• l’année dernière
Emilie souffre d’un trouble dissociatif de l’identité (TDI), ce qui signifie que plusieurs identités cohabitent en elle. Elle nous explique avec ses mots qu’il s’agit de colocataires, 14 en tout, qui vivent ensemble dans une seule et même maison : il peut s’agir de femmes, d’hommes ou encore d’enfants d’âges et de goûts différents.
Ce trouble mental reste aujourd’hui méconnu dans notre société et les personnes qui grandissent avec souffrent de nombreux préjugés. Un quotidien mouvementé, pas toujours facile à vivre dont Emilie est venue parler pour la première fois.

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Amusant
Transcription
00:00 Je vis avec 14 identités en moi.
00:02 Par exemple, il y a Lucie, 3 ans, qui est très souffrante et qui pleure beaucoup.
00:06 Je savais très bien que cette voix-là n'était pas la mienne.
00:08 Je sais, c'est évident.
00:09 Et parce que j'ai des altères garçons, j'entends une voix pensée garçon.
00:12 Elle a vraiment une contenance.
00:14 Je sens l'âge, la différence, la texture.
00:16 Je suis venue parler d'un trouble psychiatrique
00:18 qui s'appelle le trouble dissociatif de l'identité.
00:21 Et c'est ce qui était appelé à l'époque personnalité multiple.
00:23 Donc c'est suite à plusieurs traumatismes dans l'enfance
00:27 que ce trouble s'est développé.
00:28 Je ne peux pas dire quel est mon premier traumatisme,
00:31 mais par contre, je peux dire le premier dont je me souviens.
00:33 J'étais abusée quand j'avais 6-7 ans.
00:35 Après, j'ai des flashs ou des cauchemars assez récurrents
00:38 où il y a de grandes chances que j'ai été abusée avant l'âge de pouvoir parler.
00:43 Donc avant un an et demi.
00:44 Et donc là, j'ai simplement des flashs de sensations corporelles, beaucoup de terreur.
00:49 Je n'ai pas toute la reconstitution du souvenir
00:51 parce que certains moments les plus durs sont classés dans un dossier, cadenassés.
00:57 Par contre, à l'heure de ce traumatisme,
00:59 des identités sont venues vivre ça à ma place pour m'aider.
01:01 Et c'est eux qui ont le souvenir.
01:03 Parler de choses aussi traumatisantes,
01:05 ça fait réagir les identités qu'il y a à l'intérieur de moi.
01:08 Et je suis toujours...
01:10 Je peux être à risque de switcher, c'est-à-dire de changer d'identité
01:14 quand émotionnellement, je suis touchée.
01:16 Et en témoigner de ça, ça me touche encore.
01:19 Et donc voilà, c'est difficile.
01:21 Par exemple, ma mère a eu le cancer du sein.
01:23 C'est traumatisant.
01:24 Je ne me souviens de rien.
01:26 Je ne me souviens pas de la date, de son opération, de comment ça s'est passé.
01:29 Et régulièrement, je lui repose des questions pour lui demander
01:32 "Tiens, raconte-moi comment ça s'est passé."
01:34 Et elle me le redit.
01:35 Et le souvenir retombe à nouveau dans l'oubli.
01:38 Donc je réoublis au-dessus du souvenir.
01:40 Je n'arrive plus à imprimer ce souvenir parce que tout simplement, je ne l'ai pas vécu.
01:43 C'est quelqu'un d'autre qui l'a vécu.
01:44 Il y a des choses assez flagrantes qui montrent que ce n'était pas moi.
01:48 D'ailleurs, l'entourage peut le dire.
01:49 Et moi, je me suis voilée la face, c'est-à-dire que j'ai eu des autres écritures,
01:54 j'ai eu des autres signatures.
01:56 Je ne signais pas forcément de mon prénom.
01:58 J'avais des amnésies.
01:59 Je me faisais surnommer "Tête de Gruyère" quand j'étais enfant.
02:02 Là, il y avait quand même des amnésies pas normales.
02:04 Il y a du mouvement.
02:07 Il y a des personnalités qui...
02:09 Il y a vraiment des grosses amnésies, par exemple,
02:10 tous les mois de juillet et août sont effacées de ma mémoire.
02:13 Donc là, il y a quand même quelque chose de pas normal.
02:15 Mais je ne le disais pas parce qu'en grandissant, je me disais...
02:18 Je me faisais une raison en fait.
02:19 Je me dis "C'est parce qu'il n'y avait rien d'important à retenir,
02:22 parce que c'est mon fonctionnement ainsi."
02:24 Et je ne faisais pas exception.
02:25 Moi, je me disais "Tout le monde entend des mots dans sa tête."
02:28 Jusqu'à un moment, on me dit "Peut-être que non, c'est peut-être pas normal."
02:32 Je me posais des questions sur ce que je vivais à l'intérieur de moi,
02:34 de mon psychisme.
02:36 Et en même temps, j'évitais d'y répondre
02:37 parce que j'avais trop peur d'aller là.
02:39 Je me suis un peu mentie à moi-même
02:41 et je me suis cachée très très longtemps en fait.
02:43 Et à l'adolescence, c'est une période assez compliquée émotionnellement, etc.
02:48 Je me sentais dans le déni et l'incompréhension de ce que je vivais.
02:51 Et aussi, je croyais que j'étais folle
02:52 parce que j'entendais ces pensées intrusives.
02:55 Je n'aime pas dire des voix parce que, dans mon expérience en tout cas,
02:58 c'est vraiment dans la tête, ce n'est pas dans l'oreille.
02:59 Donc, je faisais semblant que tout allait bien
03:02 et j'avais vraiment de grandes capacités à faire semblant que tout allait bien.
03:05 Et en fait, moi je suis...
03:07 Emilie, moi, je suis aussi une alter comme les autres.
03:11 Il n'y a pas de chef en fait.
03:12 Et en tout cas, moi, je suis responsable de tout ce qui est formation,
03:15 travail, relation sociale, familiale et amicale.
03:18 Donc, quand j'étais au lycée, j'étais avec mes amis.
03:20 Donc, c'était moi.
03:21 Mais une fois que j'étais seule, je n'avais pas de travail,
03:23 je n'étais plus à l'école,
03:25 je n'étais peut-être pas avec ma famille ou plus avec mes amis.
03:27 Mais les autres alters prenaient leur place
03:28 et c'était des alters qui parlaient dans ma tête,
03:30 j'entendais de nouveau Lucie pleurer,
03:32 j'entendais Nat s'énerver et Nicolas, celui qui se balançait.
03:38 Lui, je ne l'entendais pas, mais je le sentais.
03:39 Je sentais ses émotions.
03:40 Et donc, ça cohabitait.
