Josette Torrent, la plus jeune résistante de France, nous raconte son histoire : « On ne retrouve pas la vie normale »

  • l’année dernière
À l’aube de ses douze ans, Josette Torrent découvre que son père est résistant et qu’il a besoin d’elle. Elle commence alors une double vie : derrière l’apparence d’une collégienne espiègle se cache l’une des plus jeunes résistantes de France.

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Transcript
00:00 On ne retrouve pas la vie normale.
00:02 Parce que moi j'ai vécu deux vies.
00:04 J'ai vécu une vie en apparence comme tout le monde,
00:08 mais l'autre vie, elle était dedans.
00:12 Bonjour, je m'appelle Josette Thorand.
00:20 Je suis née le 15 avril 1930 à Perpignan.
00:23 J'ai 93 ans et je suis entrée dans la résistance à l'âge de 12 ans.
00:28 Nous habitions Saint-Malo, où j'ai vécu des années heureuses.
00:34 Et il y a eu la guerre, bien sûr, en 1940 la guerre s'est déclarée.
00:38 Mon père en 1939 a été mobilisé, puis les Allemands sont entrés dans Saint-Malo.
00:44 Et ça c'est quelque chose que je n'oublierai jamais de ma vie,
00:47 parce que ça m'a profondément traumatisée.
00:49 Mon père a été démobilisé, bien sûr, mais il s'est fait démobiliser à Perpignan.
00:54 Et c'était fin 1940 que nous sommes revenus.
00:58 On s'est installés là et on a vécu comme on a pu, avec les restrictions, avec tout ce que vous imaginez,
01:03 jusqu'à un jour de 1942, où je reviens de l'école et que je trouve mon père par terre.
01:10 Il s'était trouvé mal. Moi j'ai eu très peur quand je l'ai vu, je croyais qu'il était mort.
01:14 Donc quand il revient à lui, il me dit "J'ai besoin de toi".
01:20 Et alors là il m'explique qu'il est dans la résistance.
01:24 Je n'avais jamais entendu parler, j'avais 12 ans.
01:27 Donc il m'a expliqué en gros ce que pouvait être la résistance,
01:30 mais surtout le danger qu'il y avait, ce qu'il ne fallait pas faire.
01:36 Il fallait se créer, il fallait ne pas se faire voir, il fallait tout un tas de trucs, et surtout se taire.
01:43 Moi j'étais contente, j'étais ravie, parce que je disais "shit, je vais pouvoir faire quelque chose contre les bouches".
01:49 Parce que depuis Saint-Malo, moi c'était... je ne pensais qu'à une chose, à le foutre dehors.
01:55 Et je suis allée faire ma première mission, là dans le tunnel,
01:59 pour porter une enveloppe, je ne sais pas ce qu'il y avait dedans, je n'avais pas le savoir d'ailleurs,
02:05 à une personne dans le tunnel.
02:07 Bon, j'ai fait ce que je devais faire, je suis revenue à la maison,
02:12 et un ou deux jours après mon père m'a dit que le message était bien arrivé,
02:17 et il m'a dit "grâce à toi, tant mieux".
02:21 Après, comme ça s'était bien passé, j'ai dit à mon père "je veux continuer moi".
02:26 "Si je t'aide, peut-être qu'ils partiront plus vite, les Allemands et tout".
02:29 Je n'ai jamais eu peur, parce que j'ai toujours senti mon père près de moi.
02:33 Je crois que c'est cette force-là, je n'ai jamais eu peur.
02:36 Là c'était la classe de géographie que j'avais en classe.
02:40 Et il avait fait ce dessin sur la classe.
02:43 Il avait fait ce dessin, et la classe n'était pas comme ça, il avait aménagé une cache.
02:49 Et il me disait "tu t'assieds sur un banc, avec la gare en face de toi, que tu vois la gare".
02:59 Donc il m'a dit "quelqu'un viendra", alors je m'assieds sur le banc,
03:03 je mettais mes livres et mes cahiers à côté de moi sur le banc,
03:06 j'attendais que quelqu'un vienne.
03:09 Il m'avait dit "quelqu'un", c'était des codes, c'était pas toujours le même,
03:13 là c'était la première fois que je l'ai fait, c'était une histoire de train.
03:17 "Tu entendras une histoire de train".
03:19 J'avais l'atlas à la main, je faisais semblant de lire,
03:23 et cette personne s'est assise, au bout d'un moment elle dit
03:25 "je ne sais pas si ce train aura du retard".
03:28 J'ai vu à un moment qu'il prenait l'atlas et qu'il l'a remplacé par le même.
03:32 Lui il est parti avec mon atlas, et il m'en a ramené un,
03:36 il y avait aussi un message dedans et moi je suis partie à l'école avec.
03:40 Donc j'avais cet atlas, que je surveillais comme le lait sur le feu,
03:45 je ne me suis jamais sentie en danger.
03:48 Est-ce que parce que inconsciemment je savais qu'on veillait sur moi,
03:51 puisque les camarades de mon père m'ont dit que chaque fois que j'étais partie faire une mission,
03:56 ils ont toujours été là pour veiller sur moi.
03:59 Mon père a été arrêté le 2 mars 1944,
04:03 et la dernière mission que j'ai faite, où j'ai eu des attestations,
04:07 c'était en juin 1944, mais mon père a été arrêté.
04:11 Et là il m'avait dit "s'il m'arrive quelque chose, tu vas sur le banc, on peut avoir besoin de toi".
04:16 On ne retrouve pas la vie normale, parce que moi j'ai vécu deux vies.
04:21 J'ai vécu une vie en apparence comme tout le monde,
04:25 mais l'autre vie elle était dedans et s'était démolie complètement.
04:31 Avant je suis restée dans le déni de la mort de mon père, je crois, en 1993.
04:36 Je ne pouvais pas admettre qu'il soit mort, ce n'était pas possible.
04:40 Vu le caractère de mon père et tout, ce n'était pas possible qu'il soit mort.
04:44 Jusqu'à ce qu'un jour, en février 1993, je tombe sur la page de l'Indépendant avec ça.
04:53 Mon père avait un nom de rue, avec "Rue Michel Thorand, martyr de la Résistance".
04:59 La plaque avait été changée avec simplement "Rue Michel Thorand".
05:03 Alors quelqu'un s'était ému de cette histoire sur l'Indépendant.
05:06 Quand je vois ça sur l'Indépendant, j'ai pris conscience que vraiment mon père n'était plus là.
05:11 Ça m'a fait prendre conscience.
05:14 J'ai pleuré toutes les larmes dans mon corps et j'ai réagi auprès de la mairie.
05:18 La plaque a été remise de suite.
05:20 Et à partir de ce moment-là, je me suis investie dans le devoir de mémoire,
05:24 parce qu'il faut quand même être vigilant.
05:27 Parce que tout ce qu'on entend, tout ce qu'on voit, j'ai peur que l'on revienne à ce que nous avons connu.
05:35 Et pour les jeunes, ça me donne du souci.
05:38 Moi je dis que la pire des choses que l'on puisse perdre, c'est la liberté.
05:43 [Musique]

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