Couple de rabbins, âgés de 26 ans, Myriam et Emile Ackermann publient un ouvrage de réflexion sur les minorités visibles.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Il est 9h08 et Sonia De Villers, vos invités sont rabbins.
00:04 Et bien en effet, je n'ai pas invité le rabbin et la rabbine, c'est-à-dire le rabbin et la femme du rabbin,
00:09 mais bien, fait unique dans l'histoire du judaïsme français, deux rabbins qui sont mariés et femmes.
00:14 Bonjour Myriam et Émile Ackermann.
00:17 Bonjour.
00:18 Alors, presque rabbin, parce que votre ordination aura lieu dans trois mois.
00:23 Racontez-nous, Myriam.
00:25 Tout commence par une vocation ratée, celle de mon mari qui, lorsque nous nous sommes rencontrés, étudiait le droit.
00:34 Ou plutôt, devrais-je dire, faisait semblant d'étudier, car j'ai vite compris que ce n'était pas sa véritable passion.
00:40 Je me rendais compte que ce qu'il faisait dans son temps libre, c'était ouvrir le Talmud.
00:44 Donc le Talmud, c'est la loi orale telle qu'elle s'est développée dans le judaïsme, et il l'étudiait avec passion.
00:51 Et je lui ai dit "mais pourquoi tu fais du droit en fait ? Tu pourrais être rabbin tout simplement."
00:55 C'est à quoi je lui ai répondu "moi rabbin ? Ah, toi tu devrais être rabbin !"
00:59 Et elle m'a dit "deal, let's go, faisons ça tous les deux."
01:01 C'est ça. Myriam, quand vous rencontrez Émile, vous êtes une jeune normalienne.
01:06 Vous avez réussi le concours de l'école normale supérieure.
01:08 Donc vous avez ça en commun, c'est-à-dire d'être des jeunes gens très éduqués, très diplômés, très cultivés.
01:16 Vous allez être ordonnée dans trois mois à New York.
01:21 Pourquoi à New York ?
01:23 Pourquoi à New York ? Eh bien à l'heure actuelle, il n'existe en France aucune école rabbinique qui permette aux femmes orthodoxes d'obtenir l'ordination.
01:31 Donc d'emblée, on avait deux choix, se tourner vers les États-Unis ou se tourner vers Israël.
01:36 On a fait simplement par préférence linguistique, c'est-à-dire que moi j'ai fait des études d'anglais.
01:41 Je me suis dit "des cours en anglais toute la journée, très bien, des cours en hébreu toute la journée, beaucoup plus difficile, je maîtrisais moins l'hébreu moderne."
01:47 Et donc j'ai cherché, j'ai googlé comme tout le monde, écoles, formations, femmes orthodoxes, rabbins.
01:55 Et puis on trouve, évidemment, facilement, puisqu'il n'y en a qu'une, on tombe sur la Yeshivat Maharat.
02:00 Et donc là je les appelle, je leur dis "ben voilà, j'ai envie d'être rabbin et je cherche une école rabbinique pour mon mari."
02:05 Et ils me disent "ça tombe bien, on en a une dans le même bâtiment."
02:08 Donc à Riverdale, dans un bâtiment qui s'appelle H.R. Hall, qui contient une synagogue, la Yeshivat Maharat et la Yeshivat Montmary,
02:16 on va trouver des femmes qui étudient pour être rabbin, des hommes qui étudient pour être rabbin et une congrégation,
02:22 donc tout un ensemble de fidèles qui sont mûs vraiment par les idéaux de l'orthodoxie moderne.
02:28 Alors l'orthodoxie moderne, on a impérativement besoin de comprendre ce qu'est l'orthodoxie moderne et quelle est la différence, par exemple,
02:36 entre ce qu'on appelle des orthodoxes et des ultra-orthodoxes.
02:40 Émile Ackermann ?