03:41 C'était comme si vous aviez dans une pièce,
03:43 on était quatre et dedans, il y avait pas mal de...
03:46 C'était le conflit tout le temps.
03:47 Et donc, oui, je me suis crue folle.
03:49 Et puis, qui va dire, OK, écoute, j'envoie tout,
03:52 j'entends des voix dans ma tête ?
03:53 Non.
03:53 Et surtout pas au lycée, pas à un âge où on fait attention à notre image,
03:58 qu'on a envie d'être accepté.
03:59 C'était tellement difficile.
04:01 J'ai fini par tomber en dépression,
04:03 à faire plusieurs tentatives de suicide.
04:05 J'ai été hospitalisée en psychiatrie.
04:06 Et là, du coup, je n'ai pas été traitée pour la bonne chose.
04:09 J'étais retraumatisée dans ce lieu-là.
04:11 J'ai eu beaucoup de médications,
04:12 comme pour la schizophrénie, par exemple,
04:14 alors que ce n'est pas de la schizophrénie.
04:15 Ça a rajouté une contention chimique et matérielle horrible.
04:19 Après, clairement, je me mettais en danger.
04:21 Donc, je comprends qu'on ait dû me contenir.
04:24 Je me souviens d'un épisode en psychiatrie particulièrement.
04:27 Et là, c'était moi, donc je peux en parler.
04:29 Je me souviens que j'étais, parfois je dis "on".
04:33 J'étais dans une chambre à deux lits.
04:34 J'avais décidé de ne plus manger et de ne plus boire
04:37 pour manifester mon mécontentement d'une certaine manière.
04:40 Et j'ai vu deux infirmiers rentrer dans ma chambre,
04:43 donc un qui tenait un plateau, je ne vois pas,
04:45 et qui m'a dit "écoute, Émilie, il faut que tu manges
04:47 parce que si tu ne manges pas, on te perfuse".
04:48 Je comprends.
04:49 J'avais quand même une glycémie très, très, très, très basse.
04:52 Et donc, il a posé le plateau à ma droite.
04:53 Et puis, je disais non de la tête
04:55 puisque j'avais décidé de ne plus parler non plus.
04:57 Je voulais vraiment m'éteindre, en fait.
04:58 Il y avait la dépression
04:59 et il y avait le fait de ne pas être soignée pour la bonne chose.
05:02 Donc, les médicaments que je recevais
05:04 provoquaient en moi un déferlement
05:07 qui ne se voyait pas à l'extérieur.
05:08 Mais dans ma tête, c'était horrible.
05:09 J'entendais une des haltères qui pleurait sans cesse dans ma tête.
05:12 Imaginez que vous avez quelqu'un à côté de vous
05:14 qui pleure H24 le jour, la nuit.
05:16 J'avais un haltère qui, la nuit, voulait fuguer,
05:18 qui était en hyper-vigilance.
05:19 Donc, je ne dormais presque jamais.
05:21 L'autre qui a peur qu'on rentre dans sa chambre et qu'on l'agresse.
05:24 Donc, j'étais constamment sur le qui-vive et en tension.
05:27 Les voix pensées ne sont pas ma voix intérieure.
05:29 J'ai dit que j'entendais la petite pleurer.
05:31 Quand je l'entends, ce n'est pas ma voix, c'est une petite de 3 ans.
05:33 Cette haltère s'appelle Lucie, elle a 3 ans.
05:35 J'entendais cette Lucie qui pleurait.
05:37 J'avais une autre haltère qui s'appelle Nat
05:39 qui voulait se battre contre l'équipe parce qu'elle se sentait agressée.
05:42 Donc, c'était celle qui voulait se défendre.
05:44 Et je savais très bien que cette voix-là n'était pas la mienne.
05:46 Déjà, je le sais parce que...
05:47 Je le sais, c'est évident.
05:49 Et parce que j'ai des haltères garçons.
05:51 J'entends une voix pensée garçon.
05:53 Je sais que chaque personne, et je l'ai aussi,
05:55 ont une voix intérieure, donc on se parle à soi-même à l'intérieur.
05:58 Parfois, on peut même parler tout seul.
05:59 Mais là, c'est autre chose.
06:00 Là, je sais que ce n'est pas ma voix intérieure,
06:02 c'est une autre voix intérieure.
06:03 Elle a vraiment une contenance.
06:05 Je sens l'âge, la différence, la texture.
06:07 Et pour revenir à cet épisode-là, à un moment donné,
06:10 quand ces deux infirmiers sont venus,
06:11 je sentais que ça allait tourner mal.
06:13 Parce que je sentais que le deuxième infirmier était venu en renfort.
06:16 Il y a un infirmier qui m'a tenu les mains,
06:18 l'autre qui m'a forcé à manger.
06:21 Et là, j'ai crié "non", donc j'ai parlé.
06:24 Et là, j'ai vu que le reste de l'équipe était au pied de mon lit.
06:26 Et l'infirmier a dit "Ah, tu vois, tu sais parler."
06:29 Le reste de l'équipe a rigolé.
06:31 Et à partir de ce moment-là, l'humiliation que j'ai vécue à cet endroit-là
06:34 a fait que je n'ai plus jamais eu confiance en l'équipe,
06:37 en la psychiatrie et en cette médecine-là.
06:38 C'est assez étrange, mais je pense que les haltères ont décidé
06:42 que comme rien ne marchait, ils allaient arrêter, se taire.
06:46 Donc il y avait beaucoup de réactions de mes haltères
06:49 pour faire face à ce qui était là.
06:51 Et comme rien ne marchait, ils se sont dit...
06:53 Je crois que c'est le sens que je lui donne.
06:56 Ils se sont dit "on va tester une autre stratégie,
06:58 c'est que tout le monde se taire."
06:59 Donc je n'ai plus rien entendu.
07:01 Et donc moi, je pensais que j'étais plus malade, que j'étais guérie.
07:04 Mais j'entendais vraiment plus...
07:05 Je n'avais plus aucun signe de switch, d'haltère et tout.
07:09 Du coup, à l'hôpital, j'ai dit "ben, elle va mieux."
07:12 Plus de médicaments.
07:13 Et en effet, je suis sortie et j'ai commencé à remener une vie normale
07:16 avec quand même des épisodes régulièrement qui revenaient,
07:19 des petits switches et tout.
07:21 Mais la plupart de mes déclencheurs traumatiques avaient disparu
07:23 puisque je n'étais plus à l'hôpital.
07:24 Donc je n'étais plus en souffrance.
07:26 J'arrivais à les visualiser parfois dans les rêves.
07:28 Alors ça, c'est assez surprenant.
07:29 - Tu as vu qui dans tes rêves ?
07:31 - Claire.
