Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris-I et Anne Levade, constitutionnaliste et professeure de droit public à l'Université Paris I, sont les invités du 7h50 pour évoquer le rôle du Conseil Constitutionnel dans l'application de la réforme des retraites. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-jeudi-30-mars-2023-3238965
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00:00 Le 7 9 30. 7h48, Léa Salamé, vos invités ce matin sont constitutionnalistes.
00:06 Bonjour Anne Levade. Bonjour. Et bonjour Dominique Rousseau. Merci d'être là tous les deux.
00:10 Ce matin on voulait essayer de comprendre avec vous ce qui va se passer dans les deux
00:13 prochaines semaines au Conseil Constitutionnel jusqu'au 14 avril, date à laquelle les sages
00:18 rendront leur décision très très attendue sur la réforme des retraites. Alors quels
00:22 sont les recours recevables à vos yeux ? Quels sont les articles susceptibles d'être censurés ?
00:27 On va le voir mais d'abord Anne Levade, une question de néophyte complet. Expliquez-nous
00:32 comment ça se passe concrètement aujourd'hui et pendant 15 jours derrière les murs de
00:36 la rue Montpensier, les 9 sages se voient tous les jours autour du texte, chacun lit
00:41 le texte chez lui et revient ensuite en réunion. Comment ils votent ? C'est très secret le
00:46 Conseil Constitutionnel donc j'avais juste envie de savoir comment ça se passe concrètement
00:49 là pendant 15 jours. Je comprends que c'est très intriguant. En réalité d'abord il
00:54 faut rappeler que le Conseil Constitutionnel dans les 15 jours qui viennent ne va pas traiter
00:57 que le texte sur les retraites, aussi important soit-il, et pas même non plus que le texte
01:03 sur le référendum d'initiative partagée, c'est-à-dire qu'il y a toute une série
01:06 de décisions sur lesquelles il est amené à travailler. Donc ce que l'on sait, parce
01:10 qu'on ne sait pas tout et c'est le propre d'une juridiction ou en l'espèce du Conseil
01:15 Constitutionnel, ce que l'on sait c'est qu'un rapporteur a été désigné sur le
01:18 texte, c'est-à-dire le juge qui est plus spécialement en charge de préparer la décision
01:24 et donc avant le délibérer. On sait aussi grâce à un communiqué qui a été rendu
01:28 public hier, ce qui n'est pas tout à fait habituel par le Conseil Constitutionnel, qu'il
01:33 va y avoir une phase orale d'instruction, puisque depuis que les saisines ont été
01:38 déposées, évidemment le gouvernement a pu répliquer, d'autres ont pu déposer des
01:43 contributions extérieures. On sait maintenant que le 4, un certain nombre de députés,
01:48 auteurs d'une saisine, seront reçus par le juge rapporteur.
01:50 Et ça c'est assez rare vous dites ?
01:51 C'est assez rare.
01:52 Alors le Conseil Constitutionnel a donc été saisi à la fois par Elisabeth Borges, la
01:56 Première Ministre, comme le veut la tradition, et l'oblige d'ailleurs, mais aussi par les
01:59 oppositions. Il rendra deux décisions. Vous me dites non, j'ai dit une bêtise ?
02:04 Il n'y a pas de tradition.
02:05 Il n'y a pas de tradition.
02:06 Il n'y a pas d'obligation.
02:07 On n'est pas obligé de saisir le Conseil Constitutionnel ?
02:08 Sur un projet.
02:09 Le Premier Ministre, sur les projets de loi organique, oui. Sur les projets de loi ordinaire
02:13 ou le financement de la sécurité sociale, non.
02:15 Bon, autant pour moi. On continue, j'essaie de ne pas dire une deuxième bêtise. Donc
02:21 le Conseil Constitutionnel a été saisi par Elisabeth Borges et par les oppositions.
02:25 Il rendra deux décisions le 14. L'une sur la constitutionnalité ou pas du projet de
02:30 loi. L'autre, vous le disiez, sur le RIP, le fameux référendum d'initiative partagée
02:34 lancé par la gauche. Ça, on est d'accord que ça devrait être recevable, donc on ne
02:38 perd pas notre temps sur ça, vous dites tous les deux ?
02:39 Oui.
02:40 Alors, pour que ce soit clair d'abord, le Conseil Constitutionnel n'a pas à se prononcer
02:45 sur l'article 7, sur les 64 ans, le passage de 62 à 64 ans. Ça, sur ça, il ne devrait
02:50 pas se prononcer, non ?