02:41 L'orthodoxie, c'est le fait de dire qu'on est attaché à la pratique rigoureuse des commandements au quotidien,
02:46 c'est-à-dire qu'un juif orthodoxe va manger cachère, va faire trois prières par jour, va faire les fêtes de manière attentive au quotidien.
02:56 Et le fait d'être moderne, c'est se confronter aujourd'hui à ce que la société a à nous apporter.
03:02 Et orthodoxe moderne, c'est de se dire en même temps comment rester fidèle à ces commandements, à cette tradition,
03:09 qui est une tradition plurimillénaire et qui a une forme de sagesse qu'on a envie de conserver.
03:13 Et en même temps se dire que le monde moderne n'est pas à jeter les valeurs occidentales, ce qu'on pourrait appeler le progrès à apporter à la société.
03:21 Ce qu'on appelle le progrès et ce qu'on tient énormément à appeler le progrès.
03:25 Et c'est vraiment ma question, c'est-à-dire qu'est-ce qu'on peut concilier un retour au religieux,
03:29 une pratique rigoureuse de la religion, et ce qu'on appelle le progrès, à commencer par la science par exemple ?
03:35 La science, à mon avis, bien sûr, il y a des rabbins, on n'est pas du tout les premiers à faire ça, on n'a rien inventé, il y a des rabbins qui font ça.
03:41 J'en parle dans le livre notamment, dès le 19ème siècle.
03:45 Le livre s'appelle "N'oublions pas qui nous sommes, réflexion sur les minorités visibles".
03:49 Et je dis sur les minorités visibles parce que face à moi, Emile Ackermann, vous portez la kippa,
03:54 face à moi, Myriam Ackermann, vous avez les cheveux enturbannés.
03:59 Alors, je vous écoute Emile Ackermann.
04:01 Et donc, certains rabbins ont déjà réfléchi à cette idée-là à partir du moment où les Juifs ont eu accès à la nationalité complète
04:08 et le fait de pouvoir devenir un citoyen complet.
04:12 Alors, ils se sont dit, est-ce qu'on continue à être religieux, pratiquant comme avant ?
04:17 Est-ce qu'il ne faudrait pas tout simplement se convertir au christianisme ?
04:20 Et à ce moment-là, il y a eu plein, plein, plein de courants qui se sont créés.
04:23 Moi, mes parents appartiennent à un de ces courants qui s'est créé, qui a dit, on peut concilier, on peut aller à l'université,
04:29 on peut avoir accès à la science, aux mathématiques, à la philosophie et en même temps, être fidèle à nos valeurs juives.
04:34 Il y a un tri bienveillant à faire, selon les règles du judaïsme et c'est ce qu'on essaie de faire avec Myriam Ackermann.
04:40 Mais il y a un tri quand même.
04:42 Alors, il y a un rabbin qui est très médiatique en France, qui s'appelle Delphine Orvilleur, Myriam Ackermann,
04:49 qui, elle, appartient à un courant libéral.
04:53 Tout à fait, le courant libéral...
04:54 Vous n'êtes pas des libéraux.
04:55 Non, nous ne sommes pas des libéraux, nous le répétons d'ailleurs à peu près toute la journée.
04:59 Vous n'êtes ni des ultra-orthodoxes, ni des libéraux.
05:02 La spécificité des ultra-orthodoxes, c'est une forme de pari sur la préservation de l'identité.
05:06 C'est-à-dire qu'un ultra-orthodoxe, en général, va se dire, pour mieux préserver ce que mentionnait Emile,
05:11 cette pratique rigoureuse, méticuleuse des commandements, l'ultra-orthodoxe se dit, peut-être une mentalité de forteresse,
05:16 dont le perso ainsi, va permettre de garder notre identité.
05:19 C'est-à-dire que si on vit beaucoup entre juifs, qu'on ferme aussi un peu le débat,
05:24 on sera moins victime d'influences extérieures, qui seraient susceptibles de nous faire perdre de la substance de notre identité.
05:30 Nous gageons au contraire que c'est l'échange qui va nous construire dans notre identité juive.