07:32 Une de mes haltères qui est issue justement de mes abus à 7 ans.
07:37 Alors elle est très jeune et elle a un comportement un peu style autistique.
07:41 Elle a très peur de la foule.
07:43 D'ailleurs, en venant ici dans le métro, j'ai eu peur qu'elle vienne.
07:46 Elle dessine merveilleusement bien, c'est une artiste.
07:48 Je suis vraiment juste derrière.
07:49 Je la regarde dessiner et je vois ce qu'elle dessine
07:51 et moi, je la laisse faire parce que c'est magnifique.
07:53 Il y a des compétences qu'ils ont que moi, je n'ai pas.
07:56 Et c'est assez particulier parce que ça traverse le même corps.
07:58 Dans ce changement, je peux sentir que je pense différemment.
08:01 Tout d'un coup, mes goûts alimentaires changent.
08:03 Je peux commencer à manger quelque chose et d'un coup, je ne l'aime plus.
08:06 C'est très perturbant quand même.
08:07 Je peux entendre un son, mais l'entendre différemment avec les oreilles d'un autre.
08:11 Il n'y a pas longtemps, j'ai été mal, j'ai eu le Covid.
08:15 Quand moi, j'ai le Covid, je suis au lit, couché, en train de faire "oh mon Dieu, c'est horrible".
08:20 Mais j'ai une autre haltère, elle ne sent absolument pas la maladie.
08:23 Et pendant la maladie, pendant une journée, elle est venue, elle a switché.
08:26 Elle a fait le ménage, elle était en pleine forme, elle a bougé, etc.
08:29 Et donc même la relation à la maladie du corps est vécue différemment selon qui est présent.
08:33 Ce trouble-là, moi, je l'appelle handicap superpouvoir.
08:36 Donc il y a un côté très handicapant, c'est certain.
08:39 Et il y a un côté très superpouvoir dans le sens où si moi, je n'ai pas les compétences,
08:42 je sais qu'il y a un spécialiste qui peut venir et qui potentiellement le fait.
08:46 J'ai par exemple Nat, toujours, qui a passé le permis moto en un mois et demi.
08:50 Au mois de juillet-août, quand elle veut quelque chose, elle y va jusqu'au bout.
08:54 En fait, Nat, c'est une alter qui, quand elle est empêchée,
08:57 elle prend le contrôle parce qu'elle a horreur qu'on l'empêche, quoi que ce soit.
09:01 Et donc elle peut foncer dans le tas.
09:02 Et ça peut m'être utile pour des entretiens d'embauche.
09:04 Je ne me souviens pas avoir été à un seul entretien d'embauche.
09:07 Quand il y a un switch, parfois, ça peut se superposer.
09:09 Et à ce moment-là, je sens que ça arrive.
09:10 Et parfois, quand c'est brutal, je ne peux absolument pas me rendre compte.
09:13 J'ai eu un événement il y a un an, dont je fais référence assez souvent,
09:18 c'est que mon papa a fait un infarctus.
09:19 Ma mère m'a appelée au téléphone et elle m'a dit « Papa, t'es au soin intensif ».
09:24 J'ai pleuré et là, je suis rentrée en dissociation.
09:26 On appelle ça un trouble dissociatif de l'identité, ça veut dire que tout devient flou.
09:29 J'ai l'impression que je commence presque à m'endormir, c'est vraiment un flou.
09:33 Et je ne me souviens plus de rien.
09:34 Des quatre jours qui ont suivi, je ne me souviens de rien.
09:36 Le souvenir que j'ai eu ensuite, c'est-à-dire que je suis passée de retour chez mon ami
09:42 à « on est quatre jours plus tard » en une seconde.
09:45 Il peut disparaître pendant 15 jours, quand c'est vraiment fort et nécessaire.
09:48 C'est assez rare quand même.
09:49 Et là, ce qui s'est passé, c'est qu'une haletère a switché tout de suite pour
09:52 prendre mon relais parce que j'étais incapable.
09:54 Elle ne m'a pas laissé le temps de la sentir.
09:56 Je ne peux pas dire qui c'est, même si je pense savoir qui c'est.
09:59 Et c'est ma mère, à nouveau, qui m'a expliqué ce que j'ai fait.
10:01 Elle, elle n'a rien vu parce que les identités peuvent ne pas se montrer au monde.
10:04 Quand les identités savent que la personne n'est pas au courant,
10:07 elles ne vont pas se montrer forcément.
10:08 Elles sont tout à fait conscientes qu'elles sont issues d'un traumatisme
10:11 et qu'on se partage le corps et le temps.
10:14 La seule différence, c'est qu'ils ne se reconnaissent pas dans le miroir.
10:17 Par exemple, moi, je suis la seule à me reconnaître dans le miroir.
10:20 Au total, j'en ai 14.
10:22 Alors, parmi ceux-là, il y en a que j'ai connus et que je n'entends plus parler.
10:25 Des haletères qui sont en dormance.
10:27 Certains qui ont pris le contrôle une fois de manière très courte.
10:31 Et c'est tout.
10:31 S'il n'y a pas de déclencheur, ils ne vont pas forcément se manifester.
10:34 Ils ne peuvent plus se manifester pendant des années même.
10:36 Et je n'ai pas compris ce qui se passait, mais j'ai des traces de ce qui s'est passé.
10:39 Et d'autres qui sont régulièrement là, vraiment,
10:41 qui prennent en charge une partie de ma vie ou des aspects de ma vie.
10:45 On peut faire une petite pause ?
10:46 On peut faire une petite pause, bien évidemment.
10:48 Je l'entends.
10:54 Je sens qu'elle a envie, mais qu'elle a super peur, en fait.
11:01 Blanche, elle a peur de quoi ?
11:04 Qu'on nous fasse mal, elle dit.
11:05 Et moi, j'ai envie, j'ai peur qu'elle passe aussi.
11:08 Ça peut être flou, ce qui va se passer ensuite.
11:09 Ce que je peux faire pour te rassurer, c'est que tu peux la laisser venir
11:12 et on te montre le moment où elle est venue.
11:14 Et comme ça, tu décides.
11:15 C'est toi qui décides.
11:16 OK.
11:17 Je ne t'oblige pas, Emilien, mais tu peux me faire confiance,
11:19 on te montre l'extrait après.
11:21 [Silence]
11:24 [Silence]
11:27 [Silence]
11:30 [Rires]
11:41 [Soupir]
11:55 [Inaudible]
11:58 Non.
12:01 Tu veux qu'on te laisse, qu'on sorte de la pièce ?
12:05 Non, je viens d'arriver, je prends juste mes marques.
12:08 Tu as besoin de quelque chose ?
12:16 Je crois qu'on a du coca.
12:18 J'aime bien ton chien.
