• il y a 2 mois
Lou Lubi, autrice et scénariste de BD, est venue partager son engagement pour la valorisation des cheveux texturés.

Un thème qu’elle explore notamment dans son roman graphique "Racines", une œuvre de 216 pages qui suit le parcours initiatique d’une jeune femme et sa relation complexe avec ses cheveux crépus, ainsi que la place qu’ils occupent dans son quotidien.

Fruit d’un travail de recherche approfondi, ce récit mêle fiction et expériences personnelles, offrant aux personnes aux cheveux texturés une histoire dans laquelle elles peuvent se reconnaître.
Transcription
00:00C'est une évidence que les personnes qui ont les cheveux texturés subissent des discriminations.
00:04Je m'appelle Loulubi, je suis scénariste et dessinatrice de bandes dessinées.
00:08Je suis l'autrice de 12 bandes dessinées, dont Racine, qui parle donc des cheveux frisés et crépus.
00:14Et je suis là pour parler justement des cheveux texturés et de toutes les discriminations,
00:19de la place que ça peut avoir dans la société en général.
00:21Alors le sujet des cheveux, je ne me rendais pas compte, mais il était déjà dans ma vie évidemment,
00:27puisque moi j'ai les cheveux extrêmement frisés, puisque je suis réunionnaise.
00:30Et en fait, ça prenait une place énorme dans ma vie, en temps, en argent, en préoccupation, en santé, en santé mentale même.
00:36Clairement, moi quand j'étais petite, toutes les princesses de Disney, toutes les chanteuses, etc.,
00:40elles étaient absolument lisses, lisses, lisses, partout.
00:43Et forcément, quand on n'a pas de représentation, de jolies femmes qui ont les mêmes caractéristiques que soi,
00:47on ne peut pas s'identifier, on ne peut pas se trouver jolie.
00:48Je ne comprenais pas pourquoi je n'avais pas des beaux cheveux lisses comme toutes les autres.
00:52Et quand je les laissais lâches, ça faisait une touffe et c'était horrible.
00:55Dès que je suis rentrée dans l'adolescence, je les ai défrisés.
00:58J'ai trouvé un peu de répit avec les tresses africaines, parce que ça me permettait de reposer mes cheveux,
01:04de les laisser pousser en étant protégée, donc ça c'était bien.
01:07Mais non, j'ai eu vraiment très très longtemps du mal, je ne pouvais pas supporter mes cheveux naturels.
01:12Et puis il y a eu le Covid, et puis il n'y avait plus de coiffeuse.
01:14Et voilà, de fil en aiguille, je me suis retrouvée avec des cheveux qui étaient les miens,
01:19et je les ai laissés vivre leur vie, et aujourd'hui je les porte avec sérénité.
01:24Et c'est là qu'en fait je me suis dit, mais mince il y a plein de choses que j'ai envie de partager,
01:28plein de choses dont les gens doivent prendre conscience,
01:30parce que c'est pas seulement moi en fait, c'est une large partie de la population qui est concernée.
01:34Et j'ai creusé le sujet petit à petit, et je me suis rendu compte de plein de choses que je soupçonnais absolument pas.
01:39Par exemple, bon, les tissages.
01:40Le tissage c'est une technique de coiffure africaine qui consiste à tresser les cheveux sur la tête,
01:45et à venir coudre par-dessus des mèches, soit synthétiques, soit naturelles.
01:48J'étais en train de travailler ça dans ma bande dessinée,
01:51et je me suis demandé, mais tiens, les cheveux du tissage, ça vient d'où ?
01:54C'est fait en quelle matière ? Et donc j'ai appris que c'était des cheveux naturels.
01:58Ça veut dire qu'une autre femme les a portés avant moi.
02:00Qui est-elle ? Dans quel pays vit-elle ? Pourquoi a-t-elle coupé ses cheveux ?
02:03Et de fil en aiguille, j'ai réussi à remonter un peu l'industrie du cheveu naturel.
02:07Donc on a une partie des cheveux qui viennent d'Inde.
02:10Des hommes et des femmes font des dons dans des temples.
02:12Ça fait partie de leur rituel religieux.
02:14Et à ça, c'est rajouté le marché chinois, qui évidemment vient toujours en production supplémentaire.
02:20Sauf que là-bas, il n'y a pas de rituel religieux, donc ce sont des femmes qui vendent leurs cheveux,
