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Olivia dénonce les conditions de travail déplorables des internes en médecine ✊
Transcription
00:00 J'ai des patients qui ont vraiment failli pas s'en sortir à cause de moi
00:02 parce que j'étais trop fatiguée pour faire correctement mon boulot.
00:05 J'ai voulu devenir médecin depuis que je suis toute petite.
00:08 Du coup, j'ai passé le bac, je me suis inscrite en médecine, j'ai eu ma première année.
00:11 C'est devenu interne en novembre 2019.
00:12 Quand on est interne, on fait six mois dans un terrain de stage,
00:16 puis on change au bout de six mois et on va dans un autre terrain de stage.
00:19 Moi, je suis interne en médecine d'urgence,
00:20 donc j'ai essentiellement dû faire des stages en médecine d'urgence,
00:23 en réanimation, en anesthésie, en SAMU.
00:25 Tous les métiers qui gravitent autour de la médecine d'urgence
00:28 et qui permettent de devenir urgentiste.
00:29 J'ai d'abord eu des stages où je travaillais jamais moins de 70 heures par semaine.
00:34 Je travaillais régulièrement plus de 15 jours d'affilée.
00:36 C'était difficile de faire moins.
00:37 J'ai pas vu tout de suite que c'était un problème.
00:39 J'ai pas vu tout de suite d'ailleurs que j'étais fatiguée.
00:41 Et donc j'ai continué, j'ai continué parce que j'ai pas pensé que je pouvais dire stop.
00:45 Les stages se sont succédés, tous avec des charges de travail de plus en plus lourdes
00:49 et avec une charge de travail à la fac à côté qui était de plus en plus importante aussi
00:52 parce qu'il fallait que je passe ma thèse avant la fin de la troisième année de mon internat.
00:56 Ça a commencé à devenir beaucoup.
00:57 J'ai commencé à être malheureuse d'être médecin.
00:59 Il y a vraiment plus très bien faire mon boulot.
01:01 Je me souviens d'un jour où j'étais au milieu d'une garde de 24 heures,
01:04 ça devait être la troisième de la semaine.
01:06 Je commets une erreur sur un patient.
01:07 Je devais mettre en place un cathéter, je vais le mettre dans la veine
01:10 et en fait je tremble ou j'ai une seconde d'inattention.
01:13 Peut-être même que je m'endors sincèrement sur mon aiguille parce que j'étais très fatiguée.
01:17 Et en fait je ponctionne l'artère.
01:18 Donc il a fallu qu'on transfuse, qu'on mette tout un tas d'autres médicaments en place.
01:22 Ça a vraiment été compliqué.
01:24 J'ai longtemps cru qu'on allait perdre ce patient.
01:25 On s'est battu pendant une heure et demie.
01:27 Il s'en est sorti et je crois vraiment que j'ai eu une bonne étoile.
01:31 Et mon chef a peu aidé et m'a dit après
01:33 "J'espère que tu te rends compte que c'est comme ça qu'on tue des patients."
01:36 Après ça, j'ai retravaillé une garde de 24 heures.
01:40 Et quand je suis rentrée de cette garde, c'était bientôt la fin du stage.
01:42 Et j'ai vu mon amie qui s'était arrêtée six mois plus tôt pour burnout,
01:47 qui est interne elle aussi, et qui m'a dit
01:50 "Tu sais Olivier, on dirait moi il y a six mois."
01:51 Il a fallu qu'elle me dise ça pour que je me rende compte
01:54 qu'en fait depuis plusieurs semaines, je n'arrivais plus à sortir du lit réellement facilement,
01:59 que j'avais arrêté de sortir, de voir mes proches,
02:01 que je m'étais enfermée complètement à part,
02:03 et que la seule chose que je faisais c'était aller au travail.
02:05 Parce que le fait est que je travaillais presque 100 heures par semaine
02:08 et pendant près d'un mois d'affilée en continu,
02:10 que mes seuls repos c'était mes repos de garde.
02:12 Et c'est des jours où je travaillais jusqu'à 10-11 heures du matin.
02:15 Je crois pas qu'on puisse dire que ce sont des journées non travaillées.
02:17 En tout cas, je refuse de les reconnaître comme telles.
02:19 C'est pour ça que je me suis arrêtée et je pense que ça a sauvé ma vie.
02:22 C'était pas facile de pas réussir à être interne.