12:20 Tu veux voir ma chienne ?
12:21 Ouais.
12:22 Maya ?
12:23 Maya, viens.
12:24 Maman ?
12:25 Tu dis bonjour, maman ?
12:29 Dis bonjour.
12:30 [Rires]
12:32 Elle dormait là.
12:35 On l'a réveillée de la sieste.
12:37 Bah ouais, bah ouais.
12:39 Comment tu te sens ?
12:44 Perdue.
12:46 Perdue ?
12:47 Oui.
12:48 Pourquoi ?
12:49 Parce que tu ne le connais pas.
12:50 Ouh !
12:51 C'est pour toi, c'est OK, j'en ai pas besoin.
12:54 [Rires]
12:55 Maya !
12:56 Non, c'est cool.
12:57 T'es sûre ?
12:58 Oui.
12:59 Comment tu te sens ?
13:03 Perdue.
13:05 Mais je ne vais pas rester longtemps,
13:07 donc je sais peut-être mieux de continuer, après je pars.
13:09 Comme tu veux.
13:10 Tu veux qu'on parle de quoi ?
13:11 Tu veux nous parler de...
13:12 Je suis celle qui s'occupe de tout le système,
13:14 parce que tous les altères, on les appelle des systèmes.
13:17 Un système.
13:18 Moi, j'essaye d'aider le thérapeute
13:20 et d'améliorer la communication entre tous,
13:23 donc je suis quelqu'un qui a une grande ressource
13:25 et ce n'est pas traumatique, moi.
13:26 Tu as quel âge ?
13:27 J'ai 15 ans.
13:28 Et tu t'appelles Blanche.
13:29 Oui.
13:30 Tu es très jeune pour aider tout le monde, quand même.
13:32 Oui.
13:33 Dans quel sens tu aides le thérapeute ?
13:34 C'est parce que tu comprends tout le monde ?
13:36 Certains ont des mondes intérieurs,
13:38 et moi, j'ai mon monde intérieur,
13:40 et il se situe au-dessus de tout le monde des autres,
13:43 donc je vois, comme quand on est en haut d'un bâtiment,
13:45 on voit tout en bas,
13:46 bah moi, je vois tout en bas.
13:48 J'ai une map, donc je vois beaucoup les mouvements
13:50 de tous les hâters,
13:51 et s'ils s'entendent bien, s'ils ne s'entendent pas,
13:53 et alors je peux les aider.
13:55 Et même dans mon monde, j'ai une place comme un AirBnB
13:58 s'il y en a un qui ne va pas bien.
14:00 Ok.
14:01 Et c'est déjà arrivé que quelqu'un vienne,
14:03 parce que ça n'allait pas,
14:04 ou qu'il se sentait en danger.
14:05 Par exemple, la fille qui se suicide,
14:09 elle s'appelle Amy,
14:10 et parfois, je viens quand elle ne va pas bien,
14:12 et je la prends avec moi pour la rassurer,
14:14 et comme ça, on ne fait pas de bêtises.
14:15 Tu pourrais me présenter tout le monde ?
14:17 Oui.
14:18 Ah bah, il y a Nat,
14:20 mais j'ai entendu Emilie parler tout à l'heure.
14:22 Claire, elle est aussi adolescente.
14:24 Je crois qu'elle a entre 14 et 17 ans.
14:26 Parfois, notre âge n'est pas forcément précis.
14:29 Ça peut bouger, mais dans une certaine fourchette.
14:33 Par exemple, Nicolas, il peut avoir entre 13 et 17 ans.
14:36 Ça dépend.
14:37 Par exemple, quelles sont les personnalités
14:38 qui pourraient plus facilement venir,
14:40 comme toi, par exemple ?
14:41 C'est rare qu'on vienne devant les gens.
14:43 En fait, on se suit beaucoup,
14:45 mais en privé, quand on est tout seul.
14:47 Donc, ça veut dire que tu nous fais un peu confiance ?
14:49 Un petit peu.
14:50 Un peu, ça me va.
14:51 Un tout petit peu, et puis, pour aider Emilie aussi,
14:54 parce que c'est vachement stressant pour elle.
14:56 J'imagine.
14:57 Et donc, je suis là pour mettre de la joie, en général.
14:59 Il n'y a pas longtemps, elle a râlé
15:01 parce qu'elle avait un jour de congé,
15:02 elle avait beaucoup travaillé,
15:03 mais moi, j'ai profité de ce jour de congé à sa place,
15:06 et je ne me suis pas beaucoup reposée,
15:08 donc elle a un peu râlé après.
15:09 Et donc, tu me présentes,
15:10 il y a qui d'autre, par exemple, qu'on ne connaît pas ?
15:12 Il y en a qui dorment.
15:13 Il y a Marcus, lui, il est venu il n'y a pas longtemps,
15:15 le 31 décembre, et je ne sais pas pourquoi.
15:18 Par contre, il est venu pour aider Lucie,
15:20 parce que Lucie était toute seule.
15:21 Lucie, elle a trois ans,
15:22 et elle pleurait dans notre tête depuis très longtemps,
15:25 et depuis qu'on est avec le thérapeute, ça va mieux.
15:28 Mais le problème, c'est qu'elle se tait,
15:32 et puis elle souffre beaucoup,
15:33 elle a besoin d'aide,
15:34 elle a peur des adultes,
15:36 et elle ne fait confiance à personne,
15:37 et Marcus est venu là,
15:38 et comme un grand frère,
15:39 et depuis, Lucie, elle colle Marcus tout le temps,
15:41 parce que quand on a eu nos traumatismes,
15:44 il y a des haltères qui sont issus des traumatismes,
15:47 qui ont créé la douleur,
15:48 et des haltères qui ont développé les ressources nécessaires
15:51 pour faire face à cette douleur.
15:52 Et moi, je suis une de celles-là.
15:54 Tu saurais expliquer pourquoi il y en a qui ne viennent plus du tout,
15:57 il y en a qui viennent plus souvent ?
15:58 Parce qu'ils ont fini leur travail.
16:01 Donc ça veut dire, est-ce qu'ils n'existent plus,
16:03 ou juste ils dorment et ils peuvent réapparaître un jour ?
16:06 Ils dorment, ils peuvent réapparaître.
16:07 Et toi, quand tu dis que tu n'es pas un halter traumatique,
16:10 ça veut dire quoi ?
16:11 Ça veut dire que toi, tu n'as pas de...
16:13 Je n'ai pas la mémoire des traumatismes.
16:15 Donc tu ne sais pas du tout ce qui s'est passé, toi.
16:16 Si, je peux savoir, parce que les haltères me partagent.
16:19 Je n'ai pas l'émotion douloureuse qui va avec,
16:21 et ce n'est pas mon souvenir.
