À 8h20, les constitutionnalistes Anne Levade et Dominique Rousseau sont les invités du Grand Entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-24-juin-2024-7186986
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00:00Dans le grand entretien ce matin, réflexion sur les institutions du pays, dissolution,
00:06cohabitation, chambre ingouvernable, caractère constitutionnel ou non de certaines mesures
00:13défendues dans cette campagne, beaucoup de questions se posent et j'attends toutes
00:17les vôtres au 01 45 24 7000 et sur l'application France Inter.
00:23Pour en parler, Anne Levade, constitutionnaliste, professeure de droit public à l'université
00:30parisien Panthéon-Sorbonne et Dominique Rousseau, juriste, professeure de droit constitutionnel
00:37à l'université parisien Panthéon-Sorbonne.
00:40Bonjour à tous les deux et merci d'être au micro d'Inter, vos lumières nous seront
00:47très utiles ce matin dans un contexte électoral et politique d'autant plus électrique qu'il
00:53se déploie dans un délai de temps très court.
00:56Vous êtes tous deux des spécialistes de la constitution, de ses rouages, de la permanence
01:02de ses principes, on va y venir, mais comment d'abord avez-vous reçu la nouvelle de la
01:10dissolution ? Avez-vous été étonnée, sidérée, intriguée ? Anne Levade, vous
01:16diriez quoi ?
01:17Je dirais tout cela à la fois, évidemment surprise, stupéfaction même d'une certaine
01:23manière, à la fois parce qu'il avait été dit que ça ne serait pas le cas et ensuite
01:27parce que c'était des élections européennes et puis après forcément quand on est constitutionnaliste
01:33on réfléchit aux étapes qui vont suivre.
01:34Et vous vous êtes dit quoi à ce moment-là ? Mon Dieu ! À quoi ça va bien pouvoir
01:41ressembler ? Je me suis dit que les choses allaient être
01:44à la fois extrêmement denses, de ce point de vue-là on n'est pas déçu, mais que
01:48finalement les étapes constitutionnelles sont très précisément fixées pour les
01:53échéances à venir.
01:54Ce qui évidemment fait la différence après c'est l'enjeu politique, mais de ce point
02:00de vue-là en tout cas, les règles constitutionnelles sont assez claires.
02:03Et vous, quelle a été votre réaction Dominique Rousseau ? Parce qu'on avait le sentiment
02:08que l'outil « dissolution » avait été remisé au placard depuis celle de 1997.
02:15Depuis effectivement la dissolution ratée de Jacques Chirac en 1997.
02:20Ceci dit, surpris bien sûr comme tout le monde, l'idée de dissoudre l'Assemblée
02:26nationale était dans l'air, les commentateurs, les journalistes le disaient déjà depuis
02:31un certain temps.
02:32Pour l'automne éventuellement.
02:33Donc l'idée d'une dissolution, dès lors qu'il n'y avait pas de majorité absolue
02:37depuis 2022 et qu'il y avait parfois des blocages à l'Assemblée nationale, la dissolution
02:43était dans l'air.
02:44Emmanuel Macron l'avait d'ailleurs évoqué en disant « si jamais il renverse le gouvernement,
02:48je dissous », avait-il dit.
02:50Donc, si vous voulez, l'arme de la dissolution était à la disposition du président.
02:56Est-ce que c'était le bon moment ? Est-ce que par rapport au résultat des élections
03:01européennes, il fallait dissoudre l'Assemblée nationale alors même que le président de
03:06l'Assemblée avait dit qu'il n'y avait pas de relation entre les élections européennes
03:09et la politique nationale ? Comme tout le monde, évidemment, j'ai été surpris.
03:12Vous avez une réponse aux questions que vous venez de vous poser ? Etait-ce le bon moment,
03:19fallait-il le faire ?
03:20Je pense que ce n'était pas le bon moment si je prends les précédentes dissolutions.
03:26La dissolution de 1962, tout le monde comprend.
03:29Le gouvernement a été renversé, le général de Gaulle, dissous.
