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Chroniqueuse : Maya Lauqué 


Maya Lauqué reçoit le journaliste indépendant Victor Castanet qui a obtenu le prix Albert Londres en 2022 pour son livre « Les fossoyeurs » dans lequel il a révélé le scandale des Ehpad Orpéa. Cette semaine, c'est une version poche de son ouvrage choc qui sort. 

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Transcription
00:00 Bonjour Victor Castaner.
00:01 Bonjour Maya, merci pour votre invitation.
00:02 Merci à vous d'être ici ce matin.
00:04 Vous publiez cette semaine une version poche des Faussoyeurs,
00:07 augmentée de dix chapitres dans lesquels vous racontez
00:09 les pressions subies mais aussi les manœuvres politiques
00:12 avant la publication de l'enquête en janvier 2022.
00:15 Le livre est sorti mercredi, deux jours après, hier.
00:17 Vous avez débattu sur France Info avec le ministre des Solidarités,
00:20 Jean-Christophe Combes.
00:21 Diriez-vous que c'est la réponse du gouvernement, de la Macronie,
00:25 que vous accusez d'avoir caché la poussière sous le tapis ?
00:28 Alors oui, je raconte dans ces chapitres inédits,
00:30 je raconte à la fois comment une société cotée en bourse
00:34 peut manipuler l'information,
00:36 et puis j'essaye de raconter les suites politiques.
00:38 Et donc à ce moment-là, j'ai plusieurs témoins qui m'expliquent,
00:43 qui me racontent, qui témoignent du fait qu'une partie de la Macronie
00:47 a effectivement essayé de mettre ce sujet sous le tapis
00:51 dans les semaines, les mois qui ont suivi la publication,
00:54 parce qu'on était en pleine période électorale.
00:57 Et à ce moment-là, si vous voulez, une partie des députés à l'REM
01:00 ont le sentiment qu'Emmanuel Macron n'a pas de bilan sur ce sujet.
01:04 Il a plusieurs fois promis une loi grantage en 2018,
01:09 quand déjà il y avait eu des alertes, des grèves
01:12 et des reportages signalant des dysfonctionnements.
01:14 Il a ensuite promis en 2020.
01:17 À chaque fois, cette loi grantage est décalée.
01:20 Et on peut imaginer que si elle avait été mise en place quelques années plus tôt,
01:24 peut-être certaines dérives d'Orpea auraient été stoppées plus tôt.
01:29 Donc je pense qu'il y a le sentiment d'une responsabilité gouvernementale.
01:32 Et donc effectivement, je raconte comment on a accéléré certains processus
01:37 et annulé d'autres, notamment la commission d'enquête parlementaire,
01:40 où une députée LREM, Annie Vidal en l'occurrence,
01:44 me raconte qu'elle voulait une commission d'enquête parlementaire
01:48 comme l'ensemble des députés de tout bord politique, qui soit ça.
01:53 Donc il y a une tribune qui est signée, Madame Vidal signe cette tribune
01:57 et donc elle raconte ensuite qu'elle va être prise à parti violemment
02:00 par plusieurs députés qui lui disent qu'elle n'a plus rien à faire dans le parti
02:04 et qu'elle a agi contre le président de la République.
02:06 Donc ça raconte ça, comment à haut niveau,
02:09 on s'est inquiétés pendant cette campagne présidentielle.
02:12 – Mais là, ce débat qui a eu lieu hier, avec l'Union des Solidarités,
02:16 vous dites quoi, enfin on en parle ?
02:18 – Si vous voulez, c'est pour ça aussi que j'ai fait des chapitres inédits
02:22 dès que je sors ce livre aujourd'hui augmenté, c'est pour qu'on en reparle.
02:25 – C'est ça.
02:26 – Et essayer de faire le bilan un an après de ce qui a été fait.
02:29 Et si vous voulez, on ne peut pas dire que rien n'a été fait,
02:32 mais ce qui est sûr c'est que tout reste à faire.