16:22 Donc par exemple, quand tu dis "d'autres te rapportent",
16:25 est-ce que c'est des moments de souvenirs
16:27 que même Émilie ne connaît pas ?
16:29 Non.
16:30 Elle connaît, elle aussi ?
16:31 En fait, il y a des zones où elle n'a pas accès.
16:34 Et toi, tu as accès ?
16:35 Moi, j'ai accès, mais il faut qu'Émilie soit loin pour que j'y aille.
16:38 Il faut qu'elle soit avec moi.
16:39 C'est toi qui me dit quand est-ce que tu veux laisser Émilie revenir ?
16:43 Je ne sais pas si tu as d'autres questions.
16:45 Est-ce que tu comprends d'où tu viens,
16:47 pourquoi tu as été créée,
16:48 pourquoi tu existes avec Émilie ?
16:51 Est-ce que tu comprends tout ça ?
16:52 Oui.
16:53 Alors, je dormais, et puis je suis ressortie
16:56 quand on a pris conscience qu'on avait ce trouble-là,
16:59 parce que j'ai senti Émilie qui comprenait enfin
17:02 et qu'elle était prête à faire quelque chose.
17:04 Et moi, je suis sortie puisque j'avais les ressources pour ça.
17:07 Est-ce que toi, tu as un alter où tu te sens, par exemple, très proche ?
17:10 Oui, Émilie.
17:11 Émilie, c'est celle dont tu te sens le plus proche ?
17:13 Et un alter où tu ne te sens, par exemple, pas du tout proche ?
17:15 Moi, j'aime bien tout le monde.
17:17 J'aime bien faire des copains-copains avec tout le monde.
17:20 Je suis même triste quand ça ne se passe pas.
17:22 Non, il n'y a personne que je n'aime pas,
17:24 mais il y a des gens qui n'ont pas envie d'être en contact avec moi,
17:29 et ça, ça m'attriste le plus.
17:30 L'identité la plus sympa, c'est toi ?
17:32 Oui.
17:33 L'identité la moins sympa ?
17:35 Nat.
17:36 Nat ?
17:37 Oui, Nat. J'ai capté que c'était Nat.
17:39 On est l'opposé. Je crois qu'on est l'opposé. Elle a 32 ans, elle.
17:41 Si tu veux, tu peux faire revenir Émilie, comme tu veux.
17:44 Je ne sais pas, parce que c'est la première fois que…
17:46 Dis-moi.
17:47 Je ne sais pas comment faire revenir Émilie.
17:49 Ah, tu veux la balle ?
17:51 Peut-être que la balle va t'aider ?
17:52 Oh, pfff.
17:54 Prends le temps.
17:56 Je suis revenue, mais je n'aime pas ça du tout.
17:58 Prends le temps, Émilie.
18:00 Merci beaucoup.
18:02 Pause. Je fais une pause.
18:04 Tu veux te lever un peu ?
18:06 Donc là, tu as eu besoin de faire une petite pause.
18:08 Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui s'est passé ?
18:10 Est-ce que tu te souviens un peu de tout ou pas de tout ?
18:12 Alors, je ne me souviens pas de tout.
18:14 Je sais que Blanche est passée, parce qu'on s'est croisées dans le couloir.
18:18 C'est l'image que j'aime utiliser.
18:20 Et là, je suis très fatiguée.
18:21 C'est l'après, donc…
18:23 C'est un peu déstabilisant. Je me sens désorientée.
18:26 Mais je sais que ça s'est bien passé.
18:28 Je suis celle qui a du mal à accepter ce trouble,
18:32 qui souffre régulièrement de phases de déni de ce qu'elle vit.
18:35 Et donc, quand je reviens en conscience et au contrôle,
18:39 je me rends compte que j'ai perdu le contrôle.
18:41 Oui, je ressens beaucoup de honte.
18:43 Et je peux parfois pleurer parce que je ne me sens pas confortable.
18:46 Et donc, ça aussi, c'est à travailler en thérapie.
18:48 Parce que le but de la thérapie, en tout cas pour moi seule, Émilie,
18:51 c'est de pouvoir être OK avec ça.
18:53 Et la thérapie consiste à ce que je laisse la place aux haltères.
18:57 Ne pas lutter contre ça et accepter.
18:59 Parce que c'est une stratégie d'adaptation.
19:01 Et si je lutte contre cette stratégie, je ne sais plus m'adapter.
19:03 Imaginez le cerveau d'un enfant qui fait de 100 ml un verre
19:07 et que le traumatisme est un pichet de 1 litre.
19:09 Le verre rempli, alors pour survivre, il n'y a pas d'autre choix que de multiplier les verres.
19:14 Et comment vider les verres ?
19:16 C'est d'être en thérapie, d'en parler, d'être aidée quand le traumatisme a lieu,
19:20 d'en discuter quand il y a des catastrophes,
19:23 il y a parfois des sélus psychologiques.
19:25 C'est pour vider ces verres, tout ça.
19:27 Seulement, dans mon cas, il n'y a pas eu de vidage de verre.
19:29 Si le cerveau multiplie les verres, sinon je serais morte.
19:31 Donc c'est une stratégie d'adaptation.
19:33 Et elle est toujours active.
19:35 Et c'est OK.
19:36 Je veux dire que le souvenir traumatique est un effet secondaire positif,
19:40 même si ça ne paraît pas positif du tout.
19:42 Moi, c'est bon signe, même si c'est horrible et j'aimerais bien m'en passer.
19:46 Mais plus je vais me rapprocher des haltères,
19:48 plus je vais me rapprocher de leurs souvenirs.
19:50 Et plus des choses peuvent se diffuser dans ma mémoire, peu à peu.
19:54 Le but, c'est de gérer et cet arrivé traumatique,
19:57 et mon état de réception.
19:58 En fait, le cerveau va créer ce dont il a besoin.
20:01 Donc si par exemple, dans un traumatisme,
20:04 alors je parle en théorie, mais si une mère a manqué,
20:07 peut-être le cerveau va créer une mère.
20:09 Si on a besoin d'un défenseur, il va créer un défenseur.
20:11 Nat, par exemple, elle a pour rôle de protéger le corps physique des agressions.
20:16 Et c'est déjà arrivé, alors il y a deux versions,
20:19 c'est que quand elle voulait prendre le contrôle pour me défendre,
20:21 à l'époque, moi j'étais tellement handicapée avec ce trouble,
20:24 je n'aimais pas ces pensées intrusives,
20:26 et je ne comprenais pas pourquoi je me sentais devenir une autre.
20:29 Je l'empêchais d'agir.
20:30 Mais le problème, c'est qu'elle avait besoin d'agir pour me protéger,
20:32 et donc j'ai été agressée.
