Chroniqueuse : Maya Lauqué :
En ce week-end de Pâques, Maya Lauqué accueille Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et auteur de « Vers l'implosion ? » chez Seuil. Les fêtes de Pâques sont les plus importantes pour les catholiques. Pourtant, ces derniers se font de plus en plus discrets.
En ce week-end de Pâques, Maya Lauqué accueille Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions et auteur de « Vers l'implosion ? » chez Seuil. Les fêtes de Pâques sont les plus importantes pour les catholiques. Pourtant, ces derniers se font de plus en plus discrets.
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00:00 Bonjour Jean-Louis Schlegel.
00:01 Bonjour.
00:01 Merci d'être avec nous ce matin.
00:02 Je précise que vous êtes sociologue des religions et catholique.
00:05 Absolument.
00:05 C'est un week-end important pour les catholiques justement.
00:08 Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qu'ils célèbrent ?
00:11 On célèbre quelque chose d'assez paradoxal puisque c'est Jésus de Nazareth,
00:17 un homme qui a vécu il y a 2000 ans, meurt sur une croix, innocent.
00:21 On pourrait penser que tout est terminé.
00:23 Et puis en fait, ça c'est le vendredi saint,
00:26 comme on dit aujourd'hui.
00:28 Aujourd'hui, nous sommes le samedi saint, jour du silence, de l'attente si on veut.
00:32 Et demain, donc, ça serait la résurrection de Jésus qui recommence tout
00:38 et qui commence la longue aventure chrétienne.
00:40 Donc c'est la fête la plus importante pour les catholiques.
00:43 Oui.
00:44 Mais ils sont où les cathos aujourd'hui ?
00:46 Où sont les cathos ? Alors ça c'est une très bonne question.
00:48 On ne les entend pas.
00:50 On ne se dit pas.
00:51 Ils sont discrets.
00:52 Oui, mais grande déperdition dans la deuxième moitié du XXe siècle
00:56 pour ce qui est des pratiquants.
00:58 Et puis bon…
00:59 Mais même dans l'espace public, il n'y a pas vraiment d'évêques emblématiques aujourd'hui,
01:02 de personnalités qui affichent leur foi.
01:04 C'est très juste.
01:05 Ça manque de personnalités marquantes.
01:07 Mais il y a quand même aussi eu toutes les crises,
01:09 notamment la crise récente des abus, des abus sexuels, des abus spirituels.
01:13 Ça pèse quand même très lourd.
01:14 Il y a toutes les victimes qui sont là.
01:16 On va y revenir, évidemment.
01:17 Il y a quelque chose d'irréparable, etc.
01:18 Donc on en est un peu là.
01:19 On est un peu au creux de la vague, c'est vrai.
01:22 Dans une période de choc alors presque,
01:24 des catholiques vous diriez désemparés ou en crise de foi ?
01:28 Désemparés en tout cas en Europe très fortement,
01:30 mais ailleurs aussi.
01:31 C'est une crise un peu mondiale quand même.
01:34 Quelques chiffres.
01:35 Selon un sondage de l'Institut Harris Interactive,
01:37 46 % des Français se disent proches de la religion chrétienne.
01:40 Alors catholiques, protestants, orthodoxes.
01:42 Et sur ces 46 %, la moitié seulement est pratiquante.
01:45 Est-ce que déjà ces chiffres sont en baisse ces dernières années ?
01:48 Oui, très forte baisse de la pratique.
01:50 Alors souvent les évêques, enfin disons nos patrons dans l'Église catholique
01:55 disent que ça ne préjuge pas de la foi.
01:57 En fait quand même ça montre un manque de vitalité,
02:00 c'est évident quand les gens ne pratiquent plus,
02:02 quand ils ne vont plus à l'Église.
02:03 Est-ce que le Covid a beaucoup joué sur ce point-là ?
02:06 Est-ce que ?
02:07 Le Covid, la crise Covid a beaucoup joué là-dessus.
02:09 Oui, alors le Covid c'est un peu comme pour toutes les associations,
02:12 selon les endroits on dit que ça a repris très bien, comme avant.
02:16 Il y a d'autres endroits, on dit quand même que ça n'a pas repris.