02:34 Ce qui a été fait c'est que…
02:36 – On va en parler juste, on va rappeler qu'il y a un an,
02:38 ce livre a fait l'effet d'une bombe dans cette enquête sur les Epador PA,
02:41 vous dénonciez les détournements de fonds publics du groupe,
02:43 l'obsession pour la rentabilité au détriment des résidents souvent maltraités.
02:48 Vous expliquez aussi, au-delà des manœuvres politiques,
02:52 que la sortie du livre s'est accompagnée de pressions,
02:56 on est dans le roman d'espionnage, est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?
02:59 – Alors je voulais raconter comment une société cotée en bourse utilise,
03:04 met en place un certain nombre d'acteurs de l'ombre pour manipuler l'information,
03:09 allumer des contrefeux, brouiller les pistes.
03:11 Et ça me semble important pour le grand public
03:12 parce que vous avez parfois des informations qui vous arrivent dans les médias
03:16 et vous ne savez pas qui est derrière.
03:17 Et donc je raconte comment des sociétés d'intelligence économique ont été missionnées,
03:21 elles sont là pour obtenir des informations sur moi,
03:24 sur le contenu du livre, pour identifier les sources, ça c'est la première chose.
03:28 – C'est-à-dire que vous avez dû vous cacher, cacher le livre ?
03:30 – Non, c'est-à-dire qu'il faut travailler dans le secret, ça c'est sûr,
03:33 on travaille sous embargo pour ne pas qu'il y ait de fuite.
03:36 Et il y a un nombre très restreint de personnes qui sont au courant,
03:39 même au sein de mon éditeur à l'époque Fayard,
03:42 on est une toute petite équipe à être au courant de la sortie du livre.
03:45 Donc effectivement vous êtes dans la discrétion pendant plusieurs mois
03:48 et vous savez que certains acteurs essayent d'obtenir des informations.
03:52 La deuxième chose, c'est que vous avez des sociétés de communication de crise,
03:56 en l'occurrence Immachet,
03:58 et qui sont là pour mettre en place une communication de crise
04:01 avant et pendant la sortie du livre.
04:04 Et donc je raconte notamment, un point qui me paraît intéressant,
04:07 c'est qu'ils mettent en place un sondage Odoxa,
04:10 peu après que j'ai envoyé mes questions à l'été 2021,
04:13 où ils vont sonder dans plusieurs pays européens,
04:16 plus de 5 000 personnes, sur le bien vieillir.
04:19 Évidemment les réponses c'est, globalement on vieillit mieux en France qu'ailleurs,
04:23 et les EHPAD ce n'est pas le problème, c'est plutôt la solution.
04:26 C'est un peu ça en gros ce qu'ils racontaient.
04:28 Ce sondage il est diffusé dans l'émission "Les Informés" sur France Info,
04:33 avec la patronne d'Odoxa,
04:35 deux jours avant l'apparition des Bonnes Feuilles du Monde.
04:38 Et si vous voulez, à ce moment-là, c'est évidemment,
04:41 pour essayer d'atténuer l'impact de l'enquête à paraître,
04:44 et ni le grand public, ni les journalistes en plateau
04:47 ne sont au courant que derrière c'est une manœuvre de communication.
04:52 Évidemment s'ils avaient su, ils auraient traité l'information différemment.
04:57 Donc ça me paraît important pour ça, et puis je raconte un autre point,
05:00 notamment un sondage qui a été mis en place dans l'émission TPMP,
05:04 peu après la sortie du livre,
05:06 où là on apprend que c'est une société de réputation digitale,
05:09 des hackers, qui ont manipulé les résultats des sondages,
05:13 et inversé totalement les votes.
05:15 Vous nous disiez "tout reste à faire", mais des choses ont été faites.
05:18 Un an après ces révélations, qu'est-ce qui a changé, notamment chez Orpea ?
05:22 Alors chez Orpea, ce qui a changé, c'est le système tel que je le décris dans le livre,
05:27 qui est un système d'optimisation des coûts extrêmement brutal,
05:30 et ça qu'il faut rappeler, un système de détournement d'argent public.