03:33Normal, tout le monde comprend.
03:351968, crise politique, crise sociale, le général de Gaulle, dissous pour permettre
03:42aux Français de s'exprimer dans les urnes plutôt que dans la rue, tout le monde comprend.
03:451981, François Mitterrand, dissous parce qu'il vient d'être élu et il veut une
03:51majorité qui le soutienne, tout le monde comprend.
03:541988, même chose, tout le monde comprend.
03:571997, Jacques Chirac a eu une majorité, il dissout, personne ne comprend, il perd.
04:03Et donc là, si vous voulez, le fait de faire une dissolution, et on voit bien qu'Emmanuel
04:08Macron, par exemple, avec sa lettre aux Français, essaie d'expliquer en disant qu'on n'arrivait
04:12pas à gouverner, mais ce n'est pas vrai.
04:14Depuis 2022, les lois sont votées, parfois avec les écolos, parfois avec une partie
04:19de la gauche, sur les retraites, sur l'immigration, autrement dit, le Parlement K1K parvenait
04:25à travailler, mais il fonctionnait.
04:28Alors, on s'attendait effectivement à ce que le budget ne soit pas voté, il y avait
04:31une menace que le budget ne soit pas voté à l'automne.
04:34Mais là, les Français auraient compris, si le gouvernement avait été renversé à
04:37l'automne, Emmanuel Macron prononçait la dissolution de l'Assemblée Nationale, il
04:42y avait une relation, c'était connecté.
04:43Là, c'est une dissolution un peu abracadabra, comme dirait Jacques Chirac.
04:51Encore un mot, et puis on se projette.
04:53Anne Levat, dans l'hebdomadaire Le1, vous citez Michel Debré qui disait en 1958 « La
05:00dissolution permet, entre le chef de l'État et la Nation, un bref dialogue qui peut régler
05:05un conflit ou faire entendre la voix du peuple à une heure décisive ». On est dans ce
05:11cas de figure ? En tout cas, le Président de la République
05:14a jugé que nous étions dans ce cas de figure, parce que ce que vient de dire Dominique Rousseau
05:19est exact, mais en même temps, la particularité du droit de dissolution, et c'est d'ailleurs
05:22pour ça qu'il est assez difficile d'essayer de faire la typologie ou la classification
05:27des dissolutions qui ont eu lieu, c'est qu'elles ont en commun d'être toutes un choix politique
05:33fait à un moment donné par un Président de la République qui estime que les conditions
05:38justifiant la dissolution sont réunies.
05:40Alors c'est vrai que dans l'esprit de la Constitution de 1958, la dissolution était
05:46d'une certaine manière, comme le référendum, l'instrument d'un retour direct au peuple
05:52et en particulier l'instrument d'un dialogue direct entre le Président de la République
05:57et le peuple.
05:58D'ailleurs dans les deux cas, on a des procédures qui sont conçues de telle sorte qu'il n'y
06:03a pas d'intervention d'autres acteurs dans la décision que le Président et le peuple
06:08qui tranchera.
06:09Alors, projetons-nous sur un certain nombre de scénarios, élections législatives, il
06:15y a une hypothèse, c'est qu'aucune force politique n'obtienne de majorité absolue.
06:22Que se passe-t-il à ce moment-là, Dominique Rousseau ?
06:26Dans l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, le Président doit désigner une
06:33personnalité qui va essayer de construire une coalition majoritaire.
06:38Modèle Allemagne par exemple.
06:41Il n'y a pas de majorité absolue, il y a des groupes parlementaires différents, il
06:46va désigner la personnalité qu'il estime la plus apte de construire cette coalition.
06:52Alors, ça peut être avec Ensemble, avec Horizon, avec Modem, avec certains LR, peut-être
06:58avec certains socialistes qui se détacheraient du nouveau Front Populaire, pour essayer de
07:04construire cette coalition.
07:07Ça, c'est la première hypothèse, s'il n'y a pas de majorité.