20:34 Elle aurait pu te protéger ?
20:35 Elle aurait pu me protéger.
20:36 Et à un moment donné, si elle ne peut pas me protéger,
20:38 un autre alter arrive, et c'est celui qui va me prendre les souvenirs,
20:41 et qui va être ce qu'on appelle l'assidération,
20:43 c'est qu'il va quitter son corps, c'est le black out.
20:45 Et à d'autres moments, et j'apprends encore à le faire,
20:48 c'est de la laisser passer.
20:49 Et donc il n'y a pas longtemps, on avait été suivi en rue, la nuit,
20:52 et je sentais tout à fait, enfin je sentais un danger,
20:55 et quand il y a un danger, je la sens venir.
20:58 Je l'ai laissé passer.
20:59 Et elle m'a laissé voir ce qui s'est passé.
21:00 Ça c'est plutôt chouette.
21:01 Et je me suis vue, alors je me dis, je ne sais pas comment j'ai fait,
21:04 parce que ce n'était pas moi.
21:05 J'ai fait, en fait, je marchais dans la rue,
21:08 j'ai fait demi-tour pour rentrer chez moi,
21:09 et puis le monsieur qui m'a croisée a fait demi-tour en même temps.
21:11 Donc je me suis dit, là il me suit.
21:13 Il y a eu un switch, et je me suis vue,
21:15 on me retournait, mais avec vivacité, et marchait, mais droit vers lui.
21:19 Et je lui ai fait face de visage à visage.
21:21 Et je me suis entendue dire, puisque ce n'était pas moi,
21:23 et même la voix je ne l'ai pas reconnue,
21:24 pourquoi tu me suis ?
21:25 Lui, il a été direct contenancé, il a dit,
21:28 je n'avais pas envie de finir la nuit tout seul,
21:30 je voulais savoir s'il y avait moyen.
21:32 Ah, je lui ai dit, non, il n'y a pas moyen.
21:34 Et à partir de ce moment-là, elle est partie.
21:35 Elle a juste désamorcé le truc,
21:37 et elle savait que l'autre, il n'allait plus rien faire,
21:39 parce qu'il était surpris.
21:41 Et au final, j'ai discuté avec ce gars qui se sentait seul,
21:43 et je lui ai dit, je vous souhaitais bon courage,
21:45 je suis venue en tant qu'Emilie.
21:47 En tant qu'Emilie.
21:48 Tu avais compris ce que c'était finalement ?
21:50 Est-ce que tu avais compris que c'était quel trouble ?
21:52 Non, pas du tout.
21:53 Non, j'étais toujours dans le déni.
21:54 Il y a juste que je me résignais à ce que ça se passe comme ça,
21:56 et à ce que je ne comprenne jamais.
21:58 J'étais en errance médicale,
21:59 après je suis sortie de la psychiatrie,
22:01 j'étais en errance tout court.
22:02 Mais je m'étais résignée à rester en errance comme ça,
22:04 et à ne pas comprendre pourquoi je fonctionnais comme ça.
22:06 Donc, à cette période-là,
22:07 tu n'avais pas encore mis deux mots sur ton trouble.
22:09 Par conséquence, tu rejetais les switches,
22:11 ou les altères qui pouvaient te protéger dans les situations.
22:14 Et tu l'as vu à un autre moment,
22:15 parce que tu nous disais que tu avais une relation de 13 ans,
22:18 tu venais de sortir d'une relation de 13 ans,
22:20 et tu avais par la suite fréquenté quelqu'un d'autre.
22:22 Est-ce que tu peux nous expliquer ce qui s'est passé à ce moment-là ?
22:25 Je m'étais rapprochée de quelqu'un que je connaissais.
22:27 À un moment donné, on pensait se mettre en couple,
22:29 tous les deux,
22:30 et puis ça ne s'est pas fait.
22:31 J'avais décidé qu'au final, non.
22:33 Et donc, il est venu chez moi pour en discuter.
22:35 Et ce soir-là, il a essayé d'avoir un rapport avec moi,
22:39 on en avait déjà eu, pas beaucoup, mais on en avait déjà eu.
22:41 Et j'ai dit non, je ne voulais plus.
22:43 Et je me souviens l'avoir repoussé,
22:45 je me souviens avoir mis ses deux mains sur son torse,
22:47 je me souviens qu'il m'a serré comme pour me dire au revoir,
22:50 ce que je croyais.
22:51 Et en fait, non, il m'a serré pour me porter jusqu'au divan.
22:53 Et là, je ne me souviens de rien.
22:55 Le souvenir qui a suivi, c'est le sang que j'ai vu sur le coussin.
22:59 C'est ça qui m'a fait revenir, c'est de voir cet âge de sang.
23:02 Et de l'avoir entendu dire, ça m'a rassurée de l'entendre de sa bouche,
23:06 c'est qu'il m'a dit, désolé, c'était plus fort que moi.
23:09 Et en même temps, ça me fait dire, ok, j'ai quand même pas...
23:11 Ce que j'aurais pu me dire, c'est de ma faute.
23:13 Et là, non, même lui, il s'est rendu compte de sa connerie.
23:16 Et il est parti.
23:17 Et moi, je me suis retrouvée à moitié vêtue.
23:20 C'est dur.
23:22 Et seule, chez moi.
23:24 Et je ne savais pas à qui en parler, j'en ai pas parlé.
23:26 J'ai fait que me laver.
23:27 Je me souviens, trois jours après,
23:29 j'avais ma première rentrée scolaire dans une nouvelle école.
23:31 Et je ne me souviens plus de tout.
23:32 Ça s'est passé mi-septembre.
23:34 C'est une date assez particulière.
23:36 Je ne sais pas comment j'ai fait pour gérer cet état de choc
23:39 en assumant une rentrée scolaire
23:41 où j'étais professionnelle et fonctionnelle.
23:43 Personne n'aurait deviné ce que je venais de vivre, en fait.
23:45 Je ne sais même pas si je me suis défendue
23:47 ou si j'ai abandonné, j'en sais rien.
23:49 Et je crois que je ne me suis pas prête à savoir.
23:51 Je n'ai pas envie de le savoir.
23:52 C'est bizarre.
23:53 C'est comme si je n'avais pas du tout souffert.
23:55 Parce que tous les altères avaient repris sa place
23:57 pour s'adapter à ce qui venait de se passer.
23:59 Donc ça veut dire que j'ai géré le travail,
24:01 j'ai géré les aspects administratifs, etc.
24:04 Mais à un moment donné, ça revient.
24:06 Et je savais ce qui s'était passé.
24:08 Même si je n'ai pas le souvenir, moi et Milly,
24:10 je sais ce qui s'était passé.