05:33 Orpea, avec des systèmes financiers, notamment les marges arrière,
05:37 captait une partie de l'argent public qui était alloué aux produits de santé,
05:40 et les mettait dans les caisses du groupe.
05:42 Et enlevait des postes de soignants, entre 2 et 4 par résidence,
05:46 et mettait l'argent dans les caisses du groupe.
05:48 Donc il détournait de l'argent public. Ce système-là a été stoppé.
05:51 Donc ça c'est une bonne chose.
05:53 Le management toxique de l'ancienne direction a été stoppé.
05:57 Toutes les fraudes aux droits du travail, la discrimination syndicale,
06:01 les CDD abusifs, les licenciements massifs pour fautes graves sans aucun motif,
06:05 tout ça a été stoppé.
06:07 Si vous voulez, le système maltraitant de l'ancienne direction a été stoppé.
06:12 D'ailleurs, 34 dirigeants de l'ancienne direction ont été licenciés pour fautes graves.
06:18 Après, il y a encore un énorme défi pour Orpea et pour la nouvelle direction,
06:23 c'est le recrutement.
06:24 C'est-à-dire qu'il n'y a toujours pas assez de soignants chez Orpea,
06:27 et Orpea, évidemment, et comme d'autres groupes,
06:30 ont un déficit d'attractivité énorme.
06:33 Donc ça, c'est le chantier de demain, et c'était un peu ma discussion avec M. Combes hier,
06:39 c'est là une réponse gouvernementale qui va faire que ça va changer.
06:43 Sans ça, ça ne changera pas.
06:44 Il a annoncé des mesures d'ici la fin de l'année,
06:46 mais c'est vrai que votre livre dénonce les pratiques d'Orpea,
06:48 bien au-delà, il interroge sur la prise en charge de nos aînés dans les EHPAD publiques comme privées.
06:53 Vous êtes toujours, vous, en lien avec des soignants et des résidents.
06:55 Est-ce que vous diriez que le lien de confiance est rompu entre, peut-être, les familles,
07:00 les soignants, les directions ?
07:02 Alors, ça dépend évidemment des résidences.
07:04 Il y a plein de résidences en France où ça se passe très bien.
07:07 Et c'est aussi un portefeuille.
07:08 Vous avez des équipes exceptionnelles, extrêmement engagées dans leur travail.
07:12 Donc, il y a, moi je vois d'ailleurs souvent des résidences où il y a des lieux de vie exceptionnels
07:18 et des liens très forts entre les soignants et les résidents.
07:21 Mais oui, de manière générale, ce livre a provoqué une crise de confiance aussi.
07:26 Moi, je parle d'Orpea, d'un groupe qui était le leader mondial et de ses dérives
07:32 qui racontent les défaillances de l'État, notamment au niveau des contrôles.
07:35 Mais évidemment, si ça a eu un impact plus large, plus global,
07:39 c'est parce que je pense qu'ailleurs, des familles ont senti, elles aussi, des dysfonctionnements,
07:43 que ça soit dans le privé, dans le public ou dans l'associatif.
07:46 Ce livre, c'est trois ans de votre vie.
07:48 Est-ce que cette enquête, elle a changé aussi votre perception du grand âge
07:52 et de la place que nous accordons à nos aînés ?
07:54 Oui, c'est sûr. Pendant que j'écrivais ce livre, j'avais mon grand-père qui était en fin de vie,
08:01 qui est décédé il y a quelques semaines.
08:03 Et ça me questionnait moi-même en permanence sur ma propre responsabilité
08:07 et sur le temps que je pouvais passer avec mon grand-père.
08:12 Et c'est vrai qu'on a des vies très occupées.
08:14 Et on se pose toujours la question de savoir si on donne assez de temps à nos aînés.
08:20 Ça, c'est une certitude.
08:21 Merci beaucoup, Victor Cassouli, d'être venu ce matin.

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