07:11Étant donné l'état actuel des rapports de force politique et du climat, il y a peu
07:18de chances qu'une coalition de ce type ait émerge, même si elle serait souhaitable.
07:25En tous les cas, vu l'état des forces aujourd'hui, peu probable que des écologistes et des socialistes
07:30se détachent pour aller apporter leur soutien à une personnalité.
07:35D'autant que nous sommes dans une période, Edouard Philippe l'a bien dit, où le Président
07:41arrive en fin de mandat.
07:42Donc, est-ce qu'un Premier ministre, une coalition majoritaire, pour un Président
07:48en fin de mandat, c'est quand même assez problématique ?
07:51Que se passe-t-il exactement à Llevade en cas d'Assemblée Nationale ingouvernable ?
07:57Je vous pose à votre tour la question, comment ça fonctionne ? Un Premier ministre doit
08:05être choisi dans le groupe arrivé en tête ? Un profil de technicien ? Que disent les
08:13textes ?
08:14Les textes ne disent rien, puisque là encore, le choix du Premier ministre, c'est une
08:19décision du Président de la République et c'est évidemment une décision, là encore
08:24à caractère politique, sur laquelle il a une marge de manœuvre complète.
08:28Évidemment, il ne peut pas, en fonction du contexte politique et parce que c'est une
08:35décision politique, nommer n'importe qui et en particulier quelqu'un dont il aurait
08:38l'absolue certitude que, dès sa première déclaration devant l'Assemblée, il pourrait
08:44faire l'objet d'une motion de censure.
08:46Donc, en réalité, le point d'équilibre, il est là.
08:48Cela étant, quand on dit majorité relative, sans qu'on puisse épuiser tous les scénarios
08:53ici, il y a plusieurs configurations possibles.
08:55Majorité relative, ça veut dire qu'aucune formation politique n'a la majorité absolue,
09:00donc aucune n'a plus de 289 sièges.
09:02Mais en revanche, on peut avoir un parti qui est très en avance et deux autres en retard.
09:07On peut avoir au contraire trois partis très équilibrés ou deux en avance et un en retard.
09:11Et donc, tous ces éléments-là devront nécessairement être pris en considération par le Président
09:16de la République pour désigner une personnalité politique qui soit susceptible d'emporter
09:22une forme de majorité sur son nom.
09:24À quel moment une Chambre est-elle dite « ingouvernable » ?
09:27Alors, la Chambre devient ingouvernable.
09:30D'ailleurs, en réalité, c'est le pays qui devient ingouvernable dans l'hypothèse
09:34où d'une part, il n'y a aucune majorité y compris de projet, c'est-à-dire pas de
09:38majorité ponctuelle texte par texte, et où surtout, il n'y a pas ricoché d'émotions
09:42de censure à répétition.
09:44J'indique quand même que dans l'hypothèse qu'on voit un peu fleurir ces derniers jours
09:49d'un possible gouvernement de techniciens, qui n'est pas forcément politiquement une
09:53solution satisfaisante mais qui, juridiquement, est imaginable.
09:59Il y a aussi un instrument qui est à la disposition du gouvernement, dont d'ailleurs il a peu
10:03usé depuis 2022, c'est le pouvoir réglementaire.
10:07Puisque, en réalité, il y a, on le sait, de nombreuses lois qui sont intervenues dans
10:13des matières qui n'étaient pas nécessairement législatives, et ce depuis les débuts de
10:17la Vème République, et donc, je ne suis pas en train de dire qu'il faudrait gouverner
10:21sans le Parlement, mais que si le Parlement empêche le gouvernement de gouverner, le
10:25gouvernement peut quand même recouvrer des moyens de prendre des décisions.
10:29Mais on fait passer quel type de loi, Dominique Rousseau ? Enfin, pas de loi en l'occurrence,
10:33mais quel type de texte, par cette voie-là ? Comment la France se dote d'un budget ?
10:41Alors voilà, là, ce ne sont plus des décrets, c'est la loi.