02:19 C'est-à-dire, mettons les assemblées du dimanche pour la messe,
02:22 quand même la célébration emblématique chez les catholiques,
02:26 on n'a pas repris au même niveau qu'avant.
02:29 Il y a toujours 20%, voire 30% de gens qui manquent.
02:32 Parce que la religion aujourd'hui, elle est moins dans nos modes de vie ?
02:37 Il y a aussi ça ?
02:38 Ou est-ce que l'Église semble déconnectée de la société ?
02:41 Oui, il faudrait faire la différence entre religion et Église
02:43 parce que la religion par certains côtés se porte très bien.
02:45 On pourrait même dire qu'elle se porte trop bien.
02:47 Beaucoup de gens disent qu'il y avait moins de religion, ça irait mieux
02:50 parce que les religions, il y a de la violence, il y a de la passion,
02:53 il y a toutes sortes de folies, même par moments.
02:55 Donc elle est très présente.
02:57 Mais par l'autre côté, c'est l'Église qui régulait un peu tout ça autrefois
03:01 dans un pays comme la France, qui est en fort recul.
03:04 Et pourtant, il y a beaucoup de baptêmes en ce week-end de Pâques.
03:08 Plus de 5 400 adultes seront baptisés à Pâques.
03:14 La Charente-Libre en parle d'ailleurs ce matin.
03:16 C'est un millier de plus que l'an dernier. Alors comment elle explique ça ?
03:19 Baptême d'adultes, ça veut dire qu'effectivement la crise est là.
03:22 C'est-à-dire qu'au fond, nous sommes toujours placés devant le sens de l'existence.
03:27 Donc malgré tout, un certain nombre de catholiques,
03:29 disons de l'adolescence parfois jusqu'à 40 ans, 50 ans, 60 ans,
03:34 trouvent dans l'Église ou dans la foi chrétienne plutôt,
03:37 ou dans les deux, un motif d'espérer, un motif de vivre, des raisons de vivre,
03:41 d'accueillir l'autre, etc.
03:43 Donc ça, ça existe toujours.
03:45 Mais les baptêmes de petits-enfants, qui sont quand même en principe la règle,
03:48 les baptêmes de petits-enfants sont en chute libre, d'autant plus que...
03:51 C'est un choix des parents.
03:52 Oui, c'est un choix des parents.
03:53 Et comme les parents eux-mêmes sont de moins en moins baptisés,
03:55 évidemment, la crise qui est là, c'est celle de la transmission.
04:00 À la tête de l'Église catholique, il y a le pape François.
04:02 Il a été hospitalisé il y a quelques jours.
04:05 On dit qu'il pourra célébrer la messe de demain.
04:08 Il n'était pas au chemin de croix hier.
04:10 Mais physiquement, on voit bien que le pape baisse, comme on dit.
04:13 La tête semble toujours là.
04:15 Bien, mais alors effectivement, combien de temps ça peut durer, c'est une question.
04:18 En tout cas, on peut se la poser, parce qu'un pape en petite chaise,
04:22 pendant une durée indéterminée, il y a quelque chose qui ne colle pas quand même.
04:26 Il y a dix ans, Georges et Mario Bergoglio devenaient donc François,
04:30 un pape humble et de terrain qui voulait bâtir une église pauvre pour les plus pauvres.
04:34 Qu'est-ce qu'il a construit en dix ans ?
04:36 Qu'est-ce qu'il a changé ?
04:38 Il a construit ou il a changé un état d'esprit, je trouve.
04:41 Je vais dire que c'est plus cool par certains côtés.
04:46 Il a ouvert aussi, il a accueilli par exemple les homosexuels.
04:51 Sur les questions de l'avortement, il y a quand même des questions à lui,
04:55 sur la question du retour des couples remariés.
04:58 Moi, j'ai encore l'impression qu'il aurait voulu changer, mais qu'il n'y est pas arrivé.
05:03 C'est comme ça que je le ressens.
05:05 Très vite, il se heurtait à de très grosses difficultés.
05:07 Il y avait l'héritage quand même de son prédécesseur.
05:09 Je dis souvent, notamment, le prédécesseur avait fait des nominations de responsable
05:16 que François a littéralement dû évacuer parce qu'il ne pouvait rien faire.
