VENTURINI, Serge – Hommage à Rainer Maria Rilke.

  • il y a 9 ans
Pour Rainer Maria Rilke
SERGE VENTURINI – NUITS BLEUES DE DÉCEMBRE

J’ai toujours aimé les nuits bleues de décembre, quand toutes les étoiles aiguisent notre lucidité la plus affilée, la plus tranchante. Tout s’écarte à mesure, un grand calme monte de la terre. L’espace de l’ouvert brûle alors de tous ses feux. — L’avenir pénètre en nous et il y murmure des possibles. Rien de mieux pour ressentir cette solitude joyeuse, surtout quand la fête au dehors bat son plein. Comme l’air est léger, tout semble suspendu. — On se sent comme étranger au monde. Nous voilà d’un coup, comme par enchantement, transportés au sommet d’une montagne. — Ah ! Combien de choses sont à présent au-dessous de nous !

Un froid glacial nous saisit, puis le vertige nous envahit, nous estourbit. Nous puisons dès lors dans le meilleur de nos énergies et de nos résistances pour faire face à cette expérience. Rien de tel pour mettre à l’épreuve les grands caractères. Un grand caractère fait face à l’étrange, au merveilleux du transvisible avec le calme du rire, — dans tout ce qui vient à nous dans l’inattendu. Et seul l’inattendu pourra nous sauver contre l’esprit du vide qui nous gouverne comme des murènes.

L’inconnu nous devient familier, un usage s’installe, la fidélité aux visions prend le pas. — Combien de pauvres princesses n’attendent-elles pas que notre beau et magnifique courage les sauve des griffes et des dents d’un dragon ? Nous voilà ainsi capables de plusieurs vies en même temps, enrichis par la surprise de tout ce que nous voyons d’insolite, de fortuit, étonnés à ce moment-là, quelques fois éblouis par le caractère exceptionnel de cet inespéré. Or quel profond silence se fait autour de nous ! — Quel air raréfié des hauteurs !

Mais les hautes visions ont un terrible revers, elles retranchent quand elles ne sont pas partagées. — D’où l’importance du dire, d’exprimer l’impensé, ainsi d’avoir foi au poison ; pour cela faut-il encore que les serpents de la langue se délient. Tant de choses appellent notre secours sans que nous puissions toujours y répondre, dans notre cruelle impuissance à changer les choses, — à les métamorphoser dans ce monde réticulaire où nos vies sont prises dans la nasse.

— Ce sont les larmes qui viennent... Est-ce un cheval qu’on châtie brutalement sous nos yeux ou bien un buffle dont le cuir éclaté d’une plaie ouverte saigne sous les violents coups d’un manche de fouet. — Les périssables visions s’échappent maintenant pour s’accomplir à partir de nous, de l’intérieur de nous. L’heure aurorale n’est-elle pas venue de les projeter sur le monde dans le difficile qui est notre chemin ?