• l’année dernière
Josette Torrent est l'une des plus jeunes résistantes françaises durant la Seconde Guerre Mondiale. En 1942, cette Perpignanaise a 12 ans quand elle commence à transmettre des messages secrets à la demande de son père. Elle raconte désormais son histoire dans une autobiographie.

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Mais en attendant à 7h47, notre invitée ce matin sur France Bleu, c'est une Perpignanaise.
00:05 Une Perpignanaise de 93 ans dont la vie est un roman.
00:09 Elle publie d'ailleurs son histoire dans un livre qui vient de paraître.
00:14 Sans doute une des plus jeunes résistantes de France pendant la deuxième guerre mondiale.
00:19 Elle est avec vous à votre micro, Suzanne Chaudjahi.
00:22 Bonjour Josette Thorand.
00:23 Bonjour.
00:24 J'avais 12 ans et j'étais résistante.
00:27 C'est donc le titre de votre livre.
00:28 Vous racontez comment vous avez commencé à aider votre père qui était lui-même résistant.
00:34 Ça a commencé quand et comment ?
00:36 Eh bien ça a commencé en 1942.
00:39 J'habitais à Saint-Malo où mon père avait été muté.
00:42 J'ai vécu là-bas à Saint-Malo, l'entrée des Allemands dans la ville,
00:46 enfin la guerre, ces bruits de bottes, ces chants, tout ça,
00:50 qui venait disons souiller notre France.
00:53 Et moi la France pour moi c'est devenu disons pratiquement une personne.
00:58 J'avais 9 ans et il fallait sauver France et mon père est parti pour sauver France.
01:03 Et nous avons vécu à Saint-Malo pendant deux ans presque.
01:08 Nous sommes partis de Saint-Malo.
01:10 Et vous êtes retournés à Perpignan.
01:12 Et on est retournés à Perpignan.
01:13 Bon, à Perpignan on s'est installés dans l'ancienne maison de mes grands-parents.
01:18 À partir de là votre père vous a simplement dit "bon j'ai besoin de toi,
01:22 j'ai besoin que tu transmettes un message important", c'est ça qu'il vous a dit ?
01:25 Non, on est restés.
01:27 On est arrivés fin 40 à Perpignan.
01:30 Et c'est en 42 que mon père,
01:33 je rentre de l'école, je trouve mon père qui s'était trouvé mal,
01:37 il a eu très peur.
01:39 Quand il est revenu à lui, il m'a dit qu'il avait besoin de moi.
01:42 Il m'a raconté, enfin il m'a expliqué qu'il était dans la résistance,
01:46 un mot que je n'avais jamais entendu,
01:48 bien évidemment, les enfants, je me souviens que j'avais 12 ans.
01:51 Il m'a surtout expliqué que c'était quelque chose de secret,
01:54 que c'était dangereux, qu'il fallait faire attention,
01:58 qu'il ne fallait pas se faire voir, qu'il ne fallait pas parler.
02:00 Mais il m'a demandé de l'aider parce qu'il avait un message important à porter,
02:04 qu'il ne pouvait pas y aller puisqu'il ne tenait pas debout.
02:06 Alors à qui vous l'avez transmis ce message ?
02:08 Eh bien là j'ai été très contente de faire quelque chose, disons, contre les Borges,
02:14 parce que moi j'avais une haine contre eux depuis qu'ils étaient dans Saint-Malo,
02:18 je ne pouvais pas les sentir.
02:19 Et là de faire quelque chose contre les Allemands, j'étais ravie.
02:22 Et j'ai fait ce que mon père m'a demandé de faire, c'est-à-dire j'ai porté le message.
02:27 Ça s'est passé dans un petit tunnel qui rejoignait Saint-Asciscle à la gare,
02:33 et j'ai passé le message là, dans ce petit tunnel.
02:38 Ça a été ma première mission.
02:40 Et vous avez joué les intermédiaires comme ça combien de fois au total ?
02:43 Ça a duré longtemps pour vous ?
02:45 Eh bien jusqu'à la libération.
02:47 Jusqu'à la libération j'ai été l'agent de liaison de mon père.
02:50 Et même mon père avait une autre...
02:53 On faisait passer des jeunes gens en Espagne qui voulaient rejoindre De Gaulle.
02:57 Ça aussi je l'ai fait avec lui, les passages en Espagne,
03:00 toute la filière que mon père avait organisée à partir du village de Lasillas.
03:07 Et vous racontez aussi que votre mère n'était même pas au courant
03:10 de ce que vous faisiez pour votre père, vous avez toujours gardé le secret ?
03:14 Oui, oui, oui.
