VENTURINI, Serge – De l’eau fraîche !

  • il y a 9 ans
pour le sculpteur
Hovhannès Bejanyan
et son petit vendeur d’eau
du square Chaoumian d’Erevan

L’enfant sort de l’ombre, vêtements déchirés. — Pieds nus, corps frêle, visage rembruni et noirci. Il erre parmi les rues, parmi le vent, la pluie. Dans la poussière des rues, il marche sans un logis. Quand il fait chaud, il se fait vendeur d’eau fraîche. Il chemine alors par les rues. Il crie aux passants avec sa jarre : « — De l’eau fraîche ! » Or, il passe aveugle son chemin d’humilié. Ce n’est qu’un enfant. — Enfant de génocidés. Un miraculeux survivant dont les parents sont morts, sur une autre terre, leur terre ancestrale. « — De l’eau fraîche ! De l’eau fraîche ! » lance sa voix monotone. De rares passants s’arrêtent et ils boivent un peu d’eau. Est-ce vraiment par soif ou bien par compassion ? Ils s’arrêtent, puis s’en vont. Le regard de l’homme ne croise celui de l’enfant. D’un regard muet, — enterré dans son regard, — l’homme vivait, dans la tombe de son âme, — sa défaite. Parfois, ils donnent une pièce ou un peu de monnaie. Et puis, lorsqu’ils ont tourné le dos, ils entendent, — ils entendent encore dans la voix de l’enfant — l’écho de la glace jadis fracassée pour de futures tombes. « — De l’eau fraîche ! — Qui veut de l’eau fraîche ? » Quand je me promène, — près de la petite fontaine, — je pense à lui, — je pense à eux. — Enfants perdus.

Illustration : ‘Le petit vendeur d’eau’ – Erevan,
Hovhannès Bejanyan, sculpteur.
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sculpture_The_seller_or_water_(12).jpg

1915 – 2015
Centenaire du génocide arménien.

Pour le poète, la statue du ‘petit vendeur d’eau’ d’Erevan
évoque cette tragédie.
Serge Venturini a reçu en avril dernier, à Erevan,
le prix international ‘Grégoire de Narek’,
dans le cadre de ‘L’Arche littéraire 2015’,
pour sa défense de la cause arménienne
et pour la reconnaissance du génocide.

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