10:47Quand vous dites « ingouvernable », ça veut dire, si vous voulez, que, précisément,
10:49il n'y a pas de gouvernement.
10:51Et s'il n'y a pas de gouvernement, c'est parce qu'on n'arrive pas à dégager à
10:56l'Assemblée nationale une coalition majoritaire.
11:00Tous les essais du président de la République échouent.
11:02Il va nommer, par exemple, Cazeneuve pour essayer de trouver une majorité, ça échoue,
11:08il va renommer Gabriel Attal, ça échoue, il va nommer… Toutes les tentatives pour
11:14former un gouvernement appuyé sur une coalition majoritaire échouent.
11:18C'est arrivé, par exemple, en Espagne.
11:21C'est arrivé en Espagne où le gouvernement n'arrivait pas à être formé et, à ce
11:26moment-là, le roi, sous la proposition du Premier ministre, a dissous.
11:32Le problème, c'est que nous, en France, on ne veut pas dissoudre, on ne veut pas dissoudre
11:35pendant un an.
11:36Donc, si vous voulez, on a là un risque de chien en lit qui peut pousser aussi à les
11:44députés, en conscience, à avoir une sorte de responsabilité.
11:47C'est-à-dire qu'on peut avoir un gouvernement minoritaire, comme ça existe dans certains
11:51pays, un gouvernement minoritaire, les oppositions jouant le jeu au moins jusqu'en mai 2025
12:02où le président retrouve la possibilité de dissoudre.
12:06Donc, certains retrouvent la raison et d'autres trouvent le droit de dissoudre.
12:10C'est ça le scénario des mois à venir.
12:13On n'avait pas l'air d'accord, Anne Levandre ?
12:15Si, c'est un scénario envisageable.
12:18Évidemment, dès lors qu'on est à l'articulation entre le droit et la politique, les choses
12:26sont complexes.
12:27Mais disons que les textes offrent quand même, non pas la solution à tout, mais un certain
12:32nombre de voies.
12:33Je prends un exemple, on parle à juste titre beaucoup du budget.
12:37On sait bien que dans l'hypothèse d'une assemblée où il n'y aurait pas de majorité
12:41absolue, évidemment, le point dur sera le vote de la loi de finances.
12:46Or, le fait est qu'aujourd'hui, toute ou presque est prévue comme hypothèse, à
12:51la fois dans la constitution et dans la loi organique sur les lois de finances.
12:54C'est-à-dire que si un parlement traîne des pieds et fait retarder l'adoption du
12:59budget, le gouvernement peut le faire entrer en vigueur par ordonnance.
13:02Ça veut dire aussi que même si le budget est rejeté, dans cette hypothèse-là, il
13:07est prévu par la loi organique sur les lois de finances, un système de douzième provisoire.
13:11Heureusement, il y a des mécanismes qui permettent de faciliter l'absence de blocage.
13:17Deuxième scénario après l'absence de majorité et la chambre ingouvernable, scénario où
13:24ces législatives débouchent sur une majorité absolue, avec donc au moins 289 sièges à
13:31l'Assemblée nationale.
13:32Si c'est la majorité présidentielle, on reviendrait à la situation du premier mandat
13:37d'Emmanuel Macron, mais à ce stade, ce n'est pas ce qu'il y a de plus probable
13:41quand on regarde les enquêtes d'intention de vote.
13:44Si c'est la gauche ou le RN, on entrerait en cohabitation.
13:49Question simple, Anne Levade, que prévoit exactement la constitution pour encadrer
13:54la cohabitation ?
13:55Toujours rien ! Et c'est très bien ainsi, puisque là encore, c'est une situation politique.
14:00En revanche, ce que l'on sait d'expérience, c'est que la constitution n'empêche pas
14:06la cohabitation et que ceux qui acceptent de cohabiter, un président et un premier
14:12ministre de bord politique opposés, peuvent interpréter la constitution, faire application
14:18de la constitution et donc exercer leurs compétences, certes d'une manière qui est différente
14:23de celle qu'on a pu connaître, par exemple, depuis 2017, mais en permettant de gouverner
14:29le pays.
