merci à vous.
05:47 Merci à vous.
05:48 Merci à tous.
05:49 Merci à tous.
05:50 Merci à tous.
05:51 [SILENCE]