05:35 C'est ça aussi que j'ai quand même écrit la préface, il fallait qu'il marquait quelque part de ces échanges constants qu'on a tous les deux.
05:42 Et je mettais en avant le fait que moi, je ne me suis jamais sentie aussi juive que quand je devais expliquer à mes amis non-juifs
05:48 ce que ça veut dire, là, on parlait à l'instant de "ça va être pourri, ce soir".
05:52 Alors qu'est-ce que ça veut dire, c'est quoi cette fête ? Et on doit expliquer.
05:55 Et donc en fait, on a l'obligation, ou en tout cas la possibilité d'avoir un certain recul sur notre culture
06:01 et de dire "voilà, c'est ça notre religion" en la faisant comprendre, en la rendant accessible.
06:07 * Extrait de "Le Talmud" *
06:34 Bande-annonce d'un orthodoxe, série Netflix.
06:38 Succès mondial plongé au cœur de ces communautés aux Etats-Unis,
06:45 de ces communautés ultra-orthodoxes, complètement fermées, totalement régressives, quasi sectaires, très répressives.
06:53 Et l'histoire d'une jeune femme mariée contre son gré et qui s'en échappe.
06:58 Comment vous expliquez, Emile Ackermann, la fascination aujourd'hui pour ces communautés ultra ?
07:04 Je pense qu'il y a une fascination en général de toutes les communautés fermées.
07:07 Si vous allez sur Netflix aujourd'hui, vous avez des séries sur les Amish, sur les ultra-orthodoxes,
07:11 sur toutes ces communautés qui ont l'air un petit peu bizarres à première vue.
07:16 Je pense qu'aujourd'hui, il y a aussi une fascination pour les identités, on va dire toutes faites,
07:22 qui sont dures, qui sont pures, qui ont l'air pures, qui ne connaissent pas, on va dire, d'aller-à,
07:28 qui ne se confrontent pas au monde.
07:30 Et je pense que cette fascination pour le monde juif, il y a quelque chose aussi de la religion juive,
07:37 justement, comme on l'explique moins, elle est moins présente, on est peu,
07:41 et bien elle fascine, on ne comprend pas vraiment ce qui se passe.
07:43 Alors, les séries comme ça, elles aident un petit peu à démystifier pour certains.
07:47 Le problème, c'est que là, elle s'est concentrée sur une secte très, très précise,
07:50 ce qui existe, mais qui ne représente pas du tout, même pas l'ultra-orthodoxie en général,
07:54 et pas l'orthodoxie suive, c'est une secte très précise à Brooklyn, à New York.
08:01 - C'est ça. - Et souvent, les gens espèrent généraliser
08:03 à partir de certaines choses qu'ils auraient vues dans le film.
08:06 Donc, par exemple, une question qu'on me voit beaucoup poser aux femmes orthodoxes telles que moi,
08:10 c'est "mais alors, vous avez le crâne rasé ?"
08:11 Parce qu'il y a certaines sectes racidiques ultra-minoritaires, telles qu'elles sont représentées dans la série,
08:16 où on voit que Estie a le crâne rasé suite à son mariage.
08:22 - C'est l'héroïne, oui.
08:23 - C'est la protagoniste de cette série.
08:26 Et en fait, c'est vrai que c'est assez peu représentatif.
08:29 C'est-à-dire que là, on va voir un Juif français ou la Juive française moyenne.
08:35 Ce n'est pas vraiment le monde d'un orthodoxe qu'on va expérimenter.
08:39 - Évidemment.
08:39 Il n'empêche que vous prenez, je le répète, un judaïsme orthodoxe, moderne, tolérant et progressiste.
08:47 Quelle place pour les femmes ?
08:49 Et c'est pour ça que c'est Émile Ackermann qui signe ce petit livre.
08:52 Vous ne nous en signez que la préface, Myriam, mais on vous a invitées tous les deux parce
08:55 qu'on voulait comprendre, justement, quelle place pour les femmes dans ce judaïsme orthodoxe.