02:29 Déjà, je l'ai vécu comme un échec.
02:30 Ça n'était évidemment pas un et je crois que le message clé c'est ça.
02:33 J'étais malade et on m'a rendue malade.
02:36 C'est vraiment la façon dont on nous traite qui m'a rendue malade.
02:40 Épuisée, complètement à bout.
02:42 J'y arrivais plus du tout et je faisais mal mon travail
02:45 et je tirais plus aucun épanouissement.
02:49 C'était extrêmement dur parce que vraiment, c'était le rêve d'une vie,
02:52 devenir médecin et on m'avait dégoûtée de ça.
02:54 J'ai été arrêtée un peu plus de trois semaines.
02:57 J'ai repris le boulot en grande partie parce que je changeais de stage.
03:00 Et le premier jour, j'ai dit au chef que j'avais été arrêtée trois semaines pour burn-out.
03:05 Et que j'étais pas sûre de rester très longtemps dans le stage pour l'instant
03:08 parce que je me sentais pas guérie.
03:11 Que voir un hôpital, ça me donnait des crises d'angoisse,
03:14 que je faisais des cauchemars.
03:16 C'était dur.
03:17 Et le chef, il m'a dit "si t'as besoin d'être là à mi-temps,
03:20 t'es là à mi-temps, si t'as besoin de t'arrêter, tu t'arrêtes.
03:23 Le plus important, c'est qu'à la fin, tu deviens médecin."
03:25 J'ai pleuré pendant des semaines parce que tous les matins, il me disait "bonjour".
03:30 Je rigole.
03:32 Mais c'est horrible.
03:34 On en vient à croire que la norme, c'est la méchanceté
03:36 et à trouver incroyable que des gens soient gentils.
03:39 Moi, j'ai fait ce métier pour prendre soin des gens
03:41 et on prend extrêmement bien soin des gens.
03:43 Et on prend extrêmement mal soin les uns des autres et de soi-même.
03:46 On ne peut pas demander aux gens d'être en bonne santé
03:48 quand on est soi-même en si mauvaise santé.
03:50 Et après, je me suis battue pour aller bien, pour réapprendre à aimer mon métier.
03:53 Maintenant, je me bats pour prouver aux internes plus jeunes
03:56 qu'on peut être médecin en ne s'infligeant pas des conditions de travail
04:00 aussi graves, aussi mauvaises.
04:02 Et s'ils ne le font pas pour eux, il faut qu'ils le fassent pour leurs patients
04:04 parce que vraiment, on commet des erreurs graves.
04:06 Moi, j'ai des patients qui ont vraiment failli pas s'en sortir à cause de moi
04:09 parce que j'étais trop fatiguée pour faire correctement mon boulot.
04:12 Et je ne souhaite à personne de se retrouver dans ce genre de situation.
04:15 J'essaie de montrer ça et j'essaie d'incarner le fait
04:17 qu'on ne peut pas aller aussi mal que ça, soigner correctement des gens,
04:21 être épanouie et être médecin toute sa vie.
04:23 Ou alors, on devient ce qu'on a détesté pendant nos études,
04:26 c'est-à-dire qu'on devient quelqu'un qui répète ce système,
04:29 quelqu'un qui inflige aux internes d'aller aussi mal
04:32 et qui fait que toutes les trois semaines, il y a un interne qui se suicide.
04:35 Moi, j'ai pensé à me suicider pendant mon stage de réa.
04:39 Quand j'attendais le métro,
04:42 je ne disais pas que je me voyais passer sous le métro
04:46 ou que j'avais envie de le faire,
04:48 mais je me demandais ce que ça ferait si je le faisais.
04:50 Quand je conduisais ma voiture, je me disais que
04:52 ce serait tellement facile d'aller droit dans cet arbre.
04:55 Et je n'ai pas vu tout de suite que c'était des idées suicidaires.
04:58 En fait, je l'ai compris quand je me suis arrêtée et que j'ai commencé à voir MC.
05:00 Je crois vraiment qu'il y a très peu de place pour parler de quand ça ne va pas.
05:03 Parce que depuis toujours, on nous demande de tout le temps aller bien.
05:06 On nous le dit dès le début de nos études.
05:08 Un médecin, ça ne s'arrête pas parce que ça a la grippe.
05:10 Un médecin, ça ne s'arrête pas parce que ça tousse,
05:12 parce que ça a de la fièvre.