24:12 C'était assez clair.
24:13 Dans le peu de souvenirs que j'ai, il ne faut pas...
24:15 Je me suis dit, OK, il faut que tu ailles voir une psychologue.
24:17 Il faut que tu ailles voir quelqu'un.
24:18 Il y a quelque chose qui s'est passé.
24:19 Donc j'ai été voir quelqu'un.
24:20 Depuis l'hôpital psychiatrique jusqu'à cette période-là,
24:22 les psyches ne voulaient plus en entendre parler.
24:24 Parce que je n'avais plus confiance
24:26 avec ce que j'avais vécu à l'hôpital.
24:28 Et là, après cette agression,
24:30 je me suis dit qu'il serait peut-être temps que je réessaye.
24:33 Et cette fois-ci, j'ai pris le temps de bien sentir
24:35 si la personne me convenait.
24:36 J'ai trouvé la personne qu'il me fallait.
24:38 Et si elle voit cette vidéo, je la remercie encore.
24:40 Elle se reconnaîtra.
24:41 Et je n'ai pas parlé de mon trouble et des voix avant
24:43 à un bon moment.
24:44 C'est elle qui a mis le mot dessus.
24:46 Parce que je lui disais sans le dire.
24:48 J'étais dans un début de processus d'acceptation malgré tout.
24:51 Et puis après, s'en est suivi la prise de conscience
24:53 de ce trouble.
24:54 Et là, j'ai pu trouver des psys plus spécifiques
24:57 pour faire face à ça.
24:58 C'était il y a un an.
24:59 Il y a eu une avalanche.
25:00 Parce que beaucoup d'altères attendaient ce moment.
25:02 Donc il y a eu un effet premier jour de solde.
25:04 Enfin, ils allaient être compris et entendus.
25:06 Ils vont pouvoir prendre leur place.
25:07 Donc j'ai eu des réveils d'altères.
25:09 J'ai dit que je pouvais avoir des altères en dormance.
25:11 Je peux avoir des réveils d'altères.
25:12 Du coup, j'ai eu le soulagement et en même temps la grande peur
25:14 parce qu'il y avait beaucoup plus d'altères,
25:16 beaucoup plus de mouvements intérieurs.
25:18 Et je ne savais pas quoi faire avec ça.
25:19 Et donc, vite, vite, je dois trouver un psy
25:21 ou quelqu'un qui connaît ça.
25:23 C'est le parcours du combattant.
25:25 Il y avait aussi la désagréable impression
25:27 de découvrir des nouveaux altères que je ne connaissais pas.
25:29 Donc, quand c'est un inconnu qui débarque dans ma tête,
25:31 « Ok, il est qui ? Il est quoi ? Comment ? Je fais quoi ? »
25:35 C'est très angoissant, surtout que pendant une période,
25:37 ça a explosé.
25:40 Après, ça s'est stabilisé.
25:41 Et donc, pendant cette explosion, le problème,
25:43 c'est que je me suis sentie démunie
25:44 parce qu'il n'y a pas beaucoup de psy ou de thérapie
25:48 de ce trouble.
25:49 On manque cruellement de personnes professionnelles
25:51 dans ce domaine-là.
25:52 J'en ai trouvé un.
25:53 Je suis contente, mais je l'ai trouvé récemment.
25:55 Et vraiment, je fais des progrès énormes en très peu de temps.
25:58 L'acceptation de gérer ce sentiment de honte
26:01 qui peut revenir assez régulièrement.
26:02 Le fait d'arrêter de lutter contre les switchs
26:04 et contre les altères.
26:05 Arrêter de lutter contre mon propre fonctionnement
26:08 et je dois apprendre à l'accepter comme tel
26:10 et plus à essayer d'être quelqu'un d'autre
26:11 pour rentrer dans le monde.
26:12 Mon rapport au monde est tel qu'il est
26:14 et j'ai passé ma vie à essayer, comme beaucoup,
26:16 en final, même sans trouble,
26:17 à plaire au monde, quitte à se sacrifier soi-même
26:20 et à ne pas être soi.
26:21 Mais moi, mon soi, c'est plusieurs soi.
26:24 Non, il ne faut pas croire.
26:25 En tout cas, dans mon expérience,
26:26 ça dépend après des personnes qui ont ce trouble-là,
26:28 comment elles le vivent.
26:29 Je ne peux parler que mon nom.
26:30 Je peux avoir des journées où ça switch sans cesse.
26:32 Quand c'est les vacances, quand c'est le soir,
26:34 quand les voisins se disputent,
26:35 quand il y a plusieurs...
26:36 Voilà, je ne peux pas tout maîtriser dans la vie.
26:38 Je suis actuellement en formation
26:39 et dans ma formation, les gens savent pour nous.
26:43 Et parfois, je lutte pour ne pas que ça s'expose,
26:46 pour ne pas embêter la formation.
26:48 Et ça, c'est fatigant
26:49 parce que parfois, je sens un alter qui vient.
26:51 Mais du coup, je dis non, tu dégages, je viens.
26:53 Et puis non, tu dégages, je viens.
26:54 Et ça ne fait que ça.
26:55 Si je vis ce genre de choses pendant 30 minutes,
26:57 c'est comme si on m'amputait
26:58 de 3-4 heures de sommeil la nuit.
27:00 Je suis vraiment épuisée.
27:01 La sensation que j'ai quand je suis en dissociation,
27:03 c'est comme si, imaginez,
27:04 pour ceux qui font de la plongée
27:05 ou qui font de la piscine,
27:06 que vous êtes au fond de l'eau
27:07 et que vous essayez de comprendre
27:09 les gens qui parlent à la surface
27:10 et de les voir.
27:11 C'est déformé, ce n'est pas très audible.
27:13 C'est ça que je ressens quand je suis en dissociation.
27:15 Après, c'est vrai que moi, je cherche à tout contrôler,
27:17 ce qui n'est pas le mieux.
27:18 Il vaut mieux que je laisse passer quelqu'un.
27:19 Pendant 5 minutes, elle va venir.
27:21 Et puis, elle va partir.
27:22 Je le vois toujours comme un handicap.
27:23 Mais je vois la qualité de mon défaut, en fait.
27:26 Par exemple, j'ai des problèmes de mémoire.
27:28 Blanche a mis en place des outils pratiques
27:30 qui font que personne ne s'est rendu compte
27:32 que j'avais des problèmes de mémoire.
27:34 J'ai par exemple un grand tableau à la maison
27:36 où il y a une zone pour les messages entre alters.
27:39 Et parfois, je peux trouver des messages.
27:41 « Émilie pense à acheter ça.
27:43 Là, demain, Nat viendra parce qu'il faut faire ça. »
27:47 On a aussi chacun son petit carnet.
