CABOT, Thierry – Il n’est rien, il est tout.

  • il y a 9 ans
Il n’est rien dans le soir déchiqueté de brume,
Rien dans le sein mûri des monts en archipel,
Rien encore au soleil où le matin s’enrhume,
Rien toujours au vent mauve aigu comme un scalpel.

Il n’est que chute, ardeur, faille, combat sans terme ;
Une porte blessée au bout d’un long couloir,
Qui tantôt s’entrebâille et tantôt se referme
Avec sur ses vieux gonds l’être et le non-vouloir…

Mais tout le sacre lui, l’orphelin, l’inutile,
Le gueux, le nain, le veuf ému près des ormeaux.
Parmi la foule étrange, il passe humble et fertile
Coudoyant les regards, les couleurs et les mots.

Tout parle à son cœur plein, tout vibre à son oreille,
Tout chante à son esprit ébouriffé de sons.
La mer qui se déchaîne en sa plume est pareille
Au bondissement bleu des ultimes frissons.

Elu, tremblant, choisi pour les plus claires tâches,
Il assène au quidam ces propos mitonnés :
« Si mon habit confus laisse voir quelques taches,
Voit-on celles que montre un homme aux yeux fanés ? »

Les siens captent l’éclair du multiple et du nombre.
Le chèvrefeuille y danse écumeux, essentiel.
Sous leur caresse fauve, et la lumière et l’ombre
Ensemencent d’amour l’inaltérable ciel.

Devant les éboulis des solitudes blanches,
Il sait de reconquête en éblouissement,
Gravir les sommets purs embellis de pervenches
Par le baiser d’un vers fait souffle et diamant.

Violon, piano, flute, cor, mandoline :
Chaque note éployée agite un flux vermeil ;
Comme l’enfant tout neuf riant sur la colline,
Comme le joyau tendre échappé du sommeil.

A l’infini caché le long des folles berges,
Combien il sait répondre, esthète radieux.
Dans les ports, les hameaux, les gares, les auberges,
Ses rêves font briller d’inconnaissables dieux…

Il est tout, même un soir déchiqueté de brume,
Tout dans le sein mûri des monts en archipel,
Tout encore au soleil où le matin s’enrhume,
Oui tout, même au vent mauve aigu comme un scalpel.

Poème inédit extrait de "La Blessure des Mots".

Illustration : photographie argentique ou analogique
du photographe Sigfrid Burvenich.
Avec son aimable permission.
Pour lui, ‘Photographier, c’est exprimer une gratitude’ (Edouard Boubat).
http://www.sigfridburvenich.odusseus.org/

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