05:14 On vient travailler, on a des gens à soigner,
05:16 on s'accroche et voilà.
05:18 Un médecin, ça ne tombe pas malade.
05:19 On n'a pas le droit de se sentir mal.
05:21 On n'a pas le droit d'être faible.
05:22 Et même si ce n'est pas toujours vrai,
05:23 même s'il y a probablement des tas de personnes aux ressources,
05:25 on nous a tellement dit qu'on n'avait pas le droit de le dire,
05:28 que ça devait rester secret,
05:29 que ça ne nous vient pas à l'idée d'aller en parler aux autres.
05:31 Donc oui, je pense qu'on est extrêmement mal épaulés.
05:33 J'ai rarement vu un de mes chefs venir me voir et me demander
05:36 "Comment tu te sens aujourd'hui ?"
05:37 "Qu'est-ce qu'on doit changer pour qu'on aille mieux ?"
05:39 Déjà, on pourrait faire en sorte que les internes ne travaillent plus
05:41 pendant 100 heures d'affilée, ou 80,
05:43 mais même déjà 60, c'est aberrant.
05:45 Le droit du travail, partout en Europe,
05:47 c'est 48 heures maximales par semaine,
05:49 ce qui est déjà beaucoup, 48 heures.
05:51 Et si à minima, on bloquait la possibilité de faire trop d'heures,
05:54 et que les heures, en plus des heures normales qui étaient faites,
05:57 étaient rémunérées,
05:59 c'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est payé un montant fixe par mois,
06:01 peu importe le nombre d'heures qu'on travaille,
06:03 en sachant que ce nombre d'heures, de toute façon,
06:05 c'est en moyenne 60 heures par semaine,
06:07 ce qui veut dire qu'en réalité, en deux semaines de travail,
06:09 on a fait les heures qui justifient notre salaire,
06:11 et donc tout ce qu'on fait au-delà, c'est pas reconnu,
06:13 c'est pas rémunéré, c'est jamais compté.
06:15 C'est pas possible d'avoir aussi peu de considération
06:17 pour le travail qu'on fait.
06:18 Les internes, c'est 40% des médecins dans les hôpitaux publics.
06:21 Quasiment un médecin sur deux que vous voyez à l'hôpital est interne.
06:24 Il faut reconnaître leur travail, il faut qu'il soit justement rémunéré,
06:27 il faut qu'il soit décompté pour qu'il soit pris en compte,
06:30 pour qu'il y ait plus de jours de repos, des congés,
06:32 des choses que tout le monde aspire à avoir quand il travaille autant.
06:35 Un autre truc qui serait vraiment bien qu'on mette en place pour que ça aille mieux,
06:38 c'est que les chambres dans lesquelles on dort quand on est de garde
06:41 ne soient pas vétustes.
06:42 En fait, la plupart de nos lieux de vie sont infectés de tous les bestioles qu'on peut imaginer,
06:48 que régulièrement, il n'y a pas de fenêtres qui ferment ou pas de portes qui ferment,
06:51 ce qui rend aussi les lieux particulièrement dangereux.
06:53 Moi, ça m'est déjà arrivé à Paris de trouver un SDF dans mon lit de garde.
06:57 Je ne sais pas si on est mal préparé à devenir interne quand on est étudiant en médecine,
07:00 parce que je crois vraiment qu'on est sélectionné sur notre capacité à tout accepter,
07:05 à ne jamais rien refuser,
07:07 et à tolérer une frustration et un manque d'accomplissement personnel le plus total,
07:12 une abnégation pour nos études et notre métier,
07:15 comme si c'était normal en fait, comme si on était avant d'être des gens.
07:18 On est médecin, on doit effacer notre identité derrière le fait d'être étudiant en médecine,
07:22 derrière le fait d'être médecin, derrière le fait d'être soignant.
07:25 Et le but c'est vraiment de réussir à libérer la parole sur tout ça,
07:28 et à dire que avant d'être médecin, on est un être humain.
07:30 J'adore mon métier, je trouve que je fais le plus beau métier du monde,
07:33 j'en changerai pour rien.
07:35 Mais avant tout, je suis Olivia Fregno, j'ai 28 ans, j'habite à Paris,
07:39 j'ai un chat, je fais de la musique,
07:41 et après, je suis médecin. Mais d'abord, je suis moi.

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