03:16 Mon père m'avait dit que ma mère était dans la résistance,
03:19 mais pas dans son réseau à lui.
03:21 Mais il n'a jamais dit à ma mère que moi aussi j'étais dans la résistance.
03:25 Ma mère l'a appris quand on a arrêté mon père.
03:28 C'était pour vous protéger en fait ?
03:30 Eh bien je pense, parce que mon père ne m'a jamais...
03:33 Je le sais maintenant, avant je ne m'en suis jamais aperçue,
03:36 mon père ne m'a jamais laissé faire une mission sans que je sois protégée.
03:42 J'ai toujours eu, je le sais par les camarades de mon père,
03:46 qui m'ont dit que chaque fois que j'allais faire une mission,
03:49 il y en avait toujours un ou plusieurs qui me surveillaient.
03:54 Ils ne me surveillaient pas, ils me protégeaient.
03:56 Et quand vous étiez en mission pour votre père, vous n'aviez pas peur ?
03:59 Peur ? Je n'ai jamais eu peur.
04:01 Je craignais de ne pas faire les choses comme il faut.
04:03 Oui, je me disais, il ne faut pas que tu fasses...
04:06 Cette crainte je l'avais, mais peur jamais.
04:10 Et j'avais raison, puisque j'avais des anges gardiens que j'ignorais.
04:14 Mais votre père, il n'avait pas peur pour vous ?
04:16 Parce que même s'il envoyait des gens, comme vous dites,
04:20 vos anges gardiens pour vous surveiller, vous protéger,
04:23 il vous faisait quand même courir un énorme risque ?
04:25 Oh ben, je n'ai jamais pensé que je courrais des risques avec lui. Jamais.
04:29 Josette Thorand raconte son histoire de résistante.
04:33 Elle a commencé à l'âge de 12 ans.
04:34 Elle est notre invitée exceptionnelle ce matin sur France Bleu au Sillon.
04:38 France Bleu France 3 matins revient dans un instant.
04:43 Chaque semaine, le magazine Méditerranée
04:50 explore les rives du bassin méditerranéen,
04:52 centre de tous les changements, conflits et évolutions de notre siècle
04:56 à travers des regards, des portraits, des histoires.
04:59 Méditerranée vous invite à découvrir les réalités complexes
05:03 de cette mosaïque carrefour des civilisations.
05:07 Méditerranée au, c'est samedi à 9h35 sur France 3 Occitanie.
05:12 7h52 sur France Bleu au Sillon et France 3 Pays Catalan,
05:20 témoignage rempli d'émotion et de courage ce matin.
05:23 Témoignage d'une résistante, vous, Josette Thorand, vous êtes avec Suzanne Chojaï.
05:28 Vous racontez aussi dans votre livre comment votre père a disparu subitement.
05:32 Il a été arrêté puis déporté.
05:34 Mais vous, vous avez mis des années à accepter sa mort.
05:37 Ah ben oui, parce que bon il a été arrêté en 42,
05:40 j'ai fait ce qu'il m'avait dit de faire.
05:42 Il m'avait dit, s'il m'arrive quelque chose,
05:45 tu prends ta bicyclette dégonflée, tu vas,
05:47 il m'avait fait voir une maison dans le quartier,
05:49 tu vas dans cette maison, tu sonnes et tu dis,
05:52 est-ce que vous avez une pompe ?
05:54 Papa n'est pas là pour m'arranger la bicyclette.
05:56 Et c'était un camarade de mon père du réseau
06:00 qui a averti tout le réseau.
06:02 Et tout le monde a été sauvé, personne n'a été arrêté.
06:05 Et de là, je devais partir à la maison pour brûler
06:07 tout ce que nous avions à la maison,
06:08 tous les codes, tout ce que nous avions,
06:10 que j'avais cachés dans les roseaux qui servaient de tuteurs automates.
06:15 Et quand je brûlais tout, ma mère est arrivée.
06:18 Elle a crié, qu'est-ce que tu fais, t'es folle, tu vas mettre le feu ?
06:22 Ben je lui ai dit, je fais ce que papa m'a dit de faire.
06:25 Elle me dit, comment ?
06:27 Je lui ai dit, papa est arrêté.
06:29 Elle me dit, comment tu le sais ?
06:31 Je lui ai dit, ben je le sais.
06:32 Et elle aussi l'avait su, mais après moi quoi.
06:34 Vous avez été informé de son arrestation,
06:36 mais vous ne vouliez pas croire pendant des années qu'il était mort.
06:39 Pendant un an, nous n'avons absolument rien su de mon père.
06:43 On ne savait pas ce qu'il était devenu.