14:30Le RN dispose de la majorité absolue, pour prendre un exemple, le président de la République
14:37est-il dans l'obligation d'appeler Jordan Bardella à Matignon ? Est-ce la règle ?
14:41Peut-il faire un autre choix ? Anne Levade, puis Dominique Rousseau.
14:44Quand on dit obligation, je pense droit et donc juridiquement, non.
14:48Politiquement, évidemment qu'il doit choisir le premier ministre dans la formation politique
14:54qui serait absolument majoritaire et de ce point de vue-là, les expériences antérieures
15:00le montrent, c'est cette formation politique qui désigne celui ou celle qu'elle souhaite
15:04voir à Matignon.
15:05Même lecture des choses, Dominique Rousseau ?
15:07Pas tout à fait, parce qu'effectivement, l'article 8 donne au président de la République
15:14le pouvoir de nommer le premier ministre, mais il y a l'article 49 qui dit que les
15:20députés peuvent renverser le gouvernement.
15:23Autrement dit, le président de la République est obligé, par l'article 49, de nommer
15:28une personnalité dont il sait qu'elle ne sera pas renversée par le gouvernement.
15:32Et si on regarde les trois cohabitations précédentes, les présidents de cohabitations n'ont pas
15:39tergiversé.
15:40Mitterrand n'a pas cherché à nommer Jacques Chaband-Helmas en 86.
15:43Le chef de la majorité, c'était Chirac, il a nommé Chirac premier ministre.
15:48En 93, Chirac n'a pas voulu et a dit à Mitterrand « nomme Balladur », Mitterrand a nommé Balladur.
15:55Et en 97, Chirac non plus n'a pas tergiversé, il a nommé Jospin, il n'a pas essayé de
16:00nommer un tel, il a nommé Jospin.
16:03Là, Emmanuel Macron serait obligé de se soumettre, comme disait Gambetta, de se soumettre au
16:10choix fait par la majorité absolue Rassemblement National.
16:16On va passer au Standard Inter, beaucoup de questions ce matin.
16:19Anne-Laure, bonjour.
16:20Oui, bonjour à toutes et tous et merci de me donner la parole en ces temps sombres.
16:26Comment expliquer que le parti du Rassemblement National puisse faire campagne en toute tranquillité
16:33et comme tous les autres partis, alors qu'il porte des mesures fondées sur la préférence
16:38nationale, mesures qui ont d'ores et déjà été pointées comme anti-constitutionnelles.
16:43En d'autres termes, comment est-il possible de prôner un programme dont certains contenus
16:48devraient, à mon sens, pouvoir être proscrits par la norme juridique suprême de notre pays
16:54qui est la constitution ?
16:55Merci Anne-Laure pour cette question.
16:58Dominique Rousseau ?
17:00Il faut distinguer, me semble-t-il, deux choses.
17:03Il y a une campagne électorale et lors d'une campagne électorale, les partis politiques
17:08peuvent défendre leur programme.
17:11Donc que le Rassemblement National défende et propose aux Français de voter des lois
17:19qui donneront la préférence aux nationaux par rapport aux étrangers, on ne peut pas
17:23l'interdire, ça fait partie de la liberté politique, de la liberté d'expression.
17:27Ça c'est le premier point.
17:28Il y a le second point qui est que s'ils ont la majorité et qu'ils veulent faire
17:33passer une loi qui instaure la préférence nationale, à ce moment-là, il y aura la
17:38possibilité pour le Président de la République de saisir le Conseil constitutionnel pour
17:43demander au Conseil de dire si cette loi qui instaurerait la préférence nationale n'est
17:48pas contraire avec le grand principe qui forme l'identité constitutionnelle de la France,
17:53c'est-à-dire le principe d'égalité.
17:55Et il y a effectivement, comme dit votre auditrice, il y a de fortes chances que le Conseil constitutionnel
18:02considère qu'une disposition législative qui instaure la préférence nationale serait
18:07contraire au principe constitutionnel d'égalité.