08:59 - On revendique une place toujours plus importante en matière de visibilité des femmes dans
09:05 un judaïsme orthodoxe qui, trop souvent, les relègue à l'arrière-plan, que ce soit
09:10 à la synagogue, que ce soit dans l'étude.
09:13 Nous, vraiment, le cœur de notre combat, ou l'un des cœurs de notre combat, c'est
09:18 militer pour la démocratisation de l'accès aux textes juifs en direction des femmes,
09:22 qui, trop souvent, n'y ont pas eu accès.
09:24 Permettre aux femmes d'être plus impliquées dans l'espace synagogueal, c'est-à-dire
09:27 qu'elles vont participer au rite directement.
09:30 On aspire, effectivement, à plus de visibilité.
09:33 Après, ce qui peut interroger dans un orthodoxe, c'est peut-être là que ça va être un
09:37 peu polémique, mais l'émancipation ne passe pas pour toutes les femmes par le fait
09:42 de quitter le religieux.
09:44 Il y a cette scène, bien entendu, emblématique où elle va arracher sa perruque et elle se
09:47 sent libre.
09:48 Emila Kerman vient bien de le répéter, il ne s'agit pas de quitter le religieux,
09:51 il s'agit de quitter une secte.
09:52 C'est un peu différent.
09:53 Ceci dit, en effet, quitter le religieux pendant très longtemps, et notamment en France,
10:00 ça a été un vrai vecteur d'émancipation pour les femmes, un vecteur important d'émancipation
10:05 pour les femmes.
10:06 Donc c'est compliqué, évidemment, pour nous, aujourd'hui, en 2022, de se dire qu'il
10:10 peut y avoir un retour religieux et qu'en même temps, on peut y avoir là un socle
10:14 d'émancipation féminine, Emila Kerman.
10:16 Et en fait, toute la question, c'est qu'on entend souvent les textes religieux sont
10:20 patriarcaux et le fait d'être orthodoxe moderne, c'est le fait d'accepter le fait
10:24 qu'ils sont patriarcaux.
10:25 Mais on pense qu'à l'intérieur de la religion juive, il y a les clés pour dépasser
10:29 ce schéma patriarcal et de dire bien sûr, on ne peut pas demander de manière anachronique
10:34 à un texte qui a été écrit il y a 3000, 2000 ans de correspondre à nos valeurs modernes.
10:39 Par contre, on peut dire et je pense que c'est là le génie, à notre avis, du judaïsme
10:43 orthodoxe, qu'il y a une possibilité d'évolution, d'évolution lente, certes, mais d'évolution
10:48 quand même, où les rabbins, dès le départ, avaient mis des germes de réflexion pour
10:53 pouvoir dépasser ce cadre patriarcal.
10:56 Et je préciserai que je pense que notre manière de répondre au constat que par exemple, c'est
11:00 des voix masculines qui s'énoncent et qui s'expriment à travers ces textes, c'est
11:05 de dire en fait, il nous manque la moitié de notre littérature.
11:08 C'est à dire, on rentre dans une maison d'études, on voit le Talmud, ses commentaires,
11:12 ses codes de loi et en fait, on se dit, il n'y a rien qui a été écrit par une femme,
11:14 rien du tout.
11:15 Peut-être que si on était rentré dans une bibliothèque française, il y a quand même
11:20 peut-être un siècle et demi, on se serait dit exactement la même chose.
11:22 Et nous, on a pris un peu de retard là-dessus.
11:24 Et donc, pour moi, l'enjeu...
11:25 - Il y a rien à rattraper ce retard.
11:26 - Pas toute seule, évidemment.
11:27 Non, non, pas du tout toute seule.
11:28 Pour moi, l'enjeu, c'est la production d'un contenu.
11:30 C'est à dire, comment on fait maintenant entendre les voix féminines au sein du judaïsme,
11:33 c'est à dire des femmes qui parlent de leur tradition, qui parlent de leur rapport.