27:50 Avec des écritures différentes.
27:51 Avec des écritures différentes.
27:52 Ça se passe plutôt bien dans l'ensemble.
27:54 Il y a eu vraiment le juste après prise de conscience
27:56 qui a été très compliqué,
27:58 parce que j'étais dans une phase de délire
27:59 la plus intense possible.
28:00 Et ça s'est apaisé,
28:01 parce que j'ai trouvé aussi les bons thérapeutes.
28:03 J'ai pu contacter des personnes
28:05 qui avaient la même chose que moi.
28:06 Et je me suis aussi rapprochée.
28:08 Et ça, je trouve que c'est une bonne démarche à faire.
28:10 Alors je sais qu'il y en a qui en s'ouvrent terriblement,
28:12 plus que moi.
28:13 Et je suis vraiment tout cœur avec elles.
28:14 Mais je me rapproche aussi des personnes
28:16 qui le vivent bien.
28:17 Et de m'inspirer de ces personnes-là aussi,
28:19 pour se dire que, bah oui, c'est possible quand même.
28:21 Et puis, après, il m'a fallu l'annoncer.
28:24 Alors j'ai commencé à l'annoncer
28:25 à mes amis les plus proches.
28:27 Donc je connaissais la capacité de réception.
28:29 Et ils m'ont vraiment accueillie.
28:30 Ensuite, j'ai élargie.
28:31 J'ai prévenu, pas tout de suite, mais ma famille.
28:34 Ça, ça a été le plus dur, forcément.
28:36 Et ça a été vraiment bien accepté.
28:38 Et là, mes parents et surtout ma mère me disaient
28:41 qu'elles comprenaient du coup beaucoup de choses.
28:43 Toute ma famille est derrière moi, vraiment.
28:45 Et même certains échangent avec des haltères blanches
28:48 et super copines avec ma mère.
28:50 Voilà, avec ma sœur aussi.
28:52 Et après, j'ai élargie à ma formation.
28:54 J'ai élargie à plus large et plus large.
28:56 Et ça me permettait aussi de me préparer
28:58 à ce coming out que je fais aujourd'hui,
29:00 c'est-à-dire à version publique.
29:02 Tous ces mini coming out préalables avant celui-là
29:04 est aussi une démarche thérapeutique personnelle.
29:06 Et je suis très soutenue par mes deux thérapeutes,
29:08 parce que j'ai un psychologue et un thérapeute spécifiés.
29:10 Ils sont tous les deux derrière moi, en fait.
29:12 Ils sont vraiment... Ils sont au courant, de dire que je suis ici.
29:14 Et ils sont vraiment en train de dire que c'est une belle démarche
29:17 et que ça va aussi m'aider à accepter le trouble,
29:20 à ne plus en avoir honte,
29:22 de se sentir soutenue par des personnes qui comprennent,
29:24 mais m'aident aussi.
29:26 C'est une démarche pour démystifier, pour lever les tabous,
29:28 pour mettre des mots là où il n'y en a pas assez,
29:30 pour expliquer que les maladies psychiatriques
29:32 ne sont pas forcément des personnes
29:34 qui sont monstrueuses,
29:36 qui vont perdre le contrôle,
29:38 qui vont faire des conneries.
29:40 Au contraire, j'ai quand même fait des belles choses dans ma vie,
29:42 j'ai quand même réanimé des gens
29:44 quand j'étais infirmière, etc.
29:46 Donc ça va !
29:48 Quand on dit qu'on a des identités à l'intérieur,
29:50 il y a cette croyance, déjà,
29:52 qu'il faut les retirer parce que c'est mal,
29:54 et sous-entendu qu'on est possédé.
29:56 Et ça, c'est des attaques qu'on a souvent.
29:58 Je dis "on", pour moi le système,
30:00 mais aussi pour les personnes qui ont la même chose.
30:02 Et c'est pas le cas.
30:04 J'avais écouté quelqu'un qui en témoigne aussi publiquement,
30:06 qui disait que les monstres
30:08 ne sont pas à l'intérieur de nous,
30:10 mais c'est ceux qui ont été à l'extérieur de nous
30:12 quand on a été victime de traumatisme.
30:14 Et je trouvais cette phrase très belle.
30:16 Les films comme "Split" et autres films de ce genre
30:18 prennent forcément cette maladie,
30:20 prennent justement le cas extrême
30:22 où là, ça s'est mal passé,
30:24 et du coup, on va dire "si ça s'est passé comme ça pour lui,
30:26 ça se passe pour tous les gens qui ont ça".
30:28 Et c'est terriblement destructeur
30:30 parce que du coup, les gens et le public
30:32 ne se posent pas la question,
30:34 ils croient ce qu'ils voient,
30:36 et puis "t'es comme lui, alors t'es dangereux".
30:38 Mais non, pas du tout.
30:40 Si je parle de l'intégration de mes identités,
30:42 quelque part ça peut résonner chez l'autre
30:44 quand il veut intégrer des parts de soi dont il a honte
30:46 et accepter ce qu'il est, même si ce n'est pas TDI.
30:48 Et je trouve que c'est riche comme enseignement.
30:50 Je remercie aussi toutes les personnes
30:52 qui ont le courage d'écouter
30:54 tout sans préjugé,
30:56 et qui vont même avoir le courage de casser leur préjugé.
30:58 C'est pas facile, moi j'en ai moi-même,
31:00 c'est pas facile parfois de les casser.
31:02 Je ne suis pas Marc Thérésa, je ne suis pas une sainte.
31:04 Je trouve que c'est beau de la part de ces personnes
31:06 sur les réseaux sociaux qui disent "ah ok, je comprends mieux,
31:08 j'apprends beaucoup, merci, je trouve ça super".
31:10 Et aujourd'hui, tu dirais
31:12 que tu as appris quoi sur toi ?
31:14 Quel type de personne tu es ? Qui est Elie ?
31:16 Où ?
31:18 Quelle personne nous sommes ?
31:20 T'as encore une heure ?
31:22 Allez, let's go !
31:24 Je ne sais pas quelle personne je suis.
31:26 Je ne peux parler que pour moi, les altères, j'en sais rien.
31:28 Optimiste, je crois qu'il y a quand même
31:32 toujours une lueur d'espoir, même si je suis
31:34 à ras-de-terre, il y a toujours cette petite flamme qui est là.
31:36 Même si c'est une petite flamme ou un grand feu,
31:38 il y a toujours ce feu qui est là.
31:40 J'ai beaucoup d'espoir.
31:42 Résiliente. On dit de moi que je suis courageuse
31:44 et je pense que je commence à l'admettre maintenant.
31:46 Je confirme.
31:48 Origin.
31:50 [Musique]
31:52 En récit.

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