18:09Même lecture, Anne Le Vade, préférence ou priorité nationale, qui sont les mots
18:15variés, mais l'idée dans le programme du Rassemblement national, c'est conforme
18:20ou non au cadre constitutionnel actuel ?
18:22A priori, c'est contraire à la Constitution.
18:26J'allais dire qu'on en a déjà eu un indice, lorsque, il y a quelques mois, une
18:30proposition a été transmise au Conseil constitutionnel, proposition en vue d'engager
18:36la procédure de référendum d'initiative partagée, et qu'au mois d'avril, le 11
18:39de mémoire, le Conseil constitutionnel a rappelé, en l'espèce, qu'il s'agissait
18:43de dispositions visant à imposer un délai de 5 ans pour les étrangers en situation
18:48régulière pour bénéficier de prestations sociales, alors même qu'ils auraient cotisé
18:52en tant que salariés.
18:53Le Conseil a rappelé qu'il y avait là une violation des exigences constitutionnelles.
18:57Et on était bien dans une des modalités de la préférence nationale.
19:01Sébastien Chenu, au micro de Sonia De Villers, la semaine dernière, déclarait que le Conseil
19:06constitutionnel est très politisé, il accueille des anciens ministres, je le cite.
19:11On pourrait avoir des techniciens du droit plutôt que des militants politiques.
19:15Dans l'hypothèse que nous observons là, à savoir d'une cohabitation avec le Rassemblement
19:22national, il y aurait un rapport de force entre cette majorité et le Conseil constitutionnel.
19:30C'est un conseil, c'est un contre-pouvoir, que dit la loi ?
19:34Il n'y aurait pas un rapport de force entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel.
19:40Il y aurait un rapport de force entre la majorité Rassemblement national et la Constitution.
19:45Et c'est bien en ce sens que s'il y a cohabitation, cette cohabitation aura une nature différente
19:53des trois précédentes.
19:54Parce qu'entre Mitterrand et Chirac ou entre Chirac et Jospin, il y avait un consensus
20:00sur la politique étrangère, sur la politique européenne, sur le respect des grands principes.
20:04Là, entre un Premier ministre Rassemblement national et le Président Macron, il y a des
20:12désaccords sur l'Europe, il y a des désaccords sur l'Ukraine, il y a des désaccords sur
20:16les réformes législatives.
20:18Et donc le programme du Rassemblement national majoritaire rentrerait en contradiction avec
20:27les principes constitutionnels.
20:29Et donc le Président de la République serait dans son rôle, n'oubliez pas l'article 5,
20:33le Président de la République veille au respect de la Constitution 1 et 2 veille au respect
20:38des traités.
20:39Donc le Président de la République serait dans son droit s'il saisissait le Conseil
20:44constitutionnel dans l'hypothèse où, par exemple, le Rassemblement national ferait voter
20:49une loi qui diminue la contribution de la France à l'Europe, ou qui diminue l'aide
20:54militaire à l'Ukraine, ou qui instaurerait ou qui supprimerait, par exemple, le droit
20:58au sol.
20:59Et donc il y aurait là, si vous voulez, c'est pour ça que la quatrième cohabitation serait
21:06d'un type nouveau, serait beaucoup plus conflictuelle que les trois précédentes où il y avait
21:11un relatif accord sur la politique européenne, étrangère et même intérieure.
21:15Y a-t-il domaine réservé, cette fameuse expression pour le Président de la République,
21:20Anne Levade ?
21:21Alors constitutionnellement, au terme des textes, non ! Il y a des compétences du Président
21:31de la République et des compétences du Premier ministre et les deux domaines de la défense
21:37et des affaires étrangères sont justement des domaines, sans entrer très avant dans
21:41le détail des articles de la Constitution, où l'un et l'autre, ainsi d'ailleurs
21:45que le membre du gouvernement concerné, ont un rôle à jouer.