11:36 Quand on lit certains traités du Talmud, on se dit que c'est essentiellement des sages
11:40 qui sont des hommes, qui parlent du corps féminin.
11:42 Et donc, on se dit, et ça c'est déjà quand même depuis plusieurs décennies que la question
11:46 se pose, et si les femmes parlaient de leur propre corps ? Et donc, on va se réapproprier
11:49 des éléments de la tradition qui, jusqu'ici, étaient verrouillés en fait.
11:53 - Myriam et Mille Ackerman, invitées de France Inter, ordonnés rabbins, dans trois mois,
11:58 on va parler aussi d'un des fondamentaux de la République française, à savoir la
12:04 laïcité qui est au cœur de ce petit livre, pour lequel je vous ai invitée, il est 9h20.
12:08 - Don't want your love and want no more, I want to sacrifice.
12:20 I've shown and proved and I pay my dues, won't let you get me twice.
12:28 Mama ain't waste no fool, I know you're a killer, Markenburg, right.
12:36 My daddy taught me a thing or two, you better heed my advice.
12:44 Give me something, show me this thing was meant to be.
12:52 Whatever it may be, there'll be something in the way.
13:00 Don't want your love and want no more, I need more than your die.
13:08 You pick a fight, get me every night, even your mama said it wasn't cool.
13:15 I walk on broken glass, damn this old man's game, he'll get his shirt off my back.
13:24 Gone through the fire, got dead and I'm tired, why can't you just give me something?
13:36 Show me this thing was meant to be.
13:41 Whatever it may be, there'll be something in the way.
13:48 Give me something I can't live without.
13:52 Give me something to soothe all of my doubts.
13:56 Give me something to make it feel true.
14:00 Give me something I want to see the other side of you.
14:06 Make the good outweigh the bad, tell the page ain't looking back.
14:14 Say you're sorry is a start, but you can't unbreak a heart.
14:22 Give me something, show me this thing was meant to be.
14:29 Whatever it may be, there'll be something in the way.
14:35 The Gabrielle's Offering
14:37 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers
14:43 Il est presque rabbin, ce sera officiel dans 3 mois, et pourtant il officie déjà dans une synagogue,
14:47 il s'appelle Émile Ackermann, elle est presque rabbin, ce sera officiel dans 3 mois,
14:51 elle s'appelle Myriam Ackermann, ils sont mes invités tous les deux,
14:55 Émile vous signez, n'oublions pas qui nous sommes, réflexion sur les minorités visibles,
14:59 je le dis bien visibles, car vous affichez ostensiblement les signes de votre religio...
15:05 Oh pardonnez-moi, de votre religiosité, voilà.
15:09 Un mot pour dire que vous avez accepté de venir aujourd'hui, alors que c'est un jour de jeûne,
15:13 c'est le jour du jeûne d'Esther, qu'on s'approche dans quelques heures de la fête de Pourrim,
15:17 un mot, cher rabbin, sur ce jeûne d'Esther et sur le personnage d'Esther,
15:23 car il est au cœur de votre livre et que le hasard du calendrier fait bien des choses.
15:27 Effectivement, c'est le jeûne d'Esther, Esther va être l'héroïne du livre d'Esther,
15:33 dans lequel elle va sauver les Juifs d'un génocide annoncé,
15:37 et Pourrim met un peu la fête de ce retournement de situation de dernière minute,
15:43 où finalement les Juifs vont pouvoir être sauvés, se défendre face à leurs agresseurs,
15:47 et pour commémorer ça, on gêne, jeûnez comme Esther a fait pour implorer la miséricorde divine avant.
15:54 La particularité d'Esther, c'est que pendant très longtemps, elle n'a pas dit qu'elle s'appelait Esther,
15:59 elle a caché son prénom juif, elle a caché son identité juive.
16:03 Et c'est là toute la question, parce qu'on peut défendre les minorités invisibles,
16:06 vous vous défendez des minorités visibles.
