Sagesse tragique

  • il y a 9 ans
Eduqués que nous sommes depuis notre plus tendre enfance à l’optimisme théorique, nous ne pouvons faire autrement que croire que la théorie – la connaissance abstraite de la vérité – permet d’atteindre l’optimum, le bien suprême. Nous sommes convaincus, non seulement qu’il existe pour toute chose une explication logique, rationnelle et morale, mais encore que, grâce aux progrès de la science et de la technique – qui reposent sur la connaissance théorique –, l’humanité toute entière est en voie de baigner dans le bonheur perpétuel.

Sur le plan personnel, nous passons automatiquement ce que nous vivons au crible de la raison. Tout ce qui nous arrive est machinalement abstrait du sensible, puis trié, stabilisé, cerné et rangé dans nos structures et catégories théoriques. Qu’importe la sensation, l’image, la personne, l’événement, la relation, le désir, la peur, nous nous en faisons une idée, qui se fixe et durcit dans notre pensée.

Ainsi sommes-nous tributaires de tout un monde d’idées ; monde d’idées abstraites, théorique, dont la stabilité et la constance – et par suite le caractère agréable – ont tôt fait de prendre le dessus sur la réalité pratique, quant à elle toujours marquée par l’instabilité et la souffrance. Au point que nous vivons la plupart du temps cloîtrés dans nos idées.

Mais, aussi bien que nous y soyons, dans nos idées, impossible d’y demeurer : la face cachée, ambigüe, désagréable, tragique – par maints côtés terrible – de la vie finit toujours par faire retour. Et ce avec une telle force que tout refuge, toute idée et toute théorie optimiste s’avèrent tout à coup vains. Alors que, il y a peu, on croyait que la connaissance théorique pouvait remédier à tous les maux, l’expérience nous fait soudain déchanter et sombrer dans la contre position extrême qu’est le pessimisme pratique.

Nous passons du « tout va pour le mieux » au « rien ne va plus ». Avant de progressivement reprendre espoir, remonter la pente, y croire de nouveau, avant de déchanter de nouveau. Puis rebelote : nous y croyons à nouveau, puis sombrons à nouveau.

C’est ainsi que, toute notre vie durant – pour autant que nous ne soyons pas des brutes insensibles –, nous sommes condamnés à jouer au yoyo : entre optimisme théorique puis pessimisme tragique, optimisme théorique puis pessimisme pratique ; puis de nouveau, optimisme théorique, puis pessimisme pratique, etc., comme ça tout le temps. Finalement jusqu’à l’épuisement.

Comment faire pour s’en sortir ? Il n’y a au fond qu’une seule solution : il s’agit de s’élever au-dessus et de l’optimisme théorique et du pessimisme pratique, de surmonter l’opposition. Comment ? Par l’arrière, par en-dessous. L’enjeu est de reconnaître que notre vision du monde est une mauvaise et dangereuse interprétation artistique : une erreur in physiologicis.

Pourquoi ? Parce qu’elle néglige la vie en son double mouvement réciproque, en sa nature mystérieuse, ambigüe et tragique. Parce qu’elle oublie que la vie est un ensemble...

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