02:24qui les vendent souvent pour très peu cher.
02:25Il y a des cheveux qui peuvent être volés.
02:27Il y a des cheveux qui peuvent être des poils d'animaux traités, qui ont fait passer pour des cheveux humains.
02:31Voilà, il y a beaucoup d'abus potentiels.
02:33Et là, du coup, ça devient beaucoup plus inquiétant.
02:35Et oui, de prendre conscience de tout ça, quand on a soi-même porté des tissages, on se dit mince.
02:39Mais est-ce que ma démarche a vraiment été vraiment éthique ?
02:42Est-ce qu'il vaut mieux ne pas savoir et rester dans l'ignorance pour ne pas se poser de questions ?
02:47Voilà, ça a suscité pas mal d'interrogations.
02:49C'est une évidence que les personnes qui ont les cheveux texturés subissent des discriminations.
02:54C'est le fait de se faire toucher les cheveux sans son accord.
02:57C'est ce côté, waouh, mais tu as l'air sauvage avec cette coiffure.
03:00Moi, j'adore. Je suis jamais sortie avec une femme aux cheveux crépus.
03:04Enfin, voilà.
03:04Ces petites choses au quotidien qui peuvent aller beaucoup plus loin jusqu'aux discriminations au travail.
03:09On a en France le cas, bon c'était un homme, mais Aboubakar Traoré, qui était steward chez Air France,
03:14qui avait les cheveux tressés et à qui on a demandé de porter une perruque pour entrer dans l'avion,
03:19parce que sa coiffure était jugée comme non professionnelle.
03:22Et des exemples comme ça, il y en a plein, des enfants qui sont interdits d'entrer à l'école
03:25parce qu'ils portent leurs cheveux au naturel.
03:27On peut pas prétendre que tout le monde est sur un pied d'égalité.
03:30C'est une statistique aux Etats-Unis, mais 95% des personnes noires
03:34se sont défrisés les cheveux au moins une fois ces 20 dernières années.
03:37Donc c'est tout le monde.
03:38Et c'est gravissime pour la santé.
03:40C'est une technique chimique, le défrisage à froid,
03:42qui consiste à venir défriser le cheveu avec un composant qui est en fait de la soude.
03:47Donc c'est la même chose qu'on utilise pour écurer les toilettes.
03:50Donc comme on s'en doute, c'est pas très bon pour le cuir chevelu,
03:53c'est pas très bon pour le cheveu, c'est pas très bon pour la santé,
03:55ça donne du cancer, cancer des ovaires, cancer de l'utérus, plein de petites choses.
04:00Donc évidemment, il y a quelque chose à faire de ce point de vue-là.
04:02Il faut arrêter d'utiliser des produits qui font du mal.
04:05Et pour ça, je pense qu'il faut changer les mœurs, les esprits en profondeur,
04:09parce que dans une société comme celle actuellement où le lisse est survalorisé,
04:14forcément la tentation est très grande de vouloir se conformer à cette majorité-là.
04:18Et pour ça, il y a un moyen, c'est le défraisage chimique.
04:20Je pense que c'est un effort collectif à faire pour que le cheveu texturé soit mieux mis en avant.
04:25Plus on est nombreux et nombreuses à le porter,
04:28et plus d'autres personnes vont se sentir à l'aise pour le faire aussi.
04:31C'est une question de représentation dans les médias, dans la littérature, en bande dessinée.
04:35Pourquoi pas avoir un personnage qui aurait des cheveux pas lisses ?
04:38Le message que j'ai à faire passer à toutes les femmes qui acceptent ou qui n'acceptent pas leurs cheveux,
04:44c'est que vous avez le droit d'en faire ce que vous voulez.
04:47Alors, faites attention à votre santé quand même, parce que ça c'est important.
04:49Mais si vous vous sentez bien avec des cheveux lisses, ben gardez-les lisses.
04:52Si vous voulez les avoir courts, les avoir longs, les avoir frisés,
04:55c'est pas à la société de vous dire comment vous devez vous coiffer.
04:58Il ne faudrait surtout pas remplacer l'injonction à avoir des cheveux lisses
05:01par une injonction à avoir des cheveux naturels.
05:03Il faut que chacune se sente bien dans ce qu'elle porte, dans ce qu'elle dégage, dans ce qu'elle est.
05:07Et du coup, il faut s'écouter soi-même et vraiment oser suivre ses propres envies.

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