16:08 Alors on défend les deux aussi, on veut défendre les minorités invisibles aussi,
16:12 sachant que la majorité des Juifs aujourd'hui ne sont pas des minorités visibles.
16:15 Ce livre est justement un plaidoyer pour qu'on ose un petit peu plus s'afficher et devenir une minorité visible,
16:22 parce que souvent les Juifs qui ont été des minorités visibles ne l'avaient pas choisi.
16:27 Et c'est l'idée de se réapproprier ce terme de minorité visible pour dire,
16:30 et maintenant, aujourd'hui, on veut être visible, parce que c'est notre place en France.
16:34 C'est-à-dire qu'ils étaient stigmatisés, désignés, ghettoisés, discriminés, etc.
16:40 Vous vous dites, on peut l'assumer de son plein gré.
16:43 Et dans le livre, j'oppose la figure justement de Esther et Joseph, où Esther, elle, cache son prénom.
16:49 Elle a un nom qui rappelle la déesse Ishtar, donc une forme d'intégration vraiment presque subie.
16:55 Hadassah, Esther, ce sont des mots qui veulent dire aussi "caché" en hébreu.
17:00 Alors que Joseph va être l'inverse, va devenir viceroi d'Égypte.
17:03 Et j'ai opposé ces deux modèles exiliques, du Juif en exil, du Juif dans une terre où il est une minorité.
17:09 Et que ça pourrait être un modèle où soit on cache son identité, ou soit on l'assume complètement.
17:14 D'accord. Donc l'akipa dedans ou l'akipa dehors ?
17:18 Vous vous y êtes confronté à cette question dès l'enfance, Émilie Ackermann.
17:21 Oui, je raconte justement que je vois avec mon père, mon père me disait,
17:26 "ne porte pas l'akipa dehors parce que ça peut être perçu comme quelque chose de mauvais
17:30 ou presque agressif par rapport à la majorité française."
17:34 Ce n'était pas par peur de l'antisémitisme ?
17:36 Ce n'était pas par peur de l'antisémitisme. J'ai grandi à Strasbourg et j'ai eu la chance,
17:39 personnellement en tout cas, de ne pas être vraiment confronté à l'antisémitisme dans ma jeunesse.
17:43 Mais par contre, mon père me disait, "attention, aujourd'hui en France, la laïcité est comprise comme
17:49 le fait que la religion c'est plutôt chez soi et ça pourrait être perçu comme une agression
17:53 de l'afficher ostensiblement devant les gens."
17:56 Mais au fil de mes lectures et de mes dialogues avec Myriam, j'ai un petit peu changé d'avis.
18:02 Et je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire dans le fait de revendiquer notre place dans la société.
18:08 Et de dire, ce n'est pas parce que malgré le fait que je sois juif, que je suis citoyen,
18:13 c'est en tant que juif que je vais apporter quelque chose, quelque chose à ma citoyenneté française.
18:18 Myriam, vous le dites, vous n'êtes pas encarté ni l'un ni l'autre aujourd'hui,
18:23 mais vous vous sentez pleinement, comment dire, empli d'une mission civique.
18:29 Tout à fait. Et je pense qu'une partie de cette mission, c'est aussi, je le mentionnais précédemment,
18:37 expliquer aussi qu'est-ce que le judaïsme, donner aux personnes qui nous entourent quelques repères.
18:42 Je pense qu'ainsi, on participe d'une culture qui va être plus plurielle.
18:46 Si on peut avoir des espaces d'échange, des passerelles, découvrir ainsi d'autres cultures,
18:50 nous avons la même curiosité vis-à-vis d'autres religions, d'autres cultures.
18:55 On se dit, en fait, il ne faut pas que ça reste un système fermé,
18:57 parce que sinon on tombe dans ce qu'on avait mentionné, une sorte de fétichisation.
19:02 On se dit, les mondes mystérieux, on en fait des séries.
19:04 Alors qu'en fait, ce qu'il faudrait faire, je pense, c'est aller voir les croyants, les croyantes des cultures différentes,
19:10 et dire, pour toi, ça veut dire quoi ? Pourquoi tu fais ça ? À quoi correspond ce rituel ?