06:45 Mais on sait maintenant qu'il avait été pris dans le brouillard.
06:50 Vous savez, ce que les Allemands,
06:52 quand ils avaient un résistant qui pensait important,
06:55 ils le faisaient disparaître aux yeux de tout le monde.
06:58 Ce qui fait qu'on ne savait pas ce que mon père était devenu,
07:02 où il était, on savait qu'il avait été à la citadelle.
07:05 Et avec un petit papier qu'on a reçu un jour dans la boîte aux lettres,
07:10 qui nous disait qu'il était parti pour l'Allemagne.
07:12 On pensait qu'il était prisonnier de guerre,
07:14 parce qu'on ignorait totalement qu'il y avait des déportés à l'époque.
07:17 Début 1945, les prisonniers de guerre ont commencé à rentrer en France.
07:23 Avec ma mère, nous sommes allés à tous les trains,
07:26 avec une photo de mon père,
07:28 pour demander à ces pauvres gens qui descendaient de ces trains.
07:33 Un jour, il y en avait un qui était là,
07:35 qui nous a dit "oui, je le connais, j'étais avec lui au camp de Flossenbourg"
07:40 et il est mort le 17 novembre 1944.
07:43 Et moi, je suis restée pétrifiée,
07:45 sans pouvoir ni parler, ni quoi que ce soit.
07:48 Je suis rentrée chez mes grands-parents,
07:50 qui habitaient pas loin de la gare,
07:52 et ma grand-mère m'a dit que je m'étais mise contre un mur,
07:56 sans parler, sans pleurer, sans rien,
07:59 et que je suis restée là des heures et des heures.
08:01 Elle m'a dit "tu es restée longtemps, longtemps, longtemps".
08:03 - Vous avez mis même des dizaines et des dizaines d'années à raconter votre histoire.
08:06 - Oui, c'est vrai, parce que là, je suis restée comme ça.
08:09 Un médecin est venu, il a dit "surtout ne la touchez pas".
08:12 Je leur ai dit "papa n'est pas mort".
08:15 - Aujourd'hui, il y a une rue à Perpignan qui rend hommage à votre père,
08:18 c'est la rue Michel-Torant, pas très loin de la médiathèque et de l'hôtel PAMS.
08:22 Est-ce que vous êtes fière aujourd'hui du rôle que votre père a joué dans la résistance ?
08:27 - Mais bien entendu !
08:29 Il était sous les ordres de Churchill,
08:33 en 1943, ce SOE, disons,
08:36 a été transformé en réseau Gallien,
08:40 sous les ordres de Jean Moulin.
08:42 Non, c'était plus Churchill, mais c'était Jean Moulin le patron.
08:45 - Fière de votre père, bien sûr, mais fière aussi de vous,
08:48 peut-être aussi si jeune à l'époque et pourtant si courageuse.
08:50 - Je n'ai jamais été fière.
08:52 Moi, je suis quelqu'un de modeste et de réservé.
08:54 Les camarades de mon père ont réussi à me faire connaître, disons.
08:58 Mais ce n'était pas ça pour moi le principal.
09:01 Le principal, c'était le devoir de mémoire envers mon père.
09:05 - Vous allez d'ailleurs toujours à la rencontre des jeunes
09:07 dans les établissements scolaires des Pyrénées-Orientales.
09:10 C'est important pour vous de leur raconter votre histoire ?
09:12 - Oui, oui, je suis encore allée cette année
09:14 et je préside le concours de la résistance déjà depuis quelques années.
09:18 - Il faut résister contre quoi aujourd'hui selon vous ?
09:20 - Vous savez, j'ai toujours peur.
09:23 Je dis aux jeunes, attention, ne vous laissez pas manœuvrer
09:30 ou ne croyez pas à tout ce qu'on vous raconte.
09:33 Moi, le Front National, vous m'avez compris,
09:36 il me fait peur parce qu'il vous raconte maintenant
09:41 tout ce que vous voulez entendre, mais qu'est-ce qu'ils feront après ?
09:44 Hitler a été élu par le peuple,
09:46 il a promis au peuple qu'il n'y aurait plus de chômage,
09:49 que tout irait bien et on a vu ce qu'il a fait après.
09:52 - J'avais 12 ans et j'étais résistante.
09:55 Votre livre publié aux éditions HarperCollins.
09:58 Merci beaucoup Josette Thorand.
10:00 Vous serez d'ailleurs en dédicace samedi
10:02 avec les auteurs du livre à la librairie Cagellis à Perpignan,
10:05 samedi à 15h. Merci beaucoup à vous et très bonne journée.
10:08 - Et merci à vous aussi.

Recommandations