L'homme fou (3)

  • il y a 9 ans
Loin de toute profession d’athéisme, loin de toute prétendue non-existence de Dieu, la mort de Dieu que profère l’homme fou sur la place du marché – mort de Dieu consécutive au chosisme, au pragmatisme, à utilitarisme, à l’égoïsme scientifique des hommes devenus de plus en plus hostiles à tout mystère et toute zone d’ombre –, loin de toute athéisme rieur, la mort de Dieu est bien plutôt un constat tragique.
Constat qui rappelle d’abord que tout, dans cette vie, est « phusiquement déterminé » : que chaque phénomène apparaît un jour, vit pour un temps, avant de disparaître de nouveau ; que la mort fait partie intégrante de la vie ; et que, une fois mort, tout se décompose, se putréfie : verwest, dit l’allemand, c’est-à-dire décline, se consume (ver-), et perd finalement son essence (Wesen).
Or il n’en va pas autrement des dieux, y compris bien sûr de notre dieu, le Bon Dieu, et des valeurs qu’il incarne. Ils sont apparus un jour, ont vécu un temps, ont guidé les hommes, et ont fini par mourir ; et sont en train de se dé-com-poser, de se putréfier. Oui, ce n’est plus Dieu, à savoir l’Idée suprême et tout ce que l’optimisme théorique de notre tradition platonico-chrétienne, morale, a rangé sous ce vocable — grosso modo la trinité du vrai, du bien et du beau —, ce n’est plus ce Dieu ainsi compris qui façonne, qui imprègne, qui guide la vie et lui donne son sens, sa signification.
Tout le monde sera d’accord pour le dire : les valeurs suprêmes se dé-valorisent ; et nous errons comme à travers un néant infini, dans des structures, des idées, des valeurs vidées de leur contenu ; dans un climat toujours plus distant, toujours plus froid, toujours plus objectivant, toujours plus aveugle.

L’homme fou l’indique très clairement : comme toute chose morte, Dieu et les valeurs qu’il incarne doivent être enterrés : retourner à la terre. D’une part pour ne pas empester : tout ce qui se putréfie non seulement sent mauvais, mais attire également les bêtes sauvages. D’autre part pour ne pas empêcher de nouvelles naissances divines ; et donc pour permettre à de nouveaux dieux, de nouvelles valeurs d’apparaître.
Car attention : en restant agrippé au mort, au passé, on inhibe et empêche toute vie nouvelle.

Par son énoncé de la mort de Dieu – du meurtre de Dieu par les hommes –, l’homme fou présente ce que Nietzsche appelle le « nihilisme » : le fait que le nihil, le rien, le néant s’avère être l’essentiel (-isme) :
« Nihilisme : le but fait défaut ; la réponse au « pourquoi ? » fait défaut ; que signifie nihilisme ? — que les valeurs suprêmes se dévalorisent. » (Fragments posthumes, Automne 1887-mars 1888, 9 [35])
Les valeurs suprêmes de notre tradition – valeurs du bien, du beau, du vrai – que nous avons cru être tout, ont progressivement perdu leur force configurante pour finalement s’avérer n’être rien.
Constat tragique : tout but (téléologique, post-mortem), toute réponse (causale, rationnelle) au pourquoi fait désormais défaut : « l’horizon tout entier est...

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