19:14 Et en fait, c'est dans cet échange, je pense, qu'on va avoir accès à une citoyenneté épanouie,
19:20 qui va être faite de ce qu'on appelle le "salad bowl" plutôt que le "melting pot".
19:26 C'est-à-dire, chacun a son identité, mais on échange.
19:28 On échange et on peut... N'oublions pas qui nous sommes, on reste qui on est,
19:33 et en même temps, on dit la possibilité de se dialoguer.
19:36 - Sauf que quand vous étiez enfant, Emile, à Strasbourg, il n'y avait pas encore tous ces débats sur la laïcité,
19:41 il n'y avait pas eu les attentats de 2015 qui les ont encore durcis, il n'y avait pas les débats sur le voile.
19:46 Myriam, je rappelle que vous portez un turban sur la tête,
19:48 donc le fait de couvrir les cheveux d'une femme dans l'espace public, ce n'est pas anodin aujourd'hui, Emile Ackermann.
19:56 - Aujourd'hui, il y a un débat sur la laïcité qui s'est vraiment cristallisé, notamment autour du voile,
20:01 mais en général autour des signes religieux, et je pense qu'il y a une mauvaise compréhension de la laïcité,
20:06 qui est que ce serait le religieux afficher des signes religieux,
20:11 ce serait afficher une différence dans l'espace public,
20:14 et ce serait justement se séparer de la majorité française,
20:18 afficher des valeurs contraires à ce que représente la France.
20:22 Or, je pense que la France est déjà très très plurielle,
20:25 et ajouter une autre forme de pluralité, ce n'est pas ça qui va changer véritablement les choses.
20:30 Et je pense que le débat est autour de l'uniformisation de l'espace public.
20:34 C'est-à-dire que si on pense que la laïcité s'est créée du même,
20:37 je pense qu'on se trompe sur ce que veut dire la laïcité.
20:40 La laïcité, c'est un trésor français, on est vraiment très heureux de l'avoir.
20:45 La neutralité du service public, ce n'est pas la neutralité de l'espace public,
20:49 et je suis très très content d'avoir ces deux choses-là.
20:52 - C'est le retrait de l'état du fait religieux, c'est le retrait de l'état de la chose religieuse,
20:56 c'est la neutralité de l'état vis-à-vis des questions religieuses.
21:00 Il faut le rappeler ce que c'est la laïcité à la française.
21:03 Et en plus, elle est relativement jeune, elle a deux siècles,
21:06 donc elle est jeune et elle est fragile.
21:08 - Et elle se crée justement contre l'Église catholique
21:11 qui avait vraiment beaucoup trop de pouvoir dans l'éducation notamment.
21:14 Donc elle s'est faite de manière violente, c'est vrai, il faut le rappeler.
21:17 Mais ce n'est pas parce qu'elle s'est créée de manière violente
21:19 qu'aujourd'hui elle doit continuer à être violente et dans l'affrontement.
21:22 Je pense que la laïcité ne doit pas servir ni une forme d'identité française fantasmée pure,
21:27 notamment de la même façon qu'on fantasme l'identité des ultra-orthodoxes.
21:31 Les ultra-orthodoxes de la laïcité se trompent aussi.
21:33 Et je ne pense pas qu'elle doit aussi servir à essayer de créer du même dans la société.
21:37 Non, la laïcité elle est là pour protéger aussi les croyants.
21:40 - Merci à tous les deux, Émile Ackermann, Myriam Ackermann,
21:44 bonne ordonnation, ça sera dans trois mois à New York.
21:47 Je rappelle le titre de votre petit livre, "N'oublions pas qui nous sommes,
21:49 réflexions sur les minorités visibles", il paraît au seuil.
21:52 - Merci.
21:53 - Pardon, je vous ai interrompu.
21:54 Merci Sonia Totemic, Rebecca Manzoni, à suivre.