05:19 Il était paralysé.
05:20 Mais ça veut dire que ces questions, le rôle des femmes dans l'église,
05:23 le mariage des prêtres, elles sont posées aujourd'hui.
05:26 Il y a un synode en ce moment qui…
05:28 Non, vous avez raison, le mariage des prêtres, je ne sais pas s'il aurait voulu changer.
05:31 Mais par contre, pour le rôle des femmes, j'en suis persuadé.
05:33 Alors, vous voyez bien, ils procèdent par contournement.
05:35 Ils ne leur donnent pas des responsabilités, comme on dit dans l'église,
05:38 mettons, proprement d'église.
05:40 Elles ne seront pas prêtres, elles ne seront donc pas non plus évêques et tout ça.
05:43 Elles ne donneront pas les sacrements.
05:44 Par contre, ils les mettent dans l'administration.
05:46 Et là, ils leur donnent des très hauts postes, des postes, mettons,
05:49 de côté économique, de direction des ressources humaines.
05:54 On pourrait presque dire des choses de ce genre-là.
05:56 Mais pas de postes centrales dans les décisions.
05:59 Ces dix dernières années ont été aussi marquées, on en parlait,
06:01 par la révélation de nombreux scandales sexuels au sein de l'église.
06:04 On va juste rappeler un chiffre qui est glaçant,
06:06 issu du rapport Sauvé en 2021.
06:08 330 000 victimes de violences sexuelles dans l'église depuis 1950 en France.
06:12 L'église a-t-elle vraiment pris des mesures pour lutter contre les abus sexuels ?
06:15 Elle a pris des mesures, mais c'est extrêmement difficile.
06:17 Alors, la première difficulté qu'elle rencontre en ce moment, c'est les victimes.
06:22 Parce que les victimes réclament réparation.
06:24 Et l'église leur a promis de réparer.
06:26 Alors, les victimes trouvent que c'est très lent, que c'est peu.
06:29 Le maximum, c'est 60 000 euros d'indemnité pour ce qu'elles ont subi.
06:34 Certaines sont extrêmement détruites.
06:36 Alors, l'autre affaire, c'est…
06:38 Effectivement, maintenant que vous avez parlé du célibat des prêtres,
06:41 une des choses suggérées par le rapport est quand même de revoir un peu tout ça.
06:46 Et puis même, de façon générale, un peu la sexualité dans l'église catholique.
06:49 On a l'impression qu'il y a quand même un problème.
06:51 – Qui est un palou et qui est…
06:53 – Que l'église a un mal de chien à intégrer,
06:56 non pas la libre sexualité, mais tout simplement une sexualité bien intégrée,
07:01 des choses de ce genre-là.
07:03 Il n'y a pas de discours.
07:05 Une des choses que disait le rapport de l'ACIA,
07:07 c'est que tout est mis sur le même plan.
07:09 Une masturbation d'adolescent équivaut pratiquement à un viol.
07:12 À ce moment-là, ça ne va plus.
07:14 Quand tout est grave, rien n'est grave.
07:16 Enfin, des choses de ce genre-là.
07:18 – Ce sont des agressions qui sont graves, qui sont effectivement toutes graves.
07:21 – Pour ces prêtres jusqu'à présent, les prêtres pédocriminels,
07:24 maintenant il suffisait de se confesser pour être absous et être envoyés ailleurs.
07:28 Mais on voit bien, ça c'est du système…
07:30 – En tout cas, il est assez clair que l'église a besoin de continuer
07:32 à s'interroger sur ces questions-là.
07:34 – C'est un système qui ne marche plus, il faut revoir son code pénal, j'allais dire.
07:36 – Et peut-être créer un organe spécial au sein de l'église
07:39 pour sanctionner les prêtres et pour favoriser la libération de la parole.
07:42 – Et donner des responsabilités aux laïcs.
07:44 Parce que dans l'église catholique, ce qui est terrible, c'est que tout passe par les curés.
07:46 Tout passe par les prêtres.
07:48 Ils ont le pouvoir, le sacré, l'autorité.
07:51 - Merci beaucoup, Jean-Luc Chagall, d'avoir été avec nous ce matin.
07:53 - Merci. Merci à vous.