21:49C'est la raison pour laquelle Président de la République, Premier ministre et ministre
21:54de la défense ou des affaires étrangères sont en principe condamnés à s'entendre,
21:59y compris en période de cohabitation.
22:01Pourquoi ? Je prends quelques exemples.
22:03Le Président de la République est chef des armées, le Président de la République nomme
22:07et accrédite les ambassadeurs, c'est lui aussi qui négocie et ratifie les traités.
22:11Mais bien évidemment, le travail de négociation préalable est fait sous la houlette du ministre
22:17des affaires étrangères en lien avec le Premier ministre.
22:19C'est la raison pour laquelle, domaine réservé ou pas, constitutionnellement ou non, on
22:26a vu que sous les différentes cohabitations, le Président de la République, notamment
22:31François Mitterrand, dès la première, avait opposé ce qu'on a appelé un droit de veto.
22:34C'est-à-dire qu'il avait souhaité avoir un droit de regard sur la personne qui serait
22:39nommée à l'un et l'autre de ses postes.
22:41Un mot sur la volonté du Rassemblement national de privatiser l'audiovisuel public.
22:46Certains spécialistes estiment que la constitution rendrait compliquée une privatisation totale.
22:52La professeure émérite de droit public Martine Lombard, dite à l'Express, se demande dans
22:59l'Express si l'audiovisuel public n'est pas un service public constitutionnel, que
23:08la loi ne pourrait alors supprimer.
23:10Alors ça serait une question évidemment que déciderait le Conseil constitutionnel
23:16s'il y avait une loi qui privatisait l'audiovisuel, il y aurait deux principes qui pourraient
23:23être opposés à cette privatisation, c'est effectivement la qualité de service public
23:28constitutionnel, il y a aussi le principe du pluralisme.
23:31Le principe du pluralisme qui a été reconnu par le Conseil constitutionnel en 1984, je
23:37crois, et qui pourrait justifier que soit censurée une loi qui privatiserait l'ensemble
23:46de l'audiovisuel, donc là encore c'est une cohabitation avec un grand risque de conflictualité
23:52par rapport aux cohabitations précédentes.
23:55Dernière question très rapide, vivons-nous depuis la dissolution une campagne électorale
24:00inédite, une crise politique ou une crise de régime ?
24:03Alors une campagne électorale inédite à l'évidence, à la fois parce qu'elle est
24:08très courte et surtout qu'elle n'avait pas été annoncée en amont, elles le sont
24:12toujours pour la dissolution, mais là elle est quand même particulièrement resserrée.
24:14Crise politique, oui, crise de régime, on le saura dans les semaines qui suivront le
24:228 juillet.
24:23Crise politique dont l'objectif est que les électeurs la tranchent.
24:28Dominique Rousseau, la 5ème république est solide ?
24:31Alors on le verra, c'est sa dernière épreuve, c'est sa dernière épreuve, elle a subi
24:37toutes les épreuves, majorité absolue, majorité relative, une alternance droite-gauche totale,
24:42bon, là c'est la dernière épreuve face à une éventuelle majorité d'extrême-droite
24:49et un président, le président Macron.
24:53Ce qui est intéressant de noter, quand vous dites crise politique ou crise de régime,
24:57effectivement Anne a raison, on verra après les résultats, ce qui est intéressant quand
25:01même de noter, c'est que, je crois que tout à l'heure la présidente de l'Assemblée
25:06nationale l'a dit, d'habitude les campagnes législatives se font avec la photo du président
25:11de la république, Mitterrand, Hollande, Pompidou, etc., là elles se font avec la
25:16photo du premier ministre, ce qui veut dire que si, ce veut dire que les députés qui
25:21vont être élus, les députés ensemble vont être élus sur le nom du président de la
25:25république, et ça risque de poser un problème, sur le nom du premier ministre pardon, et
25:29ça risque de poser un problème par rapport au président de la république.
25:32Merci à tous les deux, Dominique Rousseau, Anne Levade, merci d'avoir été au micro d'Inter.