02:51 Il ne devrait pas. Il pourrait, puisqu'il est saisi de la loi dans son entier. Donc
02:57 chacun des articles, de l'article 1 à l'article 20, il pourrait. Mais, si vous voulez, il
03:02 y a deux types de contrôles. Il y a ce qu'on appelle le contrôle de constitutionnalité
03:06 interne, lorsque le Conseil pénètre dans le contenu de la loi. Et puis il y a le contrôle
03:12 de constitutionnalité externe, lorsque le Conseil regarde simplement la manière dont
03:17 la loi a été produite. Et là, de mon point de vue, on en discutera, mais de mon point
03:23 de vue, il y a un vrai risque ou une vraie chance, ça dépend de quel côté on se place,
03:28 de voir la loi censurée.
03:31 Alors c'est ce qu'espèrent en tout cas les oppositions et ils jouent sur ça, ils
03:34 jouent pour que ce soit bien clair, et corrigez-moi si je dis une bêtise là encore. En clair,
03:38 ils disent, en abrégeant les débats, en utilisant les articles 47, 44, 49, 3, pour
03:44 réduire au maximum l'étendue du débat, pour ensuite engager sa responsabilité sur
03:48 le texte, le gouvernement aurait, à leurs yeux, détourné la constitution. Depuis 95,
03:54 la constitution, le Conseil constitutionnel, exige que les débats soient soumis au principe
03:59 constitutionnel de clarté et de sincérité. Est-ce qu'il y a eu, à vos yeux, tous les
04:04 deux, manquement à ce principe de clarté et de sincérité des débats ? Est-ce que
04:08 vous pensez que les débats ont été insincères et confus ? C'est ça, c'est sur ça que
04:12 ça va jouer ? Oui, alors, vous allez me trouver déplaisante, mais c'est pas 95, c'est
04:16 2005, le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Je vais sortir,
04:22 vous savez, vous allez le faire tous. Pourtant, je vous assure, je rentrerai dans le truc en
04:26 me disant ces techniques qu'il faut. Et de fait, le Conseil constitutionnel, s'il a
04:30 affirmé ce principe, n'a pour l'instant jamais censuré un texte sur ce fondement.
04:34 Tout simplement parce que le principe de clarté et de sincérité, il l'apprécie effectivement
04:39 sur la base du déroulement de la procédure législative, c'est-à-dire qu'il examine
04:44 les différentes étapes de la procédure, mais il n'examine pas, comme j'ai pu l'entendre
04:50 parfois, la question politique de savoir, par exemple, si le gouvernement a bien ou
04:56 mal défendu son texte ou clairement ou pas clairement présenté son texte. Et pour l'instant,
05:03 dans les décisions où ce principe a pu être évoqué, le Conseil constitutionnel,
05:08 tant bien même il a parfois constaté des irrégularités, a dit "dans l'ensemble,
05:13 ça n'est pas de nature à mettre en cause le principe de clarté et de sincérité".
05:15 - Demi Crousseau, vous n'êtes pas d'accord ?
05:16 - Alors, non, je ne suis pas d'accord parce que justement, dans l'ensemble, il y a,
05:22 dans la procédure qui a conduit à la loi sur les retraites, une accumulation d'outils
05:28 que vous avez rappelé, l'article 47, l'article 38 du règlement du Sénat, l'article 44,
05:35 une accumulation de règlements qui font que, dans l'ensemble, personne ne peut contester
05:40 que le débat a été peu clair, a été insincère. Je peux prendre des exemples factuels, par
05:47 exemple, sur l'index Senior, est-ce qu'il va être sanctionné ou pas ? Les 1200 euros,
05:54 c'est pour 2 millions de retraités ou simplement 10 000. Donc, il y a eu, comment dire, il
06:00 y a eu parfois des ambiguïtés, un flou sur la question qui rend le débat, de mon point
06:07 de vue, insincère et confus.
06:10 - Mais est-ce que le manque de clarté et la confusion dont vous parlez, elle peut aussi
06:16 être imputée à la stratégie des oppositions et notamment de la NUPES, d'avoir voulu systématiquement
06:21 faire obstruction en déposant 20 000 amendements répétitifs et pour bloquer la discussion.
06:28 - Vous avez raison, complètement. Les torts sont partagés, mais il se trouve que, justement,
06:34 l'accumulation, il n'y a pas eu obstruction au Sénat comme à l'Assemblée nationale.
06:39 Et pourtant, au Sénat, ils ont utilisé l'article 38 du règlement qui permet de limiter le
06:44 débat un orateur pour, un orateur contre. Ils ont utilisé l'article 44, c'est-à-dire
06:48 le vote bloqué, qui fait tomber tous les amendements. Il y a un avantage, si vous voulez,
06:52 à ce principe, c'est que, d'abord, heureusement, je suis d'accord avec Anne Levan, heureusement
06:59 que le Conseil n'a pas encore censuré, ça serait grave pour notre démocratie parlementaire,
07:04 que le principe constitutionnel de clarté et de sincérité ne soit jamais respecté.
07:08 Là, à mon avis, il l'est de manière manifeste, avec un avantage pour le Conseil, que vous
07:12 rappeliez tout à l'heure, c'est qu'il n'aurait pas à se prononcer sur le fond.
07:15 Il n'aurait pas à dire 62 à 64 c'est contraire à la Constitution, ça, il ne dira pas. En
07:20 fait, la manière dont la loi a été produite pourrait conduire à une censure.
07:25 Vous n'êtes pas d'accord, Anne Levan, pour vous, les débats ont été clairs et pas confus ?
07:31 Alors, en réalité, ce n'est pas comme ça que je me pose la question. C'est-à-dire
07:34 que, moi, je considère que je n'ai pas à porter de jugement sur le déroulement des
07:38 débats eux-mêmes. Et la raison pour laquelle je ne préjuge pas de la manière dont le Conseil
07:42 statuera, c'est que j'estime que, sur la base de sa jurisprudence jusqu'à ce jour,
07:47 par référence au principe de clarté et de sincérité, le Conseil n'a, pour l'instant,
07:51 jamais censuré. J'ajoute que, jusqu'à maintenant, il n'a censuré qu'à cinq reprises intégralement
07:56 des textes de loi depuis 1958.
07:59 Pour une loi de finances ?
08:00 Parce qu'évidemment, oui, mais parce que la règle procédurale était l'absence de
08:05 vote sur la première partie, qui est une obligation, avant le vote sur la deuxième
08:10 partie.
08:11 Ça, c'était quand la loi de finances censurée ?
08:12 C'était 79. Mais là où j'ai un vrai désaccord avec ce que vient de dire Dominique
08:16 Rousseau, encore une fois, c'est sur le fait que ce principe de clarté et sincérité,
08:20 de mon point de vue, n'a, alors ça j'en suis certaine, jusqu'à maintenant, jamais
08:25 été analysé à l'aune du contenu des débats.
08:29 Il s'agit simplement d'une approche procédurale.
08:32 Est-ce qu'on a bien, dans un ordre prédéterminé, utilisé les prérogatives prévues par la
08:37 Constitution ? Et si j'ai un doute, c'est que je ne pense pas que le Conseil constitutionnel
08:43 orientera dans ce sens sa jurisprudence de manière générale.
08:47 Donc vous, vous pensez que probablement le Conseil ne va pas censurer intégralement
08:52 la loi, le projet de loi ?
08:54 Ce serait une surprise, en tout cas, encore une fois, parce qu'il le fait très rarement
08:57 et que, par ailleurs, vraisemblablement, comme souvent sur une loi de financement de la Sécurité
09:03 sociale, il pourra faire une censure partielle sur notamment ce qu'on appelle des cavaliers
09:07 sociaux, c'est-à-dire des articles qui n'ont a priori pas leur place dans l'intérêt.
09:10 C'est-à-dire l'index senior.
09:11 Vraisemblablement.
09:12 Vous, Dominique Rousseau, vous dites qu'il semble difficile que le Conseil constitutionnel
09:16 ne censure pas cette loi.
09:18 L'institution joue en quelque sorte son destin dans cette affaire.
09:21 Est-ce que c'est son rôle de jouer son destin politique, le Conseil constitutionnel, dans
09:24 cette affaire ? Ou son destin tout court, d'ailleurs ?
09:26 Vous savez, c'est un propos qu'on a tenu en 1971, lors de la loi sur la possibilité
09:35 de soumettre à autorisation préfectorale la création d'associations.
09:40 1971, c'était trois ans après mai 68, c'était un gouvernement dirigé par Georges Pompidou
09:50 qui était Premier ministre.
09:51 Le Conseil constitutionnel était présidé par un gaulliste et la majorité des membres
09:55 du Conseil étaient de droite.
09:57 Et pourtant, ils ont censuré cette loi.
10:01 Et le Conseil a sauvé en quelque sorte son rôle en censurant cette loi qui garantit
10:05 la liberté d'association.
10:06 On est dans la même situation.
10:08 Merci à tous les deux réponses.
10:09 Le 14 avril prochain, on verra ce que les neuf sages vont décider.
10:13 Qui a raison, l'un ou l'autre, on verra.
10:15 On réinvitera peut-être.
10:16 Merci à tous les deux.
10:17 Belle journée.